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Le programme scolaire de 1881 donné à la conférence de Pauline Kergomard à

Chapitre 1 : À LA CROISÉE DE LA PÉDAGOGIE, DE LA

2. L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN A L’ÉCOLE PRIMAIRE SELON MARIE PAPE-CARPANTIER,

2.2. Le programme scolaire de 1881 donné à la conférence de Pauline Kergomard à

C’est l’exposition universelle de 1878 qui révèle le retard de la France dans l’enseignement du dessin, aussi, un arrêté de 1879 institue le corps des inspecteurs de l’enseignement du dessin et des musées, qui sont chargés des écoles de beaux-arts, d’art décoratif, de dessin des départements ainsi que dans les lycées et collèges. Eugène Guillaume fait valoir son opinion : « le dessin est avant tout une science, et, de cette science, la géométrie est la base91 ». La « méthode Guillaume » est la méthode officielle dans toutes les écoles de France entre 1881 et 1909. Quels sont les premiers éléments de programme donnés par l’Inspectrice Générale des Écoles Maternelles Pauline Kergomard, en conférence lors de l’exposition universelle de 1889 ? Après les premiers principes d’éducation morale, les connaissances sur les objets usuels, les exercices de langage, et à côté des premiers éléments de l’écriture et de la lecture figure l’enseignement du dessin92

:

1e des combinaisons de lignes au moyen de lattes, bâtonnets, etc.

2e la représentation sur l’ardoise de ces combinaisons et de dessins faciles faits par la maîtresse au tableau quadrillé

3e la reproduction sur l’ardoise des objets les plus simples

La lecture et l’écriture seront, autant que possible, enseignées simultanément.

Puis suivent des éléments d’histoire naturelle, des notions de géographie, des récits à la portée des enfants, des exercices manuels, l’enseignement du chant, des exercices de gymnastique. Le Président de la République Française ordonne sur rapport du Président du Conseil, Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, par décret du 02 Août 1881, un règlement des écoles maternelles. Pauline Kergomard écrit dans L’éducation maternelle dans l’école93

, la raison pour laquelle un règlement des écoles maternelles est décrété, « c’est qu’il faut donner corps aux idées ». En ce qui concerne le dessin, elle écrit :

L’enfant qui trace des lignes sur le sable ou sur l’ardoise dessine ; le dessin mène à l’écriture, l’écriture à la lecture. […] Pour l'ordre à suivre dans les leçons [de choses], on essayera de combiner, toutes les fois qu’on le pourra, en les rattachant à un même objet, la leçon de choses, le dessin, la leçon morale, les jeux et les chants, de manière que l'unité d'impression de ces diverses formes d'enseignement laisse une trace plus durable dans l'esprit et le cœur des enfants. On s'efforcera de régler, autant que

91 Dessin, 2015.

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MEN, 2015, p. 286.

40 possible, l'ordre des leçons par l’ordre des saisons, afin que la nature fournisse les objets de ces leçons et que l'enfant contracte ainsi l'habitude d'observer, de comparer et de juger. Les indications ci-dessous pourront guider la maîtresse dans le choix des sujets de leçons94.

Un canevas est préparé pour la leçon de choses pour tous les mois de l’année, le dessin figure en bonne place avec l’exercice de la langue orale et les chants et jeux. Il semble clair que le geste accompagne la parole, même s’il n’existe aucune liberté de choisir le thème de l’exercice, non plus que le format pour l’enfant. Le dessin ne sert là qu’à exercer la mémoire des mots et ne met pas en œuvre l’imagination. La formation des institutrices étant réduite à quatre mois avant la prise de fonction, il semble que l’objectif de ce règlement soit de donner le cadre minimum pour l’éducation de l’enfant. Voici ce qui doit être fait au mois d’octobre :

Leçons de choses : (Récits, causeries, questions, autant que possible avec les objets montrés aux enfants) La vendange. - Vigne, raisin, vin. - Cuve, tonneau, bouteille, verre, bouchons, litre. - Pommes, cidre. - Houblon, bière.

Dessin : (Dessins au trait faits au tableau noir par la maîtresse ; on ne fera reproduire par les élèves que ceux de ces dessins qui seraient assez simples et assez faciles pour trouver place dans le petit cours de dessin tel que le règle le programme) : grappe de raisin, feuille de vigne, pressoir, cuve, tonneau, bouteille, verre, entonnoir, litre.

Chants et jeux (à faire exécuter par les enfants) : L'Automne. (Delbrück.), Le Tonnelier.

En ce qui concerne l’enseignement du dessin à proprement parler, l’ouvrage de l’Inspectrice donne des précisions au chapitre XIII95

qui se compose comme suit : « L’enfant doit apprendre à regarder et à rendre compte de ce qu’il a vu - Les ardoises - Les lattes - Les modèles dits Fröbel - Les modèles représentant des objets usuels - Les dessins d’imagination - Comment la directrice fera faire l’exercice du dessin - Le dessin sur les cahiers. »

Le dessin est considéré pour les enfants du peuple comme un luxe qui fait plutôt partie des moyens de fixer des souvenirs de paysages effectués lors de voyages. La pédagogue, lui, voit cependant un autre intérêt, celui de « faire naître et développer la faculté d’observation ». Pour elle, l’enfant doit savoir observer avec la vue et le toucher afin de fixer son attention. Il doit décrire oralement ce qu’il voit, ce qui est difficile pour un jeune enfant dont le vocabulaire est pauvre, c’est pourquoi il doit « reproduire sur l’ardoise ce qu’il a devant les yeux », même de façon malhabile, ce n’est pas ce qui importe. L’ardoise, le crayon et le tableau noir sont utilisés. Grâce à cet enseignement par les yeux, l’enfant comprend : « lorsque l’enfant a vu, il a presque tout compris ». Dans les livres, « L’image vient au secours de la phrase imprimée ». P. Kergomard donne l’exemple d’un enfant qui raconte une histoire en traçant sur l’ardoise des points qui représentent les personnages pour décrire une scène. Le dessin allie plusieurs qualités ; du point de vue de l’enfant il exerce l’observation, la

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Ibid., p. 62.

41 maîtrise oculo-gestuelle ainsi que l’agilité des doigts ; pour l’institutrice, c’est un outil pédagogique. A ce titre, le dessin doit être pratiqué tous les jours.

L’Inspectrice reprend les éléments du programme et commente tout ce qu’il est possible de réaliser avec le matériel proposé : reproduire de multiples figures en combinant les lattes posées sur la table, exercer sa mémoire en traçant d’abord de visu puis en reproduisant les figures en les évoquant. Elle conseille aux directrices de considérer le dessin comme un « élément éducatif très sérieux », d’autant que pour l’enfant il est « un passe-temps agréable ». Le fait que l’enfant forme lui-même ses figures lui donne des éléments d’analyse de la composition, il compte les lattes, en observe la position dans l’ordre où il les a agencées. Il pourra ainsi mieux reproduire le modèle tracé au tableau. Il utilise les lignes pour symboliser avec plaisir des objets de la vie : rails de chemin de fer… Il vaut mieux travailler à partir des objets dont l’enfant se sert, mais les images de Friedrich Fröbel (1860-1925) qui servent le dessin d’ornement peuvent être choisies par la directrice aussi. C’est la variété des outils qui est importante, une fois par semaine, l’enfant peut réaliser sur la face non quadrillée de son ardoise un dessin d’imagination, ce qu’il « voudra ». Enfin P. Kergomard insiste sur le rôle du tableau noir : les modèles doivent être tracés « bien en vue de tous les petits dessinateurs ». Ensuite il est nécessaire de guider l’enfant : « surveiller la tenue, rectifier les lignes mal faites ». Elle donne le conseil de réaliser les modèles tracés au tableau « tous ensemble » en indiquant par la parole ce qu’elle fait. C’est ce que Mme l’Inspectrice a observé à Londres, elle ajoute, « c’est une question de discipline ». Enfin, pour faire plaisir aux familles, l’enfant peut dessiner de temps à autre dans son cahier en utilisant des crayons de couleur et offrir un jour de fête ce « cahier bien fait » à ses parents : « il est bon que l’enfant comprenne que l’on n’a de vrai bonheur que celui que l’on fait aux autres ».

Même si l’Inspectrice des écoles maternelles se conforme aux programmes établis, cela ne l’empêche pas de diffuser ses idées pédagogiques en éditant l’ouvrage Lectures pédagogiques à l’usage des écoles normales primaires96

dès 1883, avec le rédacteur en chef du Manuel général de l’instruction primaire, de surcroît bibliothécaire du Musée pédagogique, Charles Defodon, et le secrétaire de la rédaction du Dictionnaire de pédagogie et de la Revue pédagogique, J. Guillaume. Un texte de Ferdinand Buisson y figure : La méthode intuitive97. Ce texte est extrait du Rapport sur l’instruction primaire à l’Exposition universelle de Vienne en 1873, par Ferdinand Buisson (1841-1932), Inspecteur général de l’Instruction publique, Directeur de l’enseignement primaire. Il distingue procédés et méthode ; à ce titre les conseils de P. Kergomard concernant « l’enseignement par les yeux » sont de l’ordre des procédés mais interrogent la méthode. Pour lui, la « méthode intuitive » est entrée en Allemagne avec l’Émile de Rousseau. « Le plan d’éducation qu’ils en tirèrent avait pour caractère essentiel de substituer l’observation des choses à l’étude des mots, le jugement à la mémoire, l’esprit à la lettre, la spontanéité à la passivité intellectuelle ». Selon l’Inspecteur, dans ce pays Johann Bernhard Basedow (1724-1790) développe l’imagerie appliquée à l’enseignement grâce à son Livre élémentaire (1774), dont l’idée est empruntée à l’Orbis pictus d’Amos Comenius (1659). Selon lui, c’est Heinrich Pestalozzi (1746-1827) qui met l’accent sur « l’intuition, source de toutes nos connaissances » et en référence à Rousseau, cherche à développer les

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Defodon, Guillaume et Kergomard, 1883.

42 facultés de l’esprit spontanément et naturellement. C’est Jean Joseph Jacotot (1770- 1840) qui introduit un

enseignement où l’enfant s’instruit spontanément, parce qu’il voit, devine, compare, rapproche par lui-même. N’est-ce pas l’intuition, transportée du domaine des sens dans celui du raisonnement ? […] L’œuvre de Pestalozzi avait substitué la vue réelle des objets à la récitation verbale et mécanique, celle de Jacotot substituait la méthode d’intuition aux procédés.

Un second texte, Intuition et méthode intuitive98, est aussi divulgué dès 1887, c’est un article du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, édité chez Hachette. Il est divisé en deux parties, la première fixe le sens et la portée de ce mot en philosophie, la seconde indique les applications à la pédagogie. Après avoir rappelé l’étymologie du mot intuition qui signifie vue, « non pas une vue sommaire et superficielle, mais la vue qui saisit en face et pleinement un objet, la vue immédiate, sûre, facile, distincte, et s'exerçant pour ainsi dire d'un seul coup d'œil ». Chez Descartes, il a une signification presque théologique ; l’esprit est illuminé par « les rayons de la divinité ». Pour Locke, l’intuition est une connaissance spontanée, elle est dans « l’ordre des actes de l’esprit ». Victor Cousin en donne cette définition :

On entend en général par intuition un acte de l’intelligence humaine, le plus naturel, le plus spontané de tous, celui par lequel l’esprit saisit une réalité, constate un phénomène, voit en quelque sorte d’un coup d’œil une chose qui existe en lui ou hors de lui. L’Anschauung est l’enseignement intuitif par les sens ; l’enseignement par l’aspect.

Enfin, il y a l’intuition morale qui semble plus difficile encore à définir car elle entre dans le registre des émotions, des sentiments, des influences de l’imagination, des mouvements du cœur. Qu’en est-il de l’intuition en pédagogie ? Le procédé de l’enseignement par l’aspect est la leçon de choses qui permet d’apprendre à observer. F. Buisson fait alors appel à Rousseau : « Nous ne savons ni toucher, ni voir, ni entendre que comme on nous l’a appris ; exercer ses sens, ce n’est pas seulement en faire usage, c’est apprendre à bien juger par eux, et en quelque sorte à bien sentir »99. La méthode intuitive « parvient à faire penser l’enfant, parce qu’elle le laisse penser à sa façon et non à la nôtre, parce qu’elle le fait marcher de son propre pas et non du pas du maître »100. Ainsi l’Inspecteur général de l’instruction publique reconnaît l’exercice de facultés intellectuelles enfantines qui seront à même de « leur faire comprendre et aimer en enfants ce qu’ils apprendront plus tard à comprendre et à aimer en hommes »101

. Ces textes édités à l’initiative, entre autres, de Pauline Kergomard, pour former les institutrices à l’École normale préfigurent l’avènement du programme d’enseignement du dessin de Gaston Quénioux, basé sur la « méthode intuitive ».

98 Intuition et méthode intuitive, 1911.

99Ibid. 100

Ibid. 101Ibid.

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2.3. Le programme de Gaston Quénioux (1909) et la conférence pédagogique de