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Le programme de Gaston Quénioux (1909) et la conférence pédagogique de

Chapitre 1 : À LA CROISÉE DE LA PÉDAGOGIE, DE LA

2. L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN A L’ÉCOLE PRIMAIRE SELON MARIE PAPE-CARPANTIER,

2.3. Le programme de Gaston Quénioux (1909) et la conférence pédagogique de

L’article consacré au dessin dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson102 présente les grandes lignes de la réforme de l’enseignement du dessin à l’école primaire, mais aussi au collège et lycée en 1909. Il s’agit d’instituer à l’école la « Méthode intuitive103

» ci-dessus décrite à partir des textes de F. Buisson et d’en faire un instrument d’éducation générale pour le peuple. Elle a une visée démocratique et Félix Ravaisson (1813-1900) écrit : « L’homme du peuple, sur lequel pèse d’un poids si lourd la fatalité matérielle, trouverait le meilleur allègement à sa dure condition si ses yeux étaient ouverts à la “beauté du monde” 104». Gaston Quénioux, alors professeur à l’école nationale des arts décoratifs, rédige l’article et loue cette méthode qui propose d’agir sur toutes les facultés pour former chez l’enfant tout entier « les sens, le jugement, l’imagination et le sentiment ». Elle présente l’avantage de favoriser la spontanéité de l’enfant et de le valoriser puisqu’il entreprend lui-même de régler ses apprentissages pour satisfaire sa curiosité. Ensuite, il écarte le « grand art ou l’art industriel » pour faire valoir un art modeste et populaire qui contribue au bonheur personnel et commun en référence aux œuvres de la nature. Ainsi, l’enfant appréhende d’abord la matérialité de son environnement à travers l’observation attentive des choses, la description orale et dessinée, ensuite il en vient à maîtriser les concepts qui lui permettent d’opérer mentalement des rapprochements, des distinctions…, « l’imagination n’est que la résultante d’observations accumulées par la mémoire ». Les dessins et croquis de mémoire cultivent la « faculté imaginative », tandis que le dessin « géométral » répond aux besoins de l’industrie. G. Quénioux fait référence aux auteurs qui étudient le dessin enfantin tant en France qu’à l’étranger pour en conclure que de « véritables lois président à la manière dont les enfants dessinent » et établit un parallèle entre l’ontogénèse et la phylogénèse. Les œuvres enfantines révèlent la personnalité de l’enfant, la couleur est un moyen d’expression qui lui permet de « traduire ses impressions et manifester son goût ». Le professeur propose d’observer la beauté de la nature et de « situer les scènes dans des paysages de la région », remettant à plus tard l’étude des œuvres d’art, quand l’enfant a acquis le pressentiment de « l’accord existant entre l’univers et sa propre nature ». L’enfant a alors bénéficié d’une « véritable initiation artistique » qui reflète sa personnalité.

Melle Tortel, institutrice dans une classe du Rhône a été sollicitée pour faire une conférence pédagogique sur Le dessin à l’école maternelle (Cf. annexe 5), celle-ci se déroule à l’école maternelle, 28 chemin de Choulans à Lyon, en 1928. À cette date, les programmes d’enseignement du dessin de G. Quenioux sont toujours en vigueur, tout juste ont-ils été revus en 1923, et ce seront les mêmes jusqu’en 1977. Le dessin est “considéré comme un moyen naturel pour connaître et exprimer ce que l’enfant perçoit et imagine”105. L’institutrice, qui enseigne depuis déjà dix ans, considère que le dessin est un « auxiliaire de l’éducation ». Elle cite d’entrée Rousseau :

102 Dessin, 1911. 103 Ubrich, 2014. 104 Dessin, 1911. 105 D’Enfert et Lagoutte, 2004.

44 Ces enfants, grands imitateurs, essaient tous de dessiner : je voudrais que le mien cultivât cet art, non précisément pour l’art même, mais pour rendre l’œil juste et la main flexible, en général, il importe fort peu qu’il sache tel ou tel exercice, pourvu qu’il acquière la perspicacité du sens et la bonne habitude du corps qu’on gagne pour cet exercice.

G. Tortel énonce le fait que la norme du dessin est une norme adulte, ce qui implique le jugement d’un « critique d’art » sur le dessin enfantin. Il est donc nécessaire de prendre le point de vue de l’enfant en faisant « œuvre de sympathie et aussi d’intelligence, triomphe de l’intuition, mais aussi de l’observation patiente ». Elle cite de nouveau Rousseau : « Nul de nous n’est assez philosophe pour se mettre à la place d’un enfant ». La finalité du dessin de l’enfant se trouve être dans le jeu, il exprime le plaisir d’être à la recherche de lui-même. « Il se donne en représentation à lui-même, et c’est ce jeu de dédoublement qui crée sa joie ». Selon G. Tortel, Piaget n’a pas cherché les progrès de l’intelligence de l’enfant par le commentaire de ses œuvres graphiques, mais dit-elle, il a laissé ce soin à G-H. Luquet106

qui annonce la plupart de ses découvertes. A partir de ses tracés libres, il trouve des analogies, et découvre la première forme du général. L’attitude de l’adulte doit être attentiste et bienveillante pour lui laisser le plaisir de la révélation spontanée, « véritable conquête spirituelle ». Le dessin représentatif lui donne « un pouvoir d’objectivation et un sentiment d’appropriation ». Il dessine selon sa perception et interprète la réalité avec le syncrétisme qui le caractérise. Il note les détails qui ont finalité biologique, « c’est un réalisme logique et une logique nettement finaliste et utilitaire qui caractérisent les productions graphiques de l’enfant ». Il faut observer l’enfant dans l’action et le laisser libre de sa parole qui scande sa pensée et son geste ; il instaure un dialogue avec les choses qui exprime ses intentions. Elle conseille de faire comme « le Docteur Decroly [qui] fait suivre chaque observation [de l’enfant] du croquis descriptif, […] notation directe de la perception ». Pour l’enfant, ce qui compte c’est son réalisme intellectuel, selon son mode interne qu’il faut respecter. « Il y a une progression spontanée du type, par division à partir du schéma primitif, discrimination, différenciation ». Le dessin est un instrument spontané d’expression et d’analyse pour enfant, « il forge sa vie mentale par l’attention soutenue, la pensée finaliste qui dirige le dessin ». L’enfant doit pouvoir dessiner autant qu’il veut, sans modèle ; des images colorées lui donnent de la joie. « Je me garderai bien, dit Rousseau, de donner à Émile un maître pour dessiner qui ne lui donnerait à imiter que des imitations, et ne le ferait dessiner que sur des dessins : je veux qu’il n’ait d’autre maître que la nature, ni d’autre modèle que les objets ». Il ne faut pas corriger le dessin mais interroger l’enfant sur ses intentions en toute confiance. Parfois l’institutrice dessine en même temps que les enfants et commente son travail, le corrige devant ceux qui veulent regarder. « J’ai montré par l’exemple que le travail s’analyse et repose sur l’observation […]. C’est cette recherche en commun des ressources de l’art humain que Dewey a appelé la méthode de “l’activité associée”. Elle exige une réciprocité, une libre communication ». Pour elle, le rôle de l’imitation est prépondérant, comme un processus actif et complexe. La méthode décrite est naturelle, elle repose sur une conception finaliste et biologique de l’évolution mentale, basée sur « l’intelligence des processus

45 spontanés et des facultés syncrétiques de l’enfant ». Des exercices sensoriels d’attention et d’analyse, elle fait la référence ici à M. Montessori, apprennent l’obéissance mais ne développent pas « l’esprit de la discipline, qui est faculté active, initiative et volonté ». Tout autres sont le mécanisme, la conception empiriste de la connaissance, l’associationnisme et l’atomisme psychique, étudiés dans son mémoire de psychopédagogie qui ne considèrent pas à leur mesure les facultés intellectuelles de l’enfant. Elle conclut par ces deux citations107

qui introduisent sa philosophie de l’éducation et sans doute une référence à une certaine psychanalyse du lien familial : « Faire, et en faisant, se faire » (la citation exacte est « Faire, et non pas devenir, mais faire et en faisant se faire108 ») ; « Ce que tu as hérité de tes pères, a dit Goethe109, en un magnifique langage acquière-le pour le posséder ».

En tant que rédactrice en chef des Cahiers de pédagogie moderne, G. Tortel dans un numéro consacré à L’éducation du langage publie110 un article de l’Inspectrice Générale des Écoles Maternelles, M. Thomet. Des leçons de langage faites par des élèves - maîtresses montrent sa conception de l’apprentissage du dessin par le maître qui doit maîtriser devant l’élève la représentation figurée au tableau de petits récits afin d’étayer l’assimilation du vocabulaire et de la syntaxe. Mme Thomet écrit : « Le dessin est pour elle [la maîtresse], le moyen d’expression le plus naturel, le plus riche et le plus éloquent. Il supplée à l’expression verbale pour susciter et soutenir l’intérêt et pour provoquer le jaillissement des réactions enfantines. Il confère à la maîtresse l’aisance et l’autorité ». D’un côté G. Tortel adhère aux programmes en favorisant l’expression de la personnalité de l’enfant et, de surcroît, l’émergence de ses facultés intellectuelles par la « méthode intuitive », de l’autre, elle donne les moyens aux maîtresses d’acquérir en formation l’aisance du geste graphique par un entraînement méthodique.

Un numéro Hors-Série de l’Éducation Enfantine111 publié à l’occasion du 69ème congrès de l’Association Générale des Institutrices des Écoles Maternelles (AGIEM) se réfère aux figures emblématiques de cette école : Pauline, Germaine, Suzanne et nous. L’école maternelle hier pour demain. La revue dresse brièvement les portraits de M. Pape-Carpantier, P. Kergomard et G. Tortel au côté des Inspectrices Générales en maternelle, Suzanne Herbinière-Lebert et Madeleine Abbadie. Cet hommage peut se comprendre de manière plus fructueuse en considérant les textes officiels de l’enseignement du dessin, tels que nous les avons proposés en les contextualisant. Les expositions universelles en France sont le lieu de formation par excellence des enseignants et plus largement du public, elles permettent d’interpeller les adultes sur les facultés de l’enfant. G. Tortel considère que l’enfant est créateur, ce qui va l’amener à exposer à son tour les travaux enfantins à l’international. Quel est donc l’enjeu pédagogique de l’exposition à l’école ? L’Art enfantin serait une spécificité de la communauté enfantine ou de la « nation des 6 ans112 » comme l’appelle la pédagogue ; il

107 Dans ses écrits, G. Tortel donne beaucoup de citations de mémoire sans jamais préciser les sources exactes.

108 Citation du philosophe Jules Lequier (1814-1862) à qui Jean Grenier consacrera sa thèse (1898-1971). G. Tortel possède dans sa bibliothèque un cours de celui-ci, dispensé à la Sorbonne : L’imitation et les principes de l’esthétique classique (1963). Lequier, 2015.

109 En référence au Faust de J.W. Goethe (1808).

110 Zazzo et Guilmain, 1950, p. 22-39.

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Éducation Enfantine, 1996, juillet.

46 répondrait à un besoin, lequel ? C’est en observant l’enfant en action que nous pourrions trouver des réponses à cette question.