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2.2 Profondeur de traitement et Élaboration

2.2.1 La profondeur de traitement

La notion de PDT est issue de travaux établis dans le champ d'étude de la percep-tion, montrant que percevoir implique une analyse rapide des informations à diérents  niveaux  ou  stages  de traitement (e.g., Treisman, 1964). Les niveaux primaires concernent l'analyse des caractéristiques physiques et sensorielles comme les lignes, les angles, les contrastes ou la luminosité. En revanche, les niveaux supérieurs concernent la reconnaissance des formes et l'extraction du sens. Cette conception implique ainsi une série ou hiérarchie de niveaux de traitement, regroupée sous la notion de PDT, où une analyse profonde réfère à une analyse sémantique.

S'appuyant notamment sur les suggestions de Massaro (1970), Craik et Lockhart (1972) ont repris ces considérations pour les appliquer à la mémoire. Selon ces auteurs, les traces mnésiques seraient non seulement une conséquence de l'analyse perceptuelle, mais la persistance des traces en mémoire dépendrait de la profondeur du traitement de l'infor-mation. Précisément, une analyse profonde, c'est-à-dire sémantique, induirait des traces plus solides et durables. Il est à noter que si les traces mnésiques résultent de l'analyse perceptuelle, alors la PDT est en partie déterminée par les caractéristiques intrinsèques de l'information traitée. En conséquence, un matériel porteur de sens ou des tâches orientées sémantiquement, doivent augmenter les performances de mémoire.

Nous allons maintenant aborder les arguments expérimentaux en faveur de la PDT, ainsi que les critiques de cette notion.

Arguments expérimentaux

L'eet de PDT, dénit par de meilleures performances de mémoire après un traitement sémantique des informations comparé à un traitement  superciel  (e.g., orthographique ou phonétique), est un eet puissant et robuste largement démontré dans la littérature scientique. Cet eet est tellement classique que la PDT est passée en trente ans d'un

Domaine de Tâches d'orientation Réponse Réponse

traitement correcte incorrecte

Structural Est-ce que le mot est écrit en majuscule ? TABLE table

Phonétique Est-ce que le mot rime avec MIETTE ? assiette couteau

Sémantique Est-ce que le mot serait approprié dans la phrase suivante : ami nuage

 Il a rencontré un dans la rue  ?

Tab. 2.2  Tâches d'orientation utilisées par Craik et Tulving (1975).

statut théorique à un statut méthodologique (Lockhart, 2002). Par exemple, dans les recherches actuelles, le  paradigme des niveaux de traitement  est fréquemment utilisé pour étudier la distinction entre mémoire implicite et explicite (e.g., Challis et al., 1996; Roediger et al., 1992).

Dans la littérature, deux grands types d'approche expérimentale sont utilisés pour étudier l'eet de PDT : (1) les tâches d'orientation et (2) les listes d'orientation de trai-tement.

Les tâches d'orientation

Lors de la phase d'apprentissage, les tâches d'orientation réfèrent à des consignes don-nées aux sujets permettant d'orienter l'analyse cognitive du matériel à mémoriser vers certains niveaux de traitement (i.e., superciels ou profonds). Ces tâches sont historique-ment la première méthode qui a été utilisée pour étudier et démontrer l'eet de PDT (Craik et Tulving, 1975). Comme souligné par Craik et Lockhart (1972, p. 677), les tâches d'orientation, dans des conditions d'apprentissage implicite, permettent à l'expérimen-tateur d'avoir un contrôle sur le traitement eectué par les sujets, contrairement à un apprentissage libre et explicite dans lequel les stratégies d'encodage ne sont pas maîtri-sées.

Les diérentes études testant l'eet de PDT ont utilisé des tâches d'orientation de traitement variant le plus souvent selon trois niveaux d'analyse : (1) un niveau structural, dont la consigne consiste à demander au sujet de juger la forme physique des mots pré-sentés ; (2) un niveau phonétique, dont la consigne concerne l'analyse ou la production de rimes ; et (3) un niveau sémantique, obtenu par une consigne s'adressant à la signication des mots. Le Tableau 2.2 illustre ces diérentes tâches d'orientation.

A l'aide de cette méthode, Craik et Tulving (1975) ont démontré que le niveau de per-formance sur des tests de mémorisation est directement lié à la consigne donnée aux sujets,

lors de la phase d'apprentissage. Précisément, les résultats de ces auteurs ont indiqué que les meilleures performances sont obtenues grâce à la consigne sémantique, puis la consigne phonétique et, enn, la consigne structurale. En d'autres termes, plus l'encodage des in-formations est orienté vers un niveau de traitement profond (i.e., sémantique), meilleures sont les performances en restitution. Puisque l'orientation du traitement vers un niveau sémantique permet d'augmenter la qualité de la mémorisation, les tâches d'orientation apportent ainsi des arguments en faveur de la notion de PDT.

Les listes d'orientation de traitement

En dehors des tâches d'orientation, dépendant de la consigne donnée aux sujets, la nature du matériel à mémoriser ainsi que son organisation peuvent orienter l'analyse vers diérents niveaux de traitement, lors de la phase d'apprentissage.

Nature du matériel : Par exemple, pour tester l'eet de PDT, il est possible d'utiliser des listes de paires de mots qui peuvent être soit liés phonétiquement (e.g., USINE -BASSINE), orientant vers un traitement superciel, soit liés sémantiquement (e.g., MAR-TEAU - OUTIL), orientant vers un traitement profond. Avec ce genre de matériel, il est classique de montrer que les mots cibles (e.g., les premiers mots de chaque paire) des listes sémantiques sont mieux restitués que les mots cibles des listes phonétiques, lors de tests ultérieurs de mémoire. Utilisant une tâche de rappel indicé, Fisher et Craik (1977, Expérience 2) ont ainsi rapporté 30% de rappel correct en utilisant des listes sémantiques, contre 21% de rappel correct pour des listes phonétiques. Cette méthode d'exploration est fréquement utilisée dans notre laboratoire et elle a permis, par exemple, de démontrer l'eet de PDT aussi bien chez des sujets jeunes que âgés (e.g., Sauzéon et al., 2000). Organisation du matériel : L'organisation du matériel est un autre moyen d'orienter le niveau de traitement des informations. En eet, des listes de mots organisées en ca-tégories (e.g., ABRICOT, ORANGE, FRAISE, POMME, etc.) orent plus de cohérence entre les informations à mémoriser que des listes de mots non-organisées (e.g., ABRI-COT, TROMPETTE, HORLOGE, TRAIN, etc.). En conséquence, du matériel organisé véhicule plus de sens que du matériel non-organisé et permet ainsi un traitement plus pro-fond. Il est alors classique de constater expérimentalement de meilleures performances de

mémoire lorsqu'une organisation des informations a été proposée par l'expérimentateur, lors de la phase d'apprentissage (e.g., Einstein et Hunt, 1980; Sauzéon et al., 2001).

Puisque des listes de mots liés sémantiquement, ou organisés en catégories, permettent d'augmenter la qualité de la mémorisation, les listes d'orientation de traitement orent alors des arguments supplémentaires en faveur de la PDT.

Les critiques

Bien que la notion de PDT apparaît pertinente, un grand nombre d'auteurs ont critiqué cette conception (e.g., Baddeley, 1978; Eysenck, 1978; Morris et al., 1977; Roediger et Gallo, 2001). L'objectif de ce paragraphe n'est pas de présenter de façon exhaustive tous les arguments qui ont été avancés contre la notion de PDT. Pour des réponses à la majorité de ces arguments, le lecteur pourra se référer à Lockhart et Craik (1990). Le but est simplement ici d'évoquer deux des principales critiques ayant permis de faire évoluer le concept de PDT vers celui d'élaboration. Les deux critiques majeures sont : (1) l'aspect tautologique de la notion de PDT ; et (2) la notion de hiérarchie des traitements.

Aspect tautologique

La critique théorique la plus fréquemment adressée à Craik et Lockhart sur la notion de PDT est certainement celle de l'aspect tautologique de cette notion. En eet, la PDT peut présenter un danger de circularité de raisonnement, c'est-à-dire que si un traitement profond est associé à de meilleures performances de mémoire, alors, en l'absence d'un index de mesure indépendant de la PDT, il est tentant de conclure que de bonnes per-formances sont dues à un traitement profond lors de l'encodage. Méthodologiquement, le manque d'un index de mesure de la PDT est donc la critique logique qui en découle. Selon Nelson (1977), la circularité du raisonnement de la PDT rend l'approche des niveaux de traitement infalsiable et, donc, scientiquement irrecevable.

Lockhart et Craik (1990, p. 92) soulignent cependant que, comme nous l'avons vu dans les paragraphes précédents, il est possible d'orienter méthodologiquement le traite-ment des sujets lors de la phase d'apprentissage. Les meilleures performances obtenues en utilisant une orientation sémantique découlent donc d'une manipulation expérimentale a priori et non d'une interprétation a posteriori du niveau de traitement, par rapport aux performances de mémoire. Les résultats de Craik et Tulving (1975) ou des autres études

utilisant des tâches ou des listes d'orientation de traitement ne peuvent alors pas être taxés de circularité.

Sur la question d'un index de mesure indépendant, ce problème n'est pas vraiment spécique à la PDT, mais constitue une diculté générale dans l'étude fonctionnelle du système cognitif. En outre, Lockhart et Craik (1990, p. 92) indiquent que même si la PDT pouvait être corrélée, par exemple, à un indicateur de vitesse de traitement ou même un indicateur neurophysiologique, la critique de circularité ne serait pas évacuée pour autant. En eet, pour valider l'index, il faudrait interpréter les résultats en évoquant une corrélation monotone entre la mesure issue de l'index et la PDT, c'est-à-dire, par exemple, une augmentation de la PDT lors de l'augmentation de l'index, et inversement. Paradoxalement, il se trouve que ce type de relation monotone, impliquant une hiérarchie dans les niveaux de traitement, est justement la deuxième critique majeure adressée aux niveaux de traitement.

Notion de hiérarchie

Baddeley (1978) a été un des premiers auteurs à questionner la pertinence d'un conti-nuum unidirectionnel, référant à une séquence linéaire de niveaux de traitement (i.e., de superciel à profond). Cette conception implique de fait une hiérarchie des traitements, indiquant implicitement qu'une analyse profonde entraîne toujours de meilleures perfor-mances qu'une analyse supercielle. Morris et al. (1977) ont justement montré que ce n'était pas le cas. En eet, les résultats de ces auteurs ont indiqué que, dans certaines circonstances de test appropriées, un traitement phonétique peut induire de meilleures performances de mémoire qu'un traitement sémantique. Il n'y aurait donc pas de supé-riorité  absolue  des traitements profonds sur les traitement superciels (voir Ÿ 2.3.2, p. 64).

Lockhart et Craik (1990, p. 94) ont admis que cette critique de hiérarchie des trai-tements est fondée et que la première formulation de leur approche (Craik et Lockhart, 1972) n'orait pas beaucoup d'arguments contre une interprétation hiérarchique de la PDT. Les auteurs ont également souligné que cette vision linéaire des niveaux de traite-ment a été rapidetraite-ment corrigée (Lockhart et al., 1976). Dans leur correction, les auteurs ont alors suggéré que la notion de PDT, originalement décrite, concerne deux concepts diérents : (1) le premier, correspondant à diérents domaines de traitement, réfère à une

certaine qualité de mémorisation sans question de hiérarchie entre les domaines ; (2) le second, correspondant à une certaine quantité d'analyse au sein de chaque domaine, réfère à un enrichissement de l'information. Lockhart et Craik (1990, p. 96) ont alors concédé que la notion d'élaboration capture peut être mieux l'essence de cette seconde acception. En conclusion : La notion de PDT implique des processus cognitifs dépendants en partie du matériel à mémoriser ou des conditions d'encodage des informations. Cette notion réfère à diérents domaines de traitement induisant une mémorisation de plus ou moins bonne qualité. Précisément, plus le domaine de traitement des informations est de type sémantique, plus les traces mnésiques seront solides et durables.