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2.4 Un cadre général de la mémoire

2.4.4 La distinctibilité des traces

L'idée générale avancée pour expliquer les relations entre les eets de PDT et d'élabo-ration, d'une part, et les eets de spécicité d'encodage ou de transfert approprié, d'autre part, est que les premiers favoriseraient les seconds. En d'autres termes, un traitement sémantique et/ou élaboré à l'encodage augmenterait la probabilité d'un transfert appro-prié des informations lors de leur récupération (e.g., Lockhart, 2002; Moscovitch et Craik, 1976).

La notion de distinctibilité des traces en mémoire n'est pas récente dans la littérature et son inuence sur les performances est bien connu (e.g., Murdock, 1960). Cette notion expliquerait divers eets expérimentaux comme, par exemple,  l'eet de compétition . Cet eet, appelé  fan eect  en Anglais (Anderson, 1974), réfère à une baisse des perfor-mances de mémoire lorsqu'une information cible est reliée à un grand nombre d'éléments lors de l'apprentissage. Généralement, il est ainsi constaté qu'une information pouvant être relativement isolée lors de l'encodage sera plus facilement récupérée lors des tests, car la spécicité contextuelle d'une information évitera la compétition entre les diérents

indices qui pourraient lui être associés. De la même façon qu'une forme bien délimitée sera plus facilement identiée dans une image, une trace distincte sera plus facilement récupé-rable en mémoire et ceci d'autant plus qu'elle contraste avec les autres traces (Jacoby et Craik, 1979).

Craik et ses collègues (e.g., Craik, 1977; Jacoby et Craik, 1979; Moscovitch et Craik, 1976) ont proposé que les eets de PDT et d'élaboration sont liés à la notion de distinctibi-lité des traces. Précisément, un traitement profond et/ou élaboré permettrait de produire un encodage plus distinctif des informations à mémoriser par rapport à l'ensemble des connaissances déjà présentes en mémoire. Les traces formées étant plus distinctes des autres épisodes mnésiques, leur probabilité de rappel ou de reconnaissance serait augmen-tée lors de tests ultérieurs.

Selon Lockhart et Craik (1990), l'augmentation de distinctibilité des traces à la suite d'un traitement profond et/ou élaboré pourrait s'expliquer par une  décontextualisation  des informations. L'hypothèse avancée par les auteurs est qu'une intégration sémantique permettrait d'encoder préférentiellement les caractéristiques propres à l'événement, en li-mitant l'encodage de caractéristiques communes à plusieurs épisodes mnésiques (Fisher et Craik, 1977, p. 711). Ainsi, la PDT et l'élaboration réduiraient, d'une part, la probabilité de compétition entre des indices généraux de récupération et, d'autre part, augmente-rait la puissance des caractéristiques contextuelles propres, qui ont été intégrées dans les traces, en tant qu'indices de récupération. De fait, une trace distincte serait à la fois ré-cupérable dans des contextes diérents, c'est-à-dire accessible par une plus grande variété d'indices de récupération (Lockhart, 2002; Schacter, 1996), mais aussi d'autant plus récu-pérable par des indices qui lui sont propres. Ces deux caractéristiques peuvent sembler a priori contradictoires mais, selon Lockhart et Craik , elles sont en fait complémentaires. Ces auteurs proposent par ailleurs de capturer ces deux aspects des eets de PDT et d'élaboration sous le terme d'encodage robuste (Lockhart, 2002; Lockhart et Craik, 1990). En conséquence, une trace distincte étant relativement  décontextualisée , et donc moins dépendante du contexte général de récupération, l'intégration sémantique des infor-mation augmenterait bien la probabilité d'une bonne adéquation entre les phases d'enco-dage et de récupération. Parallèlement, une trace distincte renforcerait les caractéristiques contextuelles qui lui sont propres, ce qui potentialiserait les eets de spécicité d'encodage lorsque ces caractéristiques sont restituées lors des tests.

Traitement sémantique + Elaboration

Intégration sémantique des nouvelles informations

Distinctibilité des traces en mémoire

Potentialisation des indices spécifiques et

de la concordance des traitements

ENCODAGE

STOCKAGE

RECUPERATION

Fig. 2.7  Illustration d'un cadre fonctionnel de la mémoire intégrant l'approche des niveaux de

traitements et les concepts de spécicité d'encodage et de transfert approprié.

En conclusion : Dans une perspective d'analyse des relations entre encodage et récu-pération, la notion de distinctibilité des traces en mémoire semble pertinente pour expli-quer les interactions entre l'approche des niveaux de traitement (i.e., PDT et élaboration) et les approches de concordance des traitements (i.e., spécicité d'encodage et transfert approprié). Cette notion de distinctibilité réfère à un encodage préférentiel des caractéris-tiques propres aux informations à mémoriser, en limitant l'encodage de caractériscaractéris-tiques potentiellement communes à d'autres épisodes mnésiques. Les traces peuvent être de fait plus facilement discriminées en mémoire. La Figure 2.7 illustre ce nous appellerons dans la suite de cette thèse le  cadre des niveaux de traitements . Cette conception représente un modèle général du fonctionnement de la mémoire et intègre l'approche des niveaux de traitement et ses concepts complémentaires (i.e., spécicité d'encodage et transfert approprié).

Après avoir abordé les thèmes de la compensation et de la mémoire, le chapitre suivant traitera de la modélisation des phénomènes mnésiques.

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En résumé...

o L'approche des niveaux de traitement est une approche fonctionnaliste de la mémoire humaine, postu-lant que la mémorisation est une conséquence des traitements eectués par le système cognitif. o Cette approche est fondée sur deux concepts clefs que sont la profondeur de traitement et l'élaboration

qui réfèrent, respectivement, à des domaines qualitatifs de traitement (les traitements sémantiques induisent généralement les meilleures performances) et à un enrichissement de l'information au sein de chaque domaine de traitement.

o Selon cette approche, les performances de mémoire dépendent de l'intégration sémantique des items à mémoriser. Plus le sens de l'information est accessible au sujet, plus il est capable de relier cette information à ses connaissances et meilleure sera la mémorisation.

o Les concepts de spécicité d'encodage et de transfert approprié sont des concepts complémentaires de l'approche des niveaux de traitement. Ces concepts mettent l'accent sur une nécessité de concordance des traitements entre les phases d'apprentissage et de test. Ainsi, les performances de mémoire dépendent de l'adéquation entre encodage et récupération.

o De nombreuses interactions existent entre ces diérents concepts permettant une potentialisation des processus cognitifs mis en jeu et orant alors un soutien cognitif important.

o La notion de distinctibilité des traces semble une des hypothèses les plus pertinentes pour expliquer les liens entre les concepts décrits dans l'approche des niveaux de traitement et les approches de concordance des traitements.

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les références clefs

o Craik, F.I.M et Lockhart, R.S. (1972). Levels of processing : A framework for memory research. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 11, 671-684.

o Lockhart, R.S. et Craik, F.I.M. (1990). Levels of processing : A retrospective commentary on a frame-work for memory research. Canadian Journal of Psychology, 44, 87-112.

Modéliser la mémoire

Sommaire

¶ La notion de modèle (p. 76)

· Cognitivisme et connexionnisme (p. 81)

¸ Les modèles d'appariement global (p. 93)

¹ Minerva 2 (p. 100)

La modélisation en psychologie n'est pas un phénomène récent mais date de la n

du xixe siècle. En eet, certains auteurs pionniers, comme Hermann Ebbinghaus (1885)

ou Gustav Theodor Fechner (1860), ont initié les approches modernes de la psychologie expérimentale et de la psychophysique et ont établi les premiers modèles, ou lois, du fonctionnement cognitif.

Par exemple, la  loi de l'oubli  a été mise en évidence expérimentalement par Ebbin-ghaus (1885). Selon cette loi, la rétention des informations en mémoire est une fonction décroissante, négativement accélérée, de l'intervalle de rétention. En d'autres termes, l'ou-bli des informations mémorisées est majeur lors des premiers jours (voire des premières heures) suivant la phase de mémorisation, puis tend à se stabiliser.

Depuis ces premiers travaux, les tentatives de modélisation des phénomènes cognitifs n'ont eu de cesse de se développer. De fait, le succès des modèles a entraîné une augmen-tation considérable de leur nombre, de leurs rôles et de leurs propriétés. L'accroissement de l'intérêt des modèles pour la recherche, notamment en psychologie, est par ailleurs largement imputable aux possibilités de simulation apparues avec le développement de l'informatique. De nos jours, le terme  modèle  désigne ainsi des entités aussi variées qu'une organisation théorique ou un système formel susceptible d'être simulé.

L'objectif de ce chapitre est d'aborder la modélisation de la mémoire humaine. Pre-mièrement, nous dénirons la notion générale de modèle en exposant, particulièrement, les diérentes classications existantes et les caractéristiques communes à toutes les classes de modèles. Nous présenterons ensuite les modèles issus des deux courants principaux des sciences cognitives, que sont les approches cognitiviste et connexionniste (e.g., Varela, 1997). Nous focaliserons enn notre présentation sur la famille des modèles de mémoire à appariement global, encore appelés néo-connexionnistes (e.g., Tiberghien, 1997). Nous

nous attarderons alors spéciquement sur le modèle Minerva 2 (Hintzman, 1984), que nous avons utilisé lors de nos investigations.

3.1 La notion de modèle

Comme évoqué précédemment, le terme  modèle  peut désigner en psychologie des entités très diérentes. Il convient alors de proposer des classications claires des diérents modèles existants. Par ailleurs, les caractéristiques propres à chaque classe de modèles leur confèrent un intérêt spécique dans la recherche. Malgré la variété des modèles, il est possible de dégager des propriétés communes.