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1.3 Le modèle de Bäckman et Dixon

2.1.2 Les approches fonctionnalistes

A l'opposé des approches structurales, les approches fonctionnalistes de la mémoire postulent l'existence d'un système unique. C'est pourquoi, ces approches peuvent être identiées comme des approches uni- ou mono-systémiques.

D'après Nicolas (2000, p. 159), les fonctionnalistes envisagent la mémoire non comme un lieu où sont simplement déposées nos connaissances, mais plutôt comme un ensemble de

procédures ou d'opérations permettant d'encoder l'information, cet ensemble changeant en fonction des situations. L'originalité des approches fonctionnalistes est précisément de considérer que l'expression de la mémoire n'est que la conséquence d'une interaction entre le système cognitif déclenchant certaines opérations mentales et les demandes particulières de l'environnement.

Ainsi, ces approches centrent leur intérêt sur les entrées et les sorties du système de mémoire, mais surtout sur les étapes de transition au sein du système et sur les proces-sus de traitement des informations. Précisément, ces modèles se basent sur les notions d'encodage, de stockage et de récupération. L'articulation de ces trois notions assure une dénition fonctionnelle du système mnésique, en termes d'étapes de mémorisation. En outre, lors de ces diérentes étapes, des relations fonctionnelles entre les processus cogni-tifs impliqués peuvent être décrites (e.g., Jacoby, 1994; Richardson-Klavehn et al., 1996). les étapes de la mémorisation

Au lieu de décomposer la mémoire en systèmes, comme le font les structuralistes, les fonctionnalistes divisent la mémoire en étapes cognitives, chacune des étapes impliquant certains processus mnésiques. Trois étapes sont classiquement distinguées.

L'encodage constitue l'ensemble des opérations eectuées à l'entrée du système de mé-moire, an de transformer l'information reçue par les systèmes sensoriels périphériques. L'objectif de cette étape est alors de produire une trace mnésique (Tulving, 1983) à partir des informations perçues, qu'elles soit  externes  (i.e., venant de l'environnement) ou  internes  (i.e., venant de l'organisme). L'encodage correspond ainsi à l'étape d'ac-quisition des informations. La variété des informations auxquelles le système est exposé pouvant être considérable, la constitution d'une trace mnésique pertinente repose sur les capacités du système à coder, ou recoder, les informations. Pour cela, le système mné-sique tient à sa disposition un large panel de formats de codage. Selon Bower (1975), ces formats peuvent être de type : (1) perceptif ; (2) moteur ; (3) relatif à l'espace ; (4) relatif à la connaissance des objets ; ou (5) relatif aux aptitudes à résoudre des problèmes.

Le stockage constitue l'ensemble des opérations permettant au système de mémoire de conserver les produits issus de l'étape d'encodage. L'objectif de cette étape est d'assurer une certaine permanence des traces mnésiques. L'ecacité du stockage va donc résider dans les capacités du système à retenir de nouvelles informations sans perdre celles déjà

présentes en mémoire, c'est-à-dire à résister à l'oubli. Selon Tiberghien (1997, p. 97), trois classes de modèles ont été proposés pour rendre compte de l'oubli : (1) les modèles de consolidation qui invoquent une défaillance des processus d'orientation de l'attention et de la révision mentale, induisant une défaillance des processus d'encodage et empêchant ainsi la constitution de traces mnésiques résistantes ; (2) les modèles de l'interférence qui ex-pliquent l'oubli par l'augmentation du nombre et de la similitude des traces mnésiques, et par la densité croissante de leurs relations ; enn, (3) les modèles contextualistes qui sug-gèrent une incompatibilité entre les conditions contextuelles d'encodage et de restitution, causant l'oubli. Tiberghien souligne que cette dernière conception est incontestablement celle qui permet la meilleure intégration des données expérimentales et des observations cliniques. Nous y reviendrons plus loin dans ce chapitre (voir Ÿ 2.3, p. 61). Il est à noter cependant que certains auteurs (e.g., Ebbinghaus, 1885; Wickelgren, 1975) expliquent éga-lement l'oubli par l'estompage au cours du temps des traces mnésiques, les traces tendant à se détériorer lorsqu'elles ne sont pas réactivées.

La récupération constitue l'ensemble des opérations permettant l'accès aux traces sto-ckées en mémoire. L'objectif de cette étape est une réutilisation, dans la situation actuelle, des informations précédemment mémorisées. La récupération correspond ainsi à l'étape de restitution des informations. Cette étape peut être déclenchée soit par un indice interne (i.e., inhérent au sujet lui-même), soit par un indice externe (i.e., dépendant de l'envi-ronnement). L'indice déclencheur détermine alors l'information recherchée. Dans tous les cas, l'ecacité d'un indice relève de sa force de recouvrement avec les traces mnésiques présentes dans le système et, donc, de la  résonance  qu'il va provoquer en mémoire. Cette résonnance mnésique provoquée par l'indice est appelée ecphorie synergétique par Tulving (e.g., 1982).

Initialement, les premiers modèles fonctionnalistes de la mémoire se sont essentielle-ment appliqués à rendre compte des processus mis en jeu lors de l'étape d'encodage (e.g., Craik et Lockhart, 1972). Par la suite, les travaux se sont largement orientés vers l'étude des relations entre encodage et récupération (e.g., Kolers et Roediger, 1984; Morris et al., 1977; Tulving et Thomson, 1973).

Fig. 2.5  Illustration des trois principaux types de relations fonctionnelles entre des processus cognitifs (d'après Jacoby, 1994).

les relations entre processus

Lors de chacune des étapes mnésiques, un certain nombre et un certain type de proces-sus vont être mis en jeu. Les procesproces-sus impliqués peuvent alors plus ou moins interagir ou, au contraire, être mutuellement exclusifs. D'après la littérature, comme illustré en Figure 2.5, trois principaux types de relation sont décrits (e.g., Jacoby, 1994; Richardson-Klavehn et al., 1996).

Les relations de redondance correspondent à des processus distincts, mais pouvant être hiérarchisés. Ces processus sont séquentiels et décrivent un continuum d'opérations. A l'encodage, les processus de profondeur de traitement sont un exemple illustratif de

ce type de relation (Craik et Lockhart, 1972) 4. En eet, selon l'approche des niveaux

de traitement, l'information peut être encodée à diérents niveaux, allant de niveaux superciels de traitement (e.g., simple analyse des caractéristiques physiques des items) au niveau le plus profond, le niveau sémantique.

Les relations d'exclusivité correspondent à des processus entièrement autonomes. Ces processus sont strictement indépendants et, a priori, ne peuvent s'inuencer mutuelle-ment. Par exemple, prenons la distinction entre les processus dits  data-driven  et les processus dits  conceptually driven  (pour dénition voir Cohen, 1991 ; voir aussi les travaux de Roediger et ses collègues : e.g., Roediger, 1990; Roediger et Blaxton, 1987). Les premiers réfèrent à un traitement dit  bottom-up , c'est-à-dire initié, guidé et

déter-4Il est à noter cependant que la notion de niveau (impliquant justement une hiérarchie des processus)

a été largement critiquée (e.g., Baddeley, 1978) et que les auteurs ont révisé leur approche. Craik et Lockhart proposent désormais le terme de domaine de traitement (Lockhart et Craik, 1990) (voir Ÿ 2.2.1, p. 54).

miné par les informations venant de l'environnement, captées par les organes sensoriels, et entrant dans le système cognitif. Ce sont des processus que l'on peut qualier de  per-ceptuels . A l'inverse, les seconds réfèrent à un traitement dit  top-down , c'est-à-dire guidé par des informations déjà présentes en mémoire et, précisément, par la connaissance et les concepts acquis par l'expérience de l'individu. Ce sont des processus que l'on peut qualier de  conceptuels . Ici, les processus sont mutuellement exclusifs car le ux du

traitement ne peut pas être à la fois montant et descendant 5.

En contraste avec les deux autres types, les relations d'indépendance relative corres-pondent à des processus indépendants mais en interaction. Les interactions assurent alors une coordination des processus mis en jeu lors d'une tâche de mémoire. Précisément, les processus interagissent an d'eectuer des opérations complémentaires pour mener à bien la tâche considérée. Selon Jacoby (e.g., 1991, 1994), c'est ce type de relation qui unit les processus cognitifs dits  automatiques  et les processus dits  contrôlés . La Figure 2.6 présente la diérence entre ces deux types de processus. Les processus automatiques sont des processus cognitifs qui ne sont pas initiés volontairement par le sujet. Ils possèdent un certain nombre de caractéristiques comme la rapidité, un fonctionnement en parallèle, une faible consommation en ressources cognitives, une diculté d'interruption et la possi-bilité d'une mise en jeu simultanée avec des processus contrôlés. A l'inverse, les processus contrôlés sont des processus cognitifs initiés volontairement par le sujet. Leurs caractéris-tiques sont une certaine lenteur, un fonctionnement séquentiel, une forte consommation en ressources cognitives, une facilité d'interruption et l'impossibilité d'une mise en jeu simultanée avec un autre processus contrôlé.

La suite de ce chapitre est consacrée à l'approche des niveaux de traitement (Craik et Lockhart, 1972; Lockhart et Craik, 1990) et à ses concepts complémentaires, que sont le principe de spécicité d'encodage (Tulving et Thomson, 1973) et la notion de transfert approprié (e.g., Morris et al., 1977). Ces conceptions illustreront davantage l'approche fonctionnaliste de la mémoire.

En conclusion : Les approches fonctionnalistes proposent une vision unitaire de la mémoire humaine (i.e., un système de mémoire unique). En outre, elles proposent de décrire le système mnésique à l'aide d'étapes de mémorisation (i.e., encodage, stockage

5Bien que les processus data-driven et conceptually driven ne peuvent pas agir simultanément, certains auteurs proposent cependant qu'ils peuvent fortement interagir de façon séquentielle (e.g., Neisser, 1967).

Fig. 2.6  Présentation des processus cognitifs automatiques et contrôlés (adapté de Schneider et Shirin, 1977).

et récupération) au cours desquelles sont mis en jeu un certain nombre et un certain type de processus cognitifs. Ces processus peuvent être alors caractérisés, notamment, par le type de relations qu'ils entretiennent (i.e., relations de redondance, d'exclusivité ou d'indépendance relative).

Dans cette section, nous n'avons abordé que brièvement les approches structurales et fonctionnalistes de la mémoire humaine. De nombreux ouvrages évoquent ce sujet et le lecteur pourra se référer, par exemple, à Nicolas (2000) pour de plus amples informations.