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Les interactions en ligne permettent une grande flexibilité dans la présentation de soi. Les jeunes ont la possibilité d’éviter, de modifier, de fabriquer ou d’amplifier des aspects de leur personnalité pouvant être perçus négativement ou positivement. Ils ont la possibilité de choisir ce qu’ils montrent et ce qu’ils ne montrent pas (Caplan, 2003). Cette section s’intéresse ainsi à la perception des jeunes de leur identité personnelle et sociale à la fois stable et provisoire résultant du travail de triple conciliation (Bajoit et al., 2000). C’est le résultat d’une mise en cohérence interne de ses différentes faces externes constituées par les relations sociales. En raison des grandes possibilités qu’offre la vie sociale en ligne dans la présentation de soi, le travail de construction de soi en ligne peut se révéler être spécifique à la vie sociale en ligne et on peut constater des discordes entre l’identité en ligne et hors ligne selon les utilisateurs.

Les résultats de la présente étude ont permis de constater des distinctions et des similitudes entre le travail de conciliation des trois sphères de l’identité chez les participants. Trois groupes ont ainsi été créés en fonction des similitudes et des distinctions constatées chez les jeunes. Le premier groupe correspond aux jeunes percevant une plus grande stabilité entre leur identité en ligne et hors ligne. Le second groupe se caractérise par le contrôle de certains aspects de leur identité lorsqu’ils se retrouvent en ligne. Le dernier groupe est finalement composé de jeunes qui perçoivent des distinctions significatives sur le plan de leur identité en ligne en comparaison avec leur identité hors ligne.

Premier groupe : Une identité stable

Selon les interactionnistes symboliques, on agit à l’égard des choses en fonction du sens que nous leur accordons. L’idée que l’on se fait de la vie sociale en ligne détermine ainsi la façon dont nous agirons sur les communautés sociales en ligne. Pour ce premier groupe, la vie sociale en ligne et hors ligne n’est qu’une continuité sans distinction particulière, il est

comme un outil de divertissement et de communication sur lequel ils ne ressentent pas le besoin de modifier leur matrice communicationnelle, si ce n’est que de s’exprimer à l’écrit plutôt qu’à l’oral. Dans un processus d’interprétation des significations de leurs actions en ligne, nous nous intéressons ainsi aux similitudes et distinctions associées à leur perception de leur gestion relationnelle à soi propre aux interactions en ligne par rapport à leurs interactions sociales en direct.

Alors que les plateformes sociales en ligne offrent de grandes possibilités de présentation de soi, les participants regroupés dans ce premier groupe se distinguent par la perception d’une stabilité dans la gestion relationnelle de soi. Les participants 3, 7, 8 et 11 ont en effet exprimé percevoir peu de différence dans leur comportement en ligne et hors ligne. Ces derniers semblent davantage prendre part aux communautés sociales en ligne afin de répondre à un besoin de décrocher, d’explorer, d’interagir et de socialiser qui sont identifiés par Balaban et Baltaretu (2010) comme étant des besoins auxquels répond la vie sociale en ligne. Les choix identitaires réalisés par ces individus sont constants dans leur vie sociale en ligne et hors ligne, ce qui leur permet d’incarner une identité constante pour eux- mêmes et pour les autres (Côté-Bouchard, 2011).

Pour ces jeunes, la vie sociale en ligne les influence au niveau de leurs aspirations professionnelles mais aussi au niveau de leur identité sociale en raison des discours internes qu’ils entretiennent avec eux-mêmes en réaction au contenu présenté en ligne. Le contenu présenté en ligne les aide à définir les rôles et statuts sociaux qu’ils souhaitent endosser pour faire leur place dans la société. Ils vont s’intéresser aux nouvelles, à la mode ou encore aux voyages stimulant ainsi leur identité imaginée et définissant peu à peu les groupes sociaux auxquels ils souhaitent être associés que ce soit en terme de style vestimentaire, musical, de parti politique, etc. Le contenu présent en ligne leur permet de définir ce qu’ils souhaitent être et réaliser. Ces derniers semblent peu se contraindre en fonction des attentes des autres, sinon que plusieurs affirment soigner leur français et être sélectifs dans le contenu présenté pour ne pas présenter une image qui pourrait être néfaste à leur image personnelle et professionnelle. En ce qui trait à l’identité engagée, c’est principalement celle-ci qui démontre leur constance en ce qui trait à leur identité en ligne et hors ligne. Tous ont soulevé un malaise de conscience à l’idée de se présenter différemment en ligne.

En termes d’activités, ces participants ne se démarquent pas des autres, ces derniers allant tout autant profiter des avantages de la vie en ligne. Ils vont observer le contenu en ligne, discuter en privé et publier. Ils ne chercheront toutefois pas à publier beaucoup de contenu à leur égard, peu de photos et autres types de publications. Ils profiteront principalement de l’avantage du délai de temps qui sépare l’émetteur du récepteur lors des discussions en prenant le temps de s’exprimer, d’effacer et de réécrire. Les avantages associés à l’absence physique d’autrui sont peu exploités par ces participants puisque pour ces derniers, il n’y a pas de distinction significative entre la vie sociale en ligne et hors ligne; ils ressentent plutôt un sentiment de prolongement entre ces deux environnements au niveau de leur présentation de soi. Selon eux, leurs proches ne perçoivent pas de différence entre la personne qu’ils sont en ligne et hors ligne.

Les entrevues ont permis de constater des apprentissages importants lors des activités de la vie sociale en ligne. Plusieurs des participants ont affirmé constater une évolution dans leur utilisation des plateformes sociale en ligne. Les participants de ce groupe ont mentionné avoir déjà expérimenté des comportements en ligne qu’ils ne réalisaient pas hors ligne. Ces derniers ont entre autres exprimé avoir tenté des techniques de séduction en ligne, mais ne plus réaliser ce type d’activités puisqu’ils ont appris que cela n’était pas suffisamment satisfaisant et que l’avenue de ces conquêtes en ligne était décevante en raison des différences significatives entre les relations en ligne et hors ligne. Après avoir expérimenté plusieurs déceptions, ces derniers ont affirmé avoir cessé certains comportements afin de se concentrer sur leurs activités hors ligne qui leur procurent une plus grande satisfaction et répondent davantage à leurs besoins et à leurs valeurs sociales. Ils ont ainsi expérimenté certains aspects de leur identité imaginée, par exemple en tentant des comportements plus séducteurs, en s’engageant dans des conversations émotionnelles ou encore en exprimant des points de vue. Il est possible de croire que ces apprentissages ont mené à une plus grande stabilité dans leur gestion relationnelle à soi en ligne. Des choix ont définitivement été pris par ces jeunes afin d’en arriver à l’identité qu’ils projettent en ligne et qu’ils maintiennent hors ligne. Il est aussi possible d’émettre l’hypothèse qu’une plus grande confiance en soi pour certains et qu’une plus grande maturité pour d’autre soient impliquées dans cette constance identitaire. Peu de tensions entre l’identité imaginée et l’identité

assignée semblent être perçues par ces participants, d’où l’éventualité d’une meilleure consonance existentielle.

La perception des jeunes de ce groupe des effets de la vie sociale en ligne semble ainsi se rapporter aux apprentissages et à l’influence mutuelle des membres. Ils perçoivent un prolongement de leur identité en ligne et hors ligne. L’environnement social en ligne leur permet de réfléchir aux différentes sphères de leur identité, principalement au niveau de l’identité imaginée sans toutefois les inciter à modifier la façon dont ils se présentent. Ce premier groupe vient ainsi confirmer les résultats de Başat (2010) selon lesquels la vie sociale en ligne n’encourage pas l’isolement social, mais contribue plutôt au maintien des relations interpersonnelles en plus de procurer aux jeunes un nouveau mode de socialisation favorisant la construction de l’identité.

Second groupe : Une identité contrôlée

Pour ce groupe, le regard de l’autre influence la présentation de soi, les participants qui y appartiennent se distinguent par le contrôle qu’ils exercent en ligne sur certains aspects de leur identité. Le sens accordé aux plateformes sociales en ligne est différent du premier groupe puisque pour ces derniers, la vie sociale en ligne représente plus qu’un outil pratique et de divertissement, elle représente une opportunité de mettre de l’avant leur identité imaginée et de présenter plus positivement des aspects bien précis de leur identité. Ces jeunes vont en ligne en vue de satisfaire leur besoin de reconnaissance sociale, d’accomplissement et de réalisation. Leur capacité réflexive est mise de l’avant afin d’explorer certains aspects de leur identité personnelle et sociale et d’interpréter les actions et réactions des autres membres.

Le second groupe est constitué des participants 1, 2, 4, 6 et 10. C’est en regardant les autres et en interprétant leurs actions et attentes que les jeunes de ce groupe déterminent ce qu’ils veulent être et devenir au point de vue personnel mais aussi social. Ils accordent de l’importance aux gratifications qu’il est possible de recevoir en ligne. Ils ont la possibilité de se présenter davantage sous leur identité imaginée, de présenter certains aspects de leur personnalité qu’ils retrouvent et admirent chez les autres, mais qu’ils ne présentent pas nécessairement dans la vie hors ligne en raison des autocontraintes qu’ils s’imposent.

Internet est ainsi l’occasion parfaite de se présenter comme ils le souhaitent vraiment et comme ils aimeraient être perçus par les autres afin d’atteindre la reconnaissance sociale souhaitée et non celle à laquelle ils se sentent contraints dans la vie sociale hors ligne. C’est l’occasion d’exercer un contrôle sur certaines facettes de leur personnalité dont ils n’ont pas nécessairement le contrôle dans la vie courante, tel que la gêne par exemple. Comme il est tout aussi important pour ces participants que ceux du premier groupe de respecter leur identité engagée, c’est pour cette raison que leur comportement en ligne et hors ligne est sensiblement le même, ces participants affirment aussi ressentir une continuité entre leur identité en ligne et hors ligne.

Néanmoins, ces participants se distinguent du premier groupe parce qu’ils sélectionnent spécifiquement certains aspects de leur identité qu’ils choisissent d’améliorer selon le sens qu’ils y accordent et selon leur perception des effets potentiels d’une amélioration de ces aspects. Les activités des autres membres sont une grande source d’inspiration pour les projets à réaliser et pour définir ce qu’ils souhaitent devenir ou ne pas devenir. Les caractéristiques que les membres ont affirmé présenter différemment en ligne sont la gêne, le courage, l’indépendance, l’entraide et les intérêts. Les participants de ce groupe se permettent une plus grande liberté d’action en ligne que hors ligne. Ils vont par exemple se permettre d’exprimer leur opinion, de commenter davantage, de parler à plus de gens. La comparaison est un comportement particulièrement présent chez les jeunes de ce groupe qui ressentent une certaine pression sociale lorsqu’ils se retrouvent en ligne puisqu’il est important pour ces derniers de bien paraître et de laisser une bonne première impression par ce qu’ils partagent.

Un des participants de ce groupe se distingue des autres par son besoin de tout publier plutôt que de présenter différemment certains aspects de son identité. Il met pour sa part sur son mur tout ce qu’il considère faisant partie de son identité engagée pour éviter d’être confiné à son identité assignée. Il exerce ainsi un contrôle sur la première impression qu’il projette en ligne en mettant le plus d’informations possibles sur son profil. Ce participant partage son inconfort devant la première impression qu’il projette hors ligne et aux caractéristiques et statuts sociaux qui lui sont assignés. La vie en ligne est ainsi l’occasion

important. Quoiqu’il ne sélectionne pas certains aspects pour mieux en cacher d’autres, il contrôle lui aussi la présentation de certains aspects de son identité afin d’être vu comme il le souhaite et non comment il se sent perçu par les autres. La pression sociale et le regard des autres sont tout aussi importants pour ce participant.

Selon les propos tenus par les jeunes de l’étude, l’absence physique d’autrui est principalement ce qui les amène à se présenter différemment en ligne. Les jeunes ne se perçoivent pas différemment en ligne, ils sont plutôt opportunistes et profitent des particularités de la vie sociale en ligne pour se présenter d’une façon qu’ils perçoivent comme étant mieux perçue personnellement ou socialement. C’est-à-dire que certains des participants vont amplifier un ou plusieurs aspects de leur identité tel que la gêne afin de répondre davantage à ce qu’ils souhaitent être, donc à leur identité imaginée, alors que certains autres le feront pour se conformer à ce qu’ils pensent que les autres apprécient, donc à leur identité assignée. Une constance est ainsi perçue par ces participants au niveau de leur interprétation de leur identité engagée. Les membres de ce groupe affirment tous respecter qui ils sont et donc les engagements qu’ils prennent envers eux-mêmes. Ils vont adhérer à ce qui est mieux vu par les autres. Les jeunes de ce groupe se montrent davantage influençables par les modes et les mouvements de masse puisqu’ils affirment pour la plupart reproduire les comportements socialement bien vus par les autres membres de la communauté afin de plaire et de répondre à leur besoin de reconnaissance sociale, mais aussi à leur besoin d’accomplissement et de réalisation que leur procure la vie sociale en ligne.

Des stratégies identitaires sont ainsi mises de l’avant afin de diminuer l’effet des contraintes qui leur sont imposées dans la vie hors ligne. L’absence physique d’autrui et les délais de temps représentent pour ces derniers des avantages intéressants puisqu’ils leur permettent d’en faire plus et d’exploiter certains aspects de leur identité en vue de réaliser des choix identitaires et de construire leur identité. La comparaison permet à ces participants d’interpréter les pensées, actions et comportements des autres membres afin de réfléchir à leurs propres actions et ainsi négocier la conciliation entre leurs identités imaginée, assignée et engagée. Les opportunités que leur procure la vie sociale en ligne leur offrent la possibilité de réaliser des apprentissages intéressants en se comparant, en s’inspirant et en se laissant influencer par les autres membres et par le contenu présent en ligne.

Ces résultats viennent confirmer les propos de Almansa-Martínez et al. (2013) selon lesquels, bien que les plateformes sociales en ligne visent à se présenter comme nous sommes, il est possible de se présenter comme on souhaite être perçu. C’est en montrant qui ils sont par l’intermédiaire des plateformes sociales que les jeunes semblent accéder à un rapport positif à soi et à une reconnaissance sociale. Comme si les aspects moins appréciés de leur identité en étant surmontés sur les réseaux sociaux leur permettaient d’être mieux reconnus, d’être vus plus positivement par les pairs, contribuant ainsi à une plus grande estime de soi.

Troisième groupe : une identité discontinue

Le troisième groupe est constitué de trois participants, les participants 5, 9 et 12. Le sens que ces participants accordent aux plateformes sociales en ligne est le même que les deux premiers groupes, c’est-à-dire que la vie sociale en ligne représente un divertissement, un outil pratique/utile mais aussi, comme le deuxième groupe, ces derniers apprécient l’opportunité que leur offre la vie sociale en ligne de se présenter davantage sous leur identité imaginée. Ce qui les distingue, c’est leur perception différente d’eux-mêmes en ligne en comparaison avec leur identité hors ligne. Les jeux identitaires de masques, de filtres ou de sélection de facettes démontrés par Cardon (2009) sont davantage exploités par ces participants. La gestion relationnelle à soi est réalisée à travers des stratégies de présentation de soi. Les jeux identitaires réalisés en ligne permettent à ces jeunes d’intégrer les différentes valeurs, normes et autres éléments de la culture des groupes auxquels ils tentent de s’affilier pour ensuite se singulariser et former leur propre personnalité en vue d’atteindre la reconnaissance sociale et les statuts sociaux auxquels ils aspirent. Le regard de l’autre joue un rôle important dans leurs décisions relatives à leur présentation de soi. L’interprétation de leurs faits et gestes et de ceux des autres est ainsi au cœur des processus de construction identitaire de ces jeunes. Les trois participants de ce groupe sont regroupés en raison des distinctions entre leur identité en ligne et hors ligne. Toutefois, les jeux identitaires sont réalisés et perçus différemment. Pour cette raison, les trois participants seront présentés séparément.

s’exprimer sans être contraint par le regard de l’autre et par les statuts sociaux qui lui sont étiquetés afin de se présenter selon l’image qu’il se fait de lui-même et selon les appartenances sociales qu’il souhaite. La vie sociale en ligne lui permet ainsi davantage de répondre à ce qu’il perçoit de son identité imaginée et engagée sans être contraint par son identité assignée.

La citation suivante démontre bien sa perception de l’opportunité que représentent les communautés en ligne: « C’est comme une place où je trouve que je peux vraiment être qui je suis sans avoir honte. Je trouve que c’est vraiment une place où je peux avoir le plein potentiel de moi-même. » (Participant 5). On perçoit la contrainte que représente l’identité assignée ainsi que le besoin de se présenter différemment. Ce qui ressort aussi de cet extrait, c’est la différence entre son jeu identitaire en ligne et hors ligne. Le sentiment de honte démontre le sentiment de besoin de se conformer aux attentes des autres dans la vie hors ligne et de cacher certains aspects de son identité qui lui tiennent à cœur alors que les plateformes sociales en ligne lui permettent d’accéder à un meilleur rapport à lui-même et ainsi à une meilleure estime de soi. En ligne, ce participant se : « sent vraiment mieux, c’est comme une sorte de libération. Je suis pas là pour mentir ou quoi que ce soit, je suis juste là pour être moi et c’est plus facile de le faire sur internet qu’avec du monde. » (Participant 5).

Le besoin d’aider peut dans ce cas être interprété comme répondant à un besoin de réalisation. C’est un aspect de son identité associé à son identité imaginée, à ce qu’il souhaite être et devenir, mais qu’il vise à intégrer à son identité engagée, ce que lui permettent les communautés sociales en ligne. L’aide qu’il apporte aux autres en ligne représente un aspect de son identité engagée à ses yeux et aux yeux des membres qui bénéficient de cette aide alors que hors ligne, cette facette de son identité est plutôt relayée au plan de l’identité