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La vie sociale en ligne est un phénomène encore récent dont les effets sont peu documentés dans la littérature scientifique. L’élargissement des publics du soi qui caractérise le contexte des communautés sociales en ligne est ainsi encore méconnu des professionnels du domaine du travail social, limitant la compréhension des particularités et des effets de cet environnement social. Il est toutefois connu que la mise en visibilité de soi et les risques qui lui sont adjacents, tels que les jugements négatifs, les condamnations morales, la stigmatisation et plusieurs autres sont plus marqués dans un tel contexte en plus d’être non prévisibles (Granjon & Denouël, 2010). En se sentant observés, les individus sont davantage réflexifs et le regard de l’autre vient occuper une place importante. La situation de groupe que crée l’exposition de soi en ligne vient ainsi stimuler le discours sur soi (Patte, 2010). Ce contexte de la vie sociale en ligne vient modifier de nombreux aspects de la vie sociale des jeunes qui sont à une étape importante de leur socialisation. Ils sont en effet à cette période de leur vie, en quête identitaire. Leur socialisation est réalisée à travers des jeux d’affiliation et de singularisation. Les particularités des plateformes sociales en ligne offrent la possibilité de s’engager dans de nouvelles formes d’activités associées à la construction identitaire (Petiau, 2011).

Les résultats de la présente étude ont permis de démontrer que les jeunes perçoivent bel et bien que la vie sociale en ligne a des effets sur leur socialisation en plus de permettre une exploration de la nature de ces effets. Tel que l’affirme Gaudet (2001, p. 72), « l’individu est aujourd’hui poussé aux choix et à la réflexivité, c’est-à-dire au retour sur soi et à la redéfinition de son identité ». On constate en effet que la vie sociale en ligne amène les jeunes à réfléchir constamment à la façon de se présenter, au discours à entretenir, à l’image à projeter. La pression du regard de l’autre, bien que vécue différemment par chaque jeune de l’étude, s’est révélée avoir une influence importante sur la socialisation. Dans leur construction identitaire, le regard de l’autre occupe une place centrale. Pour certains, les choix identitaires seront orientés en fonction de l’idée qu’ils se font des attentes des autres membres. Alors que d’autres se contenteront de s’inspirer des autres pour définir des projets, des ambitions, des intérêts ou encore des aspects de leur identité. Certains perçoivent ainsi des effets plus importants sur leur socialisation. La présentation des trois profils de

participants permet de constater une progression dans la perception de l’ampleur des effets de la vie sociale en ligne sur leur socialisation. Le premier groupe perçoit peu d’effets, le second perçoit quelques effets alors que le dernier groupe exprime percevoir des effets plus importants.

Les résultats de l’étude viennent ainsi consolider les résultats de plusieurs auteurs. La perception des jeunes de l’étude des effets de la vie sociale en ligne sur leur socialisation a en effet permis d’arriver à des résultats similaires aux études présentées dans la recension des écrits. D’après l’analyse des douze entrevues, on en arrive à la conclusion que la vie sociale en ligne est autant un contexte interactif qu’un agent d’influence pour les jeunes puisque le contexte de la vie sociale en ligne contribue à l’adoption de stratégies dans la présentation de soi pouvant mener à la présentation d’une image plus favorable (Anderson & Brown McCabe, 2012; Caplan, 2003; Cardon, 2009; Granjon & Denouël, 2010; Metton, 2004). Les activités réalisées en ligne jouent un rôle important dans le développement personnel et social et transforme les formes de jeux d’affiliation et de singularisation (Başat, 2010; Petiau, 2011). Les caractéristiques des plateformes sociales en ligne procurent aux jeunes une grande flexibilité dans la présentation de soi puisqu’elles permettent de fabriquer, d’exagérer, d’intensifier ou au contraire de diminuer, cacher ou falsifier certains aspects de l’identité (Caplan, 2003). Le contexte social en ligne est l’occasion d’exercer un contrôle sur notre présentation des diverses facettes de notre personnalité et de réaliser des jeux identitaires. La réaction des pairs permet aux jeunes d’explorer leur identité, d’imiter certains comportements pour tester les réactions et d’effectuer un retour sur soi en vue de déterminer les aspects à intégrer à son comportement et à son identité (Caplan, 2003; Valkenburg et al., 2005).

Les trois profils présentés dans l’analyse des résultats ont permis de démontrer les stratégies employées afin de se présenter davantage selon son identité imaginée contribuant ainsi à un meilleur sentiment de reconnaissance sociale et d’estime de soi en ligne. Les jeunes de l’étude ont affirmé présenter certains aspects de leur identité plus favorablement en ligne ou encore cacher certains aspects plus défavorables, démontrant ainsi la plus grande flexibilité dans la présentation de soi que procurent les plateformes sociales en ligne. La

responsabilité sociale a été nommée par les participants de l’étude. Plusieurs participants estiment que l’absence physique d’autrui favorise cette plus grande flexibilité dans la présentation de soi en plus de favoriser une plus grande liberté d’action. Le délai de temps en ligne a aussi été identifié comme étant un facteur important pouvant influencer la présentation de soi en ligne.

En termes de comportements favorisés par le contexte social en ligne, quelques similarités et quelques distinctions ont été constatées entre les résultats de l’étude et ceux des études présentées dans la recension des écrits. Le partage d’informations personnelles est un premier comportement identifié par les participants de l’étude comme étant facilité par le contexte de la vie sociale en ligne. L’absence des indices non verbaux dans ce type de communication et la contrôlabilité de sa communication sont des facteurs identifiés par Caplan (2003), Granjon et Denouël (2010) comme favorisant un sentiment de déshinibition et par le fait même, le partage d’informations intimes en ligne. Les participants de l’étude ont aussi mentionné s’ouvrir plus facilement en ligne lorsqu’il est question des émotions et des informations personnelles. Le fait de ne pas être confrontés à la réaction des autres et d’avoir le temps de s’exprimer, d’effacer et de réécrire procure aux jeunes un plus grand sentiment de déshinibition.

La comparaison est un second comportement identifié dans la littérature comme étant favorisé par le contexte social en ligne (Granjon & Denouël, 2010; Lee, 2014). Tel que démontré dans la présentation des résultats, ce comportement a aussi été identifié par les participants de l’étude comme étant facilité par les caractéristiques des plateformes sociales en ligne. En raison de la grande visibilité que permettent les sites de réseautage social, les membres ont la possibilité d’observer tout ce qui est mis en ligne par les autres membres de leur communauté sociale virtuelle. Cela résulterait selon les participants en une augmentation de la comparaison avec les autres membres et par le fait même à l’augmentation de la pression sociale des pairs et des modes.

Toutefois, contrairement à l’étude de Anderson et Brown McCabe (2012), aucun participant n’a révélé s’engager dans des comportements impulsifs, risqués, violents verbalement ou encore dans des mensonges. Seuls l’entraide, le partage des sentiments intimes et la comparaison ont été identifiés par les auteurs mentionnés dans la recension des

écrits et par les participants de l’étude comme étant favorisés par le contexte en ligne. L’imitation est un comportement supplémentaire qu’a permis de révéler la présente étude et qui n’avait pas été relevé par les auteurs précédents.

Selon la perception des jeunes, la vie sociale en ligne se révèle être un agent de socialisation important. En effet, l’influence du contenu, l’influence des pairs et l’influence du contexte et de ses particularités ont des effets considérables sur la socialisation des jeunes d’après les résultats des entrevues. Observation, comparaison, expérimentation, imitation sont toutes des activités associées à la vie sociale en ligne et contribuant aux processus de construction identitaire des jeunes. Ces activités amènent les jeunes à réfléchir, à apprendre, à s’inspirer et ainsi à réaliser des choix identitaires en vue d’accéder à un meilleur rapport à soi et à un meilleur sentiment de reconnaissance sociale. D’après la perception des jeunes, on constate une plus grande conscience du travail de triple conciliation identitaire réalisé en ligne puisque le délai de temps et l’absence physique d’autrui permettent une plus grande réflexivité devant les différentes sphères de l’identité en jeu et les choix identitaires à faire.