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A - Une professionnalisation de la justice disciplinaire à achever

1 -Des délais de jugement en baisse, mais supérieurs au plafond légal

Le délai moyen de jugement, pour l’ensemble des CDPI, était en 2017 de 9 mois et 23 jours, sensiblement supérieur au délai de six mois imposé par la loi pour statuer sur une plainte disciplinaire205.

Il n’existe pas de corrélation entre le nombre d’affaires enregistrées par les chambres et leurs délais de jugement. Ainsi, avec un volume de moins de cinquante affaires chacune jugées en 2016, plusieurs juridictions avaient des délais de jugement supérieurs à un an, alors que sept autres ont respecté le délai de six mois. Les CDPI d’Auvergne et d’Antilles-Guyane enregistrent les plus longs délais, un peu plus de 14 mois, alors qu’elles n’ont jugé respectivement que 17 et 21 dossiers au cours de l’année.

Pour combler leur retard, ces juridictions, ainsi que celles connaissant une progression constante de leur activité comme l’Île-de-France ou PACA-Corse, auraient pu faire le choix d’augmenter durablement leur nombre d’audiences. Tel n’a pas été le cas.

2 -Un manque de pilotage global dans la gestion des juridictions Contrevenant à l’obligation légale qui est la sienne, le Conseil national s’est jusqu’à présent abstenu de fixer chaque année la part de la cotisation consacrée au fonctionnement des chambres disciplinaires. Les

204 En appel, un quart seulement des recours émane de patients et la moitié des médecins poursuivis.

205 Article L. 4124-1 du CSP.

besoins budgétaires des chambres sont ainsi établis par les conseils régionaux, sans que soit garanti un traitement équitable entre les juridictions. Dès lors que les chambres disciplinaires ne bénéficient pas de ressources identifiées, qu’elles ne disposent pas d’un budget propre et que l’ordre n’a pas développé d’outil de comptabilité analytique, leur coût de fonctionnement global n’est pas précisément connu.

Il peut toutefois être évalué à près des 2/3 du budget des conseils régionaux, soit un peu plus de 6,5 M€. Le budget de la CDN, qui fait quant à lui l’objet d’un chiffrage annuel, se monte en moyenne à 1,8 M€ par an (soit moins de 2 % des dépenses de l’ordre dans son ensemble).

Une circulaire du Conseil national du 26 novembre 2014 a certes invité les conseils régionaux à prévoir, pour le fonctionnement des chambres, des lignes budgétaires différenciées faisant apparaître le salaire des greffiers ainsi que les indemnités allouées aux assesseurs. Mais ces consignes, insuffisamment respectées et peu contrôlées, n’ont pas permis au Conseil national de détecter des disparités, voire des anomalies patentes, concernant notamment les rémunérations des assesseurs. Les anomalies ne sont pas davantage identifiées par les présidents de chambre, rarement associés par l’ordre à la gestion de leur juridiction et isolés dans l’exercice de leur mission206.

3 -Des assesseurs souvent largement indemnisés

La loi autorise le versement d’indemnités aux assesseurs, comme à tout membre de l’ordre qui assure une mission ponctuelle207. De fait, les assesseurs sont toujours indemnisés.

En dépit de la préconisation faite en 2013 par la mission d’inspection des juridictions administratives d’unifier les rémunérations des assesseurs et des rapporteurs afin de rendre plus attractives les fonctions juridictionnelles, celles-ci sont restées très hétérogènes. La rémunération pour participation à l’audience208 peut varier du simple au triple, de 80 € en Aquitaine à plus de 240 € en PACA-Corse. La rémunération au rapport peut, quant à elle, varier du simple au décuple : de 50 € dans le Centre ou l’Alsace à 540 € en Lorraine pour les dossiers les plus complexes.

Par ailleurs, s’il est possible de rémunérer différemment, comme en Basse-Normandie, un assesseur-simple et un assesseur-rapporteur, le

206 Aucune réunion des présidents de juridiction n’a eu lieu depuis juin 2015.

207 Article R.4125-9 du CSP.

208 Une audience se tient sur ½ journée.

cumul des indemnités d’audience et des indemnités de rapporteur est quant à lui sujet à caution. Telle est en tout cas l’analyse de la chambre disciplinaire nationale, au sein de laquelle les assesseurs sont rémunérés 241,50 € par audience, aucune indemnité spécifique n’étant versée au rapporteur. Ce cumul est pourtant fréquent dans les juridictions de première instance. Il aboutit à servir à des assesseurs des rémunérations pouvant atteindre 747 € par audience dans une région, pour des cas complexes.

De tels montants sont très supérieurs au montant réglementaire des indemnités versées, jusqu’en 2018, par les agences régionales de santé (ARS) aux présidents de juridiction de première instance et fixées par arrêté ministériel à 183 € par audience209, ce montant couvrant la préparation de l’audience, sa tenue et la rédaction des jugements. Depuis le 1er janvier 2019210, ce montant s’élève à 400 € par audience et son paiement est à la charge de l’ordre.

4 -Un investissement inégal des présidents de chambre dans l’organisation et la gestion de leur juridiction

Les magistrats présidant la chambre nationale étaient, quant à eux, rémunérés par le Conseil national sur la base de montants librement fixés par l’ordre, en l’absence de tout texte autorisant cette prise en charge, comme cela a été constaté par la Cour pour d’autres ordres des professions de santé.

La réforme amorcée en 2017211, suite aux recommandations de la Cour formulées à l’occasion du contrôle de l’ordre des chirurgiens-dentistes, a permis de donner une base légale à ces rémunérations et de réévaluer substantiellement le montant des indemnités versées aux présidents de chambres de première instance, dont le montant constituait un frein aux candidatures et pouvait expliquer de longues phases de vacances de poste dans certaines chambres.

Les modalités de rémunération par audience n’ont pas incité à une organisation efficiente des juridictions. Certaines ont en effet pris le parti – plus rémunérateur – d’augmenter le nombre d’audiences et de limiter le nombre de dossiers par audience212. D’autres ont pu traiter en audience des

209 Arrêté du 28 août 2007 modifié par un arrêté du 3 juillet 2014.

210 Arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget du 3 mai 2018.

211 Ordonnance du 27 avril 2017 et arrêté du 3 mai 2018.

212 Exemple d’une région de la moitié nord de la France qui a limité à deux le nombre de dossiers par audience alors qu’il est de quatre en moyenne ailleurs.

affaires relevant d’une ordonnance. Ainsi, de simples désistements de plainte213 ou des rejets de plainte pour irrecevabilité ont été « audiencés » et jugés dans un délai deux fois supérieur au délai légal, alors qu’ils auraient pu être réglés par ordonnance214. Or, les magistrats ne sont pas rémunérés lorsqu’ils statuent par ordonnance, tandis que l’ensemble des membres de la chambre le sont en cas d’audience.

Dans les faits, une majorité de présidents se rendent en juridiction pour présider les audiences ou signer des ordonnances ainsi que pour retirer les dossiers en état d’être jugés, laissant de facto les personnels de greffe gérer et organiser seuls la juridiction. Peu nombreux sont les présidents qui participent à l’évaluation de ces derniers ou à leur recrutement. À peu près aucun ne connaît l’outil informatique de gestion des procédures qui a été déployé dans tous les greffes de l’ordre.

La nomination de présidents suppléants aux côtés des titulaires, dans toutes les CDPI, devrait être de nature à remédier à ces difficultés, d’autant que le volume des dossiers de plusieurs CDPI est amené à fortement augmenter à la suite de la fusion des régions – et donc des chambres disciplinaires – intervenue en février 2019.

5 -Une modernisation nécessaire

La nomination de magistrats à la présidence des chambres disciplinaires, la mise en place d’un logiciel de suivi des affaires par les greffes et la professionnalisation progressive des personnels de greffe ont contribué à améliorer la qualité des décisions rendues par les juridictions ordinales. Mais la forte proportion d’annulations en appel, la faiblesse voire l’inexistence de l’instruction, ou encore la quasi-absence de liens entretenus avec les juridictions pénales dans les affaires les plus graves où ce serait nécessaire, démontrent que la justice ordinale n’a pas encore atteint un niveau de maturité et de professionnalisme suffisant. Les pouvoirs qui lui sont conférés – dont celui de suspendre ou radier un médecin – imposent pourtant un haut degré d’exigence.

L’augmentation constante de l’activité des chambres disciplinaires renforce ce besoin, de même que la technicité croissante des contentieux, l’intervention plus fréquente d’avocats spécialisés et le souhait d’une plus grande transparence exprimé par les médecins autant que par les patients.

213 CDPI Aquitaine, n° 1495, du 26 juin 2018.

214 CDPI Aquitaine, n° 1543 et n° 1544, 26 juin 2018.

Les efforts engagés pour harmoniser les jurisprudences des différentes chambres disciplinaires de première instance doivent être poursuivis. Avec la mise en place de l’outil Thémis, l’accès à la jurisprudence a été simplifié mais le moteur de recherche utilisé est jugé peu performant par de nombreux greffiers, les assesseurs n’y ayant quant à eux pas accès215.

Le manque de performance des outils communs aux juridictions ainsi que des échanges limités avec la chambre disciplinaire nationale expliquent l’insuffisante harmonisation des sanctions216 rendues pour des faits portant sur des griefs identiques.

Le greffe de la chambre disciplinaire nationale a relevé à ce sujet

« l’absence de corrélation entre les manquements sanctionnés et le quantum de la sanction ».

Ces constats plaident pour qu’un effort particulièrement vigoureux soit consenti en matière de formation des personnels et des conseillers de ces juridictions et pour que des échanges entre présidents de chambres disciplinaires soient organisés régulièrement.

B - Des conditions d’indépendance et d’impartialité

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