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C - Un ordre qui empiète sur le champ syndical

1 -Des relations longtemps intriquées

La genèse de l’ordre et le fait que les élus ordinaux soient issus, pour beaucoup, du monde syndical explique l’étroitesse des relations qu’il entretient depuis sa création avec les syndicats de médecins. La fréquence du cumul des mandats syndicaux et ordinaux par les mêmes médecins a longtemps accentué ce phénomène.

L’ordonnance du 16 février 2017, qui a durci le régime des incompatibilités entre certaines fonctions syndicales et ordinales56, vise à éviter la confusion entre ces responsabilités, mais ses dispositions sont encore mal connues, mal appliquées ou sujettes à interprétations divergentes. Les conseillers territoriaux ne remplissaient pas en 2018 de déclaration d’intérêts, alors que la bonne application de la disposition relative aux compatibilités de fonctions l’exigeait. Leurs fonctions électives non ordinales n’étaient, de fait, pas connues de l’ordre. De plus, l’un des trois principaux syndicats de médecins n’avait même, au moment de l’enquête de la Cour, jamais entendu parler de ce nouveau régime. Le règlement intérieur adopté en décembre 2018, après le contrôle de la Cour, prévoit désormais l’obligation, pour tous les élus, d’établir une déclaration d’intérêts mentionnant leurs fonctions électives.

Enfin, le Conseil national a une lecture des dispositions relatives aux incompatibilités moins restrictive que le ministère chargé de la santé puisqu’il estime que l’incompatibilité ne concerne que les syndicats constitués entre médecins, permettant par exemple à certains élus de continuer à cumuler des fonctions de président d’un conseil départemental et d’une fédération de l’hospitalisation privée.

2 -Une conception extensive de son rôle par l’ordre

L’ordre est chargé de veiller au respect des règles de déontologie et d’assurer la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession médicale.

56 Art. L. 4125-2 du CSP.

Dans les faits, l’ordre des médecins, à l’instar des autres ordres déjà contrôlés par la Cour, intervient fréquemment dans le champ de la défense des intérêts professionnels et sort régulièrement du champ déontologique au regard duquel il devrait apprécier l’impact des réformes qui lui sont soumises pour avis.

Le Conseil national est certes chargé d’« étudie[r] les questions et projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la santé57» mais au regard de ses seules missions. Il ne lui appartient pas de se saisir lui-même, à l’occasion par exemple d’élections présidentielles, de sujets politiques ni de critiquer des textes législatifs ou réglementaires une fois qu’ils sont adoptés. Toute communication à caractère revendicatif se situe clairement hors du champ des missions d’un ordre, comme l’a rappelé la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) dans un arrêt du 29 novembre 2018 relatif à l’ordre des chirurgiens-dentistes58.

Pourtant, se considérant comme le représentant de tous les médecins, l’ordre, encouragé parfois par les pouvoirs publics eux-mêmes qui le sollicitent sur des questions se situant hors de son champ de compétences, se positionne comme un interlocuteur privilégié sur les réformes de santé à venir. Dans la préface de son ouvrage Santé : explosion programmée paru en 2018, le président de l’ordre évoque d’ailleurs « les 291 000 médecins praticiens dont nous portons la parole, là où la multiplicité des syndicats professionnels rend difficile une représentation homogène de notre profession ».

Dans son bulletin de mai 2015, l’ordre présentait comme l’une de ses missions le fait de « défendre les intérêts de la profession au plan européen »59. Or, ni au plan européen ni au plan national, il n’incombe à l’ordre de défendre les intérêts de la profession. Le caractère obligatoire de l’inscription place en effet l’ordre dans une situation très différente des syndicats : d’une part, dès lors qu’il regroupe tous les médecins, il ne peut en aucun cas exprimer un point de vue politique qui les engagerait tous ; d’autre part, il dispose d’un budget sans commune mesure avec ces derniers, ce qui rend les risques de mésusage plus élevés. Toute confusion entre missions ordinales et missions syndicales est en effet préjudiciable au bon emploi des fonds de l’ordre.

57 Art. L. 4122-1 du CSP.

58 « Le fait pour l’ordre d’avoir pris en charge des dépenses liées à une action étrangère à ses missions légales et règlementaires [en l’espèce, une campagne de communication lancée en 2015 contenant des messages clairement revendicatifs contre la future loi santé] constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses ».

59 Revue médecins (bulletin de l’ordre des médecins), n° 39 avril-mai 2015.

3 -Un glissement sensible de la communication vers des actions relevant du champ syndical

La communication de l’ordre est le reflet de ce glissement vers le champ syndical. Elle a été réformée en profondeur en 2013, pour placer l’ordre en acteur incontournable des débats sur la profession médicale et l’évolution du système de santé ; elle tend de plus en plus à remettre en cause l’action des pouvoirs publics.

La stratégie 2015-2017 a ainsi comporté un intense lobbying contre la loi dite « Touraine », puis le lancement, à l’automne 2015, d’une grande consultation nationale60, pour un coût estimé à 1 M€, destinée à positionner l’ordre au premier plan dans la négociation des textes d’application de la loi susvisée61 et à porter ses revendications auprès des candidats à la présidentielle.

La synthèse des avis recueillis à l’occasion de cette consultation a fait l’objet d’un livre blanc, très critique sur l’organisation actuelle du système de santé. L’ordre y formule des recommandations dont certaines visent la revalorisation du mode de rémunération des médecins, la refonte de leur système d’assurance sociale ou encore la suppression du caractère obligatoire du tiers payant, tous sujets sur lesquels il n’est pas légitime à intervenir.

Le Conseil national a poursuivi ses actions en 2019, à l’occasion de la discussion de la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, en organisant la campagne « Ma santé 2022 : de la parole aux actes ! » pour débattre publiquement du projet de loi et de sa mise en œuvre.

Cette confusion des rôles est préjudiciable à l’image de l’ordre et à l’exercice de ses missions, elle est difficilement compatible avec son rôle de gardien impartial de la déontologie de la profession. Les budgets correspondant aux actions qui ne relèvent pas de l’ordre sont autant de moyens qui ne sont pas consacrés aux missions légales, dont l’enquête de la Cour a montré qu’elles étaient souvent délaissées, comme dans les cas du contrôle de la formation continue ou des relations médecins-industrie (cf. infra).

61 L’ordre reconnaît, dans le bulletin n° 42 diffusé au début de l’année 2016, que « l’année 2015 a été marquée par un travail de lobbying parlementaire intense sur la loi de santé.

Aujourd’hui, tout reste à faire quant aux modalités de sa mise en application. 2016 promet d’être une année de bataille sur les décrets d’application et des ordonnances. (…) À l’aube d’échéances électorales, le travail de l’ordre est appelé à s’intensifier ».

II - Des comptes souvent incomplets

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