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L’ordre des médecins a été créé par l’ordonnance n° 45-2184 du 24 septembre 1945, qui a mis fin, comme l’indique l’exposé des motifs, à une « très fâcheuse confusion », héritée de l’interdiction des syndicats par le régime de Vichy, consistant à confier au même organisme la défense des intérêts professionnels et la discipline de la profession. L’un des objectifs de ce texte était ainsi de faire cesser cette confusion.

L’ordre est un organisme privé chargé d’une mission de service public. La cotisation à l’ordre est obligatoire21 et lui permet de jouir de l’indépendance financière. Il accomplit sa mission par l’intermédiaire de 101 conseils départementaux, de 15 conseils régionaux ou interrégionaux22 et autant de chambres disciplinaires. Ces différents échelons d’organisation, fixés par le législateur, sont dotés de la personnalité civile et exercent leurs missions sous le contrôle du Conseil national23.

21 Article L. 4122-2 du CSP.

22 Depuis l’entrée en vigueur, en 2019, de la réforme portée par l’ordonnance du 16 février 2017 contre 24 CROM précédemment et au moment du contrôle.

23 Art. L. 4123-1 et L. 4124-11 du CSP.

1 -Un fonctionnement qui ne favorise pas le renouvellement des élus

a)Une réticence au changement

Les règles de fonctionnement des ordres ont été assez sensiblement modifiées par deux ordonnances en 201724 : renforcement des pouvoirs de contrôle, instauration de la parité hommes-femmes, fixation à 71 ans de l’âge limite pour se porter candidat aux élections ordinales, durcissement du régime des incompatibilités, certification des comptes combinés, application de règles d’achats inspirées de celles des marchés publics, refonte des modalités de rémunération des présidents de juridictions disciplinaires, etc.

Le Conseil national de l’ordre des médecins a fait connaître ses réticences à l’adoption de plusieurs de ces mesures25. Il a notamment considéré que l’introduction d’incompatibilités supplémentaires était de nature à « entraver le bon fonctionnement des conseils »26, que l’obligation faite à l’ordre de payer les indemnités des présidents de juridictions

« constituait une ingérence dans les finances de l’ordre » et que la mise en œuvre de la parité était « choquant[e] par sa brutalité arithmétique et dogmatique »27. À l’issue du renouvellement partiel issu des élections de juin 2019, le nouveau Conseil national ne compte encore que 15 femmes sur 56 membres et le nouveau bureau 2 sur 17.

L’introduction d’une limite d’âge a, quant à elle, fait l’objet d’une contestation vigoureuse de la part de deux conseils territoriaux, qui ont introduit en 2018 un recours contre cette disposition28.

24 Ordonnance n° 2017-192 du 16 février 2017 et ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017.

25 La mise en œuvre de ces réformes reste très progressive. La parité par exemple se fait au rythme des renouvellements des conseils et ne sera ainsi complète qu’en 2022.

26 Lettre du président du CNOM au président de la République du 23 mars 2017.

27 Bulletin du conseil national, n° 49, mai-juin 2017, p. 4.

28 Annulée par le Conseil d’État en mai 2018, pour non dépôt du projet de loi de ratification de l’ordonnance dans les délais impartis, cette disposition a été réintroduite dans le code de la santé publique (article L. 4125-8) par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

b)Des élus ordinaux peu représentatifs du corps médical en activité Au 1er janvier 2018, 45 % des 226 000 médecins en activité en France sont généralistes et 44 % exercent au moins partiellement à l’hôpital29 ; parmi les conseillers ordinaux, ces proportions sont respectivement de 60 % et 16 %.

Contrairement aux règles applicables à l’ordre des pharmaciens, il n’est pas nécessaire pour un médecin d’être en activité pour prétendre à un mandat ordinal. De ce fait, la part des retraités au sein de l’ordre – tous échelons confondus – était en 2018 de 14 %, mais de 40 % au sein du Conseil national et près du tiers des conseillers avaient 71 ans ou plus.

L’absence de limite d’âge lors des élections ordinales de juin 2019 n’a pas permis un renouvellement en profondeur du Conseil national.

Les femmes sont sous-représentées : elles constituent 31 % des élus ordinaux (9 % seulement au Conseil national) mais 46 % du corps médical et plus de la moitié des médecins de moins de 60 ans. Même quand elle est atteinte d’un point de vue arithmétique, la parité n’est pas effective dans le partage des responsabilités : la proportion de femmes exerçant des fonctions de président, trésorier ou secrétaire général n’est que de 19 % et on ne compte à ce jour que 14 présidentes de conseils départementaux.

Par ailleurs, le taux de participation aux élections ordinales est faible (25 % en moyenne et 13,5 % à Paris).

2 -Des mandats caractérisés par leur longévité et le cumul Les conseillers ordinaux sont élus pour six ans et renouvelés par moitié tous les trois ans. Non dématérialisée, l’élection est génératrice de coûts pouvant atteindre 100 000 € dans les plus gros conseils. À la différence des pharmaciens et des infirmiers, l’ordre des médecins n’a en effet pas souhaité recourir au vote électronique30.

Les 3 311 conseillers de l’ordre des médecins prolongent leurs fonctions sur de longues périodes, le nombre de mandats consécutifs au sein d’une même instance ordinale n’étant pas limité : sept à huit ans en moyenne, mais l’exercice d’un mandat pendant plus de 20 ans n’est pas isolé.

29 Études et résultats n° 1061, mai 2018, DREES.

30 Prévu à l’article L. 4125-6 du CSP.

Le cumul de plusieurs mandats est courant, même si le durcissement du régime d’incompatibilités posé par l’ordonnance n° 2017-192 du 16 février 2017 a entraîné une légère diminution du nombre d’élus détenant plus d’un mandat (passé de 382 en 2014 à 346 en août 2018). Au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, 100 conseillers étaient en situation d’incompatibilité31. En dépit de courriers du Conseil national les invitant à démissionner de l’une de leurs fonctions, trois élus continuaient, en novembre 2018, à cumuler des fonctions devenues incompatibles.

3 -De fréquents problèmes de gouvernance nuisant à l’image de l’institution

Les conflits de gouvernance au sein des conseils ne sont pas rares (Gironde, Rhône, Bas-Rhin, Bouches-du-Rhône, La Réunion) et nuisent à l’image de l’ordre des médecins. Ils peuvent dans certains cas conduire à des contentieux entre dirigeants d’un même conseil, entraînant des frais d’avocats souvent financés par les cotisations ordinales : 14 530 € pour le Rhône en 2018, plus de 36 000 € pour les Bouches-du-Rhône en 2017 et 2018.

Le cas du conseil départemental de l’ordre des Bouches-du-Rhône

En 2015, la désignation d’un nouveau président au sein du conseil de l’ordre des Bouches-du-Rhône a donné lieu à de graves dissensions, les orientations retenues par les nouvelles instances ayant été mal perçues par l’ancien président et plusieurs de ses proches, également membres du conseil.

Dès juillet 2016, les dysfonctionnements se sont multipliés et des pressions se sont exercées pour pousser le nouveau président à la démission. Devant son refus de démissionner, des poursuites disciplinaires ont été engagées par le conseil départemental à son encontre. Une première plainte, rejetée en première instance en mai 2017, a été suivie de sept autres, déposées en 2017 et 2018, pour des propos publiés sur internet qui, comparant notamment l’ancien président et ses partisans à « des dictateurs d’une société bananière », outrepassaient « les usages communément tolérés à l’occasion de campagnes électorales ». En appel, la chambre disciplinaire nationale a infligé un blâme au président élu en 2015. Rendu de ce fait inéligible pour trois ans, il n’a pas pu se présenter aux élections de février 2018.

31 26 incompatibilités pour cumul de fonctions au sein de deux conseils, 58 incompatibilités pour cumul d’une fonction de président ou secrétaire général d’un conseil et d’une fonction d’assesseur de chambre disciplinaire et 16 situations de double incompatibilité.

Cette situation a abouti à la dissolution du conseil par l’agence régionale de santé (ARS) en juillet 2018. Cette décision, suspendue dans un premier temps par le tribunal administratif de Marseille, a été confirmée, en janvier 2019, par le Conseil d’État, qui a relevé que le conseil « était notoirement traversé de violents conflits compromettant gravement sa légitimité , que vingt-et-un des quarante-six membres titulaires et suppléants avaient démissionné […], que le conseil départemental avait, en raison de ce conflit, porté plainte contre quatre de ses propres membres et que […] une ultime mission de conciliation effectuée par le Conseil national avait échoué ». De nouvelles élections en avril 2019 ont conduit à l’élection d’une présidente.

Le coût des différends interpersonnels et des dysfonctionnements divers (dix interventions d’huissiers, deux changements de serrures, des agents de sécurité, un système de surveillance et des frais d’affranchissement inutiles notamment) s’est élevé à plus de 80 000 € en 2017-2018 financés sur les cotisations des médecins.

4 -L’insuffisante prise en compte des risques de conflits d’intérêts Toutes les précautions ne sont pas prises par l’ordre pour se prémunir contre les risques de conflits d’intérêts32 encourus par ses représentants, même si le règlement intérieur adopté le 13 décembre 2018, à la suite du contrôle de la Cour, consacre désormais un chapitre à l’obligation spécifique de leur prévention.

Les élus du Conseil national remplissent une déclaration d’intérêts33 depuis juin 2016, mais ces déclarations sont sommaires et ne sont pas vérifiées par l’ordre. C’est ainsi que l’un de ses membres non élu a omis de déclarer les rémunérations qu’il avait perçues de laboratoires pharmaceutiques, alors qu’il siégeait au sein de la commission des relations médecins industrie et qu’un de ses proches travaillait pour un laboratoire français. Il ne lui a pas été demandé de compléter sa déclaration.

32 Le conflit d’intérêts désigne « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction » (art. 25 bis de la loi du 13 juillet 1983).

33 Il s’agit d’une initiative de l’ordre, non d’une obligation légale.

Par ailleurs, il est des cas où les liens connus entre un élu ordinal et un médecin conduisent à jeter un doute sur l’impartialité d’une décision.

Ainsi en est-il de l’autorisation de continuer à exercer, notifiée par la formation restreinte d’un conseil régional à un spécialiste exerçant en clinique, victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) en octobre 2017, en dépit de l’avis du collège d’experts. Participaient en effet à cette formation restreinte décisionnaire le PDG de la clinique – et président de l’ordre départemental – ainsi qu’un autre médecin y possédant des parts, dont les intérêts étaient donc en jeu dans l’affaire.

Les garde-fous pour prévenir les conflits d’intérêts sont encore plus faibles quand la personne mise en cause est elle-même un conseiller ordinal. L’obligation de délocaliser la conciliation en cas de plainte contre un élu ordinal, introduite par l’ordonnance de 2017, n’est pas toujours respectée. Ainsi, à La Réunion, une plainte introduite en novembre 2017 par un médecin contre l’un de ses confrères, élu du conseil régional, a été traitée sur place. En Haute-Corse, non seulement la plainte déposée en 2018 par une patiente contre une élue ordinale n’a pas été délocalisée, mais la suite qui lui a été donnée n’était pas conforme aux textes.

Aucune règle spécifique de dépaysement n’étant non plus prévue pour l’examen par l’ordre des contrats ou des avantages consentis par l’industrie pharmaceutique à un élu ordinal, l’impartialité nécessaire ne peut être garantie. Ainsi, dans un département du sud de la France, les conditions dans lesquelles sont rendus les avis de l’ordre sur les contrats conclus par les établissements que dirige son président34 ou par ceux d’un concurrent direct de son laboratoire ne permettent pas de garantir l’impartialité nécessaire dès lors qu’il sont rendus par un conseil dont le président est à la fois juge et partie.

En l’absence de cadre contraignant, l’impartialité du traitement d’une affaire concernant un conseiller ordinal ne repose que sur le sens de la déontologie de quelques-uns. Cela peut s’avérer insuffisant, comme le montrent les exemples relevés par la Cour. Il conviendrait de rendre, dans ces situations, la délocalisation obligatoire.

34 Par ailleurs conseiller régional de l’ordre, également co-gérant du seul laboratoire de biologie médicale implanté localement et PDG d’une clinique.

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