• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 - Typologie des systèmes de gestion des déjections

1.1 Eléments de terminologie

1.1.1 La production et la gestion des matières

➢ Matières fécales, excrémentielles, stercoraires, de vidange, et déjections

Pour assurer leur survie, tout commence par l’indispensable besoin des animaux de consommer des aliments sous forme liquide ou solide. Conséquence de cette activité régulière, le mécanisme réflexe de la digestion produit, en proportion variable, une fraction plus ou moins consistante et solide, les matières fécales, et une phase liquide, l’urine. D’une grande diversité, ces matières stercoraires sont à l’origine d’un vaste vocabulaire avec la gandouse36, mais aussi les fientes, crottes, bouses, lisiers et fumiers. L’attention de cette recherche se mobilise sur les déjections

humaines, résultat de l’acte de défécation, qui produit des excréments ou fèces, et

de miction, qui évacue l’urine.

On considère ici que les termes de déjections humaines, matières stercorales,

stercoraires ou excrémentielles, excréments et matières fécales désignent les

excréments et l’urine, de façon isolée ou en mélange37. Pour éviter toute confusion,

on considère donc que les fèces sont assimilées au caca et au pipi38. La question,

toujours d’actualité39, de la séparation des phases solide et liquide est analysée sous

l’angle historique, et les divers systèmes techniques identifiés et comparés.

36 Terme spécifiquement lyonnais, la gandouse désigne la gadoue, la vidange et la matière fécale extraite des fosses d’aisance, le gandou étant le vidangeur ou gadouard, Revue du Lyonnais n°518, 1894, Ad. Vachet, pp. 231

37 Si en moyenne quotidiennement un être humain excrète entre 1 et 2 litres d’urine, ses excréments pèsent de l’ordre de 2 à 300 grammes, le volume liquide étant bien supérieur en poids à la masse solide.

38 La confusion caractérise la terminologie employée dans les métiers du déchet, à l’instar du mot ordure, qui couvre un champ très large sémantique.

39 Fabien ESCULIER, Le système alimentation/excrétion des territoires urbains : régimes et transitions socio-écologiques, Thèse de doctorat en Sciences et Techniques de l'Environnement sous la direction de Bruno TASSIN, 9 mars 2018

Les matières de vidange désignent les déjections humaines accumulées dans des réservoirs de stockage plus ou moins étanches, les fosses d’aisances ou d’aisance. La

matière extraite lors des opérations de curage40, plus ou moins homogène et facile à

manipuler, se caractérise par sa teneur en eau et son instabilité physico-chimique. La phase liquide des déjections se décompose elle-même en deux fractions, avec d’une part, l’urine et l’eau contenue dans les excréments, et d’autre part, celle éventuellement employée pour nettoyer les latrines ou pour permettre le lavement du fondement de l’usager. En fonction des configurations et usages, la présence de corps étrangers peut s’observer, avec des objets divers, voire des fœtus avortés. Fait déterminant, en fonction des conditions extérieures comme la température, le degré d’humidité, le taux d’oxygène du milieu, ou la présence de vent, les déjections humaines interagissent avec leur environnement plus ou moins proche. Leur présence engendre un certain nombre de risques qui impose leur éloignement des lieux de vie dans une réaction réflexe, tout particulièrement dans des cités denses et encombrées.

➢ Latrines

Si dans certains contextes l’absence totale d’équipement peut se rencontrer, avec la solution aujourd’hui utilisée par plus d‘un milliard d’individus, de la miction contre un arbre ou de la défécation à l’air libre (open air defecation), ces deux opérations d’excrétion mobilisent le plus souvent des équipements spécifiques, tout particulièrement en milieu dense et urbain. Les actes de défécation et de miction, en mélange ou avec séparation liquide/solide à la source, impliquent l’utilisation de latrines, notion relativement ambiguïe. A l’origine, le terme dérive de lavatorium,

lavare : laver, puis s’applique par extension au bassin portatif qui reçoit les

déjections (interface usager ou utilisateur). Les lavatories, qui désignent vers la fin du XIXe s. des galeries souterraines de nécessité, ou latrines publiques payantes, rappellent la présence originelle de l’eau pour garantir la propreté des lieux. Si la notion de latrines est relativement vague et désigne aujourd’hui le vase de nuit comme l’urinoir, elle vise également le lieu réservé à l’acte d’excrétion, et plus largement le dispositif, fixe ou mobile, et plus ou moins sophistiqué.

Dans la pratique de la défécation assise, le besoin d’aller à la selle renvoie au siège percé. Identifiées par les termes relativement équivalents de commodités, privés,

garde-robes, chalets de nécessité, lieux ou cabinet d’aisances, les latrines définissent

à la fois le lieu et l’équipement qu’elles abritent. Si l’on considère que les latrines visent la phase amont de gestion des déjections et intègrent la fosse d’aisances,

ouvrage de stockage intermédiaire41, on peut noter qu’en 1880 une distinction est faite par un chimiste-industriel qui considère que42

40 Le mot vidange dérive du latin purgamenta, et l’entretien des fosses et égouts de la Rome antique est assurée par le latrinarum purgator.

41 AML, 3 GG 6, pièce non numérotée, Ordonnance de Monseigneur de la Guiche qui interdit de vidanger les latrines ou d’entreposer du fumier dans les rues, février 1603

42 Théodore CHATEAU, Technologie du bâtiment, ou Étude complète des matériaux de toute espèce employés dans les constructions..., Vol 1, Ed. Ducher (Paris), 1880, 2 vol.,756 pp., p.14

L'expression de lieu d'aisance s'applique aux cabinets desservant un appartement, soit un étage d'une maison. Celle de latrines s'applique plus spécialement à la réunion de plusieurs cabinets à l'usage du public ou d'un grand nombre de personnes, telles sont les latrines publiques des gares de chemins de chemins de fer, des administrations, des écoles, des casernes, etc.

Les opérations en aval concernent l’éloignement définitif et les possibles valorisations des déjections. Bien qu’ils y soient branchés, les réseaux d’évacuation ne sont pas considérés comme des latrines.

Les tinettes, constitutives des latrines, sont dites ordinaires quand elles désignent des seaux ou baquets placés directement sous la lunette du siège du cabinet d’aisances, et mobiles lorsqu’il s’agit du tonneau employé pour le transport des matières de vidange. Terme voisin, les toilettes se caractérisent par une technologie plus évoluée et une gestion plus complexe des matières expulsées.

Quant aux appareils sanitaires, s’ils désignent à l’origine les latrines et toilettes, ils visent par extension toutes les pièces d'eau (salle de bains, douches, buanderie, cuisine) et de nombreux équipements (urinoir, évier, douche, chaudière, robinetterie, canalisation, branchement, évacuation…). Illustration de l’évolution des mentalités à partir de la fin du XIXe s., le génie sanitaire désigne un champ très vaste, avec des équipements relevant de la gestion des résidus liquides, solides, mais également du chauffage et de l’éclairage43.

Parce qu’il ne faut pas nommer la chose, les latrines ont longtemps été désignées en France sous l’appellation de retraiz44, chambres basses ou courtoises, aujourd’hui remplacé par le pudique petit coin45. La forte connotation liée à l’isolement se

retrouve dans les mots abritt en allemand, retirata ou cesso en italien, et privy en anglais. Le terme québécois de bécosse, dérivé de l’anglais back house, rappelle que leur localisation se situe souvent derrière la maison.

Il y a là un paradoxe entre la nécessaire proximité physique de l’acte et l’indispensable besoin d’éloignement des matières, afin de prévenir les risques de contagion et la gêne causée par leur puanteur ou par leur image. Sous cet angle, la nécessité de l’intimité pour accomplir l’acte dé défécation apparait aussi.

Les termes anglo-saxons de water-closet et de bathroom soulignent la présence d’eau pour évacuer les matières, cesspool (fosses d’aisances) et cesspit (latrine avec puits d’infiltration) dérivent du celtique cess, taxe, corvée, mais pourrait aussi venir du latin secessus, lieu d’isolement. Les termes argotiques de chiottes en français et de

cagadero en espagnol, rappellent la fonction excrémentielle des latrines.

43 Louis-Auguste BARRE, Louis MASSON, Manuel de génie sanitaire: la ville salubre, en deux vol., J.B. Baillière, 1897, pp. 338

44 Frank LESTRINGANT, Des hauts lieux aux 'retraits': petite contribution à une théologie de l'excrément (XVIe-XVIIIe s.), Revue des sciences humaines, n°261, 2001-1: Petits coins. Lieux de mémoire, Éd André Benhaïm, Michel Lantelme, 2001, p. 65-101

45 Voir Alfred de Musset et son poème intitulé ''Le petit coin'', 1888. Dans le même souci de ne pas nommer la chose, les pudiques anglo-saxons utilisent les termes conveniences, bathroom, lavatories…

Comme le précise un dictionnaire d’argot de la seconde moitié du XIXe s., allusion aux branches d'arbres placées autour des excavations pour dissimuler les déjections dans les campements militaires, les feuillées désignent les latrines dans l’argot du régiment, la bouteille étant l’analogue dans l'argot des matelots et la griache dans les prisons.

Sur un mode ironique, les goguenots, qui désignent chez les troupiers d'Afrique la

casserole-gobelet, prend le sens de baquet-latrine dans l'argot des prisons et

casernes, et l’expression passer la jambe à Thomas, signifie vider le baquet-latrine de

la chambrée46. Hérité du terme goguenot, les gogues, comme les chiottes, font

référence aux latrines modernes.

Moins connu que la vespasienne ou le chalet de nécessité, abordés plus loin, la tasse désigne en argot parisien de petits édifices construits sur la voie publique en vue de satisfaire les besoins naturels des passants47. La matière linguistique est si riche pour désigner tout ce qui gravite autour des matières qu’il conviendrait d’y consacrer un autre travail.

➢ Vidangeur

En charge des opérations de vidange, le vidangeur, benneleur, bernatier à Lille et gandousier à Lyon, Maître Fifi48, curafifi49, Maître des basses œuvres50, par opposition

au Maître des hautes œuvres qu’est le bourreau51, est une profession identifiée dès l’Antiquité. Pratique observée en Alsace au XVIIe et XVIIIe s. rapportée par la presse en 1875, la ville de Colmar accorde à son bourreau, outre les exécutions et punitions à caractère pénal, le monopole des vidanges des latrines.

Cette tâche lucrative fait l’objet d’un salaire de 10 livres par nuit, avec en complément la fourniture des chandelles mais également de pain, vin et fromage pour l’équipage. Fait rapporté dans un article historique publié dans la presse en 1875, un règlement du 24 novembre 1378 défend en outre

sous peine d'amende, aux habitants qui souffraient d'une hypertrophie de fosse d'aisances de demander du soulagement tout autre qu'au bourreau52.

L’activité est l’affaire de professionnels en charge des difficiles et dangereuses opérations d’entretien indispensables pour maintenir le bon fonctionnement des fosses d’aisances comme des égouts.

46 Alfred DELVAU, Dictionnaire de la langue verte : argots parisiens comparés, Ed. E. Dentu, Paris, 1866, pp. 406, p. 186

47 Marianne BLIDON, La dernière tasse. EspacesTemps.net, Association Espaces Temps.net, 2005, non spécifié, <halshs-00118641>

48 Egalement nommé dans le Dauphiné et en Provence cure-privés

49 Jean HUMBERT, Nouveau glossaire genevois, Ed. Jullien frères, Genève, 1852, p. 133

50 Dictionnaire de l'Académie française, vol. 2, 1798, p. 57

51 Antoine FURETIERE, article vuidange, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes…, t. 2, La Haye et Rotterdam, chez Arnoud et Reinier Leers, 1702, p. 1109. On souligne que l’activité de vidange des latrines a longtemps été considéré comme une action infamante. Dans ces conditions, faute d’entrepreneur, la tâche est revenue aux bourreaux, comme à Douai en 1767 ou sur la ville de Luxembourg.

A Rome, le foricarius est l’entrepreneur de vidanges qui réalise l’extraction des matières des fosses et prend en charge leur évacuation et transport53, alors que le

cloacarius, a la charge du curage des égouts54. Plongeant ses racines dans l’histoire des cités, cette profession de cureurs de retraitz55, se caractérise par son organisation et ses pratiques. Avec son statut ambivalent assurant l’indispensable évacuation des matières abjectes mais également une activité répugnante, la profession de vidangeurs est structurée comme le précise un érudit en 1773

la profession de vidangeur subsiste à Paris en corps de jurande, mais on ne sait point en quel temps cette communauté a été érigée56.

La dualité de leur activité de vidange se traduit pour le vidangeur par un statut social particulier dans lequel

il a été déclaré libre et cependant l’on peut dire qu’aucun métier n’exigeait d’être tenus sous une police plus sévère57

Doté d’un savoir technique initialement rattaché à l’architecture pour la conception plus que pour l’entretien des fosses d’aisances (voir Figure 2), les vidangeurs relèvent des Arts mécaniques, objet d’une description fouillée de l’Encyclopédie Panckoucke,

augmentée de 6 à 28 pages entre l’édition de 1771 et la quatrième de 179158

Figure 2 - de la technicité des vidangeurs (1791)

53 Outre l’opération de vidange des fosses, facturée en fonction des difficultés, il peut aussi exercer le métier de loueur des latrines, avec rétribution à l’entrée. Ce mot dérive de foria, diarrhée, venu de

forio, évacuer l'intestin, qui a décliné sur foriolus, qui a la diarrhée.

54 Ch. DAREMBERG et Edm. SAGLIO, article cloacarium, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, t. 2, 1877-1919, p. 1264.

55 Terme présent dans le Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes & les termes des sciences et des arts..., t. 2, 1701 et dans le Dictionnaire de l'Académie française... t. 2, 1798 p. 58.

56 Abbé JAUBERT, Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers contenant l'histoire, la description, la police des fabriques & manufactures de France & des pays étrangers…, chez P. Fr. Didot le jeune, vol. 4, 1773, 446 pp., p.439-445.

57 Antoine René VOYER D'ARGENSON PAULMY De la lecture des livres françois… au XVIe s. qui traitent de l’architecture et des progrès de cet art jusqu’au XVIIe s., 1782, p. 300

Comme le souligne l’Encyclopédie morale de 1841 qui se propose de décrire l’état de la société, peu considérés par leur métier, les vidangeurs

forment, pour ainsi dire, au milieu de la race actuelle, un peuple à part : à peu près comme les Hébreux chez les Égyptiens. Nous savons tous que ce n'étaient pas les Égyptiens que l'on appelait le peuple de Dieu59.

Une distinction peut se faire entre le maître vidangeur (ou contre-maître) et le

gadouard, nom donné à l’ouvrier qui, sous la direction du vidangeur, vide les fosses d’aisance et dont la vie est plus exposée que celle de son maître60.

Preuve de son organisation rapportée par le Lieutenant de police Lenoir à Paris en 1780, la Corporation des Compagnons Vidangeurs gère un fonds de prévoyance destiné à financer des établissements de santé et satisfaire aux besoins journaliers des familles de victimes d’accidents. Alimentée par un prélèvement de 4 sols par jour de travail, cette caisse de solidarité reçoit de 4 à 5000 livres par an61. En 1842, une enquête met en évidence que la population d’ouvriers vidangeurs à Paris est comprise entre 200 et 250, avec un salaire journalier compris entre 3,50 Fr. à 5 Fr. Travaillant jusqu'à un âge fort avancé allant de 65 à 70 ans, si les ouvriers sont jugés sains, forts,

robustes et vigoureux par la majorité des maîtres vidangeurs,

ils sont généralement d'un tempérament bilieux. L'exercice de cette profession ne les empêche pas de trouver à se marier, et quand ils ne sont pas mariés, ils vivent en concubinage… S'il est une profession qui mérite de fixer l’attention des hygiénistes, c'est assurément celle des vidangeurs…

L’extraction des matières fécales des fosses, par des hommes continuellement exposés à respirer des émanations miasmatiques et quelquefois à être asphyxiés, constitue une profession tout-à-fait incommode, insalubre et dangereuse62.

1.1.2 La gestion des risques