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Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu'une chose n’est pas poison.

Paracelse, né Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, 1ère moitié

du XVIe s.

Introduction à la partie 2

Véhiculées par de nombreux agents comme l’eau, la terre, les poussières, les animaux et l’homme lui-même, les déjections humaines peuvent revenir au contact de l’homme. Parce qu’un seul individu malade porteur de germes peut transmettre à des centaines, à des milliers de personnes bien portantes des affections parfois mortelles, les matières excrémentielles, lorsqu’elles sont abandonnées sans discernement

constituent un grave danger534. Sujet sensible, la question de la gestion des

déjections humaines est un point majeur de la salubrité publique car

l’hygiène n’est pas seulement l’art de se bien porter et de mourir vieux. Elle a des visées plus hautes, rien de ce qui touche au bonheur des hommes ne lui est étranger535.

L’étude du développement urbain et ses relations avec la santé a fait l’objet de diverses recherches historiques, en particulier sur Lyon536. Outre des travaux menés sur les cités antiques537, la période charnière située entre la fin du XVIIIe s. et le

début du XIXe s. a particulièrement mobilisé les chercheurs, sous des angles variés538,

la question sociale539, comme olfactive tenant une bonne place540.

534 BCEOM, Le péril fécal et le traitement des déchets en milieu tropical, prix Reynal de l’Académie nationale de médecine, mai 1957, pp. 135, p. 15

535 Jules ROCHARD, L’avenir de l’hygiène, Congrès AFAS de Toulouse, 1887, p. 151.

536 O. DIAS, l’hygiène urbaine à Lyon au XVIIIe s., maîtrise, Université de Lyon 2, 1996 (non consulté)

537 Mark BRADLEY, Rome, Pollution and Propriety: Dirt, Disease and Hygiene in the Eternal City from Antiquity to Modernity, Cambridge University Press, 2012 ; Piers D. MITCHELL, Sanitation, Latrines and Intestinal Parasites in Past Populations, Routledge, 2016, 290 p. ; Robert BEDON, Amoenitas urbium, les agréments de la vie urbaine en Gaule romaine et dans les régions voisines, Presses universitaires-PULIM, 2002.

538 Ann Elizabeth FOWLER LA BERGE, Mission and Method: The Early Nineteenth-Century French Public Health Movement, Cambridge University Press, 2002, 400 p. ; Stéphane FRIOUX, Patrick FOURNIER, Sophie CHAUVEAU, Hygiène et santé en Europe : de la fin du XVIIIe s. aux années 1920, Sedes, 2011, 256 p. ; F.THENARD-DUVIVIER dir., Hygiène, santé et protection sociale de la fin du XVIIIe s. à nos jours, Ellipses, 2012, 288 p. ; P.BOURDELAIS et O.FAURE dir., Les nouvelles pratiques de santé. Acteurs, objets, logiques sociales (XVIIIe-XIXe s.), Belin, 2005, 384 p ; G. JORLAND, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publiques en France au XIXe s., Gallimard, 2010, 361 p. ; J. RUFFIE et J.-C. SOURNIA, Les Épidémies dans l'histoire de l’homme. Essai d’anthropologie médicale, Flammarion, 1984, réédition, 1995, 302 p.

539 J. LEONARD, Archives du corps. La santé au XIXe siècle, Ouest-France, 1987, 332 p.

540 Alain CORBIN, L'hygiène publique et les "excreta" de la ville préhaussmannienne, Ethnologie française, t. XXII, n°2, avril-juin 1982, pp. 127-129.

Alain CORBIN, Le Miasme et la Jonquille : l’odorat et l’imaginaire social aux XVIII et XIXème s., Paris, 1ère éd. Aubier-Montaigne, 1982, Flammarion, 1986, 336 p.

David S. BARNES, The Great Stink of Paris and the Nineteenth-Century Struggle Against Filth and Germs, JHU Press, 2006, 314 p.

Si l’histoire de la médecine a considéré la vidange des fosses d’aisances541, la relation particulière qui se développe entre les scientifiques responsables de la santé (médecins, pharmaciens, vétérinaires…) et la gestion des déjections humaines reste à défricher.

Dans le contexte du siècle des Lumières où, après avoir satisfait au divin, on

satisferait à la salubrité publique542, la médecine s’affranchit lentement de la religion et entre alors dans une démarche fondée sur des observations répétées et

non sur l’expérimentation543. Se démarquant du langage théorique des siècles passés,

et renonçant au systématisme hippocratique des tempéraments544, le corps médical

considère désormais les maladies des vidangeurs comme objet d’étude et de recherche digne d’intérêt.

Au-delà de la question de la gestion des déjections en ville, c’est la compréhension des mécanismes associés à la mort, à la décomposition des chairs et à la pourriture qui fait l’objet de recherches en médecine, chimie, et agriculture. Sujet d’importance capitale pour des villes qui se développent, la densité humaine constitue un enjeu majeur qui exige des mesures de salubrité publique. En 1767 le physicien et mécanicien Lorrain Genneté se préoccupe de la qualité de l’atmosphère

qui règne dans les lieux confinés545. Par la suite, Lavoisier publie le très remarquable

Mémoire sur les altérations qui arrivent à l'air dans plusieurs circonstances où se trouvent les hommes réunis en société546, ouvrage qui définit le volume

respiratoire547, et souligne dans un rapport à l’Académie en 1790 qu’il existe

une foule d'inconvénients sur lesquels on n'a peut-être pas suffisamment réfléchi [et qui] découle du rapprochement d'un grand nombre d'hommes dans une espace étroit et resserré. La respiration vicie l'air, il est infecté par des émanations putrides qui s'exhalent continuellement des corps vivants et surtout des animaux morts, les excréments, les déjections de toute espèce sont dans un état de putréfaction durable, et leur odeur à la fois désagréable et malfaisante ferait bientôt déserter les villes, si on ne prenait des précautions pour les enlever548.

541 P. DARMON, L’homme et les microbes. XVIIe-XXe s., Fayard, 1999, 592 pp.

542 Pierre PATTE, Mémoires sur les objets les plus importants de l'architecture, 1769, p. 43.

543 Patrick FOURNIER, Les pollutions de l’eau : l’expertise du risque du XVIe au XIXe s., in Christèle BALLUT, L’eau et le risque de l’Antiquité à nos jours, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 39-44.

544 Jean-Charles SOURNIA, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte, 2004 (1992), p. 179.

545 Claude Léopold GENNETE, Purification de l'air croupissant dans les hôpitaux, les prisons, et les vaisseaux de mer : par le moyen d'un renouvellement continuel d'air pur et frais, qui en emportera aussi continuellement la mauvaise odeur, et que d'infects que sont ces lieux, les rendra sains et habitables, Ed. Leclerc, 1767, 113 pp

546 Mémoire de la Société Royale de Médecine, année 1782-83, p. 569.

547 Symétrique de ces travaux, des recherches visent aussi à améliorer la vie des citadins. Voir l’abbé Pierre BERTHOLON, De la salubrité de l’air des villes, et en particulier des moyens de se la procurer, Montpellier, Jean Martel aîné, 1786, 102 p.

548 LEROY, CORNETTE, BERTHOLLET, TEISSIER et LAVOISIER, rapporteur, Rapport sur des Pompes Anti-méphitiques, Annales de chimie ou recueil de mémoires…, 1790, p. 86.

Pour les professionnels de la santé, et pour la science chimique en devenir, il faut travailler sur le terrain les premières études visant à comprendre les mécanismes qui gouvernent la putréfaction des matières fermentescibles. Il s’agit, dans un environnement urbain en densification, de préserver la santé des populations, mais également de prévenir les accidents qui frappent certains métiers, en particulier les travailleurs de l’insalubre, vidangeurs ou mineurs, exposés à des atmosphères délétères.

Chronologiquement, ce sont les médecins et apothicaires, hommes de terrain et premiers chimistes, qui consignent la description des maux affectant les vidangeurs victimes d’accidents lors des opérations d’extraction des matières hors des fosses. Se rendant sur place, ils observent les vidangeurs victimes de malaises soudains plus ou moins graves, et leurs écrits constituent de précieuses indications sur les pathologies causées par contact avec les déjections humaines. Ils s’intéressent à la nature et à l’occurrence des décès et des pathologies respiratoires, dermatologiques ou comportementales qui frappent les vidangeurs.

Ces notables, afin de juger de l’efficacité des méthodes de vidange, étudient les opérations d’ouverture et de ventilation des fosses, puis d’extraction, de transport et enfin, le cas échéant, de transformation et de valorisation des matières évacuées. Experts appelés pour répondre à ces problèmes d’insalubrité au travail, et ainsi confrontés à la rudesse des vidangeurs dans une atmosphère d’infecte puanteur et d’obscurité, ces praticiens de la santé deviennent les garants de l’ordre public en matière de gestion des matières.

Cette seconde partie aborde la question des déjections humaines sous l’angle de la santé et plus largement de la science, en considérant d’abord les maladies dont sont victimes les vidangeurs, puis les enseignements obtenus par l’étude des matières, et enfin, les moyens et traitements mis en œuvre pour maîtriser les nuisances associées à leur manipulation. Après un focus sur un dramatique accident de vidange survenu à Lyon en 1749, objet en France de la première analyse d’un médecin sur la question de la gestion des déjections humaines, sont ensuite considérées les contributions à l’avancement de la science de l’étude de ces matières.

A la suite, l’évolution technique des modalités de vidange, puis la question des enjeux commerciaux associés sont étudiées. Enfin peu avant la Révolution française à Lyon, illustration de la nature polémique des opérations de désinfection, l’attention se porte sur le cas du vinaigre de Janin, objet de vifs débats qui agite le monde alors relativement réduit des spécialistes.

Chapitre 6 - Gérer la vidange, activité à risques