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Chapitre 6 - Gérer la vidange, activité à risques

6.3 Etudier la vidange pour prévenir les accidents (1702-1778)

6.3.1 Ramazzini le précurseur

Parce que la profession de vidangeur, la plus abjecte de toutes, est certainement une

des plus utiles et du nombre de celles auxquelles on doit le plus de reconnaissance604, il est dans la logique que les médecins cherchent, d’une part à comprendre les risques auxquels s’exposent ces travailleurs, et d’autre part à améliorer leurs conditions de travail et soigner les maux qui les affectent.

Précurseur dans la description des accidents du travail et pionnier de l’étude médicale de la vidange, auteur du Morbis artificum diatriba, Bernardino Ramazzini, médecin renommé de Padoue en Italie, se demande en 1702 pourquoi des

savants qui tous les jours se font un devoir d’examiner les excréments et les urines des malades, pour y découvrir l’état de leurs maladies, peuvent-ils dédaigner de visiter les latrines, pour y observer avec moi les maux qui attaquent ces malheureux Ouvriers, et ne doivent-ils pas se souvenir de ces paroles d’Hippocrate : il faut que le Médecin observe les choses les plus désagréables, et fasse les actions les plus rebutantes605.

Rédigés en 1702, publiés en 1743 et traduits en français en 1776 par Antoine François de Fourcroy, les travaux de Ramazzini constituent une référence pendant deux siècles606 (voir Figure 122).

Cet ouvrage de 573 pages, salué par Vicq d’Azir, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, passe en revue 52 professions exposées à des maladies professionnelles, le chapitre 13 étant spécifiquement consacré aux maladies qui frappent les vidangeurs.

Figure 122 – Ramazzini, fondateur de l’hygiène industrielle

604 ADELON, ALARD, ALIBERT, Dictionnaire des sciences médicales par une société de médecins et de chirurgiens, t. 57, Ed. Panckoucke, Paris, 1821, p. 426

605 Antoine François DE FOURCROY, Essai sur les Maladies des artisans, 1778, p.133.

606 J. S. FELTON, The heritage of Bernardino Ramazzini, Occup. Med., vol. 47, n°3, avril 1997, p. 167-179

Détail intéressant, il explique sa motivation par le fait qu’il a été régulièrement, et sans le vouloir, confronté à l’activité des vidangeurs, car la fosse de son immeuble à étages à Padoue, trop petite pour le nombre d’habitants, exige un curage a minima tous les trois ans. Passé à la postérité pour son travail pionnier, sa mémoire est louée dans un ouvrage médical de référence qui note avec justesse que

c'est ému par la compassion que lui inspireront ces malheureux ouvriers, dont il observa le travail, que Ramazzini âgé de plus de 60 ans, fut porté à écrire sur les maladies des artisans le Traité célèbre que nous lui devons607.

6.3.2 La vidange, priorité nationale

En 1778, signe de l’importance nationale de la question de la vidange des fosses d’aisances, le Gouvernement, frappé de la multiplicité des accidents occasionnés par

la vidange des fosses d'aisance, et convaincu de la nécessité d'y remédier, décide de

désigner une commission composée de savants membres du Collège de Pharmacie.

Cette équipe de trois scientifiques, qui rassemble Louis Guillaume Laborie608, Antoine

Alexis Cadet de Vaux, dit Cadet le jeune, rapporteur (voir §4.2.2), et Parmentier, produit le premier rapport officiel et scientifique intégralement dédié à la gestion de ces lieux sales et dégoûtants609.

Ami de Parmentier avec qui il crée la première école de boulangerie, Cadet le jeune est pharmacien en chef au Val de Grâce, professeur de chimie à l’École vétérinaire d’Alfort, mais aussi l’un des tous premiers journalistes scientifiques, fondateur du

Journal de Paris. Spécialiste du méphitisme610, il reçoit en 1781 du roi la charge de

Commissaire Général des Voieries et Inspecteur des objets de salubrité, fonction

spécialement créée en sa faveur par le Lieutenant général de police Le Noir611.

Les experts, après avoir mené de nombreux travaux sur plusieurs fosses à Paris, rendent leur rapport avec 11 observations et deux recommandations. Ils préconisent de réaliser la vidange des fosses avec d’une part l’emploi d’un ventilateur alimenté par un feu (cf §4.2.2), et d’autre part d’appliquer de la chaux en poudre, procédé déjà mis en œuvre à Rouen en 1762 pour réduire les risques d’émanations toxiques.

607 ADELON, ALARD, ALIBERT, Dictionnaire des sciences médicales par une société de médecins et de chirurgiens, t. 57 VAR, Ed. Panckoucke, Paris, 1821, p. 426

608 Il a en particulier publié des mémoires sur la teinture et sur la chimie du plomb. Voir Pierre JOSSE, Notice historique sur la vie et les travaux de feu Louis-Guillaume Laborie, lue à la séance publique de ladite société, le 25 brumaire an 8.

609 MM LABORIE…, Observations sur les fosses d'aisance, et moyens de prévenir les inconvénients de leur vidange…, par ordre et aux frais du Gouvernement à Paris, Ph-D Pierres, imprimeur du Collège Royal de France, lu le 11 février 1778, 47 pp.

Voir également Takeshi MATSUMURA, Observations sur les fosses d’aisance de Laborie, Cadet et Parmentier : remarques lexicographiques : hommage à Tetsuya Shiokawa. FRACAS, Groupe de recherche sur la langue et la littérature françaises du centre et d'ailleurs (Tokyo), 2016, pp.1-7.

610 CADET le Jeune, Mémoire sur le méphitisme des puits et sur les moyens qu'on peut employer pour y remédier lu à l'Académie royale des sciences, le 25 janvier 1783 ; Rapport sur le mémoire de M. Cadet par MM Berthollet et Lavoisier en date du 8 mars 1783.

611 Très concerné par la question, le Conseiller d'Etat Le Noir rédige en 1780 un rapport sur quelques

établissements de la ville de Paris destiné à sa Majesté Impériale la Reine de Hongrie, dans lequel il

Signe de l’importance du sujet, le Gouvernement ordonne à l’Académie Royale des Sciences d’examiner lesdites observations et de vérifier l'efficacité des moyens

proposés. Cette seconde équipe est constituée d’Antoine Lavoisier, du Comte de

Milly, salué pour ses travaux sur l’art du poêlier et sur la porcelaine, et d’Auguste Denis Fougeroux de Bondaroy, botaniste et oncle de l’agronome Henri Louis Duhamel du Monceau. Après un travail mené en moins de cinq mois, le rapport, présenté le 8 juillet 1778, salue les travaux réalisés et souligne que

ces chimistes sont parvenus, non seulement à prévenir tous les dangers auxquels sont exposés les hommes qui se dévouent à cette profession si pénible, mais encore à détruire la vapeur méphitique qui s'élève des fosses d'aisance pendant leur vidange, et à la convertir en une vapeur capable même de purifier l'atmosphère. L'importance de ce travail a déterminé le Gouvernement à en ordonner l'impression et la distribution.

Travail remarqué par les savants de la fin du XVIIIe s., la dimension mythologique est même évoquée

si l’on sait que parmi les travaux si vantés d’Hercule, le 22ème fut de nettoyer les étables du Roi Augias, qui portaient l’infection aux environs de son palais ; mais ce Grec ne se rendit utile qu’à un canton, tandis que nos trois observateurs le deviennent à plusieurs millions d’hommes612.