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production des consonnes occlusives 2.1.Contraintes et contrôle du voisement

De manière générale, les plis vocaux peuvent vibrer à partir du moment où la pression intra-orale (Pio) est plus faible que la pression sous-glottique (Psg) (Bernouilli).

Par conséquent, pour les consonnes occlusives voisées, le degré de Pio doit rester en dessous du niveau de Psg durant l’occlusion pour que le voisement puisse perdurer tout le temps de l’occlusion.

Pour les consonnes occlusives non voisées, la reprise du voisement après le relâchement de l’occlusion est également conditionnée physiquement par le fait que la Pio ait suffisamment diminué pour être inférieure à la Psg. Il existe donc une valeur minimum du VOT, dépendant du niveau de Pio observé pendant l’occlusion et de sa vitesse de décroissance au moment du relâchement.

De façon générale, cela signifie donc que plus le maximum de Pio est grand et plus le VOT sera long (Arkebauer et al., 1967; Koenig et al., 2011). Cela explique également que le maximum de Pio soit plus petit pour les occlusives voisées (/b/, /d/, /g/) que pour les consonnes sourdes (Koenig et al., 2008; Lubker and Parris, 1970).

Le niveau de Pio durant l’occlusion dépend lui-même de plusieurs facteurs, ayant donc une influence indirecte sur le VOT :

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- le niveau de Pio augmente avec la durée d’occlusion

- le niveau de Pio augmente avec la postérioriation du lieu d’occlusion : En effet, plus la cavité derrière la constriction est petite et plus la pression s’accumule vite (Hardcastle, 1973; Maddieson, 1997; Solé, 2007).

La rapidité de décroissance de la Pio dépend également de plusieurs facteurs, influençant eux aussi indirectement le VOT :

- La vitesse des articulateurs (l’apex de la langue et les lèvres se déplacent plus rapidement que le dos ou l’arrière de la langue), pouvant également contribuer aux VOT plus courts observés pour les occlusives alvéolaires que palatales (Hardcastle, 1973).

- La surface de contact langue-palais plus important pour les vélaires (contact avec le dos de la langue) que les palato-dorsales où l’apex est alors concerné (Stevens et al., 1999). La surface d’occlusion est également un paramètre articulatoire qui fait varier la vitesse du phénomène de relâchement occlusif. En effet, en théorie plus la surface de contact entre les articulateurs de l’occlusion est grande et plus la force de l’effet de Bernoulli est importante. Ce qui induit un délais plus long de stabilisation des pressions, et donc une diminution proportionnelle de la vitesse d’ouverture des articulateurs (Stevens et al., 1999).

En lien avec la pression intra-orale, le degré de compression labiale est également plus important sur des consonnes occlusives bilabiales non voisées /p/ que voisées /b/ (Lubker and Parris, 1970), soulevant la question de savoir si ces deux paramètres de Pio et de compression interlabiale sont directement corrélés. (Il est complexe d’estimer le degré de compression de la langue sur le palais pour les consonnes palato-dorsales et vélaires, c’est certainement pour cette raison méthodologique que la relation précédente ne semble pas avoir été généralisée au cas des occlusives non-labiales)

D’un point de vue fréquentiel, les variations de f0 au sein de la consonne (avant, durant et après l’occlusion) sont contraintes par l’aérodynamique (Delebecque et al., 2014) et la coordination entre expiration et augmentation de pression sous-glottique au moment du relâchement de l’occlusion (Boe, 1973).

Bien que le VOT et les variations de f0 au sein de la consonne soient en partie contraints par les facteurs précédents, ils peuvent cependant être contrôlés par le locuteur dans une certaine mesure : plus la vitesse articulatoire de relâchement de l’occlusion est importante, et plus le VOT sera court (Belasco, 1953; Löfqvist and Gracco, 1997; Sussman et al., 1973).

2.2. Contraintes et contrôle des bruits de plosion/friction

Le volume de la cavité d’occlusion (volume fermé derrière le lieu d’occlusion), dépendant du lieu d’articulation (Kuhn, 1975), a une influence déterminante sur :

- l’intensité et les caractéristiques spectrales du bruit.

- l’enveloppe spectrale du bruit de plosion: large et plate pour les alvéolaires et les labiales, mais compacte pour les vélaires.

Les locuteurs peuvent donc contrôler l’intensité du bruit de plosion, et le spectre des bruits de plosion en faisant varier la place d’articulation des consonnes (Chodroff and Wilson, 2014;

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Imbrie, 2005; Kirkham, 2011). Ces relations semblent non-linéaires : les variations de la place d’articulation dans la région antérieure génèrent des faibles variations des paramètres spectraux et de l’intensité du bruit de plosion, tandis que de faibles variations de la place d’articulation au niveau vélaire influence beaucoup les indices acoustiques (Osfar, 2011). Dans le cas de la production des consonnes fricatives (/s/, /f/, etc), le spectre du bruit de friction est contrôlé par l’aire de contact au niveau de la constriction et par le débit d’air expiré (Grandchamp, 2009). Bien que Delebecque et al (2014) et Pelorson (1997) montrent que plus l’occlusion est postérieure et plus le VOT est grand, et que la Pio est très fortement corrélée à la vitesse et au mouvement des articulateurs (plus la Pio augmente, et plus la vitesse des articulateurs au relâchement est importante), aucune étude ne semble revendiquer l’étude de l’influence des paramètres aérodynamiques (Pio, débit d’air expiré) sur l’intensité et le spectre du bruit de plosion des consonnes occlusives.

2.3. Contraintes et contrôle des transitions formantiques

Le volume de la cavité derrière l’occlusion, dépendant du lieu d’articulation (Kuhn, 1975), a également une influence déterminante sur les transitions des formants F2 et F3 : plus la cavité est petite (cas de /t/ par exemple), et moins la transition des formants F2 et F3 est « ample », i.e. les composantes spectrales F2 et F3 restent inchangées au cours de l’étape de transition. La fréquence du 1er formant F1 est principalement déterminée par la longueur du conduit vocal et son ouverture à l’extrémité des lèvres (Fant, 1960; Stevens and House, 1963). Plus précisément, F1 est influencé par le degré d’ouverture des lèvres et de la mâchoire, par le degré de dilatation du pharynx, par la longueur du conduit vocal (contrôlé par les mouvements verticaux du larynx ou la protrusion des lèvres) ou encore par le couplage oro-nasal.

La valeur de F1 peut également être influencée, dans une certaine mesure, par le degré d’ouverture du conduit vocal au niveau glottique (ouverture glottique, quotient ouvert laryngé) (Barney et al., 2007),

La rapidité et l’excursion en fréquence des transitions formantiques au moment du relâchement dépendent de la vitesse des articulateurs. Les fréquences initiales observées à la réapparition de la structure formantique dépendent aussi du voisement sous-jacent : ces fréquences initiales seront plus basses dans le cas d’un VOT court, et plus basses pour les consonnes voisées que pour les consonnes non voisées.

2.4. Variations des indices acoustiques et paramètres physiologiques en

fonction du mode et des conditions de production

2.4.1. Contextes et conditions variés de production de parole

Le débit de parole, influençant naturellement la vitesse des articulateurs au cours de la parole (Gay and Hirose, 1973), affecte le VOT des consonnes occlusives (Kessinger and Blumstein, 1998) : plus le débit de parole est élevé et plus le VOT est court.

15 Les paramètres physiologiques (Pio) et les amplitudes des déplacements des articulateurs ne sont pas significativement influencés par une variation du débit de parole (Sock and Löfgvist, 1995).

Dans le cas de la parole claire (parole Lombard ou autre), l’intensité des bruit de plosions est plus élevée (Picheny et al., 1989, 1986), les transitions formantiques sont plus longues (Chen, 1980), les variations des formants sont plus grandes (Moon and Lindblom, 1989), le degré de compression labiale est plus important (Turner et al., 2016 ; Schulmann 1988)

2.4.2. Dans le cas d’un mode de production : la parole chuchotée

Une consonne voisée chuchotée est produite sans vibration des plis vocaux. Pour autant, le trait de voisement continue d’être marqué (ou les consonnes voisées continuent d’être distinguées des consonnes non voisées) par d’autres indices et paramètres physiologiques :

- la durée d’occlusion: les locuteurs augmentent la durée des consonnes non-voisées (Osfar, 2011).

- la pression intra-orale (plus importante pour les non-voisées) (Osfar, 2011).

- la pression de contact inter-articulateurs.

Par ailleurs, plusieurs modifications acoustiques et physiologiques des consonnes occlusives sont observées en parole chuchotée, que ce soit pour les consonnes voisées ou non voisées :

- des intensités de bruit de plosion en moyenne 12 dB plus faibles que celles relevées en qualité modale (Meynadier, 2015; Meynadier and Dufour, 2016; Meynadier and Gaydina, 2013).

- la surface de contact inter-articulateurs au cours de la production des consonnes occlusives est plus petite qu’en parole modale (Osfar, 2011).

- Les maximas des centre de gravité spectraux sont plus élevés en parole chuchotée qu’en parole modale (Osfar, 2011).

3. Synthèse

La production des consonnes occlusives requiert une coordination gestuelle faisant intervenir aérodynamique, articulation supra-glottique. Pour l’intelligibilité et la différenciation des différentes consonnes occlusives, il est crucial de maîtriser la coordination fine de ces gestes. Plusieurs indices acoustiques permettent de différencier les traits phonétiques des consonnes occlusives (trait de voisement et lieu d’articulation). Plusieurs de ces indices acoustiques peuvent co-varier, principalement de par le fait qu’ils sous sous-tendus par un même geste. Les gestes de paroles peuvent être décrits au niveau articulatoire (cinématique et activités musculaires des mouvements), au niveau aérodynamique (Pio), et au niveau laryngé. Les différentes catégories d’occlusives (voisées vs. non voisées, labiales, alvéolaire ou vélaires, orales ou nasales) sont caractérisées par des variations significatives de ces gestes, ayant fait l’objet de très nombreuses études. En revanche, on connait encore moins comment la variation plus fine de ces gestes, au sein d’une même catégorie phonétique, affecte les caractéristiques acoustiques du son produit, en particulier du bruit de plosion

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La réalisation d’un geste de production d’une consonne occlusive modifie ces différents paramètres, et ce processus de contrôle global influence les indices acoustiques, piliers de la production et de la perception du son. Dans le cas de la production d’une consonne occlusive, des études antérieures se sont intéressées au contrôle de certains indices acoustiques, comme le VOT, les indices temporels (durée de la voyelle précédant l’occlusion, et durée de l’occlusion), la f0 initiale et les transitions formantiques. En revanche, aucune étude ne semble approfondir le contrôle (aérodynamique, laryngé et articulatoire) des paramètres spectraux et de l’intensité des bruits de plosion, également importants dans la discrimination inter-catégorielle des consonnes occlusives.

CHAPITRE 2

Contrôle musculaire des