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Discussion : contrôle musculaire des gestes de production des occlusives labiales

gestes de production des occlusives labiales

3. Discussion : contrôle musculaire des gestes de production des occlusives labiales

En observant les résultats ci-dessus dans leur ensemble, on peut tout d’abord souligner le fait que chaque descripteur cinématique montre une corrélation maximale avec les activités musculaires dans une phase distincte du mouvement de production de l’occlusive labiale : le degré de compression dans les phases P2 et P3 qui sont justement celles où l’écrasement des lèvres a lieu, la vitesse de fermeture dans la phase P1 où les lèvres se ferment et la vitesse d’ouverture dans la phase P4 où les lèvres se ré-ouvrent simultanément au relâchement de la pression intra-orale. Cette observation globale soutient déjà l’intérêt de la décomposition en 4 phases du mouvement d’occlusion labiale proposée dans ces travaux.

Dans ces résultats, nous avons fixé un seuil arbitraire pour définir la significativité des pentes de régression linéaire (seuil : 0.1). Ce seuil, conservateur en absolu, est cohérent avec celui utilisé pour les deux chapitres précédents, mais est bien évidemment discutable, il a été choisi en observant les nuages de points et dans un souhait de distinguer les relations de l’ordre du bruit (lié à la variabilité des données) de celles plus effectives.

Le degré de compression est systématiquement contrôlé par les activités des muscles OOS en phase P2, DLI et OOI en phase P3. Le muscle OOS est un « constricteur », et le muscle DLI un « dilatateur », leur contribution dans le contrôle du degré de compression labiale respectivement dans la phase P2 (phase de compression) et P3 (décompression) est conformes aux connaissances générales sur leur rôle et leur fonctionnalité.

Si l’on raisonne en termes de fonctionnalité musculaire, il n’est pas étonnant d’observer que les muscles MENT et OOI contribuent en phase P2 au degré de compression labiale, de la même manière que le muscle DIG en phase P3 peut participer au relâchement de la tension musculaire péri-orale.

Pour la phase P2 du mouvement, les relations de contrôle qui sont les moins attendues sont les relations fortes (uniquement pour les groupes de sujets G2 et G3, i.e. ¾ des sujets) entre les activités des muscles DIG et DLI et le degré de compression. Pour la phase P3, les relations non attendues sont les relations entre les activités des muscles MENT et OOI avec le degré de

129 compression (pour tous les sujets) et les relations entre l’activité du muscle OOS et du degré de compression (pour ¾ des sujets).

Ces résultats vont dans le sens des observations réalisées par Schuman et al (2010) (cf. CHAPITRE 2). En effet, Schuman et al observent également des activités fortes du muscle DLI associées à la compression des lèvres (Figure 70), dont l’amplitude est d’ailleurs du même ordre de grandeur que les activités du muscle OOS. Plus intéressant encore, ils observent également en phase de décompression labiale (i.e. abaissement de la lèvre inférieure pour une mandibule immobile) que les muscles MENT et OOI sont très fortement recrutés, les amplitudes de leurs activités sont similaires à celles observées sur le muscle DLI (Figure 71). Schuman et al interprètent ces observations en terme de coactivation musculaire, en accord avec la notion de synergie défendue par Latash (Latash et al., 2007), dont le but est de stabiliser les tissus mous au cours d’un mouvement cinétique. Deux autres hypothèses non proposées par Schuman et al pourraient également expliquer certains de ces phénomènes :

-L’anticipation motrice : le muscle DLI commencerait à être recruté avant le mouvement de dépression labiale (au cours de la phase P2), par anticipation.

-La contamination d’un couple d’électrodes par l’activité musculaire d’un autre muscle adjacent : La densité de l’anatomie orofaciale pourrait tout à fait induire de tels phénomènes de diaphonie.

-Pour étudier ces trois hypothèses, nous pouvons nous attarder sur certains coefficients d’inter-corrélations des activités musculaires qui nous questionnent.

-Les activités des muscles DIG et DLI corrèlent très fortement avec l’activité du muscle OOS en phase P2 (respectivement RhoSpearman = 0.87 et RhoSpearman = 0.86).

-L’activité du muscle DLI en phase P2 est fortement corrélée avec son activité en phase P3 (RhoSpearman = 0.61), ce qui n’est pas surprenant mais qui ne permet pas de réfuter l’hypothèse de l’anticipation motrice.

-Les activités des muscles MENT et OOI corrèlent très fortement avec l’activité du muscle DLI en phase P3 (respectivement RhoSpearman = 0.94 et RhoSpearman = 0.93).

Ajoutée aux corrélations ci-dessus, l’observation des patrons temporels d’activation musculaire du muscle DLI (cf. Figure 65) va également dans le sens de l’hypothèse de l’anticipation motrice : l’activité du DLI augmente progressivement (en phase P2) pour atteindre un maximum en phase P3 où son activité corrèle le plus fortement avec le degré de compression labiale. En revanche, ces différents arguments ne peuvent pas écarter la possibilité qu’un phénomène de coactivation musculaire (pour stabiliser le mouvement de compression en phase P2) ou de contamination musculaire (l’activité du muscle MENT en phase P2 contamine les électrodes voisines ciblant le muscle DLI).

Concernant le contrôle physiologique de la vitesse de fermeture des lèvres, il semble y avoir deux stratégies distinctes :

-Les ¾ des sujets (groupe G1) recrutent de manière significative les muscles « constricteurs » DIG/MENT/OOS/OOI pour gérer la variation de la vitesse de fermeture labiale permettant aux lèvres d’entrer en contact. Ces sujets se comportent d’une manière tout à fait attendue. Le ¼ des sujets restant (groupe G2) ne montre aucune corrélation forte entre leurs activités musculaires en P1 et la vitesse des lèvres en phase de fermeture labiale (P1), mais une relation forte et dont le coefficient de corrélation de Pearson est plus grand que 0.1 entre l’activité du muscle OOS en phase P2 et la vitesse de fermeture. Cette relation est dans un sens étonnant :

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plus le muscle OOS est relâché en phase P2 et plus la vitesse de fermeture est importante. L’hypothèse que nous faisons pour expliquer cette particularité individuelle motrice est que le pic de vitesse de fermeture des lèvres arrive tardivement, une fois que les lèvres sont en contact. Ainsi, plus l’OOS sera contracté pour gérer le geste de compression et plus le maximum de vitesse de fermeture des lèvres sera faible.

Figure 70 : recrutements musculaires péri-oraux obtenus par Schuman et al (2010) pour la compression labiale. Electrodes 25, 26, 27, 28 : OOS (droit et gauche). Electrodes 29, 30, 31, 32 : OOI. Electrodes 33, 34, 39, 40 :

MENT. Electrodes 35, 36, 41, 42 : DLI.

Figure 71 : recrutements musculaires péri-oraux obtenus par Schuman et al (2010) pour l’abaissement de la lèvre inférieure. Electrodes 25, 26, 27, 28 : OOS (droit et gauche). Electrodes 29, 30, 31, 32 : OOI. Electrodes 33,

131 Enfin, pour le contrôle musculaire de la vitesse d’ouverture des lèvres, comme pour la vitesse de fermeture ci-dessus, il semble y avoir deux stratégies :

-Le groupe G2 (composé d’un quart des sujets) ne montre aucune relation pertinente entre les descripteurs EMGs et la vitesse d’ouverture des lèvres. Pour ces sujets, l’ouverture des lèvres pourrait être un geste « balistique » relativement passif musculairement provenant d’une accumulation d’énergie dans le geste de compression et d’une accumulation de pression derrière l’occlusion labiale. Les paramètres aérodynamiques sont à ce moment là les meilleurs candidats pour expliquer de manière significative les variations de la vitesse d’ouverture.

-Les ¾ des sujets (groupe G1 et G3) utilisent 4 muscles en phase P4 du mouvement de production des occlusives labiales (DIG, MENT, DLI et OOI), et le muscle DIG en phase P1, pour contrôler la vitesse d’ouverture des lèvres. L’action significative des muscles DIG et DLI en phase P4 n’est pas surprenante : celle du DIG va dans le sens d’un mouvement non seulement labial mais aussi mandibulaire (la mandibule s’ouvre également lorsque l’occlusion labiale est relâchée) et celle du DLI dans celui d’un mouvement d’ouverture labiale classique. Les relations surprenantes observées entre les activités des muscles OOI et MENT en phase P4 et la vitesse d’ouverture labiale peuvent s’expliquer également selon les 2 hypothèses défendues un peu plus haut (coactivation et/ou contamination). En effet, les activités des muscles MENT et OOI en phase P4 corrèlent très fortement avec les activités des muscles DLI et DIG en phase P4 (RhoSpearman > 0.8). Les relations fortes qui sont observées entre l’activité du muscle DIG en phase P1 et la vitesse d’ouverture des lèvres peuvent s’expliquer par l’hypothèse de la cible virtuelle, proposée par Brunner et al (2011) et détaillée dans le CHAPITRE 5: plus l’activité du DIG est forte pour fermer la mandibule (et donc les lèvres), plus la cible virtuelle est haute (on imagine une absence de contact labial qui permet à la trajectoire des lèvres de se poursuivre), et donc plus la vitesse d’ouverture est importante.

4. Conclusion

En généralisant les résultats présentés dans l’article de Cattelain et al (2018) (ANNEXE 6), les données physiologiques, articulatoires et cinématiques acquises simultanément dans mes travaux de thèse ont permis de :

1- Décrire temporellement l’activation musculaire de chaque muscle péri-oral (Digastrique, Mentalis, Dépresseur de la Lèvre Inférieure, Orbicularis Oris Inférieur et Supérieur) au cours de la production d’un mouvement de parole, ici de production des consonnes occlusives du français.

2- Montrer l’intérêt d’une analyse temporelle plus détaillée de l’activité musculaire lors des consonnes occlusives.

3- Identifier des descripteurs musculaires corrélés de manière reproductible au degré de compression labiale. Ces descripteurs sont reproductibles d’un segment de parole à un autre et d’un locuteur à un autre. Il s’agit de l’activité du muscle OOS en phase P2 et l’activité du muscle DLI en phase P3.

Partie 4