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Une des particularités intéressantes de notre étude est qu’elle permet d’explorer pour chaque indice acoustique l’existence de stratégies individuelles de contrôle, ou d’une stratégie globale commune à tous les sujets ?

Dans le cadre de stratégies générales, nous pouvons discuter de l’efficacité et de l’effort relatifs que chaque groupe de sujet va mettre en place pour contrôler les indices acoustiques, le but étant toujours que ces derniers soient perçus correctement, quelles que soient les conditions expérimentales (effort, débit, mode). Une perspective à mes travaux de thèse serait d’ailleurs de réaliser des tests perceptifs afin d’étudier le lien entre perception des indices et efficacité/effort requis.

En parole modale, pour les consonnes labiales, on peut par exemple dire (cf. sections 2.1.1.3 et 2.1.5.3 du CHAPITRE 5) que :

- Les sujets 1, 2, 3, 5, 9 et 11 jouent principalement sur la pression intra-orale pour contrôler l’augmentation de l’intensité acoustique du bruit de plosion et sur les vitesses des articulateurs pour contrôler la diminution de la durée du bruit de plosion.

- Les sujets 4, 6, et 10 jouent sur l’ensemble des paramètres (Pio, vitesses des articulateurs, degré de compression labiale) pour augmenter l’intensité du bruit de plosion et sur les vitesses des articulateurs pour contrôler la diminution de la durée du bruit de plosion. - Le sujet 8 joue sur l’ensemble des paramètres (Pio, vitesses des articulateurs, degré de

compression labiale) pour augmenter l’intensité du bruit de plosion et principalement sur la durée d’occlusion pour diminuer la durée du bruit de plosion.

- Les sujets 7 et 12 jouent principalement sur les vitesses articulatoires pour augmenter l’intensité du bruit de plosion et diminuer sa durée.

De la même manière, en parole modale, pour les consonnes linguales, on peut dire (cf. sections 2.1.1.3 et 2.1.5.3 du CHAPITRE 5) :

- L’ensemble des sujets joue de la même manière sur la durée d’occlusion pour diminuer la durée du bruit de plosion.

- Les sujets 4, 6, et 10 jouent sur tous les paramètres pour augmenter l’intensité acoustique du bruit de plosion.

- Les sujets 7 et 12 jouent principalement sur la pression intra-orale et la durée d’occlusion pour contrôler l’intensité du bruit de plosion

- Les sujets 1, 2, 3, 5, 8, 9, et 11 jouent principalement sur la pression intra-orale.

En s’aidant du Tableau 8 et du Tableau 10 dans le CHAPITRE 5, on peut avancer par exemple que pour obtenir une même intensité acoustique en prononçant un /lapa/, les sujets 4, 6, et 10 « fourniront » moins de pression intra-orale que les sujets 7 et 12. Ces deux derniers vont donc faire plus d’efforts respiratoires.

Certains sujets sont donc plus efficaces que d’autre pour contrôler de manière aérodynamique, articulatoire, et cinématique l’intensité et la durée des bruits de plosion. Une analyse comme celle proposée dans ces travaux de thèse permet donc de mettre en perspective ce type de caractéristiques motrices. Une description fine des différences d’efficacité dans le contrôle des indices acoustiques pourrait s’avérer cruciale dans une étude

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sur les stratégies de contrôle fonctionnelles en parole pathologique (type bégaiement, parkinson) : l’hypothèse étant que pour obtenir un même résultat acoustique au niveau perceptif, une personne qui bégaie (par exemple) doit fournir un niveau d’effort plus élevé aux niveaux respiratoires, laryngés et articulatoires ainsi qu’au niveau de l’activité musculaire sous-jacentes à ces gestes de production (cf. CHAPITRE 6).

Une piste pour poursuivre cette analyse serait d’observer les tendances de contrôle homogènes au sein d’un même groupe de sujet, en raisonnant en multi-paramétrique dans les modélisations. On pourrait imaginer que deux groupes de sujets puissent utiliser de manière pertinente le même paramètre pour contrôler un indice acoustique, mais avec un poids différent. Ils utiliseraient alors d’autres paramètres pour compenser l’effet du premier et obtenir un résultat similaire en sortie. Cette étude plus complexe des mécanismes fins de contrôle serait intéressante pour affiner la modélisation fonctionnelle de la production des consonnes occlusives.

9. Bilan global et ouvertures scientifiques

Le point fort des résultats présentés dans ces travaux de thèse est qu’ils permettent de généraliser à un ensemble de locuteur des stratégies de contrôle des caractéristiques acoustiques des bruits de plosion. De plus, en répondant aux questions posées dans l’introduction de ce manuscrit et en s’appuyant sur les tableaux présentés en ANNEXE, nous sommes en mesure de quantifier les relations entre paramètres aérodynamiques, articulatoires et caractéristiques acoustiques des bruits de plosion.

La Figure 72 fait le bilan des relations que l’on observe dans nos résultats, en parole modale à débit normal (les autres modes de productions s’appuient sur ce modèle, avec les spécificités discutées plus haut dans ce chapitre). On peut commenter ce modèle générique de la manière suivante :

- Pour augmenter l’intensité acoustique du bruit, les locuteurs semblent jouer sur 5 paramètres de contrôle principaux : les paramètres de l’articulation labiale pour la production des consonnes occlusives labiales, la vitesse de déplacement de la langue pour les consonnes occlusives palatales et de manière générale la pression intra-orale et la durée de l’occlusion. La durée d’occlusion, coordonnée par l’ensemble des paramètres physiques, est la seule dont la relation avec l’intensité est influencée par le lieu d’articulation.

- Pour diminuer ou augmenter la durée du bruit, les locuteurs semblent pouvoir jouer sur 2 paramètres : sur la durée de l’occlusion, résultante d’une coordination de paramètres physiologiques, et pour les consonnes occlusives labiales sur la vitesse de déplacement des lèvres.

- Les paramètres physiologiques de notre base de données n’ont pas montré de corrélation significative avec le Kurtosis du bruit.

- Enfin, pour diminuer le centre de gravité spectral du bruit de plosion, ou augmenter son Skewness (i.e. rendre plus ou moins aigu le spectre du bruit), les locuteurs semblent jouer sur la position antérieure-postérieure de l’apex de la langue.

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Figure 72 : Synthèse fonctionnelle et générale des relations de contrôle des indices acoustiques du bruit de plosion (parole modale, débit normal). Les flèches blanches représentent la présence d’influences des variables

expérimentales sur les relations de contrôle.

Certaines ouvertures scientifiques et limites de notre travail peuvent être à considérer

-D’un point de vue méthodologique, certains aspects seraient importants à reconsidérer dans l’acquisition d’une base de données multi-paramétriques pour l’étude de la production des consonnes.

o La notion d’effort articulatoire me semble importante, mais il sera pertinent de la contrôler davantage (à l’aide d’un feedback sur un des paramètres par exemple), dans l’idée de pouvoir l’inclure comme variable conditionnelle et expérimentale.

o Il serait intéressant d’étiqueter, ou d’extraire automatiquement à l’aide de méthodes de machine learning, l’indice de Voice Onset Time (VOT, cf. CHAPITRE 1), et les transitions formantiques. Le VOT, très étudié par ailleurs, est un descripteur acoustique crucial et discriminant des consonnes occlusives du français. Ainsi, affiner nos connaissances sur son contrôle pourrait s’avérer pertinent dans une étude similaire à celle menée au cours de mes travaux de thèse.

o Pour une plus grande précision dans la mesure de la vitesse tangentielle de la langue, il serait intéressant de calculer la vitesse à des points de chair de la langue différents selon le lieu d’articulation consonantique.

o Un travail d’approfondissement pourrait être mené sur les descripteurs laryngés : ils devraient être mesurés sur la phase d’occlusion, et surtout ils seraient intéressants en lien avec le VOT.

-Les données de ma thèse, tout comme les résultats, forment une base de données complète qui peut être utilisée dans l’avenir pour étudier d’autres problématiques scientifiques sur le contrôle moteur de la production des consonnes occlusives du français.

-Les méthodologies d’acquisition de données et d’analyses de mes travaux de thèse peuvent être utilisées à nouveau pour étudier le contrôle dysfonctionnel dans le cas de la parole pathologique (type bégaiement, dysarthrie parkinsonienne, etc).

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