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Nous avons vu à travers le modèle de Nonaka et Takeuchi que la création de connaissances nouvelles collectives et apprentissage organisationnel est possible, d'une part, dans une dimension épistémologique de la connaissance représentée par la dualité sujet/objet : le savoir et savoir-faire, et d'autre part, dans la dimension ontologique de la connaissance représentée par la dualité moi/autres : la relation avec les autres.

Nous avons vu aussi l'importance de la production des connaissances comme un levier de productivité dans l'entreprise, d'abord pour améliorer la productivité des ouvriers dans une économie de production (1930) caractérisée par l'émergence du taylorisme et fordisme, puis comme un levier d'avantage concurrentiel et compétitif afin d'améliorer la productivité des travailleurs de la connaissance dans (1) une économie de service (1960) caractérisée par l'émergence de l'analyse

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stratégique de ressources dans une société de l'information ; et (2) une économie globalisée (1990) caractérisée par l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) supportées à travers l'internet/intranet/externet avec le paradigme de l'entreprise élargie99, l'outsourcing, l'e-entreprise ou l'e-business.

Un résultat évident de cette évolution du monde industriel est l'accumulation de données, d'informations, de connaissances et de compétences, que les entreprises doivent aujourd'hui gérer, mais non pas dans un esprit de compétition par la recherche d'avantage concurrentiel ou compétitif, mais plutôt dans un esprit de collaboration guidé par la recherche d'avantage coopératif ou "coopétitif", en employant le terme de Prax, qui ouvre l'ère de "l'être économique nouveau", selon le terme d'Hervé Sérieyx utilisé par Prax. A cet égard, nous percevons le terme "compétitif" comme le contraire de concurrentiel lorsqu'il dit que « l'entreprise a appris à collaborer avec tout son environnement professionnel : clients, fournisseurs, distributeurs, et même concurrents. La collaboration devient alors sa principale force, bien plus que la compétition : on parle alors d'avantage coopératifs ».

Pour Gérard Balantzian dans son livre Après l'avantage concurrentiel, l'avantage

coopératif, Le partenariat, la coopération, l'alliance stratégique (publié en 1997) « le modèle

d'organisation taylorienne fondée sur l'unité de temps, de lieu et d'action laisse progressivement la place au travail coopératif et à l'emploi juste-à-temps ». Il déclare également que « nous sommes entrés dans un type de société de la matière grise et du savoir déjà largement évoqué par des auteurs comme Alvin Toffler ou Peter Drucker. Le savoir et l'art de l'influence sont les nouveaux pouvoirs. Le XXe siècle fut le siècle de l'explosion, du développement et de l'épanouissement de la société industrielle. Le XXIe siècle sera celui de l'immatériel où les biens "invisibles" seront plus appréciés qu'ils ne le furent durant le siècle précédent ». Pour lui l'avantage coopératif est « un avantage décisif en s'appuyant sur le partenariat interne et externe. Cette coopération où l'on peut être allié mais différent (voir concurrent) permet des formes de rapprochements d'objectifs, d'activités et de ressources permettant de prendre une longueur d'avance. Chacun des partenaire peut garder son autonomie et son identité mais s'associer à l'autre autour d'une vision partagée du progrès ».

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Selon Prax « l'idée de "l'entreprise élargie" est d'améliorer le fonctionnement d'un réseau professionnel par une transparence totale d’information, de savoirs et de savoir-faire entre les différents acteurs de la chaîne de conception- production … même s'ils sont concurrents ».

--- Cela signifie, qu'aujourd'hui les enjeux pour les entreprises sont autour de la maîtrise de cet avantage coopératif, comme dans le passé récent il était autour de l'avantage concurrentiel ou compétitif durable. La performance passe désormais par la gestion des connaissances autour du

business de l'entreprise, c'est-à-dire dans la capacité qu'a l'entreprise d'intégrer ce qu'elle veut faire

(sa stratégie), ce qu'elle peut faire (ses ressources) et ce qu'elle sait faire (ses compétences). Maintenant la performance passe avec les autres, mais en gardant son autonomie et son identité. Et donc, dans un paradigme d'avantage coopératif, concurrentiel ou compétitif, la connaissance et l'apprentissage sont le principal capital de l'entreprise.

A ce sujet Prax déclare que « la création de connaissance devient un axe culturel majeur et la performance de l'entreprise est calculée en termes de capital intellectuel et de création d'idées ». Dans ce cadre, les enjeux sont autour de l'organisation (méthodes de travail), et de la gestion (modes de management) et donc des NTIC du KM, qu'il faut adopter pour survivre comme un tout dans une économie globalisée (moi, toi et les autres). Cette idée se reflète aussi chez Farey et Prusak « l'ambition du knowledge management réside dans la dissémination des savoirs pour permettre à de nouvelles idées de germer, réduire le temps de développement de nouveaux produits et engendrer de meilleures décisions. La connaissance est créée et développée par des hommes ; le système de knowledge management doit donc savoir connecter les items de savoir avec les hommes qui savent l'utiliser ».

En parcourant, ainsi l'histoire de notre société industrielle comme un système d'organisation du travail nous est apparu la source d'autre avantage, ce que nous appelons, l'avantage collectif. En effet, dans ces trois époques (production, économie de service, et économie globalisée) la connaissance est prise d'abord comme un levier de productivité, puis comme un levier d'avantage concurrentiel ou compétitif, et enfin comme un levier d'avantage coopératif. Ceci implique que la gestion des connaissances dans une économie globalisée (l'outsourcing du travail) exige la coopération de l'autre, ce qui n'est plus le cas dans une économie de service telle que nous la vivons aujourd'hui (modèle de Nonaka et Takeuchi). Autrement dit, serions-nous prêts à partager nos connaissances avec d'autres (voire une entreprise concurrente) ? Comme l'a si bien dit Gérard Balantzian « saurions-nous négocier le virage dans une démarche partenariale ? … la raison majeure de notre carence réside dans le fait que dans ces transformations, l'économie dite de service, est considérée comme une économie de l'intelligence ou une économie de la matière grise … tandis que l'économie globalisée exige de l'intelligence et de la connaissance coopérative ». D'ailleurs, l'aspect social de la gestion des connaissances amplifie le fait que, sans les individus il

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n'y a pas de création de connaissances et d'apprentissage organisationnel, alors que l'aspect technique de la gestion des connaissances indique que, sans les NTIC du KM, la connaissance créée ne pourra pas être mobilisée comme information à travers un réseau de communication, de coordination, et de coopération, d'une part de l'extérieur vers l'intérieur (pour accumuler le savoir et le capital innovateur de l'entreprise), et d'autre part de l'intérieur vers l'extérieur (afin de garantir la pérennité de l'entreprise à travers de nouveaux produits et services). Dans, ce contexte, la gestion des connaissances existe dans un plan moral et éthique100 plus que social ou technique, c'est ce que nous appelons : système d'organisation du travail dans un paradigme d'avantage collectif101.

Un exemple de ce système est le modèle autopoïétique proposé par Fernando Flores (le

réseau de compromis social). Ce modèle (qui a été inspiré de l'approche de l'enaction de Maturana

et Varela), offre un progiciel pour analyser les flux conversationnels d'une entreprise. Néanmoins, dans la pratique, le rejet social de la démarche de Flores (au Chili) nous renvoie aux mouvements syndicaux de l'époque de Taylor. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une lutte de classe, mais plutôt d'une lutte de pouvoir entre celui qui sait et celui qui ne sait pas.

Conclusion du chapitre

Nous avons présenté dans ce chapitre, l'état des lieux bibliographique de la gestion des connaissances. En particulier nous avons mis en évidence :

- premièrement, les arguments "commerciaux" sur la question : qu'est-ce que la gestion des

connaissances ? C'est ainsi que nous avons passé en revue les discours de Wendi Bukowitz, Ruth

Williams, Karl Sveiby, Leif Edvinsson, René-Charles Tisseyre, Jean-Yves Prax, et Jean-Louis Ermine102. Cette mise en revue a permis de mettre en évidence ces enjeux autour de la gestion des connaissances, par le biais des NTIC du KM supportés par des sociétés de conseils en information, tels que : PricewaterhouseCoopers, Sveiby, Capgemini, CorEdge, et le Club Gestion des Connaissances, où ces auteurs sont concernés. Ces discours ont été symbolisés à travers la dualité cartésienne âme/corps, et la dualité cartésienne cognition/action (pour le Club Gestion des

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Ce plan moral et éthique de la gestion des connaissances est l'un de 4 Repères essentiels pour la gestion des

connaissances dans l'entreprise que nous développerons dans le chapitre 3.

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Le terme "collectif " correspond, d'une part, à la collaboration (point de vue social), et d'autre part, à la dynamique circulante de 3 "C" du groupware, à savoir : communication, coordination, et coopération (point de vue technique). Nous parlons aussi de système d'organisation du travail par avantage collectif.

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--- Connaissances). Ces enjeux ont permit aussi de passer en revue les "métiers du savoir", tels que : Knowledge Manager, Chief Knowledge Officier, Chief Learnig Officier, etc.

- deuxièmement, l'aspect social et l'aspect technique de la gestion des connaissances nous ont permis de développer une approche sociotechnique (un framework) pour (1) approcher la question fondamentale : qu'est-ce que la connaissance ? ; (2) nos écarter d'un souci commercial autour de la gestion des connaissances ; et (3) faire le clivage des différentes contributions. C'est ainsi qu'ont été mis en évidence quatre perspectives, à savoir : l'approche organisationnelle de Nonaka et Takeuchi (fondée sur le concept de knowledge creating-company) ; l'approche biologique de Maturana et Varela (fondée sur le concept de l'enaction) ; l'approche managériale de Jean-Louis Ermine (fondée sur le concept de la marguerite) ; et l'approche de NTIC du KM. Cette démarche nous a permis de dégager les mécanismes de création de connaissances nouvelles et d'apprentissage organisationnel d'un point de vue social et technique.

- troisièmement, les approches organisationnelle, biologique, managériale, et NTIC du KM ont été caractérisées à travers des mécanismes de création de connaissances nouvelles et d'apprentissage organisationnel. Ces mécanismes, représentés au travers des verbes à l'infinitif, ont été utilisés pour généraliser les mécanismes de la gestion des connaissances selon l'aspect social et technique.

- quatrièmement, nous avons décrit la connaissance, à partir des origines de la connaissance industrielle. Ceci a permis de dégager trois grandes époques : l'économie de production (1930), l'économie de service (1960) et l'économie globalisée (1990). Dans ces trois époques la connaissance a été prise d'abord comme un possible levier de productivité, puis comme un levier d'avantage concurrentiel ou compétitif, et enfin comme un levier d'avantage coopératif. Cette vision historique, a permis aussi de passer en revue les "concepts du savoir", tels que : knowledge worker (1967), knowledge society (1969), learning organization (1990), systems thinking (1990), actionable knowledge (1996), knowledge-creating company (1995), information ecology (1997), information age (1997), knowledge-based economy (1997), corporate knowledge (2000), corporate longitude (2000), knowledge-based assets (2000), etc.

La conclusion générale de ce chapitre est qu'au carrefour de ces quatre approches, deux concepts sont le fondement de la problématique essentielle de la gestion des connaissances. L'un est le concept de "faire-évoluer" les connaissances, c'est-à-dire de créer de nouvelles connaissances là,

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où il n'y a pas de savoir. L'autre est le concept de "faire-émerger" la connaissance, c'est-à-dire de créer des connaissances nouvelles à partir d'une représentation non symbolique de la réalité103. En effet, tous les modèles de gestion des connaissances104 de nos jours sont gérés à partir du passé (les bonnes pratiques, le retour d'expérience, la communauté de pratiques, etc.) et non pas à partir de l'avenir (l'inconnu, le chaos, le désordre, etc.). Nous pensons que les concepts "faire-évoluer" et "faire-émerger" la connaissance sont fort intéressants pour réfléchir sur la question.

C'est d'ailleurs ce deuxième concept que nous développerons davantage dans cette thèse105. Nous ferons ceci à travers la connaissance imparfaite, en plaçant notre modèle de gestion des connaissances, tout d'abord sur l'aspect social (union, identité, autonomie), puis sur l'aspect technique (communication, coordination, coopération). Dans ce modèle la capacité de l'entreprise pour créer, apprendre et mobiliser son savoir (ou connaissances) seront visualisées à travers un système d'organisation du travail collectif qui permet à la fois la gestion des compétences, des connaissances et l'innovation durable. Pour nous, ces trois conditions sont essentielles pour bâtir une vraie culture d'entreprise autour d'un avantage collectif.

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Dans le chapitre 3 nous étudierons, d'une part, le concept de "faire-évoluer" les connaissances selon l'approche de l'enaction de Karl Weick [Weick, 79] mis en évidence par Tounkara, dans sa thèse, intitulée Gestion des Connaissances et

Veille : vers un guide méthodologique pour améliorer la collecte d'informations (publiée en 2002), et d'autre part, celui de

"faire-émerger" la connaissance selon l'approche de l'enaction de Maturana et Varela [Varela, 96]. 104

Ici nous faisons référence au "catalogue" du KM fait par l'équipe de recherche ACACIA à l'INRIA Sophia Antiopolis, dirigée par Rose Dieng, à partir des ouvrages : Méthodes et outils pour la gestion des connaissances (publié en 2000), et

Méthodes et outils pour la gestion des connaissances : une approche pluridisciplinaire du Knowledge Management

(publié en 2001). 105

Dans cette thèse nous sommes loin d'offrir un modèle pour "faire-évoluer" ou "faire-émerger" la connaissance. Néanmoins, cette thèse a le mérite de caractériser la problématique de la gestion des connaissances par ces deux concepts.

Chapitre 2

Les racines de l'arbre de la gestion des