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1 Introduction générale

1.2 La structuration du paysage estuarien

1.2.3 Les différents processus sédimentaires

1.2.3.1 Le phénomène d’érosion

L’érosion est le processus durant lequel la vitesse de courant induit la mobilité de particules sédimentaires déposées sur un substrat. Ce phénomène se déclenche lorsque la vitesse de courant au voisinage du fond, considérée comme une contrainte de cisaillement, est suffisamment importante pour dépasser la gravitation, la friction et les forces de cohésion qui maintiennent les grains en contact avec le substrat (Partheniades, 1965). D’après les travaux Hjulstrom (1955), la vitesse du courant (cm/s) doit dépasser un seuil qui varie en fonction de la taille (µm) des particules (Figure 4A). Les travaux de Hjulström sont indicatifs, car les conditions d’expérimentation retranscrivaient exclusivement un courant laminaire, or dans l’environnement, les courants répondent à un régime turbulent. Cependant, les résultats montrent que les sédiments grossiers sont transportés sous la contrainte d’une vitesse de courant plus importante que les particules plus petites. Paradoxalement, dans le domaine des particules les plus fines, du au phénomène de cohésion, la vitesse de courant doit dépasser un seuil plus haut qu’en présence de particules fines isolées. En effet la cohésion des particules sédimentaires modifie les propriétés physico-chimiques du sédiment (Grabowski et al. 2011) et finalement

l’érodabilité du dépôt sédimentaire (Postma, 1967 ; Figure 4B). Ainsi, l’érodabilité diminue lorsque la cohésion du sédiment augmente. De plus, l’état de consolidation du dépôt de sédiments fins cohésifs, dépendant du contenu en eau, influence l’érodabilité du sédiment (Mehta & Partheniades 1982, McCave 1984, Dade et al. 1992). Un sédiment fortement consolidé (contenu en eau faible) a alors un potentiel d’érosion moins important (Figure 4B).

Figure 4 : Les diagrammes (A) Hjulström et (B) Postma (1967) des seuils d’érosion, de transport et de dépôt en fonction de la taille moyenne des particules (échelle x et y logarithmique ; d’après Dade et al. 1992).

Les caractéristiques biologiques du dépôt sédimentaire contrôlent aussi l’érodabilité du sédiment. En effet, certaines espèces d’organismes benthiques, les organismes bioturbateurs (Annélides, Crustacés, Mollusques), ont une influence positive sur l’érodabilité. La bioturbation est définie comme la perturbation physique du sédiment par les activités de transport et de prédation de la faune benthique (Kristensen et al. 2012). La bioturbation a pour conséquence le déplacement et le mélange des particules sédimentaires (remaniement sédimentaire) et/ou le déplacement de l’eau à travers les terriers (bioirrigation ; Solan & Wigham 2005, Meysman et al. 2006, Maire et al. 2008). Au contraire, d’autres organismes benthiques, les organismes biostabilisateurs (microalgues benthiques; Stal 2010), ont une influence négative sur l’érodabilité (Orvain et al. 2007, Soares & Sobral 2009, Li et al. 2017). Les biostabilisateurs sont des organismes qui augmentent la résistance du sédiment à l’érosion comme le tapis microbien vivant à la surface du sédiment (Mitchener & O’Brien 2000, Andersen et al. 2010) ou les racines des espèces halophiles présentes dans les prés-salés (Chen et al. 2012). De plus, les végétaux halophytes augmentent la probabilité de dépôt de particules (Mudd et al. 2010) en diminuant les vitesses de

courant (Fagherazzi et al. 2012) et ont donc aussi un rôle à jouer sur le processus de dépôt sédimentaire.

1.2.3.2 Le phénomène de dépôt

Le phénomène de dépôt s’effectue lorsque la turbulence dans la colonne d’eau diminue suffisamment pour que la vitesse de chute de la particule permette le transport vertical jusqu’à la surface du substrat. La vitesse de chute des particules suit la loi de Stokes et est alors dépendante de la viscosité du fluide, de la taille et de la densité des particules sédimentaires. Cependant, en respectant la loi de Stokes, une particule fine isolée (argile granulométrique) ne pourrait pas se déposer. Comme vu précédemment, les sédiments fins ont un caractère agrégatif ; ainsi la vitesse de chute est aussi dépendante de l’état d’agrégation des particules sédimentaires, appelés flocs (Manning & Dyer 2002). Les sédiments fins vont former des flocs de tailles différentes : les microflocs (< 125 µm) et les macroflocs (> 125 µm ; Eisma 1986). Le phénomène de floculation dépend de nombreux facteurs comme l’énergie de turbulence, la concentration de matière en suspension dans la colonne d’eau, la force ionique de l’eau dépendant en partie de la salinité et de la présence de particules organiques chargées négativement, la compaction après dépôt, les efflorescences algales, etc. (van Leussen 1994, McAnally & Mehta 2001, Maggi 2005, Verney et al. 2009).

1.2.3.3 Le transport sédimentaire

D’après les travaux de Hjulström (Figure 4A), lorsque le courant est suffisamment fort pour éroder le dépôt sédimentaire, après que le seuil de mobilité soit atteint, les particules peuvent présenter différents modes de transports en fonction de la concentration en particules mais aussi de leur densité

Dans le cas de faible concentration en particules :

Si la densité des particules est inférieure à celle du fluide, alors ces dernières se déplacent par flottaison à la surface du fluide porteur,

Si la densité des particules est supérieure à celle du fluide, ces dernières se déplacent par charriage, saltation et suspension.

Le transport par charriage, saltation et suspension peut être continu, sous entendant l’absence de collision avec d’autre particules, ou discontinu, résultant de l’entravement des particules entres elles. Dans le cas de forte concentration de particules (pas le cas dans les estuaires) les particules se déplacent selon le phénomène de mass flow engendrant des courants de turbidité au fond de la colonne d’eau comme observé par exemple au large du Congo formant des lobes terminaux.

Il est à noter que lorsque le courant est suffisamment fort pour dépasser le seuil d’érodabilité des dépôts fins (p.ex. argiles granulométriques), les particules cohésives sont détachées en paquet ou en paillette plutôt qu’en particules isolées. Il est important de souligner dans le cas des estuaires macrotidaux dominés par la marée que le transport net sédimentaire est dirigé vers le continent et a pour conséquence le comblement à long terme de l’estuaire. Ce phénomène est basé sur le modèle proposé par Postma (1967) et est présenté Figure 5. Une particule sédimentaire déposée au point 1 est remise en suspension durant la marée montante aussi longtemps que la vitesse du courant de flot est au-dessus du seuil de la vitesse de remobilisation. Cette particule sédimentaire se dépose ensuite au point 2, à l’étale de haute mer (vitesse des courants tidaux faible), après un temps de latence dépendant de sa vitesse de chute. La particule est alors remise en suspension et transportée jusqu’au point 3 lors de la marée descendante par le courant de jusant. Elle se dépose une nouvelle fois après un temps latence, durant l’étale de basse mer. La distance entre les points 1 et 3 représente le transport sédimentaire net vers le continent au cours d'un cycle de marée confirmant qu’à long terme, les estuaires macrotidaux dominés par la marée, caractérisés par une asymétrie de marée, se comblent significativement par l’apport de sables marins.

Figure 5 : Schéma du transport net de particules vers le continent dans le cas d’un estuaire macrotidal d’après Postma (1967). Lors du flot une particule est remise en suspension après que la vitesse du courant atteigne la vitesse de remobilisation (1), elle se déplace en direction de l’amont du cours d’eau (vers la rivière) puis finalement sédimente car la vitesse du courant est trop faible (inférieure à la vitesse de remobilisation). Ce même processus se réalise lors du jusant mais la direction du courant induit le déplacement de la particule en aval du cours d’eau (vers la côte). Dans un estuaire macrotidal, l’asymétrie de marée induit des vitesses de courants lors du flot plus puissants que lors du jusant. Après chaque cycle de marée la particule sédimentaire se déplace progressivement en amont du cours d’eau.

En fonction des intensités des forçages hydrodynamiques mais aussi des propriétés physiques, chimiques des particules sédimentaires, un arrangement spatial va réaliser une structuration non aléatoire des différents étages tidaux. Le paysage estuarien va alors subir au gré des variations diurnes (marées) ou encore saisonnières (étiage, crue, tempête) une perpétuelle restructuration de la mosaïque des faciès biosédimentaires.