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1 Introduction générale

1.3 Dynamique de la matière organique dans les estuaires

1.3.4 Caractérisation géochimique de l’origine de MO sédimentaire

1.3.4.1 Caractérisation des sources de MOP

La MOP est constituée principalement de protéines, de lipides, d’acides nucléiques et de polysaccharides (Canuel & Hardison 2016) dont les éléments majoritaires, dans le cas de la MOP d’origine marine et estuarienne (phytoplancton marin, MPB) sont dans l’ordre décroissant : le carbone, l’azote, et le phosphore (Redfield 1963). Étant donné, que la MOP est constituée principalement de carbone et d’azote, la caractérisation des sources potentielles et de l’origine de la MOP à la surface du sédiment s’appuie sur ces deux éléments majoritaires.

1.3.4.1.1 La composition élémentaire en carbone et azote organique

L’identification des sources de MOP est basée sur des caractéristiques géochimiques de la MOP, incluant principalement le rapport atomique du contenu en carbone organique total (COT) versus celui de l’azote total (NT ; p.ex. Thornton & McManus 1994, Yu et al. 2010, Middelburg 2018).

Sous l’hypothèse que la MOP ne subit pas de transformations diagénétiques, principalement issue de la minéralisation (dans la colonne d’eau et à la surface du sédiment), la composition élémentaire en carbone et azote de la MOP, varie en fonction de sa source, soit dans le cas d’un environnement estuarien : continentale, marine, estuarienne et fluviatile. Cette identification repose sur les différences structurales et physiologiques entre les plantes vasculaires (halophytes) qui synthétisent des tissus de soutien riche en cellulose (COT/NT >12) et les organismes autotrophes non vasculaires (p.ex. les macroalgues, MPB, phytoplancton ; COT/NT = 4 - 6 ; Lamb et al., 2006)

Figure 8 : Gamme de valeurs typiques des différentes source de MOP, de carbone organique particulaire (COP) et de carbone organique dissous (COD) dans les environnements côtiers (d'après Lamb et al., 2006)

Bien que certaines sources de MOP différents entre elles vis-à-vis du rapport élémentaire COT/NT, le chevauchement de ce rapport entre certaines sources, par exemple entre les microalgues benthiques et le phytoplancton, rend difficile une identification exacte de la source de MOP à partir de la caractérisation géochimique issue du rapport COT/NT (Canuel and Hardison, 2016; Figure 8). Ainsi, l’utilisation exclusive du rapport COT/NT dans le but de déterminer les sources de MOP ne permet pas de discriminer avec précision les différences par exemple entre une source estuarienne, marine et fluviale. Dans ce travail de recherche, le rapport isotopique carbone (13C/12C) a alors été utilisé en combinaison avec le rapport COT/NT (Figure 8).

1.3.4.1.2 Le rapport isotopique 13C/12C

L’utilisation combinée du rapport COT/NT et des rapports isotopiques notamment du carbone (13C/12C) ou encore de l’azote (15N/14N) est courante afin d’identifier et tracer, avec plus

de précision les sources de MOP (Thornton & McManus 1994, Middelburg & Nieuwenhuize 1998). Les isotopes stables du carbone 13C/12C sont exprimés selon la notation conventionnelle ‘δ’ (Coplen 2011) :

δ13Csource ou δ15Nsource (‰) = [(Rsource/Rréférence)–1]

avec R = 13C/12C ou 15N/14N et pour références le Vienna Pee Dee Belemnite (V-PDB) pour les valeurs de δ13C et l’azote de l’air ambiant (N2) pour les valeurs de δ15N.

Dans les environnements estuariens, les valeurs de δ13C des producteurs primaires varient principalement selon le mode de fixation du CO2, comme par exemple, les plantes terrestres en C4 (cycle de Hatch-Slack) qui fixent une plus grande part de 13CO2 en comparaison des plantes terrestres en C3 (Cycle de Calvin) mais aussi de la disponibilité en CO2 dans le milieu ou encore de la température (Vogel 1980, O’Leary 1990, Fry 1996, Choi et al. 2001). Finalement, à partir de la Figure 8, le couplage du rapport COT/NT et du rapport isotopique du carbone 13C/12C permet une discrimination plus précise des différentes sources potentielles de MOP dans les environnements côtiers. La détermination des sources de MOP correspond à un travail préliminaire important à réaliser dans le but final de déterminer à partir d’échantillons de sédiments, l’origine de la MOP déposée dans les estuaires. Cependant, en conséquence des processus de la diagénèse précoce qui s’effectue de la synthèse de la particule organique jusqu’à son enfouissement à long terme, la caractérisation précise de l’origine de MOP sédimentaire peut s’avérer complexe (Meyers 1994).

1.3.4.2 Caractérisation de l’origine de la MOP à la surface du sédiment Après sa bio-synthétisation, la MOP va subir au cours du temps des transformations physiques et chimiques issues des processus de la diagénèse précoce qui se réalise dans la colonne d’eau mais aussi et surtout dans les sédiments superficiels. La diagénèse précoce du sédiment regroupe l’ensemble des processus biologiques, chimiques et physiques qui modifie les propriétés physiques et chimiques du sédiment mais aussi la composition originelle des particules organiques et minérales déposées (Berner 1980).

La composition isotopique ou élémentaire malgré une forte capacité de conservation peut être modifiée par les processus de la diagénèse précoce comme la minéralisation microbienne (Berner 1980). En effet, le rapport COT/NT peut être modifié suite à une dégradation préférentielle des composants les plus labiles, avec pour résultat une perte de réactivité de la MOP

(Arndt et al. 2013). La variation du rapport élémentaire COT/NT se traduit par un appauvrissement de la fraction organique en composés azotés (p.ex. protéines) et un enrichissement en composés carbonés difficilement hydrolysables (p.ex. cellulose ; Canfield 1994), conduisant à augmentation de sa valeur et donc une surestimation des apports de MOP provenant des végétaux terrestres supérieurs. De plus, toujours en conséquence de la dégradation microbienne, la composition isotopique initiale du carbone peut varier à différents ordres de grandeur en fonction de la période durant laquelle la fraction organique est dégradée mais aussi de la labilité de la MOP (Kaplan & Rittenberg 1964, Stout et al. 1975). Dans le cas d’une fraction organique réfractaire (lignine) issue de Spartina anglica, sur une période de 10 ans, la valeur de δ13C varie -13,1 à -17,2 ‰ (Benner et al. 1987). De plus, la MOP sédimentaire résulte souvent d’un mélange de différentes sources de MOP comme provenant des détritus de plantes vasculaires et des constituants de tapis microbiens, induisant une valeur du rapport atomique COT/NT et de δ13C intermédiaire aux deux sources (Tenore 1982). La MOP sédimentaire est aussi mélangée à la fraction inorganique du sédiment susceptible d’enrichir la fraction en NT due à la présence d’azote inorganique (p.ex. NH4+) issue des argiles minéralogiques (Müller 1977). En fonction de la quantité d’azote inorganique mesurée, par des mesures directes (p.ex. extraction au KCl ; Laima, 1992) ou indirectes, (à partir de l’interception dans une projection orthonormée de la quantité de NT en fonction de la quantité de COT), les rapports COT/NT sont corrigés(Meyers 2003).

D’autres méthodes sont utilisés dans le but de caractériser plus précisément l’origine ou encore la composition de la MO. La datation du carbone par l’étude du radio-isotope le plus stable du carbone, le carbone 14 (demi-vie de 5730 ans), permet de dater les particules de MO étudiées. En couplant cette approche de datation avec la caractéristique (δ13C), il est possible de déterminer avec plus de précision, les sources et la dynamique de la MO en milieu estuarien. Dans les estuaires, le Δ14C de la MOD varie entre -81 et 51‰, alors la MOP varie généralement entre -190 et 156‰ (Canuel and Hardison, 2016). Autre méthodes qui permet de déterminer plus précisément les sources de la MO, l’utilisation des biomarqueurs est envisagée. Les biomarqueurs les plus communément utilisées dans les environnements marins sont les lipides et notamment les catégories des hydrocarbures, alcools/stérols et acides gras (Wakeham and Beier, 1991 ; Volkman and Tanoue, 2002). Les biomarqueurs sont spécifiques à une sources ou une catégorie taxonomiques (Dalsgaard et al., 2003; Iverson, 2009 ; Canuel and Zimmerman, 1999; Canuel, 2001). Les acides gras sont constituées d’une chaine carbonée linéaires qui peuvent être classés

selon leur degré d’insaturation, c’est-à-dire le nombre de doubles liaisons présentes (Budge et al., 2006). En fonction du degré d’insaturation des chaines carbonées, l’état de dégradation de la MO peut être déterminé. En effet, les chaines carbonées mono-et polyinsaturées sont rapidement dégradées dans les systèmes aquatiques contrairement à celles saturées plus résistantes à la dégradation (Meyers and Eadie, 1993). De plus, à partir de l’étude des acides gras, il est possible de déterminer l’origine de la MO en fonction de marqueurs de biosynthèse tels que les ‘fatty acid trophic marker’. En fonction du groupe taxonomique synthétisant la MO, la structure des acides gras seront spécifiques et reconnaissables, comme dans le cas des bactéries présentant des acides gras ramifiés (iso-/anteiso C15 et C17; Dalsgaard et al., 2003; Volkman et al., 1980), ou encore dans le cas des producteurs primaires marins (tels que les macroalgues et les phytoplancton) comprenant des chaines carbonées de types 20:5ω3 et 22:6ω3 (Cook, 1996 ; Sargent and Henderson, 1995).