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1 Introduction générale

1.2 La structuration du paysage estuarien

1.2.4 La mosaïque des dépôts sédimentaires

La mosaïque de faciès biosédimentaires rencontrée de l’étage subtidal à supratidal d’un estuaire macrotidal tempéré (mixte ou dominé par la marée) est principalement composée de corps sédimentaires sableux (bancs, plateforme), de vasières et de prés-salés, comme observé dans un système estuarien mégatidal, la baie de Fundy (Canada ; Dalrymple et al., 1990).

Le sable marin constitue des barres de sable allongées et des étendues de sable planes (10 à 103

m). Ces types de dépôts sont localisés plus communément à l’embouchure de l’estuaire, dans les chenaux (primaires et secondaires) ou encore à proximité de ces derniers lorsque les conditions hydrodynamiques le permettent (Dalrymple et al. 1992). Les barres de sable sont parallèles aux chenaux alors que les étendues planes de sable se situent à des niveaux topographiques plus élevés. Au moment de se déposer les particules sableuses s’organisent sous l’influence des forces hydrodynamiques qui se traduit par des structures sédimentaires appelés figures de courant

(Chamley 1987). Les figures sédimentaires à la surface de ces corps sableux sont dessinées par les courants tidaux mais aussi par l’influence de la houle (Dalrymple et al. 1990). Les rides formées par l’action du courant, qui sont les principales figures sédimentaires rencontrées à l’intérieur des estuaires mixtes comme les estuaires picards, ont une taille conditionnée par la force du courant et la taille des particules déposées (Chamley 1987). La combinaison de ces deux paramètres donne lieu à une grande diversité de figures sédimentaires incluant les lits plats inférieurs, les rides de courant (hauteur de 0,3 à 0,6 cm ; Figure 6A), les vagues de sable, les mégarides (hauteur de 60 cm à 1,5 m), les lits plats avec mouvement de particules, les antidunes (Davis & Dalrymple 2012). Ces figures sédimentaires sont observées uniquement dans des dépôts sédimentaires sableux. Aux étages tidaux plus élevés, avec des conditions hydrodynamiques plus faibles, le dépôt de sédiments plus fins (argiles granulométriques, silts) forme des corps sédimentaires constitués de sédiments cohésifs, tel que les vasières.

Figure 6 : Diversité des faciès sédimentaires incluant (A) des sédiments sableux présentant en surface, lorsque les conditions hydrodynamiques le permettent, des rides de courant, (B) des sédiments fins cohésifs déposés dans des conditions hydrodynamiques peu intenses, (C) des sédiments fins cohésifs présentant une zone de microfalaise avec une faible érosion ou (D) une érosion plus intense entre la vasière et le pré salé.

Les vasières (Figure 6B) sont définies, d’après le SCOR3 Working Group 106, comme un environnement morpho-sédimentaire caractérisé d’une alternance entre des lamines de sédiments fins et des lamines de sédiments grossiers. La composition et l’épaisseur de couches de sédiment permettent de différencier les dépôts résultant du flot, de l’étale de haute mer, du jusant et de l’étale de basse mer mais aussi démontrent l’influence des vagues sur la sédimentologie des vasières (Le Hir et al. 2000). Les micro-falaises d’érosion (Figure 6C) sont observées dans les vasières situées dans la section où le chenal est méandriforme. Ces figures d’érosion sont issues de la divagation autocyclique des chenaux (Pringle, 1995). La présence d’une falaise d’érosion, dans la partie haute des vasières accompagnées parfois de galets mous témoigne d’événements antérieurs d’érosion provoqués par la hausse de l’intensité des courants, par exemple dues indépendamment ou conjointement aux crues, aux tempêtes et aux marées exceptionnelles (Figure 6D). Les vasières intertidales ont une forte dynamique saisonnière avec des périodes d’accrétion et d’érosion (Yang et al. 2008) contrôlées par la disponibilité en particules fines (Gao 2009) mais aussi par les processus physiques, géochimiques et biologiques influençant directement l’érodabilité du sédiment cohésif (Grabowski et al. 2011). L’accrétion verticale nette est majoritairement dépendante de l’altitude du substrat (Morris et al. 2002, Temmerman et al. 2004). Dyer et al. (2000) divisent les vasières en trois zones (bas, milieu et haut) distinguables par la distribution granulométrique partiellement dépendante de l’altitude du substrat et de la pente. Ils concluent que l’exposition aux vagues et la pente sont les facteurs les plus discriminants pour la classification des vasières. Les vasières, dans les environnements estuariens tempérés macrotidaux, après avoir atteint une altitude optimale sont colonisées par une végétation pionnière halophyte, transformant ainsi les vasières en prés salés.

Les prés salés ou schorres, terme emprunté au néerlandais schor qui désigne un «terrain d'alluvions», correspondent à une zone estuarienne végétalisée, calme et protégée, où des sédiments fins d’origine marine et continentale peuvent s’accumuler (Allen 2000, Davidson-Arnott et al. 2002). Il peut être distingué, en fonction de la contribution de la fraction organique et minérale à l’accrétion verticale, les prés salés minérogéniques où le dépôt de la fraction minérale est supérieur à la fraction organique et inversement les prés salés organogénique. Ces

plateformes végétalisées se localisent à des niveaux topographiques les plus élevés dans les estuaires et leur morphologie se caractérise par une étendue plane ou faiblement convexe. Les prés-salés ont une dynamique de sédimentation proche des vasières avec une accrétion verticale nette dépendante de l’altitude du substrat (Marion et al. 2009) mais aussi de la végétation qui accentue la sédimentation de particules (Cahoon et al. 1996). Leur dynamique de progradation est dépendante du succès de colonisation des espèces pionnières. Par exemple, la colonisation par Spartina sp. s’effectue majoritairement à partir de l’enracinement d’un fragment de rhizome transporté par les courants tidaux (Daehler & Strong 1994, Sánchez et al. 2001) ou par la germination de graines dont le succès peut être compromis par la bioturbation (Marks & Truscott 1985, Emmerson 2000). La colonisation du sédiment par la végétation pionnière comme le genre Spartina sp. enclenche alors une boucle de rétroaction positive qui conclut sur une avancée des prés-salés sur les vasières adjacentes (Hubbard 1965, Thompson 1991). Des perturbations hydro-sédimentaires telles que les tempêtes (van der Wal & Pye 2004), la migration du chenal principal (Pringle 1995) ou le dragage du chenal principal (Cox et al. 2003) provoquent des érosions latérales significatives des prés-salés. En conséquence, la végétation pionnière disparait, et une modification morpho-sédimentaire comme la présence d’une microfalaise d’érosion (Figure 6D), séparant nettement la vasière du pré salé, et est associée avec le retrait partiel et localisé de la flore du bas des prés-salés. Le bas du pré salé correspond à la zone immature de la plateforme végétalisée avec un équilibre sédimentaire précoce entre le sédiment et la colonne d’eau conduisant à des taux de sédimentation plus importants, une altitude moins grande et à un sédiment moins compacté que le haut du pré salé qui correspond à la zone mature, à l’équilibre avec la colonne d’eau, pourvue d’une végétation dense et de méandres fermés.

Les estuaires, par leur localisation, sont tributaires de différentes sources, marine et continentale, de particules sédimentaires qui en fonction de leurs propriétés mais aussi des forçages hydrodynamiques, vont structurer le paysage estuarien au gré des jours (marée), des saisons (tempête, crue) et des années. Le paysage estuarien va alors être constitué de sous-ensembles organisés le long d’un gradient tidal et différenciable par leurs propriétés sédimentologiques ou encore biologiques, définissant ces sous-ensembles comme des faciès biosédimentaires. Finalement la description de ces faciès biosédimentaires selon leurs propriétés sédimentologiques et biologiques constituent une approche originale, peu utilisée dans des études

qui visent à comprendre la distribution spatiale et l’origine de la matière organique particulaire dans les environnements côtiers (Andrews et al. 2000, Sakho et al. 2015).