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3.3. Modalités d’application des missions internationales dans l’ancien espace

4.1.1. Processus de mobilité en Croatie et en Bosnie-Herzégovine 1991-1995

Le conflit en Croatie généra son lot de réfugiés et de déplacés internes. Cette crise des migrations forcées a néanmoins subi de grandes variations temporelles et spatiales. Dans ces conditions, il est possible de discerner quatre vagues (Stubbs 1999, 21). Le premier flot s’est caractérisé par la production d’un nombre élevé de déplacés internes (dont les sommets auraient été atteints en novembre 1991) qui auraient fui les territoires croates occupés par les rebelles serbes, au cours des premières manifestations systématiques des pratiques de nettoyage ethnique, avant qu’elles ne deviennent courantes en Bosnie-Herzégovine. En effet, la création de la République sécessionniste serbe dans la région de la Krajina a conduit plus de 200 000 citoyens d’origine croate à chercher refuge au sein des aires où ils constituaient une majorité (IDMC 2009, 41). La deuxième vague, débutant en avril 1992, est constituée par plus de 350 000 réfugiés, essentiellement croates, provenant de la Bosnie-Herzégovine. Un troisième afflux considérable de déplacés est attribué aux violences au sein de la république autoproclamée d’Herceg-Bosna, entre les milices croates et bosniaques, qui provoquent la fuite d’individus dont la majorité constitue également des membres de la communauté croate de la Bosnie-Herzégovine. Enfin, le dernier flot fait suite aux deux opérations militaires croates, en Slavonie occidentale et en Krajina, destinées à récupérer les portions territoriales que s’étaient appropriés les serbes au début du conflit. Ces deux offensives, en mai et en août 1995, se traduisent par des vagues de

déplacements de grande ampleur et dont les contingents sont spécifiquement composés de serbes, tentant de fuir en Slavonie orientale, encore sous contrôle serbe, en Republika Sprska, en Bosnie- Herzégovine, ou en Serbie (IDMC 2009, 41). Alors que l’opération Éclair entraine le départ d’environ 12 000 serbes, l’opération Tempête occasionne le déplacement de plus de 200 000 personnes issues de la même origine. Dans ces conditions, la composition ethnique de la Croatie se modifie profondément, avec la réduction drastique du pourcentage des citoyens de nationalité serbe, qui passe de 12% de la population à seulement 3%, à la fin du conflit (Stubbs 1999, 22).

Le déplacement des populations, en Bosnie-Herzégovine, a également connu plusieurs vagues qui se sont même perpétuées après la fin du conflit, à la suite de la signature des Accords de Dayton qui a conduit à de nouvelles modifications sur le terrain. De plus, les situations migratoires en Bosnie-Herzégovine et en Croatie sont étroitement imbriquées dans la mesure où les déplacements forcés des bosniaques croates, par exemple, se sont traduits par une augmentation des cohortes de personnes déplacées qui ont choisi la Croatie comme terre d’exil. Inversement, les développements militaires du conflit en Croatie ont pu entraîner une production accrue de réfugiés ayant cherché l’asile en Bosnie-Herzégovine. L’opération Tempête, par exemple, s’est accompagnée par la fuite d’une portion significative de la population serbe, dont plusieurs ressortissants ont rejoint leurs concitoyens en Republika Srpska. Dans ces conditions, identifier des vagues distinctes au cours desquelles on constate une augmentation substantielle des départs précipités d’une région donnée constitue une tâche plus complexe, d’autant plus que les déplacements se sont produits de façon diffuse et massive tout au long du conflit, en plus de se perpétuer après la guerre. En outre, plusieurs villages et municipalités bosniaques ont connu de nombreuses vagues migratoires, avant la guerre, se caractérisant par la relocalisation des migrants, de la campagne à la ville. En effet, les données de l’époque révèlent que l’urbanisation et l’industrialisation constituaient les tendances sociales et économiques les plus importantes,

entre 1945 et 1990 (Belloni 2007, 130); alors qu’en 1948, plus de 72 % de la population bosniaque vivaient de l’agriculture, en 1971, ce nombre ne s’élève plus qu’à 36% (Andjeli! 2003, 29). Dans ces conditions, tel que mentionné précédemment, « the war acted as a 'social

accelerator' of an existing process, causing the urbanization of tens of thousands of citizens »

(Belloni 2007, 130). Or, avec l’irruption des violences, ces tendances revêtent un caractère plus spécifique par lequel les bosniaques musulmans et croates étaient portés à fuir les régions sous domination serbe pour les aires au sein desquelles leurs groupes ethniques respectifs formaient la majorité alors que les serbes entreprenaient la démarche inverse. La plupart des réfugiés et des déplacés internes d’origine musulmane ont été forcés de quitter leurs localités d’origine par les forces armées serbes, particulièrement au cours des premiers mois du conflit, durant l’année 1992 (IDMC 2009, 17). À la suite du déclenchement des hostilités dans la partie centrale de la Bosnie- Herzégovine, en 1993, entre les bosniaques croates et musulmans, le pays se retrouve avec une nouvelle vague de déplacés. Cela dit, au cours du conflit, un processus spécifique se développe et complexifie le phénomène des migrations forcées. En effet, à mesure que les populations fuyaient les régions qui tombaient aux mains de l’autre groupe ethnique, délaissant leurs propriétés (volontairement ou sous la menace) et ce, afin de rejoindre les régions où elles deviendraient majoritaires, leurs logements rendus vacants (qui n’étaient pas détruits) tendaient à être récupérés par d’autres réfugiés, nouvellement arrivés et encouragés par les autorités à en prendre possession. Ces logements devaient alimenter une dynamique par laquelle à mesure que des mouvements de population se produisaient, le processus conduisant aux échanges involontaires de populations s’accélérait pour mener, ultimement, à l’homogénéisation progressive de la Bosnie-Herzégovine. À la fin de la guerre, plus de la moitié des 4,4 millions d’habitants se trouvaient en position de déplacement, desquels 1,3 millions à l’intérieur même des frontières de l’État bosniaque (UNHCR 2001).