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L’élaboration des solutions envisagées afin de régler le sort des réfugiés nécessite d’être fondée, dans un premier temps, sur la compréhension des raisons spécifiques à l’origine des déplacements forcés. Il convient, en effet, de saisir dans toute sa complexité, la dynamique des migrations involontaires bien au-delà de la simple hypothèse que tous les réfugiés sont soumis uniformément aux mêmes conditions structurelles engendrées par le conflit et dont le seul réflexe serait de fuir la violence dans un élan spontané. Cette interprétation de l’expérience complexe que représentent les déplacements de populations, surdéterminée par des forces plus larges, considérées comme entièrement extérieures aux réfugiés eux-mêmes, dépouillent simultanément ceux-ci de toute agence et de la capacité de réaliser, en dépit des lourdes contraintes imposées par la situation, des choix en vertu d’un calcul rationnel des possibilités qui peuvent s’offrir à eux, même dans un tel contexte. En effet, « academics, other researchers, government policymakers,

and international agencies…appear to so powerfully inform current research with a macro-level paradigm of forced migration that situational, individual, interpersonal, cultural, historical, and cross-contextual variability are often neglected; many research-generated representations of refugees consequently exhibit a dreary similarity that belies great on-the-ground variability

(Indra 1999, 3 citée par Lubkemann 2008). Bref, contrairement à la catégorie des migrants volontaires, les migrations se produisant pendant un conflit se comprennent généralement comme étant forcées et involontaires. Or, comme le souligne à juste titre Koser « the category of refugee [seems] to be no more than a social construction that masks empirical similarities between

refugees and other migrants » (Koser 1997). L’environnement et les processus qui génèrent de

tels mouvements présentent certainement des différences fondamentales mais il semble important néanmoins de convenir que les individus déplacés sont en mesure, malgré les restrictions, d’effectuer certains choix. Or, la recherche sur le phénomène des migrations involontaires est largement dominée par un biais structuraliste qui la fait rechercher les causes des déplacements forcés au sein du contexte plus large, telle que la guerre civile, la répression et la négation des droits humains par un État autocratique ou la famine et la pauvreté (Edwards 2001, 15). Les déplacements forcés de population sont ainsi perçus uniquement en réaction aux facteurs macro- structurels, les réfugiés étant généralement considérés comme de simples victimes auxquelles n’est pas conféré le statut d’acteur. Alors que les conditions macro-politiques favorisant les migrations involontaires sont largement explicitées, les protagonistes, en revanche, sont souvent sanglés dans des comportements prédéterminés. Les réfugiés sont ainsi uniformément identifiables à travers leur fuite et cohabitent, au sein de l’analyse structurelle, au côté des victimes, qui subissent la violence et des combattants qui la perpètrent (Lubkemann 2008, 12). Dans ces conditions, les réponses politique élaborées à l’égard du problème s’articulent autour de l’identification des causes initiales (root causes) et de la nécessité de s’attaquer aux enjeux jugés à la source des mouvements de population. Or, comme le suggère Edward :

While concerted efforts to end violent conflict, address poverty, and compel respect for human rights are just and important for normative reasons that include and extend far beyond addressing displacement crisis, these efforts are difficult, prone to failure and exceptionally incremental. We then wind up with an international community that largely recognizes the same problem and generally agrees on its root causes, but is unable and/or unwilling to address those causes in a way that is consequential for the actual individuals displaced in the immediate (Edward 2007, 15).

La compréhension des mécanismes divers qui sont à l’origine du phénomène du déplacement, autant au niveau de la décision de fuir une localité que par rapport au choix de

réintégrer son foyer, s’avérerait pourtant cruciale à l’élaboration de politiques efficaces à l’égard des migrants involontaires. Elle permettrait également de saisir les variations importantes propres au processus de réintégration des réfugiés au sein de localités caractérisées par des conditions structurelles similaires. Quelles sont les dimensions contextuelles et les considérations individuelles qui sont déterminantes au niveau de la dynamique des retours ? Quelles sont les implications de ces facteurs? Selon Serrano, il est possible de dégager de la plupart des études de cas, s’attardant à l’expérience des personnes déplacées, trois sources de motivations à l’origine de la décision d’un individu de réintégrer ses assises territoriales : l’attachement aux racines, les motifs économiques et le désir de justice (Serrano 2009, 22-3). Dans l’ensemble, le principal obstacle au retour constitue la menace de la violence et donc, lorsque cette barrière est supprimée, il est généralement admis que la solution naturelle représente la réintégration. Ainsi,

[It is possible to] begin with the assumption that people make a choice about whether to remain in their locations of displacement, in (varying degrees of) possession of their land and material wealth, or to abandon these in favour of somewhat uncertain life back in the place from which they flew. […] Assume also that people value their physical security (i. e. their lives, health and physical safety), and will not return if they fell their security is substantially threatened in the place of return. Finally, assume that people maintains beliefs about the future course of events and […] maintain specific beliefs about their personal safety in the place of return. Given these assumptions, our task is to specify the information that people will monitor in order to sustain or revise their beliefs (Serrano 2009, 25).

La décision liée au retour peut donc être assujettie à de nombreuses considérations et les paramètres utilisés par les réfugiés se distinguent souvent des critères établis par les agences impliquées au niveau du processus de rapatriement (Black et Koser 1999, 113). À cet égard, plusieurs auteurs soulignent l’importance de l’information disponible aux populations déracinées, sur leur lieu d’origine, afin qu’elles soient en mesure d’effectuer des choix éclairés. Au sein d’un

contexte post-conflit, le caractère volontaire d’un retour dépend précisément de la possibilité des réfugiés d’évaluer la situation au sein de leur pays d’origine, en fonction des renseignements qu’ils reçoivent, dispensés par les organisations internationales et les réseaux migratoires, et de confronter ceux-ci avec leur condition en exil. En outre, l’opportunité pour les individus déplacés de soumettre leurs décisions à un calcul leur permettant d’établir les coûts et les bénéfices potentiels d’un retour renforce également les chances que celui-ci soit véritablement durable et participe ainsi à la réconciliation et à l’implantation de la paix.