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4.3. Enjeux relatifs au retour des réfugiés

4.3.1. Obstructionnisme local et politiques discriminatoires

La discrimination dont sont victimes les minorités a constitué, dans les premiers temps, un facteur dissuasif puissant et l’un des principaux obstacles au retour des populations déplacées dans les localités qu’elles avaient quittées. En effet, entre 1995 et 2000, les partis nationalistes, au pouvoir pendant les hostilités dans les deux anciennes républiques, renforcent leur emprise sur l’appareil gouvernemental, par le biais des élections post-conflit. De plus, la promiscuité qui a continué à caractériser les rapports entre le parti au pouvoir et l’appareil administratif est telle que l’attribution des emplois au sein du secteur public ne dépend pas seulement du critère ethnique mais également de l’affiliation politique (Stubbs 1999, 29). Dans ces conditions, ceux qui décident de revenir dans les régions où ils constituent désormais la minorité se heurtent à diverses mesures discriminatoires au niveau législatif et politique mais également dans le domaine administratif et même judiciaire. Il est vrai que les autorités ethno-nationalistes au pouvoir en Bosnie-Herzégovine et en Croatie ne sont guère réceptifs à l’égard d’un processus qui risque d’ébranler sérieusement leur assisse sur leurs constituants respectifs et de menacer les gains obtenus au terme des deux guerres.

En Republika Srpska, la réintégration des réfugiés, essentiellement croates et bosniaques, au sein de leur foyer d’origine peut compromettre la nature démographique de l’entité semi- autonome serbe, pour laquelle les serbes se sont battus, et qui a été consacrée par l’Accord de Dayton. Les croates de la Fédération de Bosnie et Herzégovine sont également réticents à

encourager le retour des bosniaques et des serbes à l’intérieur des municipalités qu’ils contrôlent dans la mesure où leur poids numérique étant le moins considérable par rapport aux deux autres peuples constituants, ils en viennent à craindre pour la survie de leur groupe ethnique et de leurs intérêts (Belloni 2007, 127). Quant à la Croatie, la préférence, reflétée par sa politique de rapatriement des réfugiés à l’égard des ressortissants d’origine croate et par les pratiques législatives injustes20 qui l’accompagnent, se manifeste par l’établissement d’une « différentiation civique » entre les aspirants au retour serbes et croates (Blitz 2005). En effet, durant les premières années après la signature de l’accord de paix, les autorités sont plutôt lentes à implanter des législations qui favoriseraient le retour des serbes, dont la plupart ont fui le pays à la suite des deux grandes offensives militaires de 1995. En revanche, le gouvernement de la Croatie, dirigé par Franjo Tu!man21, se montre prompt à encourager le retour des déplacés croates par la mise en œuvre de politiques favorables, mais exhorte également les réfugiés croates, provenant de la Bosnie-Herzégovine, à s’installer en terre croate dans le cadre de ce qui s’avère une véritable politique de recolonisation. La plupart des colons d’origine croate viennent de différentes régions bosniaques, notamment de Tuzla, Vare" et Zenica, au sein desquelles ils constituaient désormais une minorité (Leutloff-Grandits 2008, 378) et sont attirés par la relocalisation en Croatie en raison des diverses mesures favorables à leur égard, telles que l’attribution de la citoyenneté ainsi que l’octroi d’une résidence « abandonnée » par des familles serbes. Nous reviendrons, dans la prochaine section, sur ces dispositions avantageuses, relatives

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Comme il sera question dans la prochaine section, l’obstructionnisme des autorités croates se manifeste essentiellement au niveau de la repossession des habitations par les minorités serbes. Mais il trouve également son relais, comme nous le verrons, dans les mesures relatives à la validation des documents officiels, délivrés avant la guerre ou au sein de la RSK, et dans l’accès au marché du travail.

21 Président de la Croatie entre 1989 et 1999, année de sa mort, il fonde le parti HDZ au cours de la même année que

son élection. Anciennement général, durant l’ère communiste, il est emprisonné en 1971 en raison de sa participation au Printemps croate. Il proclame l’indépendance de la Croatie, en 1991 et représente également l’un des signataires de l’Accord de Dayton, avec Slobodan Milo"evi#, alors président de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie), de 1989 à 2000, et Alija Izetbegovi#, fondateur du SDA et président de la Bosnie- Herzégovine, entre 1990 et 1996.

aux lois foncières et de propriétés qui contribuent à perpétuer institutionnellement les pratiques de nettoyage ethnique qui avaient cours pendant la guerre. En Bosnie-Herzégovine, la résistance prend notamment la forme d’une menace voilée suggérant l’impossibilité, pour les autorités ethno-nationalistes, de garantir la sécurité des prétendants au retour qui appartiennent aux autres groupes ethniques. En effet, lorsque certains projets de retour sont mis en œuvre sans l’accord explicite des autorités locales, ces initiatives spontanées s’accompagnent souvent d’une résistance violente de la part de la majorité, où la complicité opaque des leaders locaux s’avère significative (Harvey 2006, 92). Dans le cas croate, l’obstruction s’exprime dans le champ judiciaire, dans un premier temps, avec la Loi de 1996 à l’égard de l’amnistie et de la persécution des crimes domestiques commis durant la guerre (Blitz 2005; Human Rights Watch 2004). En effet, à la fin du conflit, plus de 1500 serbes croates sont inculpés pour crimes de guerre bien que les accusations soient souvent basées sur des charges bancales et non fondées. De plus, les retournés, d’origine serbe, sont souvent victimes d’arrestations arbitraires, sous divers prétextes et ce, en dépit du fait qu’ils avaient été préalablement absolus, avant leur retour. Bien que les charges sont rapidement abandonnées par la suite, la menace potentielle d’une arrestation à leur arrivée en Croatie a dissuadé de nombreux serbes de revenir dans leur pays natal (Harvey 2006, 93).