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1.1 La population du domaine de l’asile

2.1.2 Le processus d’intégration

Ainsi, à l’instar de Wanner et al. (2002, p.8), nous préférons penser l’in-tégration comme un processus pouvant éventuellement résulter en une

assi-55. Cet ouvrage est un recueil de la manière dont dix-sept pays européens envisagent l’intégration. Les questions de définition du concept, de sa mesure et des politiques publiques mises en place sur ce sujet y sont détaillées pour chacun des Etats.

56. Alba et Nee (1997, pp.827, 863-864) rejettent quant à eux ces critiques, soutenant que le concept ne préjuge pas lequel des groupes – minoritaire ou majoritaire – adapte son mode de vie à l’autre. Ils estiment ainsi que le concept d’assimilation fait toujours sens aujourd’hui :

« As a state-imposed normative program aimed at eradicating minority cultures, assimilation has been justifiably repudiated. But as a social process that occurs spontaneously and often unintendedly in the course of interaction between majority and minority groups, assimilation remains a key concept for the study of intergroup relations. »Leur ouvrage retrace d’ailleurs l’historique du débat sur ce terme et son usage par différents auteurs.

2.1 Définitions 43 43 milation complète dans le cas où « les immigrants ou leurs descendants ne

présentent plus ni sur le plan culturel ni sur le plan structurel de spécifici-tés par rapport à la population des autochtones ».57 Précisons que nous ne considérons pas une telle assimilation comme un but à atteindre absolument : une telle posture soutiendrait en effet une vision extrêmement normative de la société, ce particulièrement en ce qui concerne le « gommage » des différences culturelles.

La figure 2.1 (page 45) présente schématiquement les différentes compo-santes du processus d’intégration telles que décrites par Wanner et al. (2002, pp.8-9)58 :

— L’intégration structurelle fait référence à l’intégration des étrangers dans la structure de classe de la société d’accueil, notamment sur le marché du travail, en termes de salaires et de types d’occupation, ou du point de vue du niveau de formation. Ce terme englobe également d’autres dimensions, telles que les questions de santé ou de logement.

En résumé :

What is called structural integration should allow immigrants to gain access to central social goods (e.g. schooling, professional education, labour market, health and welfare).(D’Amato et Suter, 2012, p.330) L’intégration sur le marché du travail est spécifiquement nommée inté-gration professionnelle ou économique: « economic integration, or the labor market success of immigrants » (De Vroome et Van Tubergen, 2010, p.376).

— L’intégration culturelledésigne, quant à elle, lestransformations cultu-relles dans les systèmes de valeurs, la langue parlée ou le mode de vie en général (Wanner, 2004b, p.8). L’emploi du terme « acculturation », utilisé souvent de manière synonyme, est toutefois porteur d’un sens plus négatif avec l’accent mis sur la perte de la culture d’origine. Dans

57. Bolzman distingue, quant à lui, le processus d’adaptation(qu’il qualifie de processus in-dividuel) de celui d’assimilation(qui serait collectif).« L’assimilationserait atteinte lorsque les réfugiés cessent d’être un groupe socialement visible, qu’ils ont des contacts avec des groupes primaires de la nouvelle société et qu’ils s’identifient à celle-ci. »(Bolzman, 1996, p.86) A terme, le processus d’assimilation supposerait ainsi la disparition du groupe eth-nique. Voir Bolzman (1996, pp.40-41) pour une présentation des définitions de ces concepts ainsi que le chapitre 4 de sa thèse pour une revue des processus et modèles dans les études sur l’adaptation des réfugiés en général. Notons que l’auteur préfère le terme « sociologie de l’exil » à celui de « sociologie des réfugiés », car cette dernière « souligne surtout la relation à la société de résidence » (Bolzman, 1996, p.12).

58. Nous insistons sur le fait que, bien que les composantes soient représentées dans ce schéma sous la forme de « cellules », il faut les lire comme desprocessusplutôt que comme desétats. De plus, il convient de souligner qu’au sens de Alba et Nee (1997), l’assimilation est la résultante de l’intégration structurelle et de l’intégration culturelle – les auteurs laissant de côté la question de l’intégration juridique. Notons enfin que l’Office fédéral de la statistique (OFS) adopte le même « découpage » pour décrire les composantes de l’intégration (Heiniger, 2002, p.11).

44 44 Chapitre 2. Intégration professionnelle : cadre théorique

le cas où l’intégration culturelle ne s’accompagne pas d’une intégration au niveau structurel, l’individu (ou le groupe) se retrouve en situation de marginalisation.

— L’intégration juridique est parfois ajoutée à la liste de ces processus comme regroupant « l’ensemble des conditions-cadre fixant le séjour de la personne étrangère dans le pays d’accueil. » (Wanner, 2004b, p.8) Cette dernière composante dépend plus directement de la volonté de la société d’accueil d’intégrer les populations étrangères que les deux premières composantes citées, sur lesquelles les migrants ont une plus grande possibilité d’agir. C’est la raison pour laquelle l’intégration ju-ridique est représentée en gris plus clair dans le schéma. Par ailleurs, Wanner et al. (2002, p.8) précisent que si l’intégration juridique peut être considérée comme aboutie au moment de l’obtention de la natio-nalité du pays d’accueil par naturalisation, les processus d’intégration structurelle et culturelle peuvent quant à eux se poursuivre au-delà de cette étape.59

Dans le cas où les différences entre migrants et société d’accueil restent marquées tant sur le plan structurel que culturel, on assiste à la formation deminorités ethniques. Notons toutefois que la constitution de minorités eth-niques peut être vue comme une étape du processus d’intégration, celles-ci pouvant jouer un rôle de « cocon protecteur » qui favoriserait l’adaptation graduelle des individus à la nouvelle société (Bolzman, 1996, p.86).

Ainsi, un grand nombre de cas de figure est envisageable, ce qui rend d’autant plus difficile toute tentative de synthèse sur le « niveau d’intégration » des étrangers :

Une multitude de combinaisons sont possibles, et la situation observée peut varier d’une communauté étrangère à l’autre. Ces combinaisons rendent la mesure d’indicateurs synthétiques d’intégration un exercice délicat, et contestable s’il n’est pas effectué avec prudence. L’intégration n’est en rien un phénomène univoque, mais résume une évolution dans différents domaines de la société parfois corrélés les uns aux autres, ou parfois indépendants.(Wanner et al., 2002, p.9)

Cette « multitude de combinaisons possibles » a fait l’objet de nombreuses recherches aux Etats-Unis, avec au premier plan les travaux de Portes et Rum-baut (1990) et Portes et Zhou (1993) qui introduisent les concepts d’assimilation

59. A cette liste succincte des composantes principales du processus d’intégration, Bolzman ajouterait d’autres domaines (certes moins souvent pris en compte), tels que l’adaptation sociale (« capacité d’établir des relations formelles et informelles avec des groupes et des individus de la société d’accueil ») et l’adaptation psychosociale (« capacité des réfugiés à surmonter les problèmes de santé psychique et physique liés au déracinement ») (Bolzman, 1996, p.44) – sur ce dernier point, voir également l’ouvrage de Pestre (2010) pour le regard d’une psychologue s’étant occupée de réfugiés et de personnes en cours de procédure d’asile.

Gordon (1964, p.71) propose également une liste des différentes « variables de l’assimilation ».

2.1 Définitions 45 45

Intégration juridique

Intégration structurelle

Intégration culturelle,

« acculturation »

Egalité des chances

Assimilation

Légende : [gris] composantes du processus d’intégration ; [blanc] outputs.

Source : adaptation des cas de figure présentés par Wanner et al. (2002).

Figure2.1 – Schéma des composantes principales du processus d’intégration segmentéeet des diversmodes d’incorporationobservés dans le contexte nord-américain. Au centre de leurs analyses se retrouvent la question des raisons poussant un groupe d’immigrants à s’intégrer à des niveaux et dans des do-maines divers de la société, ainsi que celle des ressources que ces groupes peuvent mobiliser pour échapper à l’exclusion. Les politiques gouvernemen-tales, les valeurs et les préjugés de la société d’accueil et les caractéristiques des nouveaux arrivants sont également pris en compte pour expliquer les diffé-rences entre les modes d’incorporation suivis par ces derniers (Portes et Zhou, 1993, pp.82-83). En ce sens, les auteurs se distancient de la théorie classique de l’assimilation où l’intégration est considérée comme un processus exclusive-ment individuel, dont le résultat dépendrait uniquement des caractéristiques personnelles des migrants et de leur durée de séjour. A l’inverse, les partisans de la théorie de l’assimilation segmentée envisagent le processus d’intégration comme « le produit d’une combinaison de facteurs individuels, collectifs et institutionnels [...] » (Safi, 2006, pp.3-4), insistant ainsi sur l’importance des déterminantscontextuels. C’est également dans cette optique qui mêle facteurs individuels et contextuels que nous nous situons, posture qui se retrouvera plus loin dans le choix de nos variables explicatives de l’intégration professionnelle.

Rappelons encore que de notre point de vue, l’assimilation n’est pas un but en soi, et serait même peu souhaitable puisqu’elle impliquerait la dispa-rition des différences culturelles. De plus, comme nous l’avons souligné dans la section 2.1.1, la société suisse n’est pas homogène, ce qui rend caduque par définition le principe même d’assimilation. Le véritable enjeu réside donc, à notre avis, en la réussite de l’intégration structurelle, ceci dans une perspective d’égalité des chances et d’autonomisation des individus (empowerment) :

Le phénomène de l’intégration suscite actuellement en Suisse comme à l’étranger de nombreuses interrogations, liées en particulier aux chances

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qu’ont les personnes issues de la migration de rencontrer des conditions de vie proches de celles des natifs. C’est aussi dans une logique d’égalité des chances et de participation que l’intégration est appréhendée [dans nos travaux], bien plus qu’en termes de similitude et d’assimilation des étrangers vis-à-vis de la société d’accueil.(Wanner et al., 2002, p.9)

Dans cette optique, nous nous plaçons plutôt dans ce que Wichmann (2013, p.63) nomme la conception processuelle de l’intégration : contrairement aux défenseurs de la visionassimilationniste– vision fondée sur l’idée que « l’inté-gration présuppose une acceptation et une adaptation aux valeurs et pratiques caractéristiques, tenues pour acquises dans une société donnée », et dans la-quelle « l’intégration est perçue comme un objectif que les immigrés doivent atteindre » –, les partisans de la conceptionprocessuelle préfèrent mettre l’ac-cent sur l’idée que « l’intégration est un processus d’échange intersubjectif entre les différents acteurs sociaux dont l’aboutissement n’est pas déterminé à l’avance », et pour qui l’intégration est ainsi « conceptualisée comme un processus d’adaptation mutuelle ».

Les uns [porteurs de la vision de typeassimilationniste] se posent la ques-tion de savoir par quels instruments et mesures concrets les immigrés peuvent être incités à s’adapter aux modes de vie suisses, tandis que les autres [adoptant une vision plusprocessuelle] se demandent comment soutenir un processus d’échange intersubjectif à l’issue ouverte par l’adap-tation de mesures concrètes.(Wichmann, 2013, p.63)

2.1.3 Intégration structurelle, intégration professionnelle