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La politique d’intégration aujourd’hui

2.2 Politique d’intégration helvétique

2.2.3 La politique d’intégration aujourd’hui

La politique d’intégration suisse actuelle se présente en trois volets où l’on retrouve les domaines principaux du processus d’intégration que nous avons présentés précédemment : l’intégration socio-économique – comprenant des mesures d’appui à l’insertion professionnelle, y compris les cours de langue –, l’intégration culturelle et religieuse – regroupant notamment ce qui concerne les exigences présentes dans les conventions d’intégration, ainsi que les de-mandes à caractère religieux comme par exemple la question des cimetières musulmans –, et l’intégration juridico-politique – incluant tout ce qui a trait aux droits des immigrés (comme le regroupement familial), à la participation

75. Pour un historique de l’intégration des vagues de réfugiés les plus « emblématiques » de Suisse, voir Walther (2009, pp.171-233).

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à la vie politique, aux question de la naturalisation et à la lutte contre les discriminations (Wichmann, 2013, p.64).

Ces trois domaines constituent [le] plus souvent le cadre de référence de toutes les analyses comparatives sur les politiques d’intégration de rents pays, au niveau national. Y sont recherchées et comparées la diffé-renciation et la similarité dans diverses mesures prises afin d’améliorer les conditions de vie économique, sociale et politique des immigrés. (Cat-tacin et Kaya, 2005, p.293)

La Suisse accorde toutefois moins d’importance à l’intégration politique des étrangers qu’aux autres domaines d’intégration ; les droits politiques restant le plus souvent un « sujet tabou » – du moins au niveau fédéral. Ceci sans oublier qu’en raison de ressources financières et humaines relativement maigres, dans la pratique, les actions se limitent le plus souvent à l’organisation de cours de langue.76 Pour les chercheurs, ce constat est la preuve que la politique helvétique reste axée sur l’intégration par le marché du travail :

L’intégration économique des étrangers prédomine toujours dans la po-litique de l’Etat au détriment d’autres voies d’intégration des étrangers.

(Giugni et Passy, 2005, p.422)

Un récent exemple de cette priorité donnée à l’intégration professionnelle est le projet pilote intitulé « Exploiter le potentiel des migrants » ( !) qui a pour but de permettre aux réfugiés et aux personnes admises à titre provisoire de trouver un emploi correspondant à leurs qualifications professionnelles (ODM, 2013, p.32). Le SEM a également publié un guide devant aider les profession-nels à comprendre et à utiliser la procédure de reconnaissance des diplômes et de validation des compétences des réfugiés et des admis à titre provisoire (ODM, 2012). On voit que la question préoccupe les autorités. Celles-ci sou-tiennent donc des projets visant à améliorer l’intégration professionnelle de cette population en particulier.

Plus globalement, Bolzman (2002, p.70) résume le message de la politique migratoire helvétique en quatre points principaux : (1) l’intégration des étran-gers « sélectionnés par la Suisse » doit être encouragée – autrement dit, l’aide à l’intégration intervient après avoir « montré patte blanche » –, (2) cette in-tégration « passe par l’apprentissage d’une langue nationale et l’accès à un emploi stable », (3) en cas d’échec de l’indépendance économique, les étran-gers ne sont pas considérés comme intégrés et leur « installation sur le plan juridique » (c’est-à-dire leur droit à un permis de séjour ou d’établissement) ne doit pas être facilitée, et (4) « les ressortissants non qualifiés de l’Europe de l’Est et du Tiers-Monde sont en principe non-intégrables et ne doivent pas

76. Pour un aperçu des programmes mis en œuvre dans le canton de Genève, voir le rapport de Garibian (2013). L’auteur note que l’offre en matière d’insertion professionnelle est très vaste, mais que tout commence en général par l’apprentissage du français, « prérequis incontournable » (même s’il n’est pas suffisant en soi) pour permettre l’intégration (Garibian, 2013, pp.53-54).

2.2 Politique d’intégration helvétique 57 57 être admis à résider en Suisse. » Cette question de l’intégration d’une

par-tie des étrangers seulement (ceux qui ont été « sélectionnés ») montre que la difficulté résiderait dans le fait de passer le cap de l’autorisation de séjour. Une fois cette étape franchie, les étrangers bénéficieraient d’une volonté poli-tique réelle quant à la « réussite » de leur intégration. Cependant, comme nous allons le voir, dans certains cas le processus peut être inversé et un « échec d’intégration » peut faire perdre le droit au permis de séjour :

The price for migrants may be high if they do not meet these criteria [que sont ici l’apprentissage de la langue et la participation au marché du travail] : those who fail can be deported back to their country of origin.

(D’Amato et Suter, 2012, p.329)

Pour Bolzman, cette logique de différentiel de traitement entre certaines catégories de migrants peut rendre impossible à réaliser l’injonction de s’inté-grer qui leur est adressée : « Au mieux, la réalisation de cet objectif est laissée au hasard des trajectoires personnelles, au pire les Etats font de l’intégration un pré-requis nécessaire pour octroyer davantage des droits aux migrants. » (Bolzman, 2005, pp.210-211)

Enfin, sur le plan symbolique, la politique d’immigration, en distinguant entre deux catégories des travailleurs : d’une part les « bienvenus », gé-néralement très qualifiés et originaires des Etats industrialisés ; d’autre part les « malvenus », plutôt moins qualifiés et originaires des Etats du Sud et de l’Est, accentuera les préjugés sur la « distance culturelle » et la capacité différentielle d’intégration de certaines populations, rendant par là plus difficile le travail en faveur de l’intégration mené au niveau de la politique du migrant. En fait, nous sommes en présence d’un cas clas-sique de ce que le sociologue nord-américain Robert Merton définissait comme une « prophétie créatrice » : on fait tout pour rendre l’intégration des immigrés originaires de certains pays impossible et après on leur re-proche de ne pas vouloir s’intégrer. [...]

La question qui reste posée est la suivante : quelle efficacité peuvent avoir les politiques d’intégration lorsqu’en même temps on souligne, par le biais des politiques d’immigration, que certains migrants n’ont pas leur place dans les sociétés du Nord ? (Bolzman, 2002, p.71)

En Suisse, la mise en œuvre de la politique d’intégration se situe, comme nous l’avons dit, à trois différents niveaux – fédéral, cantonal et communal –, cette situation appelant ainsi à une coopération étroite entre les acteurs.

Les cantons ont notamment un rôle prépondérant dans l’application des poli-tiques d’intégration. Outre leur importance en ce qui concerne la gestion des fonds d’encouragement à l’intégration77, ce sont eux qui sont responsables de l’application de la LEtr, notamment concernant l’octroi et le renouvellement des permis de séjour. Cependant, si le cadre légal est bien commun à tous,

77. « Les cantons sont les principaux interlocuteurs de la Confédération pour l’attribution de fonds d’encouragement à l’intégration ; ils soumettent un concept d’encouragement à la Confédération et lui rendent compte de l’utilisation des fonds. »(Wichmann, 2013, p.66)

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dans la pratique l’application diffère selon les cantons. Certains cantons sont par exemple dotés de leur propre loi sur l’intégration et donnent parfois des explications détaillées de la mise en application de l’encouragement à l’inté-gration, alors que d’autres se contentent simplement de suivre les ordonnances fédérales (Wichmann, 2013, p.66).78

Dans une étude menée par le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) pour le compte de la CFM (Wichmann et al., 2011), les chercheurs ont identifié les principales différences dans les politiques d’intégra-tion entre les cantons germanophones et latins. Il en ressort que si l’intégrad’intégra-tion socio-économique tient une place centrale dans tous les cantons, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’intégration sur le plan juridico-politique. Sans surprise, tous les cantons mettent en place des mesures de soutien et offrent des cours de langue et d’intégration subventionnés au profit de la popula-tion migrante – ce qui, comme on l’a vu, va dans le sens de la Confédérapopula-tion qui accorde une priorité à l’intégration socio-économique (Wichmann, 2013, p.67).79Du côté de l’aspect juridico-politique, les chercheurs notent par contre des distinctions régionales : alors que dans la majorité des cantons romands, la politique d’intégration inclut un volet participatif – avec la participation po-litique au niveau cantonal (Jura, Neuchâtel) ou communal (Fribourg, Vaud, Genève) –, les cantons alémaniques font de la résistance au droit de vote et d’éligibilité des étrangers. Pour les chercheurs, cet écart est lié à des concep-tions différentes des concepts de citoyenneté et de nationalité (concepts qui seraient considérés de manière distincte dans les cantons romands alors qu’ils seraient fortement associés dans les cantons alémaniques) (Wichmann, 2013, p.72).80

Chaque ville ou canton met un peu plus l’accent sur certaines dimensions, selon sa conception spécifique de l’intégration. On trouve cependant cer-taines idées communes, telles que encourager le rapprochement réciproque entre migrants et « autochtones », favoriser l’égalité de chances, lutter contre les inégalités et la discrimination, se doter d’instances de média-tion interculturelle pour résoudre les conflits et les malentendus dans ce domaine, ouvrir les institutions locales à l’ensemble de la population ré-sidante, donner aux personnes étrangères la possibilité de participer à la 78. Ce point fait écho aux différences en matière de reconnaissance du statut de réfugié selon le canton d’attribution (Holzer et Schneider, 2003, p.153).

79. Cours d’appuis, classes d’accueil, places d’apprentissage, mesures de préparation à l’entrée dans le marché du travail, cours de langue et de mathématiques sont mis sur pieds, avec des cours de langue et d’alphabétisation spécifiques pour les femmes ayant un faible niveau de qualification. Des « cours d’intégration » sont également proposés pour informer les immigrés sur le fonctionnement de la vie en Suisse. Toutes ces mesures sont assez similaires entre les cantons, même si chacune ne se retrouve pas partout (on constate notamment une offre plus restreinte dans les cantons ruraux où le nombre d’étrangers est moins élevé) (Wichmann, 2013, pp.66-68).

80. Pour une étude approfondie sur les variations entre les politiques d’intégration des cantons romands, voir Kaya et al. (2011).

2.2 Politique d’intégration helvétique 59 59 vie politique locale, etc.(Bolzman, 2002, p.69)

Comme on l’a vu à la section 2.2.1, certains cantons ont recours à des

« conventions d’intégration » (également parfois appelés « contrats d’accueil »).

Les personnes qui seraient considérées comme « en déficit d’intégration » par les autorités cantonales pourraient se voir retirer leur permis de séjour (ou refuser son renouvellement) : on y reviendra dans la section 2.2.5.

Pour les étrangères et étrangers, ceci veut dire que l’on exige d’eux une adaptation sur le plan culturel (p.ex. maîtrise de la langue, etc.), quand ils veulent se faire naturaliser et quand ils cherchent à stabiliser leur séjour en Suisse sur la longue durée. Cet attachement à une conception plus contraignante (assimilationniste) de l’intégration se manifeste aussi dans le recours aux conventions d’intégration [...].(Wichmann, 2013, p.72)

Cattacin et Kaya (2005, p.314) voient également dans la procédure de certains cantons des traces de « la logique assimilationniste des années soixante et soixante-dix, obligeant les candidats à s’assimiler culturellement au mode de vie suisse. » Leur étude sur les mesures d’intégration des migrants développées sur le plan local en Suisse les mène à conclure à une forte variabilité cantonale dans les politiques d’intégration. Cependant, s’il est vrai que l’adaptation des politiques aux particularités locales peut faire sens, cela pose toutefois un problème « du point de vue de l’égalité de traitement des migrants qui n’est pas garantie sur le territoire suisse » (Cattacin et Kaya, 2005, p.320).81

L’intérêt porté actuellement à la question de l’intégration des étrangers peut ainsi être expliqué par un souci de cohésion sociale, mais également par un motif plus pragmatique dont on a parlé en introduction : la volonté poli-tique d’éviter que les étrangers ne soient dépendants de l’aide sociale. C’est une réelle préoccupation pour la Confédération qui cherche à comprendre la manière dont cette population trouve sa place dans le tissus économique et so-cial helvétique. Les récentes études mandatées par le SEM sur la participation des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire au marché du travail suisse (Spadarotto et al., 2014a,b; Morlok et Liechti, 2014; Morlok et al., 2013;

Müller et al., 2008) – sur lesquelles nous reviendrons par la suite – montrent que ce sujet est, plus que jamais, au centre du débat politique.