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3.3 Déterminants de l’intégration professionnelle : hypothèses

3.3.6 Limites des données

A la liste des facteurs énumérés ci-dessus, il aurait été intéressant d’en ajouter quatre de plus en particulier. Malheureusement, les limites induites par les données nous empêchent de les inclure dans nos analyses.

Le premier des facteurs explicatifs dont nous ne pouvons pas tenir compte est celui de la connaissance de la langue, ceci alors que la plupart des études consultées tend à montrer son importance pour obtenir un emploi (voir par exemple Haug, 2006, p.15). Le Relevé structurel contient pourtant plusieurs va-riables sur le sujet : première, deuxième et troisième langue principale, langue parlée à la maison, au travail ou encore à l’école. Le problème de la variable langue principale dans sa forme désagrégée est qu’elle contient plus de mille catégories, tous les dialectes étant répertoriés. A l’inverse, sa version agrégée est essentiellement axée sur les langues les plus parlées en Suisse (langues na-tionales, portugais, espagnol, anglais ou encore néerlandais) et ne donne que peu d’indications sur les langues parlées en dehors de l’Europe. Cette variable n’aurait donc été que faiblement informative puisqu’elle n’aurait fait que re-produire une part des informations déjà contenues dans la variablenationalité. De plus, la notion de « langue principale » ne dit rien des connaissances de

164. Diverses recherches ont par ailleurs montré que le secteur d’activité a également un impact sur l’intégration sociale du réfugié. Sur ce point, il est toutefois intéressant de relever que c’est plus la visibilité du travail ainsi que le fait d’être au contact de la population locale (dans les métiers de l’hôtellerie et de la restauration par exemple) qui importe pour la création du lien social ; tandis que certaines professions quoique socialement valorisées (médecin, professeur) conduisent moins à ces échanges (Cretton, 2013, p.67). Par contre, le fait de travailler dans des métiers peu valorisés, où les migrants se retrouvent « entre eux » et ont ainsi peu de contacts avec des Suisses, constitue un frein évident à l’intégration sociale comme économique, puisque cela empêche la constitution des réseaux essentiels à l’emploi (Niederberger, 2005, p.271).

120 120 Chapitre 3. Différentiels d’intégration professionnelle : asilevs hors asile l’individu concernant les autres langues qu’il peut employer au quotidien, no-tamment sur son lieu de travail.

Le cas des variables présentant l’indication de lalangue parlée à la maison ouau travail s’est cependant révélé tout aussi délicat. Les modalités possibles de ces variables sont au nombre de nonante-cinq, avec une précision extrême dans les différentes combinaisons possibles.165 De plus, la langue parlée au travail n’est renseignée, en toute logique, que pour les individus ayant un em-ploi. Le problème est que, outre le fait qu’il faudrait pouvoir tenir compte de la langue principale utilisée sur le lieu de travail, cette variable ne permet tou-jours pas de prendre en considération le niveau de connaissance de la langue en question (ce qui peut faire une grande différence, notamment dans les mé-tiers requérant les plus hauts niveaux de qualification). Cependant, s’il est vrai que ces deux derniers points pourraient en partie être surmontés au moyen de divers recodages et croisements avec d’autres informations, nous pensons que l’effet de causalité inverse serait dans tous les cas trop important pour rendre compte du lien entre connaissance de la langue et emploi : étant donné que nous travaillons ici avec une base de données transversales, comment en ef-fet être sûr que c’est la connaissance de la langue qui influence les chances d’emploi de l’individu, et non pas l’inverse ? Ce « cercle vicieux » a d’ailleurs également été relevé par Garibian (2013, pp.55-56) dans l’exemple genevois :

« un emploi est une excellente opportunité de pratiquer le français, mais [il]

est nécessaire de posséder une bonne connaissance de cette langue pour en trouver un. »

Au final, nous estimons que les décalages éventuels dans les compétences linguistiques des individus seront en partie captés par les variables liées à la for-mation ainsi qu’à la durée de séjour166, même s’il n’est pas impossible qu’une part des différentiels observés puisse être expliquée par des connaissances in-égales, entre les individus, antérieures à la migration.167 Nous pensons éga-lement qu’étant donnée la sélection des pays effectuée pour nos analyses, les différences de compétences linguistiques entre les individus (qui, pour rappel, sont tous arrivés en Suisse à l’âge de 18 ans minimum) seront moins grandes.

Il n’en aurait évidemment pas été de même si l’on avait comparé des réfugiés sri lankais à des migrants français ou allemands.

La deuxième limite qu’il nous faut mentionner est l’absence d’indicateur

165. Parmi les multiples nuances, on peut par exemple citer la distinction entre « La langue régionale (dialecte et langue standard), une autre langue nationale (dialecte) et l’anglais » et « La langue régionale (dialecte et langue standard), une autre langue nationale (dialecte) et une autre langue étrangère ».

166. Berthoud (2012, p.31) note d’ailleurs la capacité des migrants à apprendre la langue de manière autodidacte, et on imagine aisément l’amélioration des connaissances linguistiques au fur et à mesure que le séjour se prolonge.

167. Quoique certaines études, à l’image de celle menée par Grin et al. (2003, p.430), aient montré que l’impact de la langue d’origine disparait dès lors que d’autres déterminants sont pris en compte dans les modèles.

3.3 Déterminants de l’intégration professionnelle : hypothèses 121 121 de la taille et de l’influence duréseau social de l’individu. De nombreux

cher-cheurs ont étudié l’importance de cette variable (désignée parfois par le terme de « communauté ethnique ») dans les chances d’accès à l’emploi, avec des ré-sultats parfois contrastés (Portes et Rumbaut, 1990, pp.87-88 ; Portes et Zhou, 1993, pp.86-87 ; Lamba, 2003, p.60 ; Niederberger, 2005, p.271 ; Arcand et al., 2009, pp.374-380). En effet, la taille du réseau ne fait pas tout : encore faut-il que celui-ci soit composé de personnes à même d’aider le réfugié à trouver un travail. Ne fréquenter « que des compatriotes » et n’avoir quasiment aucun contact avec des Suisses a ainsi été avancé par les personnes interrogées comme un facteur pénalisant pour l’emploi (UNHCR, 2015, p.6). Dans les données, l’absence totale d’information relative aux réseaux nous empêche de tester cela.

Troisièmement, un indicateur de l’état de santé manque également dans le Relevé structurel. Aspect souvent peu étudié (faute, justement, de données disponibles), il s’agit néanmoins d’un point important pour comprendre les possibilités d’insertion des individus sur le marché du travail, en particulier pour les réfugiés ayant subi de lourds traumas (De Vroome et Van Tubergen, 2010, p.393 ; UNHCR, 2015, p.11). Dans le cas présent, nous estimons toute-fois que le biais dû au manque de considération de cette variable est limité, puisque nous excluons des analyses les personnes « sans activité profession-nelle », catégorie qui comprend les bénéficiaires de rentes d’invalidité.

Enfin, il aurait été idéal de pouvoir tenir compte dulieu d’obtention du di-plôme, puisque de nombreuses recherches ont attesté que les années d’études ef-fectuées en Suisse sont mieux valorisées par les employeurs que celles efef-fectuées à l’étranger (Chicha et Deraedt, 2009 ; Wanner et al., 2005 ; De Coulon et al., 2003). Malheureusement, les données du Relevé structurel ne contiennent pas une telle information. Malgré cela, on a envisagé d’aborder la question en nous intéressant au lieu de résidence à 25 ans : l’idée étant de savoir si l’individu a pu, le cas échéant, effectuer une formation de niveau tertiaire à son arrivée.

Avec les informations dont nous disposons, il est aisé de déterminer si un indi-vidu était déjà en Suisse à l’âge de 25 ans ou si son entrée sur le territoire s’est produite plus tard.168 Par contre, il n’est hélas pas possible de savoir dans quel pays se trouvait l’individu s’il n’était pas déjà arrivé sur le sol helvétique, ce qui nous a conduit à employer une variable binaire distinguant simplement les catégories « en Suisse » et « à l’étranger ». Ceci signifie, d’une part, qu’un individu « à l’étranger » au moment de ses 25 ans pouvait tout à fait avoir déjà quitté son pays d’origine et être en train de poursuivre une formation de niveau supérieur dans un autre pays, y compris un pays européen. D’autre part, il est également possible qu’une personne soit arrivée en Suisse après son 25e anniversaire et y ait par la suite poursuivi des études. Après avoir testé

168. Pour les individus n’ayant pas encore 25 ans au moment de l’enquête (mais étant, par définition, déjà présents sur le territoire), on a attribué la valeur « en Suisse ».

122 122 Chapitre 3. Différentiels d’intégration professionnelle : asilevs hors asile cette variable lieu de résidence à 25 ans, nous avons finalement choisi de ne pas la conserver dans nos modèles, car plus qu’une indication par rapport à la formation, elle mesurait en fait de façon imparfaite l’âge à la migration.169