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Chapitre 5 - La conscientisation du rapport de race et ses effets 257

1.3 Processus de différenciation et rapports sociaux

manifestations matérielles les plus violentes. Un des apports principaux des travaux de P. Essed (1991, p.50-53) est la notion de racisme quotidien26, qu’elle définit comme « l’intégration du racisme dans les situations quotidiennes par des pratiques (cognitives et comportementales) qui activent les relations de pouvoir sous-jacentes » :

« Le racisme quotidien peut être défini comme un processus dans lequel (a) les notions racistes socialisées sont intégrées dans des significations qui rendent les pratiques immédiatement définissables et gérables ; (b) les pra-tiques ayant des implications racistes deviennent en elles-mêmes familières et répétitives ; et (c) les relations raciales et ethniques sous-jacentes sont actualisées et renforcées par ces pratiques routinières ou familières dans les situations quotidiennes. Le concept de racisme quotidien distingue la repro-duction du racisme par des pratiques routinières et familières des expressions fortuites et inhabituelles de racisme.27».

26. Selon É. Santelli (2009b, p.280), P. Bataille (1997) a été parmi les premiers à diffuser la notion de racisme quotidien en France, dans ses travaux sur le monde professionnel. De Rudder et al. (2000) insistent sur « caractère implicite, intériorisé et non hostile de certaines formes de racisme ».

27. « Everyday racism can be defined as a process in which (a) socialized racist notions are integrated into meanings that make practices immediately definable and manageable, (b) practices with racist implications become in themselves familiar and repetitive, and (c) underlying racial and ethnic relations are actualized and reinforced through these routine or familiar practices in everyday situations. The concept of everyday racism distinguished the reproduction of racism through routine and familiar practices from incidental and uncommon expressions of racism. »

Cette définition du racisme quotidien fait écho à la notion de racialisation.

C. Guillaumin ([1972] 2002) distingue l’idéologie raciste (« face mentale de pra-tiques et de faits sociaux matériels » qui constitue un « système perceptif essentialiste qui lie inextricablement — de façon "syncrétique" — les aspects physiques et psycholo-giques »), de la face matérielle que représentent les pratiques racistes. Pour elle, le sexe comme la race sont des catégories construites lors d’un processus historique et social de différenciation et de naturalisation. C. Poiret (2011, p.113) s’appuie sur cette distinction entre face mentale et face matérielle pour proposer une distinction entre racialisation et racisation. Selon lui, la racialisation renvoie au « processus cognitif de mise en forme du monde et de définition de la situation », c’est-à-dire à la « face mentale du racisme compris comme rapport social ». La racisation, elle, renvoie à sa « face matérielle », aux « pratiques et les attitudes orientées et justifiées par la racialisation — consciemment ou non — et qui ont pour effet d’actualiser l’idée de race en produisant des individus et des groupes racisés ». La racisation englobe les procédés de discrimination, de ségréga-tion, d’agression, d’extermination. C. Poiret précise que la relation entre les deux n’est pas mécanique.

Pour lui, la racialisation conduirait progressivement à une connaissance du fait que la couleur de peau, notamment, est une caractéristique « remarquable » et « remarquée » par les majoritaires, de laquelle découlent des attentes en termes de comportement. Ainsi, les individus étiquetés comme « noirs » apprennent non seulement qu’ils sont perçus comme tels, mais aussi comme « l’incarnation de la représentation que le groupe majoritaire se fait de ce groupe ». Les individus sont alors socialisé·e·s au « monde du point de vue des dominants » (ibid, p.117), qui ordonne la manière dont les places sont distribuées dans l’ordre social. On retrouve ici la notion de « double conscience » proposée par W.É.B Du Bois (1996), pour qualifier la situation d’être extérieur au majoritaire et de se regarder à travers son regard.

Plutôt que de considérer que racialisation et racisation sont deux processus paral-lèles, je retiendrai ici la proposition de S. Mazouz (2020, p.20), pour qui la racisation est un aspect de la racialisation. La sociologue considère que la différence entre « ra-cialisation » et « rara-cialisation » tient d’une part aux auteurs·trices mobilisé·e·s, mais également à des points de vue différents. Étudier la racialisation conduit à interroger la « production de groupes soumis à l’assignation raciale, tout en examinant aussi les mécanismes qui amènent un groupe à tirer profil des logiques de racialisation ». Étudier la racisation conduit à interroger « les processus par lesquels un groupe dominant dé-finit un groupe dominé comme étant une race ». Dans cette perspective, les personnes blanches seraient racialisées comme blanches, mais ne seraient pas racisées. L’intérêt de

ces concepts réside dans leur capacité à montrer (Mazouz, 2020, p.21)

« comment certains faits, certains jugements ou propos, certaines attitudes ou certains comportements — même anodins et dans certains cas se voulant même laudateurs — sont à comprendre comme des gestes qui assignent racialement celles et ceux sur qui ils portent, c’est-à-dire les réduisent à une seule caractéristique censée être aux yeux de celui ou celle qui catégorise l’unique trait pertinent de leur identité. »

Le terme racialisation, tel que je l’utilise, renvoie à la construction sociale du rapport de race, (re)créant la race (ou des positionnements racialisés) dans les perceptions et les pratiques28. L’utilisation du terme racialisation sera préféré à celui de racisme, passé dans le langage courant et renvoyant à des pratiques négatives (violences, agressions, discriminations). Le terme racialisation, entendu comme le processus de construction et d’actualisation du rapport social de race, permet d’inclure la multiplicité des mani-festations du rapport social de race et les modalités de son incorporation.

Les manifestations du rapport social de race habituellement étudiées sont la stigma-tisation et la discrimination. J’ajoute à ces manifestations la mise en saillance d’une caractéristique racialisée, c’est-à-dire la transmission dans les interactions de messages, implicites ou explicites, verbaux ou non, signalant la position dans le rapport de race. Sont donc inclus dans ces mises en saillance des remarques pouvant passer pour « po-sitives », telles que des compliments sur le physique de personnes non-blanches, ou des questions pouvant manifester une forme curiosité « bien intentionnée ». S. Mazouz (2020, p.20) utilise quant à elle le terme « assignation racialisante » en vue d’« insis-ter sur la dimension processuelle du geste qui consiste à essentialiser une origine réelle ou supposée, à en radicaliser l’altérité et à la minoriser, c’est-à-dire à la soumettre à un rapport de pouvoir ». Nous cherchons à qualifier des situations similaires, qui peuvent ne pas paraître négatives aux personnes ainsi racialisantes et racialisées. Mais le terme de « mise en saillance » me semble davantage permettre de prêter attention à la manière dont les personnes racialisées qualifient ces situations. Une assignation ne peut en effet qu’être négative. Or, elle n’est pas nécessairement vécue comme telle par les personnes qui en sont l’objet. C’est la même critique que j’adresse à la notion de « micro-agression », à laquelle recourt la littérature psychologique (cf. Encadré 1.4 – (Micro-)agressions). Je propose l’expression signaux racialisants afin d’englober les manifestations de la racialisation que sont les mises en saillances, les stigmatisations et les discriminations. L’expression signaux racialisants me permet de prêter attention à

28. À ma connaissance, la littérature ne donne pas de termes semblables pour ces processus liés au sexe et à la classe. J’ai proposé dans l’encadré 1.3 de les nommer respectivement sexisation et classisation.

la manière dont les concerné·e·s perçoivent et qualifient ces situations, sans déterminer leur caractère agressif. La notion de signal laisse également la possibilité que des mani-festations de la racialisation ne soient pas perçues.

Dans ces rapports de pouvoir, des « signes » deviennent des indicateurs de la position des individus dans ces rapports. C’est en effet le racisme qui crée la race (Guillaumin, [1972] 2002), et non l’inverse. Un rapport social (de race, de sexe, ou de classe) s’ap-puie sur un procédé de naturalisation des différences. La couleur de peau n’est pas le seul signe possible : la religion, la « culture » peuvent également être mobilisées dans l’actualisation de frontières.

Les signes sur lesquels s’appuie l’altérisation renvoient à la notion de « stigmate », empruntée à É. Goffman (1975). Sa principale dimension est la valeur négative conférée, dans des interactions, par des institutions ou des individus (De Rudder, 1996, p.73). Les stigmates produisent des attentes en termes de comportements entre individus « nor-maux » et « stigmatisés ». Le stigmate, en tant qu’étiquetage social, est le résultat d’un processus de stigmatisation, qui « peut se baser sur divers attributs ("racial", eth-nique, national, religieux. . . ), s’appuyer sur des traits physiques réels ou fictifs, sur des caractéristiques psychiques avérées ou supposées, ou encore sur des comportements re-connaissables ou fantasmes » (ibid, p.74). La stigmatisation suppose « la catégorisation, la typification, l’objectivation et l’infériorisation ». M. Lamont (2016, p.6) ajoute que la stigmatisation29 désigne des incidents dans lesquels les enquêté·e·s ont senti qu’on leur manquait de respect (insultes, manque d’attention, blagues, traitement différencié, exclusion, agression physique, incompréhension, être ignoré·e·s). Est inclus dans cette définition le fait d’être considéré comme pauvre, non éduqué ou dangereux.

Les stigmatisations renvoient à la face symbolique du rapport raciste. Les discri-minations, elles, sont la face matérielle des rapports sociaux (De Rudder, 1995). Les discriminations renvoient à la privation d’accès à des ressources en raison de la « race », de « l’ethnicité », ou de la « nationalité » (Lamont et al., 2016, p.6). La discrimination accompagne généralement la stigmatisation, mais être stigmatisé·e n’implique pas né-cessairement d’être discriminé·e. Lamont et al. (2016, p.7) créent le terme « assault on worth » comme synonyme de stigmatisation, que l’on pourrait traduire par « atteintes à la valeur » pour qualifier des expériences de stigmatisations qui ne sont pas associées à des discriminations.

Pour V. De Rudder et F. Vourc’h (Fassin & Fassin, 2009, p.185), la discrimination

29. Le concept de stigmatisation permet selon M. Lamont (2018, p.12) de ne pas présuppose le caractère racial, sexiste ou classiste d’une situation. C’est pourquoi elle le préfère à celui de racialisation. Attentive à ne pas faire de la race la catégorie unique d’analyse, le terme racialisation sera utilisé dans ce travail uniquement lorsque la stigmatisation renvoie au positionnement dans le rapport de race.

Encadré 1.4 – (Micro-)agressions

La notion de micro-agression nous vient de la psychologie (Pierce et al., 1978). S. W. Sue (2010, p.24) définit les micro-agressions comme des échanges quotidiens, porteurs de messages dénigrants, adressés à des individus du fait de leur appartenance à un groupe minoritaire. Sue distingue trois niveaux. D’abord, les micro-agressions peuvent être verbales, non verbales, ou « environnementales » (absence de personnes de couleur dans un espace, discours color-blind). Ensuite, ces micro-agressions peuvent prendre la forme de attaques (microassault), de insultes (microinsult), ou de micro-invalidations (microinvalidation). Les micro-agressions portent ensuite sur différents thèmes. Pour Sue, les micro-attaques sont explicitement racistes et témoignent d’une idéologie raciste. À l’inverse, les micro-insultes et micro-invalidations ne sont généra-lement pas pensées comme racistes par l’émetteur·trice. Les micro-insultes peuvent se manifester par l’attribution d’un degré d’intelligence, le traitement subalterne, la patho-logisation des valeurs ou des styles de communication, ou l’attribution de délinquance. On a donc affaire à des formes d’infériorisation rabaissant la valeur et la position sociale des individus. Les micro-invalidations peuvent concerner la racialisation de la nationa-lité, l’aveuglement à la race, ou la négation de l’expérience du racisme. Il s’agit d’infério-risations négligeant l’expérience et les sentiments des individus. Dans cette conception, des questions sur les origines telles que « Tu viens d’où ? » peuvent être considérées par Sue comme des micro-invalidations verbales sur le thème de la racialisation de la nationalité, puisque ces questions invalideraient le sentiment d’appartenance à une na-tionalité. De même, penser que la personne « de couleur » est un·e aide-soignant·e et non pas un médecin, constitue une micro-insulte, sur le registre du traitement subal-terne, puisqu’un individu ne serait pas reconnu dans son statut social. Sue insiste sur le caractère quotidien et souvent inconscient des micro-agressions de la part de leurs auteurs·trices, qui conduit souvent à les minorer et à en minorer les conséquences. La notion de micro-agression pose néanmoins la question de la qualification. Dans ces travaux, il semble que ce soient les psychologues qui labellisent des situations comme des micro-agressions, et pourquoi les qualifier de micro ? Or, peu est dit de la manière dont les concerné·e·s appréhendent ces situations. Dans cette conception, il semblerait que la perception de micro-agressions aille de soi. Il me semble que ces situations, qualifiées de micro-agressions par les chercheur·e·s, peuvent, a minima, être qualifiées de racialisantes et racialisées. Je préfère les qualifier de signaux racialisants, et m’intéresser à la manière dont les enquêté·e·s les interprètent.

« est un racisme en acte, qui peut même se passer de tout recours explicite à l’idéologie ou aux préjugés ». P. Essed (1991, p.45) inclut dans sa définition des « discriminations raciales » tous les actes (verbaux, non-verbaux, paraverbaux) qui ont des conséquences défavorables pour les membres de groupes racialement discriminés. Elle insiste sur le fait que ce n’est pas la nature des actes ou des croyances qui créent le racisme, mais le contexte dans lequel ses actes ou croyances opèrent. Refuser de louer un logement à une personne parce qu’elle est noire est un comportement raciste, dans cette conception, parce que cela reproduit la position dominée des Noir·e·s dans la société. Les inégalités et les discriminations sont alors majoritairement pensées comme des conséquences d’un système raciste.

Ces manifestations (mise en saillance, stigmatisation, discrimination) peuvent être pensées comme communes aux rapports sociaux de race, de sexe, et de classe. Nous l’avons dit plus haut, la race n’est pas le seul rapport de pouvoir dans lequel les indivi-dus sont situés. K. Crenshaw (1991) utilise le terme intersectionnalité pour insister sur la multidimensionnalité des identités, situées dans les rapports sociaux de classe, de race, et de sexe, pensés comme « mutuellement constitutifs » (Bilge, 2010, p.63). L’approche intersectionnelle a gagné en popularité ces dernières années (Davis, 2015). Elle « réfute le cloisonnement et la hiérarchisation des grands axes de la différenciation sociale que sont les catégories de sexe/genre, classe, race, ethnicité, âge, handicap et orientation sexuelle » (Bilge, 2009, p.70) et propose d’analyser l’interaction de ces systèmes d’op-pression dans la production et la reproduction des inégalités sociales. Elle permet de ne pas présupposer la prégnance d’un type de rapport de pouvoir, et d’étudier la façon dont les catégories de race, de classe et de genre s’articulent dans les rapports sociaux. Selon M. Omi et H. Winant (1986), la race agirait comme une « master category », un principe premier de stratification sociale, quasi universel. A. Wimmer (2013), mais aussi H. Siebers (2017a) dénoncent cette centration sur la race (« race centrism »). Des travaux, notamment en Amérique latine (Cunin, 2003; Streicker, 1995) montrent que la position de classe peut « dé-racialiser ».

Il s’agit donc d’interroger la « constitution mutuelle de la race et de la classe » (Vincent et al., 2012, p.261), et du sexe, et comment celle-ci influence les perceptions et les actions. Afin de mieux comprendre l’articulation des rapports sociaux, il importe de se décaler d’une certaine centration sur les classes populaires, dans des travaux fran-çais. Des individus dans une position stable en termes de statut légal et professionnel ne sont pas épargnés par le risque d’être confrontés à des situations qui témoignent de la racialisation. Nous avons vu que les diplômé·e·s semblent davantage déclarer des expériences racistes et discriminatoires que leurs homologues moins qualifié·e·s.

Com-ment la position sociale et raciale s’articulent-elles dans l’expérience de la racialisation ? Comment ces positionnements influencent-ils les récits ? Il semble probable que l’effet de « modération » de la classe ne fonctionne pas dans toutes les situations. Une approche intersectionnelle me semble alors permettre de saisir plus finement l’interaction des po-sitions de race et de classe. La position des acteurs dans des systèmes d’oppression intersectionnels peut être changeante selon les interactions considérées (Hill Collins, 2000, p.274). L’enquête de N. Rollock (2013, p.261) révèle que, pour certain·e·s de leurs participant·e·s, l’auto-identification liée au racisme affaiblit la signification de la posi-tion de classe moyenne. La percepposi-tion de sa posiposi-tion dans un rapport social pourrait alors influer sur sa perception dans un autre. Il me semble intéressant d’explorer cette hypothèse pour d’autres minorités et trajectoires sociales. La notion de conscientisation nous permet de penser cet élément.

1.3.3 La conscientisation et les déclarations

Les travaux menés par C. Poiret (2010b, p.11) auprès de femmes noires diplômées, au sujet du processus de « conscientisation » qui les conduit à considérer l’hypothèse du racisme ont suscité mon attention, et m’ont conduite à souhaiter approfondir cette notion. La conscientisation est pour lui un « apprentissage d’ordre politique », qui se « se forge dans la confrontation à des discriminations répétitives » et conduit à percevoir la « racisation » et ses conséquences. C. Poiret s’intéresse aux conditions contextuelles susceptibles de produire une prise de conscience, telles que des expériences répétées de refus d’emploi ou des contradictions entre les attentes et une expérience particulière. Dans cette conception, des situations extraordinaires ou bien répétées conduiraient à une prise de conscience (Poiret, 2011, 2019).

L’hypothèse que j’explore pour ma part est que l’étude des situations ne suffit pas, à elle seule, pour expliquer la conscientisation du racisme. Mon intérêt se porte sur le processus de prise de conscience des signaux racialisants. Je montre que la socialisation raciale est la matrice à partir de laquelle s’activent des grilles d’analyse pouvant conduire à une prise de conscience d’un phénomène sous l’angle de la racialisation. A. Schütz envisage une phénoménologie sociologique. Dans cette perspective, la conscience relève d’une attention qui « délimite le segment de monde pragmatiquement pertinent, ainsi que les éléments à sélectionner dans ma réserve d’expérience – qui désigne la sédimen-tation de toutes nos expériences sous forme de types » (Laoureux, 2008). Nous trouvons ici l’idée d’une activité de conscience qui délimite des informations en fonction de leur pertinence et les traite à partir d’une réserve d’expériences, je dirai aujourd’hui à partir de socialisations. Nous trouvons en germes, dans les propos de Schütz, une correspon-dance avec les conceptions développées actuellement par les neurosciences cognitives et

qui m’ont inspirée dans ce travail.

Alors que les philosophes débattent pour définir la conscience, et par extension, le conscient et l’inconscient, les neurosciences cognitives étudient le phénomène de prise de conscience. Je souhaite préciser quelques apports de ces recherches avant d’envisager leur application dans le cadre d’une démarche sociologique.

Les recherches en neurosciences cognitives modélisent les opérations mentales en termes de traitement de l’information. Le terme information ne signifie pas ici la trans-mission d’un message préalablement construit. Il désigne l’existence d’un input (signal) électrochimique qui, par son codage, assure une fonction informative à divers circuits neuronaux. À l’aide notamment de l’IRM et du scanner, les neurosciences cognitives étudient les processus par lesquels le cerveau produit et traite des informations, dont certaines accèdent à l’étape de la conscience et à la construction de pensées.

Le critère retenu pour attester de l’accès à la conscience est la « rapportabilité ». Pour L. Naccache (2009, p.229), « être conscient d’une représentation mentale signi-fie être capable de rapporter à soi ou à d’autres personnes, à l’aide du langage ou de manière non verbale, le contenu de cette représentation. Tout ce dont nous avons conscience est rapportable et tout ce que nous rapportons est conscient ». Mais tout ce dont nous prenons conscience ne sera pas obligatoirement rapporté. Les éléments peuvent être rapportés par le langage verbal et non verbal. Grâce aux diverses formes de langage, des idées se partagent, se confrontent, ouvrant la voie à des « algorithmes sociaux » de traitement des informations (Dehaene, 2014)30. Pour qu’une information « accède à la conscience », une certaine « vigilance » est nécessaire. Cette vigilance permet une « sélection attentionnelle », qui focalise l’attention sur un objet. Cette vi-gilance et sélection attentionnelle sont indispensables pour « l’accès à la conscience ». L’accès à la conscience désigne l’entrée d’une information dans les sphères corticales et son traitement cognitif. Un réseau de connexions corticales sélectionne une information