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Le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie. MONTESQUIEU317 La seule façon d’ériger un pouvoir commun,

c’est de confier le pouvoir et la force à un seul homme, ou à une assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme ou une assemblée, pour assumer la personnalité du peuple. Thomas HOBBES318

« Une Constitution suppose, avant tout, un pouvoir constituant319 ». C’est la conclusion à laquelle en viennent nombre d’éminents auteurs s’étant penché sur la question, dont Raymond Carré de Malberg. Pour ce dernier, cette évidence tire sa raison dans les travaux de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. En effet, selon Carré de Malberg, « la théorie de la séparation des pouvoirs devait nécessairement conduire à la théorie du pouvoir constituant320 ». Suivant ce raisonnement, les trois pouvoirs constitués – le législatif, l’exécutif et le judiciaire – que décrit Montesquieu doivent forcément trouver leur fondement dans un pouvoir chronologiquement antérieur et hiérarchiquement supérieur à

317 MONTESQUIEU, préc., note 37, livre XI, chap. 6. 318 Thomas HOBBES, Leviathan, 1651, chap. XVII.

319 Raymond CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 2, Paris, Sirey,

1922, p. 516.

320 K. GOZLER, préc., note 205, p. 8, qui réfère alors à R. CARRÉ DE MALBERG, préc., note 319, p.

eux321. Cette même entité est celle qu’il nomme pouvoir constituant. Carré de Malberg décrit celui-ci comme le « pouvoir de faire la constitution322 ». En fait, en toute cohérence

terminologique, le pouvoir constituant crée les pouvoirs constitués, de même qu’il enchâsse leur existence dans une Constitution.

Selon Antonio Negri, « [p]arler du pouvoir constituant, c’est parler de démocratie. À l’époque moderne les deux concepts ont été le plus souvent coextensifs323 ». Ainsi, le pouvoir constituant et le peuple seraient, d’une certaine manière, dans un rapport de mutuelle dépendance. En effet, pour Martin Loughlin, les liens unissant le peuple et le pouvoir constituant sont indéniables :

The concept [of constituent power] emerges from the secularizing and rationalizing movement of 18th century European thought known as the Enlightenment and rests on two conditions: recognition that the ultimate source of political authority derives from an entity known as « the people » and acceptance of the idea of a constitution as something that is created. The concept comes into its own only when the constitution is understood as a juridical instrument deriving its authority from a principle of self-determination: specifically, that the constitution is an expression of

the constituent power of the people to make and re-make the institutional arrangements through which they are governed324.

Cependant, si la Constitution est l’expression de la volonté d’un pouvoir constituant appartenant au peuple, l’exercice de ce pouvoir n’est pas nécessairement dévolu à ce même peuple. Loughlin écrit : « From a relational perspective, constituent power vests in the people, but this does not mean that political authority is located in the people (qua the multitude) as adherents to the principle of popular sovereignty325 ». En accord avec cette

321 J. GICQUEL et J.-É. GICQUEL, préc., note 44, p. 206 décrivent le pouvoir constituant comme étant

« inconditionné, à l’image de la souveraineté dont il est paré ».

322 R. CARRÉ DE MALBERG, préc., note 319, p. 510.

323 Antonio NEGRI, Le pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernité, Paris, Presses

universitaires de France, 1997, p. 1

324 Martin LOUGHLIN « The concept of constituent power », European Journal of Political Theory,

vol. 13 no 2, 2014, p. 218, à la page 219 (nos italiques)

325 M. LOUGHLIN, préc., note 324, p. 229. Voir aussi Walter Jean GANSHOF VAN DER MEERSCH,

Conclusions générales précédant Cass. B. 9 novembre 1972, Pasicrisie, 1973.I.237 : « Le peuple est souverain, mais cette souveraineté, il ne peut l’exercer lui-même, donc il en délègue l’exercice au pouvoir constituant, en échange pour ce dernier de constituer les autres pouvoirs, c’est-à-dire de les définir et de les organiser ».

proposition, Léo Hamon écrit pour sa part : « La souveraineté nationale appartient ultimement au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum326 ».

Loughlin va jusqu’à déclarer que « [t]he people as such cannot deliberate or advise, govern or execute; they are able to act only in plebiscitary mode and in response to a precise question. Political action is therefore undertaken primarily by those who claim to act in the name of the people. The constituent power of the people is, for the most part, delegated to their elected representatives327 ». En effet, même dans les procédures de révision où le peuple est un acteur important, le concours des représentants demeure nécessaire, tantôt pour formuler des propositions ou pour organiser le processus, d’autres fois pour donner suite à ses résultats. Ainsi, le pouvoir constituant du peuple ne peut s’exercer directement et sans aucune intervention des élites politiques. À divers degrés, les représentants sont essentiels à l’exercice de la fonction constituante.

Pour étudier comment prend forme le processus constituant dans les sociétés fragmentées, cette première partie porte sur les procédures de révision constitutionnelle par les élites politiques, et ce, dans toutes les dimensions et sous toutes les formes qu’elles peuvent prendre. Elle se divise en deux titres, soit un premier où sont abordées les procédures de révision constitutionnelle centralisées (titre 1), puis, un second, où nous traitons des procédures de révision constitutionnelle décentralisées (titre 2).

326 Léo HAMON, « Du référendum à la démocratie continue », Revue française de science politique,

vol. 34, 1984, p. 1084.

TITRE 1 – De la cohésion entre élites : les procédures de révision constitutionnelle