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L’exercice de la fonction constituante dans les sociétés fragmentées : contribution à l’étude des procédures de révision constitutionnelle de la Belgique, du Canada et de la Suisse à travers le prisme du fédéralisme consociatif

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Texte intégral

(1)

L’exercice de la fonction constituante dans les sociétés

fragmentées – Contribution à l’étude des procédures de

révision constitutionnelle de la Belgique, du Canada et

de la Suisse à travers le prisme du fédéralisme

consociatif

Thèse en cotutelle

Doctorat en droit

Dave Guénette

Université Laval

Québec, Canada

Docteur en droit (LL. D.)

et

Université catholique de Louvain

Louvain-la-Neuve,Belgique

(2)

L’exercice de la fonction constituante dans les

sociétés fragmentées

Contribution à l’étude des procédures de révision

constitutionnelle de la Belgique, du Canada et de la Suisse à

travers le prisme du fédéralisme consociatif

Thèse en cotutelle

Doctorat en droit

Dave Guénette

Sous la direction de :

Patrick Taillon

Marc Verdussen

(3)

Résumé

La présente thèse de doctorat porte sur la révision constitutionnelle dans les sociétés fragmentées. Elle ambitionne d’analyser et de comparer de quelle manière sont aménagées les procédures de révision constitutionnelle dans les États qui sont aux prises avec d’importants clivages linguistiques, ethniques ou religieux.

Pour analyser cette problématique, nous mobilisons le cadre théorique du fédéralisme consociatif. Ce dernier est une articulation particulière du principe fédératif qui prend forme dans le respect des enseignements et des postulats du consociationalisme (ou démocratie consociative). Le fédéralisme consociatif est particulièrement pertinent pour étudier les procédures de révision constitutionnelle dans les sociétés fragmentées, puisqu’il recommande un ensemble d’arrangements institutionnels et de propositions normatives qui ont pour vocation de faciliter l’atteinte et le maintien de la stabilité politique dans un État marqué par d’importants clivages. Entre autres choses, le fédéralisme consociatif propose, comme principal postulat normatif, que les élites politiques des différents segments de la population sont plus susceptibles d’établir les consensus nécessaires à la conduite des affaires de l’État que ne l’est la population de ces mêmes groupes. Cette proposition est au cœur de notre démonstration, qui cherche à établir dans quelle mesure le rôle et l’influence des élites politiques sont un moteur de consensus lors du processus constituant, de même que de quelle manière les procédures de révision intégrant le peuple peuvent se faire en évitant d’exacerber les tensions entre les segments démotiques de la société.

À partir d’une démarche comparative, nous étudions les processus constituants en place en Belgique, au Canada et en Suisse, tout en nous alimentant de certains autres systèmes. Nos résultats nous amènent à conclure qu’effectivement, la présence d’une grande coalition consociative est un important moteur de consensus, mais également que, parfois, les procédures de démocratie directe peuvent avoir pour effet d’accentuer la recherche de consensus entre élites, et donc de s’inscrire dans une dynamique consociative. Nous en venons donc à confirmer le postulat au fondement du consociationalisme, tout en le nuançant à certains égards.

(4)

Abstract

This doctoral thesis focuses on constitutional change in divided societies. The aim is to analyse and compare how constitutional change processes are organized in states that are divided along linguistic, ethnic or religious lines.

To analyse this problem, we mobilise the theoretical framework of consociational federalism. The latter is a particular articulation of the federal principle that takes shape in accordance with the teachings and postulates of consociationalism (or consociational democracy). Consociational federalism is particularly relevant to the study of constitutional chance processes in divided societies, since it recommends a set of institutional arrangements and normative proposals that are intended to facilitate the achievement and maintenance of political stability in states marked by important cleavages. Among other things, consociational federalism proposes, as its main normative premise, that political elites from the different segments of the population are more likely to build the consensus necessary for the conduct of state affairs than the population of those same groups. This proposition is central to our demonstration, which seeks to establish the extent to which the role and influence of political elites is a driver of consensus in the constituent process, as well as how people-inclusive constitutional change procedures can be achieved without exacerbating tensions between the demotic segments of a society.

Using a comparative approach, we study the constituent processes in place in Belgium, Canada and Switzerland, while also drawing on some other systems. Our results lead us to conclude that the presence of a large consociational coalition is indeed an important driver of consensus, but also that, at times, direct democratic processes can have the effect of accentuating the search for consensus among political elites, and thus become part of a consociational dynamic. We therefore come to confirm the premise underlying consociationalism, while at the same time tempering it in certain respects.

(5)

Table des matières

Résumé ... ii Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures et tableaux ... xii

Remerciements ... xiv

INTRODUCTION ... 1

PARTIE PRÉLIMINAIRE – Comment et pourquoi faire l’étude du processus constituant dans les sociétés fragmentées à l’aide du fédéralisme consociatif et du droit constitutionnel comparé ... 8

Section 1 – Cadre théorique : le fédéralisme consociatif comme prisme d’analyse du processus constituant dans les sociétés fragmentées ... 9

A) Définir le fédéralisme et le consociationalisme ... 9

i) Le fédéralisme et la division de la souveraineté ... 10

a) Le fédéralisme in abstracto ... 10

b) Le fédéralisme in concreto ... 14

ii) Le consociationalisme et l’exercice consensuel du pouvoir ... 20

a) Le consociationalisme dans ses fondements conceptuels ... 21

b) Le consociationalisme et ses conditions d’existence ... 24

B) Différencier et conjuguer le fédéralisme et le consociationalisme ... 31

i) Les convergences et divergences théoriques, descriptives et normatives entre le fédéralisme et le consociationalisme ... 31

a) Les similitudes et les différences entre les deux théories ... 31

b) Les dimensions descriptives et normatives du fédéralisme et du consociationalisme ... 37

ii) Le fédéralisme consociatif et son intérêt pour l’étude du processus constituant dans les sociétés fragmentées ... 44

a) Définir le fédéralisme consociatif comme articulation du principe fédératif ... 44

b) Les enseignements du fédéralisme consociatif relatifs au processus constituant ... 46

(6)

Section 2 – Cadre méthodologique : étudier le processus constituant dans les sociétés

fragmentées à partir du droit comparé et en s’inspirant de l’interdisciplinarité ... 52

A) Le questionnement au fondement de la thèse et la justification de sa pertinence ... 52

i) Question(s) de recherche et hypothèse concordante ... 52

a) Questions de recherche principale et incidentes ... 53

b) Hypothèse de recherche ... 53

ii) Objectifs et pertinence de la démonstration ... 54

a) Objectifs de la démonstration ... 54

b) Pertinence de la démonstration ... 55

B) Une méthodologie comparative et s’inspirant d’une démarche interdisciplinaire .. 58

i) Définir l’approche méthodologique privilégiée ... 58

a) Le droit constitutionnel comparé comme cadre méthodologique de la thèse .. 58

b) L’interdisciplinarité par la science politique en appui au cadre méthodologique ... 66

ii) Les systèmes constitutionnels à l’étude ... 71

a) Principaux éléments de comparaison entre les États belge, canadien et suisse 71 b) Approfondir l’étude des clivages linguistiques belge, canadien et suisse ... 78

Conclusion de section ... 87

Conclusion de la partie préliminaire ... 88

PARTIE 1 – Les procédures de révision constitutionnelle par des élites politiques fragmentées ... 90

TITRE 1 – De la cohésion entre élites : les procédures de révision constitutionnelle centralisées ... 93

CHAPITRE 1 – La grande coalition politique et son influence consociative lors d’une révision constitutionnelle ... 96

Section 1 – Les gouvernements fédéraux formés d’un cartel d’élites ... 97

A) La coalition gouvernementale, un postulat théorique et ses applications pratiques ... 98

i) L’importance de la grande coalition dans les régimes consociatifs ... 98

ii) L’institutionnalisation de la grande coalition gouvernementale ... 102

B) Le pouvoir exécutif fédéral en Belgique et en Suisse, ses caractéristiques et son influence sur le processus constituant ... 105

i) La parité linguistique au sein du Conseil des ministres de la Belgique ... 105

ii) La grande coalition politique et linguistique au sein du Conseil fédéral de la Suisse ... 111

(7)

Conclusion de section ... 116

Section 2 – Les conférences intergouvernementales comme forme alternative de grande coalition politique ... 117

A) Le fédéralisme intergouvernemental et ses expressions européenne et canadienne ... 118

i) Une articulation élitaire du principe fédératif et son exemple européen .... 118

ii) L’expression du fédéralisme intergouvernemental au Canada ... 122

B) Les conférences constitutionnelles, une authentique coalition politique au Canada ... 126

i) Les conférences constitutionnelles, un fil conducteur de l’histoire canadienne ... 126

ii) L’intégration des peuples autochtones aux conférences constitutionnelles ... 132

Conclusion de section ... 135

Conclusion de chapitre ... 136

CHAPITRE 2 – Le Parlement fédéral, les majorités qualifiées et la rencontre des élites représentatives ... 138

Section 1 – La chambre basse, la représentation du peuple et le reflet de ses clivages ... 139

A) Le principe de la participation proportionnelle et la chambre basse dans le processus constituant ... 140

i) Les deux faces du principe de la participation proportionnelle ... 140

ii) Quelques exemples et contre-exemples d’applications du principe de la participation proportionnelle ... 143

B) La Chambre des représentants de la Belgique et son adhésion au principe de la participation proportionnelle ... 147

i) La composition de la Chambre des représentants, entre dimensions territoriale et personnelle ... 148

ii) Le processus décisionnel de la Chambre des représentants lors d’une révision ... 151

Conclusion de section ... 153

Section 2 – La chambre haute et la dimension fédérale du bicaméralisme ... 154

A) Le bicaméralisme à travers l’histoire et dans divers systèmes fédéraux ... 155

i) Le bicaméralisme, son évolution historique et son utilité ... 155

ii) L’application et la pertinence du bicaméralisme dans les fédérations contemporaines ... 159

(8)

B) Les chambres hautes de la Belgique et de la Suisse et la volonté d’y donner

une voix aux entités fédérées ... 163

i) Le Sénat belge, entre vestige historique et volonté fédérale ... 163

ii) Le Conseil des États de la Suisse, une chambre proprement fédérale, mais à la dynamique majoritaire ... 168

Conclusion de section ... 171

Conclusion de chapitre ... 172

Conclusion de titre ... 173

TITRE 2 – De l’autonomie des élites politiques des divers segments : les procédures de révision constitutionnelle décentralisées ... 175

CHAPITRE 3 – La ratification d’une révision constitutionnelle par les élites des États membres et les ouvertures asymétriques ... 178

Section 1 – La ratification d’une révision constitutionnelle par les entités fédérées ... 179

A) La ratification par les institutions des États membres : théorie et pratique ... 180

i) Quelque part entre le fédéralisme et le confédéralisme ... 180

ii) Les exemples de l’Union européenne et des États-Unis ... 182

B) Le rôle des provinces canadiennes dans la ratification d’une révision constitutionnelle ... 185

i) La procédure « normale » du « 7/50 » et l’originalité canadienne en matière de majorité qualifiée ... 185

ii) La procédure de l’unanimité, son caractère exceptionnel et son application limitée ... 190

Conclusion de section ... 193

Section 2 – Les révisions constitutionnelles par procédures asymétriques ... 194

A) Le droit de retrait et la possibilité de se soustraire de l’application de la révision ... 194

i) Le fédéralisme asymétrique et le processus constituant ... 194

ii) Le droit de retrait et sa compensation, un droit de véto constructif ... 197

B) Les procédures de révisions constitutionnelles bilatérales ... 202

i) La procédure de révision constitutionnelle des arrangements spéciaux au Canada ... 202

ii) Le fédéralisme par traités avec les peuples autochtones au Canada ... 206

Conclusion de section ... 211

(9)

CHAPITRE 4 – L’initiative constitutionnelle et l’autonomie constituante des élites

politiques des États membres ... 214

Section 1 – L’initiative constitutionnelle et la capacité d’être l’instigateur du processus de révision ... 215

A) Le potentiel significatif du droit d’initiative en matière constitutionnelle .... 216

i) L’initiative constitutionnelle en contexte fédératif et pluriel ... 216

ii) Les initiatives constitutionnelles des autorités suisses, espagnoles et italiennes ... 219

B) L’initiative constitutionnelle au Canada, la prérogative de toutes les provinces ... 223

i) Le mécanisme d’initiative constitutionnelle au Canada ... 223

ii) Les conséquences politiques et juridiques d’une initiative constitutionnelle ... 227

Conclusion de section ... 229

Section 2 – La révision des ordres constitutionnels internes ... 230

A) L’autonomie constituante des États membres d’une société fragmentée ... 230

i) Les Constitutions internes dans les systèmes fédéraux ... 230

ii) Les statuts d’autonomie comme ordre constitutionnel interne dans les États régionaux ... 234

B) La révision des Constitutions cantonales et provinciales en Suisse et au Canada ... 236

i) Les Constitutions cantonales en Suisse et leur révision ... 237

ii) Les Constitutions provinciales au Canada et le pouvoir constituant des provinces ... 239

Conclusion de section ... 242

Conclusion de chapitre ... 244

Conclusion de titre ... 244

Conclusion de partie ... 246

PARTIE 2 – Les procédures de révision constitutionnelle intégrant un peuple empreint de clivages ... 251

TITRE 3 – Le mode de consultation du peuple et ses effets : quand le corps électoral vote lors d’une révision constitutionnelle ... 255

CHAPITRE 5 – La consultation indirecte des électeurs : la dissolution parlementaire et l’organisation d’élections en cours de révision ... 262

Section 1 – La tenue d’élections obligatoires avant la formulation du projet ... 264

(10)

i) … pour la consulter : le cas de la Belgique ... 264

ii) … pour la faire trancher : le cas de la Suisse ... 267

B) Les limites consultatives et consociatives des élections en cours de révision constitutionnelle en Belgique ... 270

i) Les critiques relatives à l’objectif de consultation ... 270

ii) La fragmentation du paysage politique belge à la suite du scrutin électoral ... 274

Conclusion de section ... 277

Section 2 – La tenue d’élections après la formulation du projet ... 278

A) Le caractère obligatoire ou fortuit des élections ... 278

i) Le scénario des élections obligatoires ... 278

ii) Les délais inhérents au processus de révision et le scénario des élections fortuites ... 280

B) Les délais et les élections en cours de révision constitutionnelle au Canada 284 i) Les délais de la révision constitutionnelle au Canada ... 285

ii) Les élections fortuites en cours de révision constitutionnelle au Canada .. 287

Conclusion de section ... 289

Conclusion de chapitre ... 290

CHAPITRE 6 – La consultation directe des électeurs : les effets politiques et juridiques d’un scrutin référendaire ... 293

Section 1 – Les effets sur les relations entre les segments ... 294

A) La nature souvent très polarisante des scrutins référendaires ... 295

i) Les scrutins référendaires dans les sociétés fragmentées ... 295

ii) Les expériences de la Belgique et du Canada en la matière ... 299

B) Les effets quelques fois moins polarisants de la démocratie référendaire : le cas de la Suisse ... 305

i) L’expérience suisse en matière de scrutins référendaires dans une société fragmentée ... 305

ii) La démocratie référendaire en appui à la concordance ... 308

Conclusion de section ... 312

Section 2 – Les effets juridiques de la démocratie référendaire ... 313

A) La distinction entre les scrutins référendaires exécutoires et ceux consultatifs ... 313

i) Une distinction relative aux effets juridiques produits par le scrutin ... 314

(11)

B) Le rôle des autorités à la suite d’un scrutin consultatif ... 320

i) La latitude des élites politiques dans l’interprétation et la mise en œuvre des résultats ... 320

ii) La possibilité de tenir compte des préférences régionales exprimées lors du vote ... 322

Conclusion de section ... 326

Conclusion de chapitre ... 327

Conclusion de titre ... 329

TITRE 4 – La définition des termes du débat et des résultats référendaires : de la formulation à l’adoption d’une révision ... 332

CHAPITRE 7 – L’initiative du scrutin référendaire et la capacité de formuler le contenu d’une révision ... 336

Section 1 – L’initiative référendaire par les autorités ... 337

A) La nature obligatoire ou d’opportunité du scrutin référendaire ... 338

i) Les scrutins référendaires obligatoires pour la révision constitutionnelle .. 338

ii) Les scrutins référendaires d’opportunité en cours de révision constitutionnelle ... 342

B) La formulation des termes du scrutin : de la proposition générale au projet entièrement rédigé ... 347

i) Le projet formulé, prêt à l’entrée en vigueur ... 347

ii) La proposition plus ou moins générale qui demeure à définir ... 350

Conclusion de section ... 354

Section 2 – L’initiative populaire de la révision constitutionnelle ... 355

A) Les variations et les effets de l’initiative populaire ... 355

i) Quelques déclinaisons de l’initiative populaire ... 355

ii) L’initiative populaire propositive en Suisse et la formulation des termes du débat ... 360

B) Les réponses possibles des autorités à l’initiative populaire ... 363

i) La complémentarité entre l’action des autorités et celle des initiants ... 363

ii) L’opposition entre les autorités et les initiants ... 369

Conclusion de section ... 372

Conclusion de chapitre ... 372

CHAPITRE 8 – Les majorités qualifiées et l’expression d’un plus grand consensus autour de la révision ... 375

(12)

A) Les majorités qualifiées menant à la possibilité d’un « référendum

consociatif » ... 377

i) Les majorités qualifiées dans les sociétés fragmentées ... 377

ii) Les multiples formes de majorité qualifiée ... 379

B) La double majorité requise en Suisse ... 384

i) Une majorité populaire et fédérale ... 384

ii) Une protection efficace des divers segments ... 388

Conclusion de section ... 392

Section 2 – Les majorités qualifiées indéterminées ... 393

A) Les scrutins référendaires aux majorités qualifiées indéterminées au Canada ... 393

i) Le scrutin référendaire à l’échelle fédérale et l’ambigüité quant au taux d’appui provincial requis ... 393

ii) Le scrutin référendaire à l’échelle provinciale, ayant des répercussions pour l’ensemble du Canada, et la majorité claire ... 396

B) Les avantages et les périls de l’imprécision quant à la majorité requise ... 401

i) Les vertus possibles de l’ambiguïté référendaire dans une société fragmentée ... 401

ii) Le danger de l’arbitraire dans l’interprétation des résultats d’un scrutin référendaire ... 404 Conclusion de section ... 408 Conclusion de chapitre ... 409 Conclusion de titre ... 409 Conclusion de partie ... 411 CONCLUSION DE LA THÈSE ... 415 BIBLIOGRAPHIE ... 421

(13)

Liste des figures et tableaux

Figure 1 : Représentation des opposés naturels du fédéralisme et du consociationalisme Tableau 1 : Les divers segments linguistiques de la Belgique, du Canada et de la Suisse

(14)

À Hélène et à son Roland

(15)

Remerciements

Au moment d’écrire ces lignes, je réalise à quel point la section « Remerciements » d’une thèse n’a rien de banale. Au-delà de la réalisation académique qu’ils précèdent, ces remerciements permettent de s’exprimer plus personnellement – et librement – sur l’expérience vécue pendant les quelques années consacrées aux études doctorales. À ce titre, je dois dire que je ressens une profonde et sincère envie de saluer la contribution de plusieurs personnes à mon parcours.

À mes directeurs de recherche, Patrick Taillon et Marc Verdussen : je ne pourrais être plus heureux d’avoir croisé votre route. Merci d’abord à Patrick d’avoir été un excellent conseiller dans les premières étapes de mon jeune parcours d’étudiant à la maitrise, puis au doctorat. Merci aussi pour ta confiance, ta flexibilité, tes encouragements et pour les différentes opportunités que tu as mises à ma disposition. Sans cette heureuse combinaison, je n’aurais peut-être pas tenté de poursuivre jusqu’au doctorat. Faire ta rencontre aura définitivement été un moment marquant dans mon cheminement. Merci également de m’avoir suggéré – puis d’avoir gentiment insisté ! – pour que j’envisage la possibilité de faire mon doctorat en cotutelle : c’est là l’une des meilleures décisions que j’aurais pu prendre, tant dans ma vie académique que personnelle.

C’est notamment ce qui m’a amené à faire la connaissance de Marc, à Louvain-la-Neuve, par un bel après-midi de septembre 2015. J’ai alors rapidement eu l’impression de rencontrer quelqu’un de non seulement particulièrement pertinent pour m’aider à progresser dans mes travaux, mais, surtout, de profondément gentil et sympathique. Je ne m’étais pas trompé. Quel bonheur d’avoir pu le côtoyer presque quotidiennement pendant l’année 2015-2016, et d’avoir pu bénéficier de ses lumières. Je te remercie chaleureusement pour tout, Marc, et je me considère très privilégié d’avoir pu évoluer sous ta supervision. Quel bonheur également d’avoir pu vivre à Bruxelles et d’avoir fréquenté l’équipe du Centre de recherche sur l’État et la Constitution (CRECO) à Louvain-la-Neuve pendant cette même année. J’en garderai à jamais d’heureux souvenirs.

Sans avoir assuré un rôle de « direction », d’autres professeurs ont tout de même fait figure de véritables mentors pour moi. Je pense à Sylvette Guillemard et à Alain-G.

(16)

Gagnon. Merci pour votre aide, vos encouragements, votre générosité et votre bienveillance. Je suis définitivement très chanceux d’avoir fait votre rencontre à des moments aussi cruciaux de mon développement de jeune chercheur.

Je tiens également à remercier d’autres professeurs ou membres du personnel, dans un certain désordre, pour leur confiance, leur aide, leurs conseils, leurs bons mots ou leur gentillesse à mon endroit. Je pense notamment à Julie Desrosiers, Geneviève Motard, Louis-Philippe Lampron, Céline Romainville, Louise Langevin, André Bélanger, Noura Karazivan, Stéphane Bernatchez, Geneviève Nootens, Johanne Poirier, Alexandre Stylios, Olivier De Champlain, Marie-Josée Lahaie, Sylvain Lavoie, Catherine Brams, Magali Dupont et Marie-Elise Bouchonville.

Au courant ma première année de doctorat, j’ai eu la chance rare de rencontrer deux personnes qui allaient devenir de précieux collègues, mais, surtout, des amis exceptionnels. Merci d’abord à Amélie Binette, rencontrée comme bénévole dans un colloque et avec qui la chimie est apparue en littéralement quelques secondes : ton soutien indéfectible et ton écoute sont une source de réconfort inestimable. Merci également à Félix Mathieu, rencontré en Italie pour une École d’été et avec qui la camaraderie et l’amitié se sont installées instantanément : ton apport à mes travaux et à mes réalisations est plus que significatif, mais n’égale tout de même pas la valeur de ton amitié. Les cinq dernières années, sans votre présence à mes côtés, n’auraient jamais été aussi bien remplies, agréables, productives. Bref, elles n’auraient pas été aussi heureuses sans vous.

J’ai aussi le bonheur de compter sur le soutien d’autres amis et collègues. Je pense, entre autres, à Marie-Michelle Savard, complice singulière de voyage pendant ma cotutelle, à Andrée-Anne Cyr et Dominique Cyr, amis irremplaçables depuis le cégep, et à tellement d’autres, dont Catherine Charron, Marie-Pier Savoie, Estelle Denoncourt, Lucie Allard, Karoll Godbout, Stéphanie Mireault, Julien Fournier, Mylina Perron-Simard, Catherine Viens, Jeremy Elmerich, Èvelyne Brie, Philippe van Gruisen, Anne-Sophie Bouvy et Edouard Cruysmans. Merci à vous tous.

J’ai aussi la chance d’avoir une famille extraordinaire, des tantes et des oncles, des cousines et des cousins avec qui j’ai grandi et que j’aime beaucoup. Merci de faire partie de

(17)

ma vie. Merci à mes grands-parents, dont ma grand-mère, Yolande, qui s’intéresse beaucoup à mes travaux. Merci à Roland, Fabienne, Diane et Denis. Merci à mon père d’être un bel exemple d’attitude positive et de résilience. Merci, papa, pour ton soutien et ton amour. Merci tout particulièrement à ma mère pour ses encouragements, son soutien et son amour. Merci, maman, pour ton intérêt envers mes projets, pour ton écoute constante, pour ton enthousiasme, ton temps et ta patience. Merci d’avoir été la mère présente et aimante que tu es et que tu as toujours été.

Merci à mon fiancé, William, qui partage mon quotidien et qui ajoute des rayons de soleil même sur mes passages les plus orageux. Merci d’être toujours aussi positif, léger et agréable. Merci d’avoir été à mes côtés pendant toutes les épreuves qui accompagnent l’écriture d’une thèse et de les avoir affrontés avec moi, tel un véritable frère d’armes. Merci, surtout, pour ton amour.

En outre, merci au soutien financier exceptionnel du FRQSC et du CRSH pendant mes études doctorales, de même qu’à la Faculté de droit de l’Université Laval pour les généreuses bourses reçues. Merci à la revue Les Cahiers de droit de m’avoir fourni un emploi stable, flexible et tellement agréable pendant toutes mes études aux cycles supérieurs. Merci au CRIDAQ, au CRECO et à la CREQC qui, comme structures de recherche, m’ont épaulé financièrement et techniquement dans mes travaux depuis le tout début. L’appui de tous ces organismes aura sans aucun doute été marquant dans ma réussite. Merci enfin au FRQSC de financer mes recherches postdoctorales, lesquelles j’amorcerai bientôt – avec enthousiasme ! –, sous la supervision de la professeure Johanne Poirier, à l’Université McGill.

(18)

INTRODUCTION

Une saine et forte Constitution est la première chose qu’il faut rechercher. Jean-Jacques ROUSSEAU1 Il ne doit point [être perdu] de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. Jean-Étienne-Marie PORTALIS2

Les sociétés démocratiques contemporaines font parfois montre de ce que le philosophe canadien Charles Taylor qualifie de diversité profonde3. En effet, au pluralisme ethnoculturel résultant des mouvements migratoires et des flux de population, se juxtapose, dans certains États, un pluralisme sociétal et démotique, qui procède de la cohabitation historique de divers groupes linguistiques, ethniques ou religieux4. On constate alors

aisément que l’homogénéité étatique n’est certes pas la norme. Au contraire, les démocraties libérales contemporaines, traversées de cette diversité profonde, constituent des sociétés complexes5. Ces deux formes d’expression du pluralisme – ethnoculturel et démotique –, bien qu’elles participent autant l’une que l’autre de la diversité des sociétés

1 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, livre 2, chap. 9.

2 Jean-Étienne-Marie PORTALIS, Discours, rapports et travaux inédits sur le code civil, Paris,

Joubert, 1844, p. 4 et 5.

3 Charles TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Flammarion, 1994.

4 Ce sont là les trois types de minorités qu’identifie le Pacte international relatif aux droits civils et

politiques, 16 décembre 1966, (1976) 999 R.T.N.U. 186, art. 27. À la lecture du même article, on

pourrait également ajouter les minorités culturelles.

5 Félix MATHIEU, Les défis du pluralisme à l’ère des sociétés complexes, Québec, Presses de

(19)

complexes, répondent néanmoins d’impératifs fort différents et présentent des enjeux et défis qui leur sont propres. Il importe alors de bien distinguer celles-ci pour tenir compte de leur particularisme.

D’une part, le pluralisme ethnoculturel, qui résulte notamment des mouvements migratoires et de la mondialisation, requiert la mise en place de politiques publiques permettant et favorisant l’insertion sociale et l’intégration des nouveaux-arrivants à leur société d’accueil. Le multiculturalisme6, l’interculturalisme7 ou encore le républicanisme8 constituent, à cet effet, des modèles dominants pour penser la gestion de ce type de pluralisme. De plus, des instruments juridiques de protection des droits et libertés individuelles existent habituellement dans les démocraties libérales pour protéger les membres des minorités ethnoculturelles et leur droit à l’égalité ou leur liberté de conscience, par exemple9.

D’autre part, le pluralisme sociétal ou démotique, qui trouve sa source dans la cohabitation historique, au sein d’une même société, de plus d’un groupes linguistiques, ethniques ou religieux, nécessite également certaines adaptations institutionnelles et constitutionnelles. Il faut alors tenir compte de la spécificité et des particularités qui émergent d’un tel contexte. Il est alors opportun que l’architecture étatique et constitutionnelle reflète cette réalité, à travers notamment une politique de la reconnaissance10, une allocation des compétences législatives qui respecte le désir d’autonomie des divers groupes et la mise en place d’institutions centrales et décentralisées représentatives des clivages de la société.

6 C. TAYLOR, préc., note 3.

7 Gérard BOUCHARD, L’interculturalisme. Un point de vue québécois, Montréal, Boréal, 2012. 8 James TULLY, « La conception républicaine de la citoyenneté dans les sociétés multiculturelles et

multinationales », Politique et société, vol. 20, no 1, 2001, p. 123.

9 Voir par exemple la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. no 5 et la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

(20)

C’est précisément à ce dernier type de pluralisme que nous nous intéresserons dans la présente thèse. C’est ainsi dire que notre démonstration n’a pas la prétention ni même l’intention d’aborder les problématiques ou les enjeux relatifs au pluralisme issu des migrations individuelles ou de masse. L’attention sera plutôt portée exclusivement sur la diversité sociétale qui résulte de la présence historique, dans un même État, de plusieurs groupes démotiques bénéficiant d’une certaine reconnaissance constitutionnelle.

Ces États, empreints de ce type de clivages linguistiques, ethniques ou religieux, constituent ce que nous appellerons ici des sociétés fragmentées. En utilisant ces termes, nous renvoyons directement au concept de plural society du politologue Arend Lijphart11.

En 1977, dans son ouvrage phare Democracy in Plural Societies, Lijphart affirmait : « a plural society is a society divided by […] segmental cleavages12 », ajoutant : « Segmental cleavages may be of a religious, ideological, linguistic, regional, cultural, racial, or ethnic nature13». Il précisait également : « The groups of the population bounded by such cleavages will be referred to as the segments of a plural society14 ».

Faisant nôtre cette conception des sociétés fragmentées et des clivages segmentaux qui les caractérisent, nous adopterons également la terminologie de Lijphart pour identifier les groupes qui participent à ce type de sociétés, en ce que nous qualifierons ceux-ci de segments, groupes ou composantes de l’État. Ceux-ci, sans nécessairement être l’objet d’une construction nationale achevée et affirmée, constituent néanmoins des groupes partageant un nombre de caractéristiques communes suffisamment importantes et enracinées d’un point de vue sociologique et historique pour qu’il soit possible de départager leurs membres en fonction de ces mêmes critères d’appartenance.

11 Ailleurs, Lijphart à plutôt utilisé l’expression « deeply divided societies » pour renvoyer à la

même réalité : Arend LIJPHART, « Majority Rule versus Democracy in Deeply Divided Societies »,

Politikon, vol. 4, 1977, p. 113.

12 Arend LIJPHART, Democracy in Plural Societies. A comparative Exploration, New Haven, Yale

University Press, 1977, p. 3.

13 A.LIJPHART, préc., note 12, p. 3 et 4.

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On dira donc d’un segment d’une société fragmentée qu’il est un groupe, aisément identifiable, souvent territorialement concentré, numériquement et historiquement important, qui forme une composante constituante – et bien souvent préexistante – de l’État auquel il participe. Ces groupes font habituellement l’objet d’une certaine forme de reconnaissance au sein de leur ordre constitutionnel propre. C’est d’ailleurs là une caractéristique qui les distingue des communautés culturelles issues de l’immigration et participant au pluralisme ethnoculturel d’une société.

Cette diversité qui caractérise les sociétés fragmentées est difficilement conciliable avec le modèle normatif de l’État-nation « normal ». Ce dernier, pour reprendre les termes de Guy Laforest, se veut « triplement moniste : dans la concentration de la souveraineté, dans la compréhension de la citoyenneté et dans la déclinaison de l’identité nationale15 ». En ce sens, l’État-nation « postule une coïncidence entre la forme étatique et une nation16 ». Poussé à l’extrême, il en résulte qu’« État et Nation sont en relation de mutuelle congruence : indissociablement liées, les notions coïncident exactement, adhèrent l’Une à l’Autre. L’État n’est jamais que le signifiant de la Nation, et il ne peut se passer du signifié national17 ».

Cette conception classique de l’État-nation – et son inflexibilité –, force est de le constater, est incapable de rendre correctement compte de la complexité de certaines sociétés contemporaines. Formulé autrement, l’État-nation, et la vision de la société qu’il met de l’avant, échouent significativement à apprécier et prendre en compte la diversité sociétale et démotique qui caractérise un ensemble important de sociétés démocratiques libérales de notre époque. En plus de renvoyer – d’un point de vue descriptif – à une conception fictive de la diversité que peut renfermer l’État, ce modèle constitue – d’un point de vue normatif – un idéal mal adapté pour penser l’aménagement des rapports entre

15 Guy LAFOREST, Un Québec exilé dans la fédération. Essai d’histoire intellectuelle et de pensée

politique, Montréal, Québec Amérique, 2014, p. 48.

16 Geneviève NOOTENS, Désenclaver la démocratie. Des huguenots à la paix des Braves, Montréal,

Québec Amérique, 2004, p. 29

17 Jacques CHEVALIER, « L’État-nation », Revue du droit public, no 5, 1980, p. 1273, à la p. 1281.

Voir aussi James TULLY, Une étrange multiplicité. Le constitutionnalisme à une époque de

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les différents segments qui composent une société fragmentée, et la dynamique majorité/minorité(s) pouvant y prendre forme.

Devant cette faille ou carence du modèle de l’État-nation normal, lequel refuse notamment « la pluralité des modalités d’appartenance18 » intrinsèque aux sociétés fragmentées, d’autres modèles étatiques d’organisation du pouvoir constitutionnel et politique ont fait surface afin d’offrir une alternative aux démocraties libérales modernes qui sont traversées par des clivages linguistiques, ethniques ou religieux. Parmi ces alternatives, on compte notamment l’État dévolutionnaire19, l’État régional – ou État des autonomies20 –, l’État fédéral classique21, l’État fédéral multinational22 ou encore l’État

consociatif23.

Ces divers modèles ne sont évidemment pas mutuellement exclusifs. Au contraire, dans la pratique, un système peut emprunter aux caractéristiques de plusieurs modèles24. Un État dévolutionnaire peut ainsi tout à fait être consociatif, un État fédéral classique peut à certains égards être multinational et une fédération peut parfaitement être consociative.

Quelque soit la formule empruntée, et même si le modèle de gestion du pluralisme privilégié peut diverger, il demeure néanmoins commun aux sociétés fragmentées d’être confrontées à un bassin d’enjeux bien souvent similaires, ou du moins analogues. Ceux de

18 F. MATHIEU, préc., note 5, p. 2.

19 Voir notamment Michael KEATING, « La dévolution au Royaume-Uni », Annuaire des

collectivités locales, t. 24, 2004, p. 321.

20 Voir notamment Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel, 17e éd., Paris, Dalloz, 2015, p.

485-501.

21 Voir notamment Kenneth C. WHEARE, Federal Government, 4e éd., Oxford, Oxford University

Press, 1963; William S. LIVINGSTON, « A Note on the Nature of Federalism », Political Science

Quarterly, vol. 67, no 1, 1952, p. 81.

22 Voir notamment Alain-G. GAGNON, La Raison du plus fort. Plaidoyer pour le fédéralisme

multinational, Montréal, Québec Amérique, 2008; Christophe PARENT, Le concept d’État fédéral

multinational. Essai sur l’union des peuples, Bruxelles, Peter Lang, 2011.

23 Voir notamment A.LIJPHART, préc., note 12.

24 Arend LIJPHART, « Consociation and Federation : Conceptual and Empirical Links », Revue

canadienne de science politique, vol. 12, nº 3, 1979, p. 499; Dave GUÉNETTE, « La Cour suprême du Canada et la pluralité démotique de l’État canadien – Des traces de consociationalisme dans la jurisprudence constitutionnelle », Revue générale de droit, vol. 46, no 1, 2016, p. 215.

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la cohésion intersegmentale25, de la reconnaissance mutuelle26, de la redistribution des ressources fiscales27 et des mouvements sécessionnistes28 représentent, à cet effet,

quelques-uns des exemples de problématiques qui apparaissent communes aux sociétés fragmentées29.

Un autre enjeu qui nous apparait tout aussi fondamental au contexte d’une société fragmentée est celui de la révision constitutionnelle. En effet, puisque ces mécanismes ou instruments de cohésion intersegmentale, de reconnaissance mutuelle, de redistribution des ressources fiscales et d’encadrement des mouvements sécessionnistes trouveront tous leur socle au sein de l’ordre constitutionnel englobant, il apparaît évident que la révision de ce même ordre ne peut que représenter un enjeu de premier ordre. Il en va également ainsi de l’allocation des compétences législatives et de la création d’institutions centrales et décentralisées représentatives des clivages segmentaux. En effet, dans un État fédéral fragmenté, la Constitution met de l’avant un ensemble de dispositions et d’arrangements institutionnels qui encadrent les rapports entre les divers segments, de même que leur participation aux différents processus étatiques et les instruments à travers lesquels ils peuvent exercer leur autonomie. Elle fixe les règles du jeu et les fondements de la coexistence de plusieurs groupes dans un même État.

À cela, il faut ajouter que la Constitution produit un ordre juridique à la fois englobant et structurant, susceptible de produire des effets performatifs. Sa révision porte

25 A. LIJPHART, préc., note 24, p. 499. 26 M. SEYMOUR, préc., note 10.

27 François BOUCHER et Alain NOËL (dir.), Fiscal Federalism in Plurinational Societies. Equality

and Autonomy, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020.

28 Alan PATTEN, « Democratic Secession from a Multinational State », Ethics, vol. 112, no 3, 2002,

p. 558; Daniel WEINSTOCK, « Constitutionalizing the Right to Secede », Journal of Political

Philosophy, vol. 9, no 2, 2001, p. 182; Hugues DUMONT et Mathias EL BERHOUMI, « La reconnaissance constitutionnelle du droit de demander la sécession dans les États plurinationaux », dans Alain-G. GAGNON et Pierre NOREAU (dir.), Constitutionnalisme, droits et diversité. Mélanges

en l’honneur de José Woehrling, Montréal, Thémis, 2017, p. 461.

29 Ces quatre enjeux constituaient d’ailleurs les thématiques principales de l’Institut de recherche

coorganisé par le CENTRE DE RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE SUR LA DIVERSITÉ ET LA DÉMOCRATIE et l’EUROPEAN ACADEMY OF BOZEN/BOLZANO, La politique dans les sociétés

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alors en elle le potentiel d’altérer les institutions les plus fondamentales d’une société, mais également la formulation juridique du reflet qu’elle souhaite produire. En ce sens, dans une société fragmentée, la révision de l’ordre constitutionnel représente indubitablement un enjeu de la plus haute importance, de même qu’un défi auquel il est nécessaire de prêter attention. Or, est-ce que les sociétés fragmentées tiennent compte du fait qu’elles se composent de plusieurs groupes distincts quand vient le temps de modifier leur Constitution? Et si oui, comment s’y prennent-elles pour le faire? Voilà bien le problème auquel s’intéresse la présente thèse.

De manière plus appliquée, il importe donc de s’interroger sur comment les Constitutions sont-elles modifiées dans les sociétés fragmentées. Les procédures mises en place pour apporter des modifications aux textes constitutionnels dans ce type de sociétés suivent-elles des règles spécifiques ou obéissent-elles plutôt simplement aux mêmes impératifs que les procédures de révision des autres types d’États? La nature fragmentée d’une telle société suggère-t-elle de recourir spécifiquement à certains mécanismes aux dépens de certains autres pour procéder à la révision de l’ordre constitutionnel? De la même manière, et en toute cohérence avec la maxime latine quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet (ce qui concerne tous doit être délibéré et approuvé par tous), les processus constituants dans les sociétés fragmentées s’assurent-ils de faire intervenir tous les segments de la société à la procédure de révision, ou bien mettent-ils de l’avant certaines procédures, sans considération particulières pour les clivages démotiques qui les caractérisent?

Pour répondre à ces questions, la thèse s’appuie sur un cadre théorique et méthodologique qui permet une contribution significative à l’étude du processus constituant dans les sociétés fragmentées. À cet égard, le fédéralisme consociatif et le droit constitutionnel comparé seront les principaux outils mobilisés. Tour à tour, nous examinerons ceux-ci, de même que l’ensemble des autres éléments pertinents aux cadres théorique et méthodologique de la thèse.

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PARTIE PRÉLIMINAIRE – Comment et pourquoi faire l’étude du processus constituant dans les sociétés fragmentées à l’aide du fédéralisme consociatif et du droit constitutionnel comparé

Democratic constitutional change within divided societies has become an area of increasing importance for students of comparative politics. Michael LUSZTIG30 Plusieurs modèles ont été avancés pour répondre aux besoins des communautés politiques. Consociationalisme, fédéralisme, autonomie culturelle territoriale, autodétermination sont parmi les principales formes institutionnelles qui ont été proposées pour répondre aux demandes des minorités. Alain-G. GAGNON31

L’étude du processus constituant dans les sociétés fragmentées que nous souhaitons accomplir ici requiert d’entrée de jeu l’établissement de fondements théoriques et méthodologiques appropriés. À ce titre, nous aborderons d’emblée notre cadre théorique et comment le fédéralisme consociatif peut servir de prisme d’analyse pour l’examen de cette problématique (section 1). Ensuite, nous poursuivrons avec l’élaboration de notre cadre méthodologique, dans lequel nous proposerons de recourir au droit constitutionnel comparé, mais également de s’inspirer de l’interdisciplinarité (section 2).

30 Michael LUSZTIG, « Constitutional Paralysis: Why Canadian Constitutional Initiatives Are

Doomed to Fail », Revue canadienne de science politique, vol. 27, no 4, 1994, p. 747.

31 Alain-G. GAGNON, L’âge des incertitudes. Essais sur le fédéralisme et la diversité nationale,

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Section 1 – Cadre théorique : le fédéralisme consociatif comme prisme d’analyse du processus constituant dans les sociétés fragmentées

Parmi les vices inhérents à tout système fédéral, le plus visible de tous est la complication des moyens qu’il emploie. […] Le système fédératif repose donc, quoi qu’on fasse, sur une théorie compliquée, dont l’application exige, chez les gouvernés, un usage journalier des lumières de leur raison. Alexis DE TOCQUEVILLE32

Le fédéralisme consociatif combine deux des principaux modèles normatifs existant pour penser la cohabitation dans les sociétés fragmentées – et, plus largement, dans les États multinationaux –, soit le fédéralisme et le consociationalisme. Cela, en soi, est d’une grande pertinence pour l’étude du processus constituant dans un contexte pluriel. Mais l’attention accordée à la révision constitutionnelle par les penseurs de ces deux théories représente également des enseignements instructifs. Pour en faire état, nous traiterons d’abord des éléments de définition du fédéralisme et du consociationalisme dans leur individualité (A). Nous procèderons ensuite à un exercice ayant pour objectif de distinguer, puis de conjuguer le fédéralisme et le consociationalisme (B).

A) Définir le fédéralisme et le consociationalisme

Définir succinctement le fédéralisme et le consociationalisme représente un défi de taille. La discussion ici proposée ne peut évidemment qu’être parcellaire et n’aborder que quelques-uns des éléments de ces deux constructions théoriques. Elle ne peut également s’engager dans les grands débats alimentant les théoriciens respectifs du fédéralisme et du consociationalisme. Ainsi, ce que nous proposons est un aperçu condensé des univers théoriques fédéral et consociatif, lesquels aspirent à faire un tour d’horizon le plus complet

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et consensuel possible. Nous traiterons ainsi, dans l’ordre, du fédéralisme et de la division de la souveraineté dans l’État (i), puis du consociationalisme et l’exercice partagé du pouvoir au sein de celui-ci (ii).

i) Le fédéralisme et la division de la souveraineté

Comme un vaste ensemble de constructions théoriques en pensée politique, le fédéralisme s’appuie autant sur des réflexions philosophiques et conceptuelles que sur des expériences pratiques et concrètes. C’est in fine la lecture et la compréhension conjointe de ces éléments conceptuels puis matériels qui permettent de mieux définir une théorie comme le fédéralisme. Ainsi, afin de définir le fédéralisme d’une manière se voulant la plus logique, nous procèderons en deux étapes. D’abord, nous aborderons le fédéralisme comme un idéal abstrait (a), puis nous traiterons du fédéralisme dans son application institutionnelle concrète (b).

a) Le fédéralisme in abstracto

Selon Olivier Beaud, il est nécessaire de « prendre le risque de se frotter au problème de la définition de la Fédération, en dépit des mises en garde convergentes de nombreux auteurs, réticents à l’égard de toute entreprise théorique de définition33 ». À cet effet, nous débuterons donc en reproduisant une citation de l’Allemand Adolf Merkl, que Beaud qualifie de plus brillant élève de Hans Kelsen34. En 1936, dans « Der Föderalismus im österreichischen Verfassungsleben35 », Merkl écrit :

En tant qu’expression d’une notion politique et juridique, [le fédéralisme] se rapporte à une communauté de communautés que l’on tend à instaurer (erstrebte), ou qui est déjà instaurée – il se rapporte donc à la configuration fédérative de quelque chose qui est déjà en soi du politique et du juridique36.

33 Olivier BEAUD, Théorie de la fédération, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 101. 34 O. BEAUD, préc., note 33, p. 102.

35 « Le fédéralisme dans la vie constitutionnelle autrichienne ».

36 Adolf MERKL, « Der Föderalismus im österreichischen Verfassungsleben », (1936), traduit par O.

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Comme le rappelle ensuite Olivier Beaud lui-même, cette communauté de communautés dont parle Merkl ne manque pas de renvoyer à la république fédérative de Montesquieu, qu’il décrivait comme une société de sociétés37. C’est d’ailleurs là, selon lui,

« le grand intérêt de cette définition de Merkl », soit de « saisir la dualité constitutive de toute Fédération qui est une entité politique (une communauté politique) tout en étant aussi et en même temps la prolongation d’autres entités politiques (une communauté de communautés)38 ».

Cette communauté de communautés – ou société de sociétés – que décrit le fédéralisme implique, par nécessité ou par simple logique, la création d’un État où l’exercice de la souveraineté est divisé entre au moins deux ordres de gouvernements, lesquels combinent des éléments à la fois de shared-rule (i.e. participation et coopération) et de self-rule (i.e. autonomie et indépendance)39. En effet, le fédéralisme se rapporte à la coexistence de multiples identités et de diverses sources d’autorité40. Selon une formule consacrée, il se fonde sur la volonté d’atteindre un double objectif, soit celui « de maintenir à la fois l’unité et la diversité41 » de l’État fédéral.

37 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748, livre IX, chap. 1.

38 O. BEAUD, préc., note 33, p. 103. Ailleurs, Beaud écrit d’ailleurs « Le propre d’une Fédération,

c’est justement d’avoir un peuple de peuples » : Olivier BEAUD, « La sécession dans une

Fédération : plaidoyer pour l’autonomie du concept de sécession fédérative », dans Jorge CAGIAO Y

CONDE et Alain-G. GAGNON (dir.), Fédéralisme et Sécession, Bruxelles, Peter Lang, 2019, p. 57, à

la page 71.

39 Ronald L. WATTS, Comparing Federal Systems in the 1990s, Montréal, McGill-Queen’s

University press, 1995, p. 7. Voir aussi Sean MUELLER, « Self-Rule and Shared-Rule », 50 Shades

of Federalism, 2017, [En ligne], [50shadesoffederalism.com/theory/self-rule-shared-rule/?pdf=287].

40 Richard SIMEON et Ian ROBINSON, « The Dynamics of Canadian Federalism », dans James

BICKERTON et Alain-G. GAGNON (dir.), Canadian Politics, 5e éd., Toronto, University of Toronto Press, 2009, p. 155, à la page 157 : « [it is] about divided and shared authority; “national standards” and “provincial variation”; “self-rule” and “shared-rule”; “coming together” and “coming apart” ».

41 Eugénie BROUILLET, L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, thèse de

doctorat, Université Laval, Québec, 2003, p. 74; Raoul BLINDENBACHER et Ronald L. WATTS, « Federalism in a Changing World – A Conceptual Framework », dans Raoul BLINDENBACHER et Arnold KOLLERDANS (dir.), Federalism in a Changing World: Learning from Each Other, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2009, p. 7, à la page 9; Maurice CROISAT, Le

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Les rapports entre ces communautés et les institutions par lesquelles elles entrent en interaction au sein d’un seul et même État nécessitent l’existence d’un document qui, hors de la portée individuelle de celles-ci, règlemente, encadre et prévoit la nature de ces rapports. Ce document est alors incarné par la Constitution de l’État fédéral. En effet, non seulement le développement du fédéralisme est-il directement corrélé avec celui du constitutionnalisme moderne 42 , mais fédéralisme et constitutionnalisme sont indissociablement liés, notamment puisque c’est la Constitution qui, comme l’écrit Ronald Watts, « defines the authority of each of the orders of government so that neither is constitutionally subordinate to the other43 ».

En ce sens, dans les fédérations, la Constitution peut être perçue ou décrite comme un pacte. En effet, selon Alain-G. Gagnon : « Les spécialistes du fédéralisme sont en général à l’aise avec la notion de pacte. La notion de fédéralisme tire d’ailleurs sa propre origine du mot latin foedus, qui signifie pacte44 ». Pour sa part, Montesquieu parle d’une convention lorsqu’il écrit : « Cette forme de gouvernement [la république fédérative] est une convention, par laquelle plusieurs corps politiques consentent à devenir citoyens d’un État plus grand qu’ils veulent former45 ».

Largement répandue, cette conception du pacte entre communautés ne fait tout de même pas l’unanimité46. Il faut dire qu’elle est beaucoup plus aisément applicable aux fédérations qui prennent forme à travers un processus d’association ou d’agrégation

42 Michael BURGESS et Alain-G. GAGNON, « Le fédéralisme et la démocratie », dans Alain-G.

GAGNON (dir.), La politique québécoise et canadienne. Une approche pluraliste, Montréal, Presses

de l’Université du Québec, 2014, p. 323, à la page 330.

43 R.L. WATTS, préc., note 39, p. 93.

44 A.-G. GAGNON, préc., note 31, p. 156. Voir aussi Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit

constitutionnel et institutions politiques, 26e éd., Paris, Montchrestien, 2012, p. 208 et Vlad

CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droit constitutionnel, 5e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 207; O. BEAUD, préc., note 33, p. 111.

45 MONTESQUIEU, préc., note 37, livre IX, chap. 1.

46 Voir, par exemple, Hugues DUMONT, « Le pacte constitutionnel européen et les Nations sans

État », Civitas Europa, no 38, 2017, p. 369, qui opère spécifiquement la distinction entre, d’un côté, la Constitution comme « acte juridique unilatéral de la nation souveraine » (p. 371) et, de l’autre côté, la Constitution comme « pacte fédératif » : « au-delà du formalisme de la Constitution, acte juridique unilatéral issu de la volonté d’un peuple constituant, [existe] la logique politique du pacte fédératif » (p. 375).

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(dynamique centripète), qu’à celles qui naissent par un processus de dissociation (dynamique centrifuge).

C’est là une distinction fondamentale pour quiconque s’intéresse au fédéralisme, soit la différence entre fédéralisme par association et fédéralisme par dissociation. En effet, « [l]’État fédéral est toujours le produit d’un processus historique donné qui peut prendre [ces] deux directions opposées47 ». D’une part, le fédéralisme par association est un processus par lequel divers États unitaires souverains se regroupent et « délèguent une partie de leurs compétences, de leur souveraineté, à une superstructure, l’État fédéral. Ce dernier est donc le résultat d’un processus d’intégration, d’une logique d’union48 », mue

d’une force centripète. En ce sens, le fondement juridique de la fédération est ce même « pacte constitutionnel », lequel « il ne faut pas confondre avec une constitution unilatérale49 ». Les États-Unis, la Suisse, l’Allemagne et le Canada sont des exemples de fédéralisme par association.

D’autre part, le fédéralisme par dissociation représente le cas « d’un État unitaire qui accepte de transformer radicalement son organisation, généralement sous la pression de minorités ethniques ou linguistiques qui revendiquent davantage d’autonomie50 ». Aux antipodes du fédéralisme par association, l’État fédéral qui nait par une dynamique de dissociation est mû par une force centrifuge. Jusqu’ici plus rares et plus récents dans la trajectoire des États fédéraux51, les « phénomènes contemporains comme la fédéralisation de la Belgique » et « la régionalisation de l’Italie et de l’Espagne52 » en constituent des exemples éloquents.

D’un point de vue théorique, le fédéralisme se rapporte donc à une communauté de communautés, laquelle aspire à maintenir à la fois l’unité et la diversité de l’État fédéral à

47 L. FAVOREU et al., préc., note 20, p. 453. 48 L. FAVOREU et al., préc., note 20, p. 453. 49 O. BEAUD, préc., note 33, p. 32.

50 L. FAVOREU et al., préc., note 20, p. 453. 51 L. FAVOREU et al., préc., note 20, p. 453. 52 O. BEAUD, préc., note 33, p. 33.

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travers la mise en place de mécanismes de shared-rule et de self-rule. Il accepte et promeut la pluralité des modalités d’appartenance53 que refuse le plus souvent l’État-nation et tente

d’établir un équilibre dans les diverses tensions que provoque un tel contexte, lequel équilibre se retrouve intégré et protégé par une Constitution écrite. Enfin, ce contexte fédératif peut naitre autant dans une dynamique d’agrégation que de dissociation.

b) Le fédéralisme in concreto

Mais quelle forme appliquée prend donc le fédéralisme lorsqu’il se matérialise? Concrètement, à quoi peut-on reconnaitre un État qui prétend revêtir une forme fédérative? Formulé autrement, qu’elles sont les conditions d’existence du fédéralisme, ce qu’Eugénie Brouillet qualifie de conditions juridiques minimales de l’État fédératif54. En nous fondant sur la littérature, nous en identifierons ici six principales.

La première condition d’existence du fédéralisme apparait indispensable à sa face même : on doit constater l’existence d’au moins deux ordres de gouvernement – l’un fédéral, l’autre formé d’entités fédérées – qui se partagent la souveraineté dans l’État55. En effet, la présence de ces deux ordres de gouvernement – au minimum – est nécessaire à l’existence même de l’État fédéral56. « C’est là le trait premier et distinctif du régime fédératif. Il constitue la base, le cœur, l’épine dorsale de tout État fédéral sur laquelle les lois doivent se greffer57 ». Olivier Beaud parle de « dualité fédérative qui fait coexister dans le même ensemble deux unités politiques, deux corps politiques58 ».

La deuxième condition fondamentale au fédéralisme – mais qui apparait comme une suite logique de la première –, est l’existence d’une Constitution écrite et rigide, prévoyant

53 F. MATHIEU, préc., note 5, p. 2. 54 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 93. 55 K.C. WHEARE, préc., note 21, p. 10.

56 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 94; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130; Arend LIJPHART,

« Non-Majoritarian Democracy: A Comparison of Federal and Consociational Theories »,

Publius : The Journal of Federalism, vol. 15, no 2, 1985, p. 3, à la page 4.

57 Marc-André TURCOTTE, Le pouvoir fédéral de dépenser ou comme fait indirectement ce qu’on ne

peut faire directement, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 23.

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la présence de ces deux ordres de gouvernements et de leurs compétences constitutionnelles propres59. En effet, parce qu’elle met « en place un partage des pouvoirs qui répartit le

pouvoir politique entre différents niveaux de gouvernement60 », la Constitution est

essentielle au fédéralisme. Cette condition d’existence du fédéralisme est ainsi le corollaire du raisonnement théorique voulant que fédéralisme et constitutionnalisme soient des notions indissociablement liées61.

La troisième condition est que les ordres de gouvernement fédéral et fédéré doivent être autonomes dans l’exercice de leurs compétences respectives, sans aucune subordination, et jouir de la capacité fiscale nécessaire pour exercer proprement leur autonomie à cet effet62. Ainsi, le fédéralisme rejette la possibilité qu’un ordre de gouvernement puisse, directement ou indirectement, imposer sa volonté à l’autre.

La quatrième condition est que les entités fédérées doivent être représentées et participer activement aux divers processus ayant cours au sein des institutions fédérales, et ce, tant au sein des pouvoirs exécutif que législatif63. C’est d’ailleurs là un élément fondamental du shared-rule64. L’État fédéral doit non seulement prévoir la mise en commun de certaines compétences, mais aussi, et surtout, les modalités de l’exercice commun et partagé de celles-ci.

La cinquième condition récurrente dans la littérature sur le fédéralisme est qu’il doit y avoir un arbitre indépendant des institutions fédérales et fédérées pour trancher les

59 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 97; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130; A. LIJPHART, préc.,

note 56, p. 4.

60 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 74.

61 M. BURGESS et A.-G. GAGNON, préc., note 42, p. 330; Renvoi relatif à la sécession du Québec,

préc., note 60, par. 74.

62 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 96; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130; A. LIJPHART, préc.,

note 56, p. 5; F. BOUCHER et A. NOËL (dir.), préc., note 27.

63 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 98-99; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130; A. LIJPHART, préc.,

note 56, p. 5.

64 Voir S. MUELLER, préc., note 39, p. 2 : « a first understanding of shared rule defines it as the

extent to which sub-national units can participate in decisions that concern the whole political community and not just their region ».

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conflits de juridictions entre celles-ci65. Cet arbitre, appelé à « contrôler les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements66 », doit jouir des attributs nécessaires à son

indépendance face aux institutions tant fédérales que fédérées, dont « l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative67 ».

Enfin, la sixième et ultime condition d’existence du fédéralisme est que tout acte tendant à altérer le texte constitutionnel de la fédération – ce pacte entre communautés – doit faire intervenir les autorités centrales et les entités fédérées, via leurs représentants ou leurs populations68. Cette condition est essentielle, notamment pour des motifs présentés précédemment69. C’est d’ailleurs là tout le centre d’attention de notre thèse.

Ensemble, ces six conditions constituent des modalités universelles d’existence du fédéralisme et sont susceptibles de donner naissance à des États fédéraux vivant réellement selon les principes fondamentaux de cette théorie. Néanmoins, comme le rappelle Eugénie Brouillet, « il existe de multiples formes d’États fédératifs, de concrétisations du principe fédératif70 ». Nous conclurons donc notre examen du fédéralisme en abordant rapidement quelques-unes de celles-ci, soit le fédéralisme territorial, le fédéralisme personnel, le fédéralisme exécutif – ou intergouvernemental – et le fédéralisme multinational.

Le fédéralisme territorial, comme l’indique son intitulé, divise les composantes d’une société en fonction d’un critère de territorialité. Ce n’est donc pas tant l’appartenance à un groupe donné qui fonde le lien d’un individu à une entité fédérée, mais plutôt l’endroit où il vit et où il s’établit sur le territoire de l’État. Partant d’une organisation avant tout territoriale, ce type de fédéralisme a notamment comme caractéristique de présumer une certaine homogénéité du tissu démotique des diverses entités fédérées. Cette conception du

65 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 99; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130.

66 Liquidators of the Maritime Bank of Canada c. Receiver-General of New-Brunswick, [1892] A.C.

437, 441 et 442 (C.P.) (notre traduction).

67 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1997] 3 R.C.S. 3,

par. 119.

68 E. BROUILLET, préc., note 41, p. 98; G. LAFOREST, préc., note 15, p. 130; A. LIJPHART, préc.,

note 56, p. 5.

69 Voir supra, introduction.

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