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Section 1 – Les gouvernements fédéraux formés d’un cartel d’élites

B) Le pouvoir exécutif fédéral en Belgique et en Suisse, ses caractéristiques et

La Belgique et la Suisse sont les deux principaux exemples de fédérations consociatives dans les démocraties libérales contemporaines. Ces deux États tiennent cette particularité notamment de la composition de leur gouvernement fédéral. Les caractéristiques du pouvoir exécutif en Belgique et en Suisse, de même que leur implication dans le processus constituant, en témoignent. En Belgique, cela s’articule autour d’un Conseil des ministres paritaire (i), alors qu’en Suisse, la grande coalition politique partage le pouvoir suivant ce que l’on désigne comme une « formule magique » (ii).

i) La parité linguistique au sein du Conseil des ministres de la Belgique

Le Conseil des ministres de la Belgique est un exécutif où les segments flamand et francophone doivent être représentés de manière paritaire. En effet, l’article 99 al. 2 de la Constitution belge prévoit que le « premier Ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise ». Puisque le premier alinéa du même article plafonne à 15 le nombre de membres du Conseil des ministres, on se retrouve aujourd’hui avec un organe normalement composé de sept ministres flamands et sept ministres francophones. Ce plafond n’inclut toutefois pas les secrétaires d’État, lesquels font partie du gouvernement, sans siéger au Conseil des ministres359.

358 A.LIJPHART, préc., note 12, p. 35. 359 Constitution belge, art. 104.

Plutôt que de miser sur un principe de représentation proportionnelle, le Conseil des ministres de la Belgique a donc fait le choix de la parité. C’est là une possibilité fort utile dans une société où cohabitent un groupe majoritaire et un autre minoritaire. Rappelons en ce sens les propos de Lijphart, pour qui « [p]arity in an especially useful alternative to proportionality when a plural society is divided into two segments of unequal size360 ». Cette parité permet d’éviter la minorisation perpétuelle d’un groupe démographiquement moins important.

Il existe deux nuances à la parité linguistique au sein du gouvernement fédéral de la Belgique : le premier ministre et les secrétaires d’État. Ceux-ci peuvent effectivement provenir de n’importe laquelle des deux communautés linguistiques, et ce, sans contingentement, quota ou règle précise361. Cela permet d’ailleurs, en pratique, à la communauté flamande de généralement occuper davantage de postes de secrétaires d’État 362 . En outre, la Constitution n’interdit pas la nomination de ministres germanophones363. Bien que cela reste très peu probable, il demeure possible de nommer un ministre germanophone, à condition de respecter le principe de la parité Flamands- Francophones364.

Les membres du gouvernement sont formellement nommés par le Roi365, qui peut également les révoquer. Toutefois, comme dans toutes monarchies constitutionnelles, s’ils « demeurent des prérogatives royales », les pouvoirs de nomination et de révocation du

360 A.LIJPHART, préc., note 12, p. 41.

361 Régis DANDOY, « La formation des gouvernements en Belgique », dans Pascal DELWIT, Jean-

Benoît PILET, Émilie VAN HAUTE (dir.), Les partis politiques en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2011, p. 299, à la page 312 : « La multiplication des secrétariats d’État permet aussi de contourner la règle constitutionnelle de parité linguistique »; Voir aussi M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 394; D. SINARDET, préc., note 108, p. 31.

362 Min REUCHAMPS, « La parité linguistique au sein du conseil des ministres », Res Publica, no 4,

2007, p. 602.

363 M. REUCHAMPS, préc., note 362, p. 608. 364 M. REUCHAMPS, préc., note 362, p. 608. 365 Constitution belge, art. 99 et 104.

souverain « sont étroitement dépendants du jeu politique366 ». En ce sens, la composition du gouvernement est de facto l’affaire des partis politiques, qui s’entendent entre eux pour former un exécutif jouissant d’une majorité de sièges à la Chambre des représentants. Ceci participe d’ailleurs in fine à la critique dite de la particratie au sein du système politique belge367.

La composition paritaire du Conseil des ministres de la Belgique entre Flamands et Francophones, si elle constitue un symbole de la première importance, est cependant loin de demeurer superficielle dans ses conséquences. En effet, « sans minimiser sa valeur symbolique », plusieurs estiment « que la parité n’en comporte pas moins une [valeur] nettement politique, en ce que cette règle favorise la procédure du consensus368 ». Ce faisant, au sein du gouvernement fédéral de la Belgique, les décisions se prennent en collégialité : « Il suffit, dès lors, que la majeure partie des ministres francophones refuse de souscrire à une décision pour provoquer la crise et l’empêcher de sortir ses effets369 ». Marc Uyttendaele décrit ainsi la procédure du consensus :

Dans ce mode de délibération, la décision naît d’un débat sans que formellement chacun doive se situer par rapport à la décision majoritaire. Une fois la décision exprimée, chaque ministre, en conscience, examine s’il peut y souscrire. Si tel est le cas, il se soumet et perd le droit de critiquer, du moins publiquement, la décision ainsi prise. Si tel n’est pas le cas, il se démet. Autrement dit, la décision prise au consensus n’est pas forcément unanime, mais, à tout le moins, ne suscite pas d’objection majeure de la part de chacun des membres de l’organe gouvernemental370.

Ceci fait dire à Min Reuchamps que « derrière cette obligation d’unanimité négative se cachent des rapports de force. Le compromis, clé du consensus, résulte du choc des idées

366 Pierre BLAISE, Jean FANIEL et Caroline SÄGESSER, Introduction à la Belgique fédérale. La

Belgique après la sixième réforme de l’État, Bruxelles, CRISP, 2014, p. 19 et 20.

367 Voir notamment Caroline VAN WYNSBERGHE, « Fédéralisme et particratie: le compromis

belge », dans Sylvia CALMES-BRUNET et Arun SAGAR (dir.), Fédéralisme, Décentralisation et

Régionalisation de l’Europe. Perspectives comparatives, Toulouse, Editions L’épitoge, 2017, p.

125.

368 Min REUCHAMPS, La parité linguistique au sein du conseil des ministres, mémoire, Faculté de

Droit, Université de Liège, 2004-2005, p. 37 et 38; M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 394.

369 M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 394. 370 M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 395 et 396.

entre les partenaires. Or, la parité entre ministres francophones et néerlandophones permet d’entamer toute discussion sur une base égalitaire371 », ce qui renforce le caractère

consociatif de cette institution.

Historiquement, la parité linguistique au Conseil des ministres en Belgique est d’abord née d’une pratique politique. En effet, avant sa constitutionnalisation en 1970, la règle de la parité s’installe d’abord en tant que pratique institutionnelle ou coutume constitutionnelle372. Puis, cette règle est inscrite dans la Constitution, en 1970, au moment de la première réforme de l’État373. Elle procède alors « de la considération que le conseil des ministres est l’arbitre des conflits communautaires et constitue, dans l’organisation du pouvoir exécutif, le pendant des principes applicables dans l’organisation du Parlement, comme les groupes linguistiques, la majorité spéciale374 ».

Au Conseil des ministres paritaire comme mécanisme consociatif en Belgique s’ajoute la présence d’une monarchie constitutionnelle, où le chef d’État est neutre et joue le rôle de figure d’unité entre les communautés linguistiques375. Malgré quelques épisodes plus polarisants concernant la monarchie376, il demeure que la famille royale joue en Belgique un rôle plus consensuel que clivant.

Ces différentes caractéristiques consociatives du pouvoir exécutif en Belgique s’avèrent d’autant plus importantes lorsqu’on examine le rôle que joue ce même pouvoir dans le processus de révision constitutionnelle. On doit alors distinguer l’intervention

371 M. REUCHAMPS, préc., note 368, p. 37 et 38; M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 394. 372 M. REUCHAMPS, préc., note 368, p. 7.

373 Voir notamment Marc UYTTENDAELE, Les institutions de la Belgique, Bruxelles, Bruylant,

2014, p. 62.

374 M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 392 et 393; Pour une étude sur le long terme, voir M.

REUCHAMPS, préc., note 368.

375 A.LIJPHART, préc., note 12, p. 35 et 36.

376 Marc UYTTENDAELE, « Le référendum constitutionnel en Belgique ou une réponse inadaptée à

une question pertinente », Administration publique trimestrielle, 1994, p. 109, à la page 114; M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 148; P. TAILLON, préc., note 206, p. 159; A.LIJPHART, préc., note 12, p. 35 et 36.

directe et formelle du gouvernement dans ce processus de son implication et son influence indirecte, mais néanmoins centrale.

De manière formelle, la Constitution belge fait intervenir le Roi à deux reprises dans le processus de révision, soit au moment de déclarer qu’il y a lieu de procéder à une révision377, de même qu’au moment d’adopter celle-ci378. À ces deux moments, le Roi agit simultanément avec les deux chambres du Parlement fédéral379. Toutefois, si la Constitution interpelle directement le monarque, c’est bien au gouvernement qu’il revient, en pratique, d’exercer la discrétion quant à cette prérogative. Puisque tout acte du Roi doit être contresigné par au moins un ministre, l’assentiment du Roi à une déclaration de révision ou à une révision en soi équivaut de facto à l’assentiment du gouvernement380, lequel, on le rappelle, se prononce par consensus. Ainsi, pour qu’une révision constitutionnelle puisse arriver à terme en Belgique, elle doit jouir de l’appui du gouvernement.

Le rôle et l’influence de la grande coalition politique belge dans le processus de révision de la Constitution vont bien plus loin que cela. Dans les faits, non seulement le gouvernement doit-il être d’accord avec une révision pour qu’elle puisse aboutir, mais il doit pratiquement en être le maitre d’œuvre. En raison du système politique belge, du mode de formation des deux chambres de son Parlement fédéral et de celui de formation de son gouvernement, il existe effectivement une forme de congruence entre les majorités requises pour procéder à une réforme constitutionnelle et les partis politiques qui participent à l’exercice de la fonction exécutive. Le gouvernement se retrouve donc in concreto à jouer le rôle de pilote du processus de révision, notamment en raison du rôle prépondérant qu’y jouent les partis politiques.

377 Constitution belge, art. 195 al. 1 et 36. 378 Constitution belge, art. 195 al. 4. 379 Voir infra, chapitre 2.

380 M. UYTTENDAELE, préc., note 101, p. 71 et 72 : « Lorsque chacune des chambres a voté la

déclaration de révision, le Roi fait, à son tour, une déclaration semblable, laquelle est évidemment contresigné par un ou plusieurs ministres ».

Pour exemple de ce phénomène, prenons le processus ayant mené à la plus récente réforme de l’État. Celui-ci se déroule après les élections législatives fédérales de 2010. Conclu entre huit partis politiques, il prend d’abord forme avec l’Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État381. Des huit parties à l’Accord, six prendront ensuite part à la formation du prochain gouvernement, soit le Parti socialiste (PS), le Christen-Democratisch en Vlaams (CD&V), le Mouvement réformateur (MR), le Socialistische Partij Anders (PS.A), l’Open Vlaamse Liberalen en Democraten (Open VLD) et le Centre démocrate humaniste (CDH)382.

Ce même gouvernement, lequel est composé de partis politiques ayant préalablement convenu d’un accord politique de révision constitutionnelle, est ensuite responsable de procéder à cette même révision. Il le fera concrètement, notamment en proposant les changements383, de même qu’en dépêchant certains de ses membres en commission pour y défendre les orientations qu’il privilégie384.

À ne pas en douter, le Conseil des ministres belge, composé paritairement de ministres flamands et francophones, joue un rôle majeur dans le processus de modification de l’ordre constitutionnel. Ce rôle est encore plus important dans le contexte où le chef de l’État est plus effacé et politiquement neutre. Le gouvernement exerce ainsi une influence consociative, les dirigeants politiques des deux communautés dominantes devant in fine être d’accord pour qu’une révision puisse aller de l’avant. Cette bipolarité du système belge omet toutefois d’assurer la représentation, au sein de l’exécutif, des entités fédérées, de

381 Soit les partis appartenant aux familles politiques socialiste, libérale, sociale-chrétienne et écologiste.

382 M. UYTTENDAELE, préc., note 373, p. 75. Ce gouvernement excluait donc les écologistes, qui

avaient également participé à l’édiction de l’Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État.

383 M. UYTTENDAELE, préc., note 373, p. 17 : « L’initiative, en matière de révision constitutionnelle,

n’est réglée par aucune disposition. Dans les faits, elle est prise sous forme de propositions, émanant soit de parlementaires – lesquels sont souvent des personnalités en vue, voire des présidents de partis –, soit du gouvernement. Dans ce dernier cas, les propositions sont l’œuvre des ministres ».

384 M. UYTTENDAELE, préc., note 373, p. 17 : « En 2012, la proposition de révision de l’article 195,

par exemple, qui avait été déposée par les chefs de groupes des partis ayant conclu l’accord institutionnel préalable à la sixième réforme de l’État, a été défendue en commission par le secrétaire d’État aux réformes institutionnelles, adjoint au Premier ministre, preuve s’il en est une que la réforme était, en réalité, pilotée par le gouvernement ».

même que des segments bruxellois et germanophones, ce qui en représente une certaine carence.

ii) La grande coalition politique et linguistique au sein du Conseil fédéral de la Suisse

Le pouvoir exécutif en Suisse prend une forme différente de celui en Belgique, mais revêt certains de ses attributs les plus fondamentaux, dont celui (1) d’être une grande coalition, (2) d’avoir un processus décisionnel consensuel, (3) d’avoir un chef d’État plutôt neutre et (4) d’être en mesure d’influencer le processus de modification constitutionnelle.

L’article 175 de la Constitution suisse prévoit que le Conseil fédéral doit être formé de sept membres385 et que « les diverses régions et communautés linguistiques doivent être

équitablement représentées » au sein de celui-ci386. Ces sept conseillers sont ainsi « élus par les deux chambres réunies, à la majorité absolue et pour une durée de quatre ans387 ». Leur mandat est renouvelable indéfiniment388.

Dans la pratique, différents équilibres se dégagent de la composition du Conseil fédéral en Suisse. Le premier et le plus important en est un entre forces politiques, lequel est surnommé la « formule magique ». Cette dernière « consiste à faire diriger le pays par l’alliance permanente des quatre grands389 » partis politiques. Le Conseil est donc « un système de partis associés390 ». En effet, avec « la formule magique, assurant aux quatre

385 Constitution suisse, art. 175 al. 1. 386 Constitution suisse, art. 175 al. 4.

387 Jean-Claude ACQUAVIVA, Droit constitutionnel et institutions politiques, 20e éd., Paris,

Lextenso, 2017, p. 94; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions

politiques, 30e éd., Paris, L.G.D.J., 2016, p. 390; Olivier DUHAMEL et Guillaume TUSSEAU, Droit

constitutionnel et institutions politiques, 4e éd., Paris, Seuil, 2016, p. 299; A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, préc., note 300, p. 44 et 45.

388 A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, préc., note 300, p. 45.

389 O. DUHAMEL et G. TUSSEAU, préc., note 387, p. 304; A. AUER, G. MALINVERNI et M.

HOTTELIER, préc., note 300, p. 46.

grands partis d’être présents au sein du Conseil fédéral, la Suisse a renoncé à la démocratie d’alternance pour se tourner vers celle de la concordance391 ».

Concrètement, la formule magique prend forme de la façon suivante :

Depuis 1960, la formule magique associe les quatre principaux partis aux responsabilités : deux radicaux, deux démocrates-chrétiens, deux socialistes et un U.D.C. (Union démocratique du centre). Cette dernière […] est devenue une formation de droite nationaliste populiste qui, depuis 1999, est le premier parti politique suisse dont l’audience ne cesse de croître (25,5% aux élections de 2011; 29,4% à celles de 2015). Sa montée en puissance a entrainé une reformulation de la

formule magique : en 2003, le parti démocrate chrétien a perdu un poste ministériel,

tandis que l’U.D.C. en obtenait un supplémentaire. Mais la formule magique est soumise depuis 2007 à de fortes perturbations392.

Une constante demeure toutefois malgré ces perturbations récente : quatre partis politiques contribuent à former le Conseil fédéral suisse et aucun de ceux-ci n’a plus de deux conseillers.

Mais l’équilibre politique n’est pas tout. Il s’accompagne également d’un équilibre à la fois linguistique et régional393. Ainsi, sur « le plan linguistique, l’Assemblée s’assure que le collège n’est pas composé uniquement de conseillers germanophones. Deux ou trois sièges sont toujours réservés aux minorités latines394 ». Cela se matérialise habituellement par la présence au conseil de quatre germanophones, de deux francophones et d’un italophone395. Quant à l’équilibre régional, pour « préserver l’égalité des entités fédérées, la

391 J. GICQUEL et J.-É. GICQUEL, préc., note 387, p. 390.

392 J. GICQUEL et J.-É. GICQUEL, préc., note 387, p. 390; Karl-Henri VOIZARD, « Réflexions autour

de la légitimité du Conseil fédéral suisse », Revue française de droit constitutionnel, no 93, p. 149, à

la page 149. Pour plus de détails, voir Nedad STOJANOVIC, « Party, Regional and Linguistic

Proportionality Under Majoritarian Rules: Swiss Federal Council Elections », Swiss Political

Science Review, vol. 22, no 1, 2016, p. 41. L’élection de 2019 ne fait pas exception en cette manière.

393 N. STOJANOVIC, préc., note 392, p. 46 : « the wide consensus that the Federal Council should

more or less reflect the linguistic and regional diversity of the country ». Voir aussi : O. DUHAMEL

et G. TUSSEAU, préc., note 387, p. 299; K.-H. VOIZARD, préc., note 392, p. 155; J. GICQUEL et J.-É. GICQUEL, préc., note 387, p. 390 : « Une équitable représentation entre les régions et les communautés linguistiques doit être assurée ».

394 K.-H. VOIZARD, préc., note 392, p. 155 et 156. 395 O. DUHAMEL et G. TUSSEAU, préc., note 387, p. 299.

coutume veut qu’aucun canton n’ait plus d’un ressortissant membre du Conseil396 ». Toujours par convention donc, « les cantons de Zurich, Berne et Vaud ont presque toujours un siège. Les autres sont représentés selon un système de rotation397 ». Il n’y a pas à dire,

parvenir à un tel maintien de différents équilibres représente véritablement une formule magique!

La représentation de la diversité sociétale est à ce point ancré dans le processus de formation du Conseil fédéral suisse que des propositions de réforme ont cherché à consolider ce trait caractéristique. En effet, dans les dernières années, « a large minority of Parliament endorsed [a proposal] to increase the number of seats to nine, precisely with the intention to improve the linguistic and regional inclusiveness of the executive398 ». Toutefois, le point de vue selon lequel « le nombre sept est à la fois assez bas pour ne pas nuire à la cohésion gouvernementale, et assez élevé pour assurer une représentation équilibrée des régions, des langues et même des partis politiques399 » semble jusqu’ici prévaloir.

Autre point de convergence entre le gouvernement fédéral de la Belgique et le Conseil fédéral de la Suisse : le processus décisionnel par consensus qu’ils adoptent. Tout « gouvernement est donc une coalition quadripartite » qui « fonctionne autant que possible par consensus400 ». Ainsi Karl-Henri Voizard écrit :

Le collège doit s’efforcer de prendre des décisions qui conduisent au consensus le plus large possible. C’est là que la composition du Conseil joue un rôle déterminant : la diversification de ses membres, l’aménagement d’une représentativité fondée sur le pluralisme repoussent l’hypothèse d’un exécutif prédisposé et façonné pour exprimer des préférences. L’organisation de ce pluralisme politique garantit qu’il soit tenu compte du caractère excessivement fragmenté du peuple suisse, que soient

396 J.-C. ACQUAVIVA, préc., note 387, p. 94.

397 O. DUHAMEL et G. TUSSEAU, préc., note 387, p. 304; K.-H. VOIZARD, préc., note 392, p. 155; A.

AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, préc., note 300, p. 47.

398 N. STOJANOVIC, préc., note 392, p. 47.

399 Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1967,

p. 528.

pris en considération les particularismes territoriaux et les différents intérêts concernés au moment de la prise de décisions401.

Conséquence directe de ce qui précède, « le Conseil est un exécutif collégial, c’est- à-dire que ses membres sont tous égaux et prennent leurs décisions collectivement402 ». Cela s’applique même au président de la Confédération. En effet, la Suisse opte pour un régime politique où la fonction de chef d’État est largement neutralisée. Le président de la Confédération helvétique est élu par les deux chambres réunies, et ce, pour une année seulement403. De plus, ce mandat n’est pas renouvelable l’année suivante et un président

sortant ne peut être élu à la vice-présidence404. Enfin, « bien qu’il soit le chef de l’État », les

pouvoirs du président « ne sont qu’honorifiques405 » puisqu’il ne dispose pas de prérogatives plus importantes que ses collègues. Il personnifie ainsi la maxime primus inter pares et participe à la dynamique consociative du Conseil fédéral.

Là où le système suisse se distingue un peu de celui de la Belgique a trait à l’ampleur du rôle accordé à son exécutif face au pouvoir législatif. En effet, conformément à l’idéal du régime d’assemblée prévalant en Suisse, « l’exécutif est en principe subordonné à l’assemblée406 ». Théoriquement, le Conseil ne fait donc « qu’exécuter les décisions du Parlement » et n’a aucun pouvoir sur ce dernier407. On pourrait alors penser que le Conseil fédéral joue un rôle relativement effacé dans la vie politique helvétique.

Ce serait cependant se tromper. Non seulement le Conseil fédéral jouit d’une grande légitimité408, mais il est également l’acteur central dans la gestion et l’orientation des