• Aucun résultat trouvé

L’´etude des premiers solides du syst`eme solaire montre donc une grande diversit´e de la signature isotopique de l’hydrog`ene. Si une continuit´e structurale et chimique existent entre les grains d’origine com´etaires et la mati`ere fine issu d’ast´ero¨ıdes, la signature en D/H pr´esente elle de grandes variations. Cette h´et´erog´en´eit´e est pr´esente entre les objets mais ´egalement `a l’´echelle mol´eculaire, avec des enrichissements en deut´erium d’autant plus important que l’´energie de liaison est faible (R´emusat et al. 2006). L’ensemble de la mati`ere organique, de mˆeme que les silicates hydrat´es montre une signature tr`es enrichie par rapport `a la signature protosolaire.

Pour expliquer ces enrichissements par rapport au r´eservoir protosolaire, plusieurs mod`eles ont ´et´e propos´es allant de processus primaires (r´eactions ions-mol´ecules `a basse temp´erature) se d´eroulant dans le milieu interstellaire `a des processus secondaires (cir- culation de fluide) dans le corps-parent. Une origine n´ebulaire a ´egalement ´et´e propos´ee (R´emusat et al. 2006 ; R´emusat et al. 2010), `a partir de pr´ecurseurs possiblement h´et´ero- g`enes (Qurico et al. 2009). Dans ce contexte, l’irradiation par l’´etoile centrale repr´esente un processus de premier int´erˆet. Les observations astronomiques supportent une ionisa- tion au moins partielle des disques entourant des ´etoiles jeunes, sugg´erant une irradiation directe du disque. Cette irradiation par l’´etoile est ´egalement support´ee par des indices min´eralogiques dans les premiers solides t´emoignant de la production d’´el´ements radio- g´eniques par des processus d’irradiation. L’irradiation a donc pu jouer un rˆole dans la modification de la signature isotopique de la mati`ere pr´e-accr´etionnelle.

`

A ce titre, la composante ionisante des particules ´emises de l’´etoile, par son habilit´e `a casser les liaisons chimiques, est un formidable moteur de modifications physico-chimiques dans la mati`ere. Les irradiations exp´erimentales men´ees en laboratoires sur des analogues

ont ´egalement d´emontr´e l’efficacit´e des rayonnements ionisants `a modifier la structure, la chimie, et la r´epartition des volatiles, induisant `a la fois fractionnement chimique et amorphisation. Mais ces travaux se heurtent `a un certain nombre de difficult´es. Les objets naturels sont complexes, et la nature chimique et structurale des pr´ecurseurs demeure encore largement inconnue. La plupart des ´etudes d’irradiations exp´erimentales qui ont ´et´e men´ees concernent en premier lieu le milieu interstellaire. Or, dans le MIS, les conditions comme la temp´erature ou la nature du flux de particules diff`erent des conditions r´egnant dans le disque protoplan´etaire. Mˆeme si une partie de ces r´esultats peuvent ˆetre export´es aux zones externes et froides du disque, ils ne sauraient se substituer `a des travaux o`u la nature des poussi`eres et celle du rayonnement r´egnant dans la n´ebuleuse solaire du disque seraient prises en compte. R´ecemment, un fractionnement important a ´et´e mesur´e dans des analogues de MOI irradi´es par des ´electrons de haute ´energie (De Gregorio et al. 2010 ; Le Guillou et al. 2013). Cependant ces enrichissements ont ´et´e obtenus apr`es irradiation `a haute ´energie, ce qui correspond `a un flux d’´electrons solaire faible. De plus, les analogues utilis´es (des k´erog`enes) sont trop complexes pour permettre une mise en ´evidence des m´ecanismes mol´eculaires aboutissant `a la modification de la signature isotopique de la mati`ere irradi´ee.

C’est donc dans ce contexte que s’inscrit cette th`ese. Elle consiste en un travail exp´eri- mental visant `a mieux comprendre l’influence d’une irradiation ionisante sur la signature D/H d’analogues protoplan´etaires. Dans le cadre de ce travail, les ´electrons constituent un agent ionisant de premier int´erˆet, et les dispositifs comme les microscopes ´electroniques `a balayage (MEB) et en transmission (MET) permettent de travailler en routine dans des conditions d’irradiations o`u les param`etres comme l’´energie du faisceau, la fluence ou le vide sont contrˆol´ees. Les ´electrons constituent donc la source ionisante que nous utiliserons pour irradier nos ´echantillons.

Les ´echantillons doivent permettre d’isoler les param`etres physico-chimiques r´egissant l’´evolution de la mati`ere organique et des silicates hydrat´es sous irradiation. L’irradiation ´

etant par nature un ph´enom`ene de surface, il est imp´eratif de choisir des ´echantillons qui maximisent la surface d’interaction avec le faisceau. Une g´eom´etrie de film mince, `a ce tire, autorise des analyses chimiques et structurales par des m´ethodes conventionnelles. Notre choix pour les analogues de mati`ere organique se porte sur des analogues chimiques pouvant fournir diff´erents types de liaisons C-H. De ce point de vue, les films polym`eres fournissent un mat´eriau de d´epart structur´e, homog`ene qui r´epond `a l’ensemble de nos crit`eres. En ce qui concerne les min´eraux hydrat´es, si les d´etections dans des disques pro- toplan´etaires demeurent infructueuses, ces phases sont commun´ement mesur´ees dans un certain nombre d’objets primitifs. Ces silicates sont en majorit´e des amorphes et des phyl- losilicates. Il convient, au pr´ealable, d’´etudier les effets de rayonnements ionisants sur un mat´eriau amorphe mod`ele, avant d’exporter cette d´emarche `a un analogue chimiquement plus complexe (phyllosilicate). En compl´ement de ce travail sur des silicates amorphes, une s´erie d’irradiation est men´ee sur la structure plus complexe d’un phyllosilicate cristallin, qui repr´esente une fraction non n´egligeable des silicates du disque.

Les ph´enom`enes d’irradiation et le fractionnement isotopique sont donc au cœur de ce travail de th`ese. Dans ce chapitre, nous avons pr´esent´e ces deux ph´enom`enes dans le contexte du disque protoplan´etaire et des premiers objets form´es dans cet environnement.

Probl´ematique

Il convient maintenant de pr´esenter les concepts physiques et g´eochimiques en lien avec l’´etude exp´erimentale d´evelopp´ee dans ce m´emoire.

Chapitre 2

Concepts g´eochimiques et physiques

Sommaire

2.1 Le fractionnement isotopique . . . 38 2.2 Fractionnement isotopique `a l’´equilibre . . . 39 2.2.1 ´Echanges isotopiques `a l’´equilibre en syst`eme ferm´e . . . 42 2.2.2 ´Echanges isotopiques `a l’´equilibre en syst`eme ouvert . . . 43 2.3 Fractionnement isotopique cin´etique . . . 44 2.4 Interactions particules-mati`ere . . . 46 2.4.1 Interactions ions-mati`ere . . . 46 2.4.2 Interactions ´electrons-mati`ere . . . 50 2.4.2.1 Collisions ´elastiques . . . 50 2.4.2.2 Collisions in´elastiques . . . 52 2.4.3 D´egˆats produits lors de collisions in´elastiques . . . 55 2.4.3.1 Transfert des charges dans un mat´eriau isolant . . . . 55 2.4.3.2 Endommagement des isolants organiques sous irradia-

Ce chapitre est d´edi´e `a la pr´esentation des concepts, `a la fois physiques et g´eochimiques, qui sous-tendent ce m´emoire. Ces concepts serviront d’outils pour la compr´ehension des ´

echanges de mati`ere et d’´energie mises en jeu au cours de l’irradiation ionisante de la mati`ere. Le fractionnement isotopique de l’hydrog`ene ´etant au centre de cette ´etude, nous allons donc l’´evoquer dans la premi`ere section de ce chapitre. La nature du fractionne- ment isotopique et son calcul seront d´evelopp´es. Dans une seconde section, les interactions particule-mati`ere, qui conditionnent `a la fois la nature et la cin´etique des d´egˆats produits, seront pass´ees en revue. Cette section se concentrera sur les interactions entre les parti- cules charg´ees et la mati`ere. Nous traiterons plus particuli`erement le cas du proton et de l’´electron.

2.1

Le fractionnement isotopique

La g´eochimie des isotopes stables a pour but de caract´eriser les ´echanges de mati`ere et d’´energie entre les diff´erents r´eservoirs qui constituent des unit´es de lieu (ou de temps) poss´edant une composition (chimique, isotopique) constante. La g´eochimie des ´el´ements stables d´emarre r´eellement en 1947 avec la publication des articles ”Thermodynamic pro- perties of isotopic substances” (Urey et al. 1947) et ”calculation of equilibrium constants for isotopic exchange reactions” (Bigeleisen et Mayer 1947). Ces publications, et les cal- culs thermodynamiques qui en d´ecoulent, serviront de point de d´epart aux travaux men´es au cours des derni`eres d´ecennies, des exp´eriences de laboratoire aux analyses d’´echan- tillons naturels (terrestres et extraterrestres) en passant par la mod´elisation des r´eservoirs g´eochimiques.

On appelle isotopes les atomes poss´edant un nombre de protons identiques, mais un nombre diff´erent de neutrons. En cons´equence, chacun des isotopes a une masse diff´erente. Dans le cas de l’hydrog`ene, il existe trois isotopes (figure 2.1). Le protium, constitu´e d’un proton et d’un ´electron, repr´esente l’isotope le plus abondant de l’hydrog`ene (99,985% pour l’abondance terrestre). Le deut´erium poss`ede un proton et un neutron. Il est suffisamment abondant pour ˆetre d´etect´e (0,015%). Enfin le tritium, avec un neutron de plus, qui n’est d´etect´e qu’`a l’´etat de trace dans la nature. `A la diff´erence des deux premiers isotopes, le tritium n’est pas stable, avec une p´eriode de 12,32 ans.

- -

-

+ + +

Deutérium Tritium

Protium

Figure II-1. Représentation schématique des isotopes de l’hydrogène.

Fig. 2.1 – Repr´esentation sch´ematique des isotopes de l’hydrog`ene. L’atome d’hydrog`ene est en rouge, les neutrons en bleu et l’´electron en gris.

Fractionnement isotopique `a l’´equilibre

Les isotopes stables, au contraire des isotopes radiog´eniques, poss`edent un noyau qui demeure stable (en l’absence d’apport ext´erieur d’´energie). Dans le cas de l’hydrog`ene, les diff´erences relatives de masses sont tr`es grandes entre ses isotopes. Cette diff´erence de masse est de 100% entre le protium et le deut´erium. C’est une des propri´et´es les plus importantes. En effet, de cette diff´erence de masse engendre des diff´erences de propri´et´es physico-chimiques (temp´erature de fusion, ´energie de liaisons, viscosit´e).

Dans ce cadre, on d´efinit le fractionnement isotopique pour d´ecrire la r´epartition des isotopes d’un ´el´ement chimique entre plusieurs r´eservoirs. Pour l’hydrog`ene, ce rapport correspond donc au rapport deut´erium sur protium, que l’on ´ecrit commun´ement D/H. L’abondance des isotopes stables dans la nature n’est pas homog`ene et varie en fonction des phases en pr´esence et des param`etres du milieu comme la temp´erature. Les isotopes stables sont donc de bons traceurs de la nature et de l’´evolution du milieu.

Les variations dans les rapports isotopiques sont g´en´eralement inf´erieures `a ≤1%, ce qui implique une notation adapt´ee. Le fractionnement isotopique est souvent report´e en termes de delta (δ), exprim´e en pour mille (‡) :

δD = (D/Hchantillon

D/Hstandard − 1) × 1000 (2.1)

avec D/H les rapports isotopiques deut´erium-hydrog`ene pour un ´echantillon donn´e et un standard. Pour l’hydrog`ene, le standard est la valeur moyenne des oc´eans (SMOW) pour lequel D/H=1,5575 10−4. L’amplitude du fractionnement isotopique entre deux phases A et B (solide, liquide ou vapeur) est appel´ee facteur de fractionnement (αA/B),

et s’´ecrit : α = RA RB = (1000 + δA) (1000 + δB)