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Chapitre 2 – L’anthropodicée balzacienne : du péché originel à la pathologie de la vie sociale

1.2 Problématisation de la providence

L’impossibilité de donner à la souffrance une signification divine, de la rattacher à un péché originel s’actualisant à travers le temps, tient à un enjeu philosophique plus général qui est au cœur de l’écriture balzacienne : la mise à mal de l’idée de providence. En effet, une ambiguïté est inlassablement alimentée et reconduite par Balzac quant à la part de hasard qui motive et justifie les évènements survenant dans la sphère humaine. Quand l’idée de Providence n’est pas omise, elle a tendance à s’inscrire dans une

alternative indécidable entre la contingence et la prescience divine39. L’hésitation entre

hasard et providence est si fréquente dans l’univers balzacien que Philippe Bertault parle

d’un « tic de langage »40 pour désigner cette association, récurrente chez l’auteur, d’idées

pourtant « inconciliables » : hasard-providence, hasard-fatalité, hasard conséquent, tant de couples antithétiques qui émaillent les trois romans et qui compromettent ultimement l’hypothèse d’une extériorité divine.

37 Ibid., p. 390.

38 Blaise Pascal, Œuvres. Extraits, Paris, Gallimard, 1998-2000, t. II, cité par P. Muray, op. cit., p. 81.

39 Cette tendance dépasse largement le cadre des romans étudiés. Par exemple, dans Louis Lambert, Balzac écrit que le personnage éponyme de Lambert « dut la protection de cette femme célèbre [Mme de Staël] au hasard ou sans doute à la Providence qui sait toujours aplanir les voies au génie délaissé. » (Pl., t. XI, p. 590.)

On notera au passage que le rôle imparti à la Providence (et au hasard) dans La Comédie humaine ne fait pas consensus au sein de la critique balzacienne. Comme le rappelle Vincent Bierce, certains critiques, tel André Allemand, voient dans l’œuvre de Balzac le signe de la « répudiation du hasard » et d’un « déterminisme intégral », là où d’autres, Éric Köhler par exemple, identifient, chez la « génération du siècle sans espoir » à laquelle il associe Balzac, une Providence qui n’en finit plus d’être détrônée par le

hasard41. Réconciliant ces deux interprétations extrêmes, Vincent Bierce suggère quant à

lui que « le roman balzacien privilégie le doute, la mise en tension, l’oscillation constante entre ces deux notions antagonistes [que sont le hasard et la providence] » au profit d’une

ironisation de la chose religieuse42. Sans nier cette tension constitutive et féconde de la

vision du monde balzacienne, nous pensons pour notre part que les romans étudiés disqualifient ultimement la providence à la faveur d’un monde social régi tantôt par le hasard tantôt par les hommes eux-mêmes qui sont parfois assimilés à la Providence – par un rapprochement métonymique identifiant la cause à l’effet.

Les exemples de ce détournement du sens de la Providence ne manquent pas : « Le

hasard ou Dieu peut-être a tout fait43 », dit Véronique Graslin au personnage de Farabesche,

surpris de pouvoir être enfin réuni à son amante des premiers jours, Catherine Curieux. Même alternative dans L’envers de l’histoire contemporaine, où l’arrivée de Godefroid dans l’Ordre des Frères de la Consolation est décrite tantôt comme relevant du hasard tantôt de la Providence : « C’est moins un hasard qu’un ordre de la Providence qui nous

rassemble ici, monsieur44 », dit Madame de La Chanterie à Godefroid, dans une formule

qui donne prise à l’ironie. La grande dame ne peut d’ailleurs trancher en faveur de la providence sans un sourire en coin : « La Providence, à laquelle nous avons dû notre teneur

de livres, dit-elle en souriant, y pourvoira45 », sourire bienveillant certes, mais aussi défiant,

moqueur, qui apporte un désaveu au propos. Monsieur Alain reformulera néanmoins la position de l’Ordre en affirmant devant Godefroid : « Il n’y a pas de hasard pour nous, nous

vous devons à Dieu46 ! » Mais le hasard, même présenté négativement, demeure au

41 Vincent Bierce, « Le sentiment religieux dans La Comédie Humaine d’Honoré de Balzac. Foi, ironie et ironisation », op. cit., p. 451. 42 Id.

43 Balzac, Le curé de village, Pl., t. IX, p. 776.

44 Balzac, L’envers de l’histoire contemporaine, Pl., t. VIII, p. 234. 45 Ibid., p. 256.

46 Ibid., p. 323. Si Philippe Bertault voit dans cette assertion le signe d’un choix accusé et définitif des Frères de la Consolation en faveur de la providence, il nous apparaît plus prudent de suggérer que Balzac y répète la même équivoque que nous avons déjà évoquée.

voisinage de l’action divine, et lui porte conséquemment ombrage ; étrange voisinage qui se prolonge dans les propos du personnage de Godefroid, plus enclin à « bénir » le hasard que la providence : « J’ai béni, dit-il, plusieurs fois depuis deux jours le hasard qui m’a conduit ici47. »

Et il n’est pas le seul à adopter une telle posture. Le médecin Benassis, dans Le médecin de campagne, semble lui aussi rapporter le succès de son œuvre civilisatrice à des rencontres fortuites bien plus qu’à la providence. En dépit de toute la grandeur de son entreprise, il semble que Dieu n’y soit pour rien. C’est le hasard qui amène au personnage

ses principaux « apôtres48 » : « Le hasard, explique-t-il à Genestas, m’offrait un homme

éminemment habile et industrieux que je devais embaucher pour donner au bourg un

commerce productif et stable49. » C’est aussi le hasard qui permet à Benassis de connaître

la prospérité dans le village dont il devient tour à tour médecin de campagne et maire : « La

fortune que le hasard m’a fait trouver dans ce canton, dit-il, y demeurera50 ». Et dans tous

ces cas, le hasard est personnifié, agissant ; il tend vraisemblablement à se substituer à la main de Dieu. Cela est particulièrement manifeste lorsque le personnage, employant la métaphore religieuse du bon Pasteur, parle du « troupeau souffrant que le hasard [lui] a

confié51 ». Investi d’une mission pastorale quasi sacrée, Benassis est pour son village une

« nouvelle incarnation du Christ52 » ; mais il doit plus au hasard qu’à Dieu le succès de son

entreprise.

Le hasard n’est toutefois pas complètement dépourvu de sens ni totalement indéterminé. Dans Le curé de village, par exemple, le personnage de Gérard se demande si l’on ne s’est jamais enquis « du sort des hommes exceptionnels qui, par un hasard fatal,

47 Ibid., p. 380.

48 Benassis parle souvent de ses paysans comme de ses apôtres. Voir Le médecin de campagne, Pl., t. IX, p. 422 et 432.

49 Balzac, Le médecin de campagne, Pl., t. IX, p. 425-426. C’est aussi le hasard qui permet à Véronique Graslin de réunir autour d’elle le personnel nécessaire à la revitalisation du village de Montégnac. Monsieur Grossetête, son conseiller, lui écrit qu’il a dû au hasard le fait de trouver pour elle l’ingénieur Gérard, jeune homme acceptant de la seconder dans son entreprise : « Tout à coup, écrit-il à Véronique, le hasard m’a jeté dans les bras l’homme que vous souhaitez, un jeune homme que j’ai cru obliger. » (Pl., t. IX, p. 792 ; nous soulignons.) Le même hasard permet la réunion de Clousier, Gérard, Roubaud et Bonnet au château de Véronique où « ces quatre hommes d’élite réunis par le hasard se di[r]ent leur vraie pensée sur les matières importantes qu’on aime à discuter en se trouvant tous de bonne foi » (Pl., t. IX, p. 813 ; nous soulignons). Le hasard ne fait pas que réunir ensemble des gens d’élite ; il est aussi dispensateur de bienfaits : « Le hasard donnait un terrain sans obstacles, une plaine unie ; les eaux, qui offraient dix pieds de chute, pouvaient être distribuées à souhait [...] » (Ibid., p. 826 ; nous soulignons). Toujours, le hasard agit, « donne », et semble remplacer la main de Dieu ou sa providence.

50 Balzac, Le médecin de campagne, Pl., t. IX, p. 463. 51 Ibid., p. 475.

52 Mireille Labouret, « Images et paraboles dans Le médecin de campagne », AB 2003, p. 52. Pierre Barbéris pousse cette association encore plus loin en qualifiant le personnage de « Benassis-Dieu » (Balzac et le mal du siècle, op. cit., t. II, p. 1807).

sav[ent] les sciences humaines avant le temps53 ? » L’oxymore « hasard fatal » laisse

entrevoir une détermination au hasard qui est, selon le même personnage, pourtant bien

athée, « le grand mot des sots54 ». Cette « fortuité absolue du hasard55 » est aussi exprimée

par le narrateur de L’envers de l’histoire contemporaine au sujet de la rencontre entre l’abbé de Vèze et Godefroid, rencontre qui se fait « par une conséquence du hasard, qui

parfois est conséquent56. » Le hasard n’est donc pas complètement insensé. En étant revêtu

d’une signification, d’un rôle dans la causalité des évènements, le hasard social « cette

sous-providence57 », appelle un ordre des choses intermédiaire, séparé du monde de Dieu,

une providence laïcisée – la Société peut-être ou encore, l’« homme providentiel58 ».

À certains égards, la Providence semble en effet remplacée par la figure du bienfaiteur auquel le discours tend parfois à la réduire. Ainsi, dans L’envers de l’histoire contemporaine, Monsieur Alain parle-t-il « des jouissances exquises que donne le plaisir de jouer en petit le rôle de la Providence59. » Il est vrai que cette humanisation de la

providence sera un peu plus loin condamnée par le même personnage : « Que vous vous disiez, dit-il, avec un certain gonflement de narines : je joue le rôle de la Providence [...]

vous devenez un Sardanapale ! un mauvais60 ! » Mais cette condamnation ne peut faire

oublier l’omniscience quasi divine des Frères de la Consolation et des autres bienfaiteurs balzaciens – Benassis, Véronique Graslin – qui agissent comme justiciers providentiels au sein du monde humain. Ainsi, il n’est pas anodin que Monsieur Bernard – alias le Baron Bourlac – assimile les Frères de la Consolation à la Providence : « Ah ! monsieur, dit-il en continuant, il n’y a que la Providence de plus puissante, que l’amour de plus ingénieux, que la maternité de plus clairvoyante que vos amis qui tiennent de ces trois grandes

divinités... Je bénis le hasard à qui nous devons notre rencontre61. » Par une sorte de

53 Balzac, Le curé de village, Pl., t. IX, p. 795. La même expression revient un peu plus loin : « Si, par un hasard fatal, la récolte du foin manquait pendant deux années de suite, vous verriez à Paris, la troisième année, d’étranges changements dans le prix du bœuf, mais surtout dans celui du veau. » (Balzac, Le curé de village, Pl., t. IX, p. 818 ; nous soulignons.)

54 Balzac, Le curé de village, Pl., t. IX, p. 804.

55 Erich Köhler, Le hasard en littérature. Le possible et la nécessité, Paris, Klincksieck, 1986, p. 21. Parlant du roman Illusions perdues, Köhler dit, au sujet de l’écriture balzacienne : « Ce qui est nouveau, c’est que Dieu n’intervient plus dans le jeu, mais qu’il est remplacé par le hasard potentialisé, par la fortuité absolue du hasard. »

56 Balzac, L’envers de l’histoire contemporaine, Pl., t. VIII, p. 219.

57 Ce sont les mots du messager Pierrotin dans Un début dans la vie (Balzac, Pl., t. I, p. 624). 58 Balzac, Le curé de village, Pl., t. XIX, p. 820.

59 Balzac, L’envers de l’histoire contemporaine, Pl., t. VIII, p. 274. 60 Ibid., p. 279.

61 Ibid., p. 410. On retrouve les traces de cette humanisation de la providence dans les propos que tient le Baron Bourlac au sujet de son fils : « Dieu conserve le père à l’enfant pour qu’elle ait une garde, une providence, car sa mère est morte à la peine. » (Ibid., p. 337.) Le fils est la providence de la mère. L’expression métonymique de la providence est ici révélatrice d’un monde humain autonome pouvant se passer de Dieu.

métonymie qui confond les agents et les causes du bien, Bernard, qui, comme Godefroid, « bénit » le hasard, en vient à assimiler ses bienfaiteurs à la providence elle-même, expression non équivoque de la désertion de Dieu du monde des hommes, consacrant la crise de la transcendance qui achève de reformater les rapports qu’ont les hommes avec le mal.

Dépourvue de tout caractère punitif, confondue le plus souvent avec l’effet du hasard et ramenée à l’action de l’être humain, la Providence n’a pas de rôle explicatif dans l’avènement de la souffrance des hommes. Aucune répression de l’homme par l’ordre de Dieu ne peut expliquer sa douleur. Celle-ci résulte de causes sociales ou naturelles tenues à distance de l’Au-delà, séparées du monde divin. Cette séparation est clairement explicitée par l’abbé Bonnet dans Le curé de village. Le monde où s’exerce la justice de Dieu et celui où s’applique celle de l’homme semblent désarticulés, disjoints, indépendants l’un de l’autre. Et pour cause, ils obéissent à des lois qui leur sont propres :

Le Droit, explique le curé Bonnet, inventé pour protéger les Sociétés, est établi sur l’Égalité. La Société, qui n’est qu’un ensemble de faits, est basée sur l’Inégalité. Il existe donc un désaccord entre le Fait et le Droit. La Société doit-elle marcher réprimée ou favorisée par la Loi ? En d’autres termes, la Loi doit-elle s’opposer au mouvement intérieur social pour maintenir la Société, ou doit-elle être faite d’après ce mouvement pour la conduire ? Depuis l’existence des Sociétés, aucun législateur n’a osé prendre sur lui de décider cette question. Tous les législateurs se sont contentés d’analyser les faits, d’indiquer les faits blâmables ou criminels, et d’y attacher des punitions ou des récompenses. Telle est la Loi humaine ; elle n’a ni les moyens de prévenir les fautes ni les moyens d’en éviter le retour chez ceux qu’elle a punis. [...] La Religion ignore ces imperfections, car elle a étendu la vie au-delà de ce monde62.

Là où il est de mise, chez la plupart des auteurs antimodernes, de voir dans l’avènement des sociétés et dans le développement de leur constitution l’affirmation de la volonté de Dieu, le personnage phare du Curé de village semble opérer une séparation complète entre ce qui relève de Dieu et ce qui relève de la Société, laquelle obéirait à ses propres mécanismes. L’utilisation, par l’abbé Bonnet, du verbe « inventer » est très significative et amplifie cette séparation. Le Droit, suggère-t-il, n’est pas le fruit de quelque décret divin, mais bien celui d’un geste d’« invention » ayant mobilisé la volonté des hommes. En bon

disciple de Saint-Paul63, l’abbé Bonnet désunit les deux royaumes, laisse à l’un son

62 Balzac, Le curé de village, Pl., t. IX, p. 755-756.

humaine imperfection et à l’autre sa divine sublimité64. Mais la société, bien que comprise

comme autonome d’une transcendance divine, n’est pas pour autant pleinement transparente, ni entièrement intelligible. À preuve, dit l’abbé Bonnet, « depuis l’existence des Sociétés, aucun législateur n’a osé prendre sur lui de décider [la] question » de savoir s’il fallait fonder la société sur le « Droit » ou sur le « Fait ». Son fonctionnement, s’il n’est plus dicté du dehors, s’il peut être décortiqué rationnellement, n’en est pas moins drapé de mystère. Comme le suggère Marcel Gauchet, même dans les sociétés « désenchantées », le fondement social conserve une part d’altérité, mais cette dernière se déplace à l’intérieur des rapports humains : « Pour avoir été ramené entre les hommes, à leur portée, et rendu rien qu’humain, dit-il, le fondement social n’est pas platement revenu en leur possession. Il les gouverne, il commande leurs actions, il modèle leurs relations avec eux-mêmes, avec

autrui, avec les choses65. » Tout immanente qu’elle puisse être, la Société s’impose comme

une force laïque prenant le relais de la Providence. Au lieu de se rapporter à Dieu, l’homme- social se rapporte, pour expliquer ses malheurs, à la « Société », qui doit peut-être sa lettre capitale à l’aura de mystère et d’incompréhension qui demeure attachée à elle et sur laquelle s’assoit son autorité. Pour Balzac, suggère Anne-Marie-Baron, « la société, c’est le grand Autre, médiateur de tous les désirs de l’homme, l’Autre impersonnel et collectif

[...] dont le regard détermine toutes les actions humaines66. »

Cette laïcisation d’une providence se projetant sur la Société dépasse largement la prise de position de l’abbé Bonnet ; elle est à l’œuvre un peu partout dans les trois romans. Ainsi, Benassis, plongé dans la vie parisienne, se sent emporté par « un mouvement

général67 » dont il serait impossible de n’être ou le complice ou la victime ; et Godefroid

est décrit comme reposant à la « poupe68 » du vaisseau parisien, entraîné par lui dans ses

vicissitudes comme dans ses vices. Si dépossession individuelle il y a, ce n’est pas à la faveur de Dieu ou d’une métaphysique du péché, mais bien de la « Société ». Dans ce

64 De par l’autonomie qu’il laisse à la Société, l’abbé Bonnet se fait moins « théocratique » que le personnage de Benassis. Ce dernier reprend le discours associé aux penseurs contre-révolutionnaires comme de Maistre ou Bonald : « La religion, dit-il, n’est-elle pas la seule puissance qui sanctionne les lois sociales ? Nous avons récemment justifié Dieu. En l’absence de la religion, le gouvernement fut forcé d’inventer LA TERREUR pour rendre ses lois exécutoires ; mais c’était une erreur humaine, elle a passé. » (Le médecin de campagne,

Pl., t. IX, p. 433.) Mais il est difficile de ne pas voir dans ces propos une sorte de « noble mensonge » appliqué à la politique. Dieu est

l’outil du législateur et non l’inverse. Le monde humain a peut-être encore besoin de lui pour s’autoréguler et pour ne pas verser dans la « Terreur », mais d’aucune façon la société ne lui est assujettie.

65 Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, op. cit., p. 323. 66 Anne-Marie Baron, Balzac ou l’auguste mensonge, op. cit., p. 43. 67 Balzac, Le médecin de campagne, Pl., t. XIX, p. 545.

contexte, cette dernière devient elle-même cause première, cause du mal, cause de la

souffrance des hommes. Elle est à la fois « remuée et remuante69 » et porte le double statut

de malade et de maladie, comme le rapportait Balzac dans la Préface à la Femme supérieure que nous avons déjà citée : égalité, progrès, gérontocratie, État sans entrailles, tant de plaies sociales identifiées par l’auteur auxquelles il faut imputer la souffrance des personnages. Avant d’être une communauté de pécheurs, ces derniers forment une véritable « infirmerie littéraire », qui doit à la Société et non à quelque relent de péché originel la cause de ses souffrances. Ensemble, ils forment l’équivalent laïc d’une communauté des saints, unis entre eux par leur participation à la grande maladie sociale. On ne s’étonnera guère, dès lors, de rencontrer chez Balzac un si grand nombre d’individus dont la souffrance est décrite en termes de maladie, et cela, dans toutes les strates de la société. Cet emballement médical, cette rationalisation de la souffrance humaine, cette pathologisation du mal est

emblématique « d’un monde métaphysiquement clos sur lui-même70 » qui ne peut

désormais se rapporter qu’à lui-même et à sa propre contingence. Nulle intervention divine n’apparaît autorisée à rendre compte de la souffrance des hommes ou du mal qu’ils commettent.

69 Ibid., p. 222.

2.L’«

INFIRMERIE LITTÉRAIRE

»

BALZACIENNE

:

LA MALADIE COMME ISOTOPIE

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