• Aucun résultat trouvé

Problématique de recherche

Suite aux précédents développements analytiques, il nous apparaît approprié de sonder l’adéquation d’un modèle théorique dimensionnel inspiré de celui de Roche et al. (2013) relativement à la nature de la relation existant entre la grandiosité et la vulnérabilité narcissiques lors d’une décompensation narcissique. En effet, n’ayant pas encore été systématiquement testé auprès d’individus présentant un niveau suffisamment élevé de vulnérabilité narcissique pour être affligés d’une décompensation narcissique, ce modèle ne précise pas la nature de la relation entre ces deux dimensions du narcissisme pathologique

Grandiosité narcissique  Exploitation d’autrui  Agrandissement sacrificiel de soi

 Fantaisie grandiose

Vulnérabilité narcissique  Estime de soi contingente

 Dissimulation de soi  Dévalorisation de soi et des autres

 Rage de l’affront Décompensation (Soi symptomatique) Compensation (Soi factice) Sentiment de supériorité Sentiment d’infériorité Sen tim en t d’ in vu ln ér ab ilit é Sen tim en t de vu ln érab ilit é Capacité déficiente :  de la régulation de l’estime de soi;  et de la gestion des émotions ainsi induites.

une fois que la décompensation narcissique7 ne se soit produite. En d’autres termes, qu’advient-il de la grandiosité narcissique lorsque la vulnérabilité narcissique a atteint un niveau d’intensité suffisamment élevé pour qu’une décompensation s’installe chez l’individu?

Eu égard à ce dernier questionnement, certaines constatations cliniques pavent la voie à d’éventuelles tentatives de réponse. En effet, celles-ci révèlent que si la décompensation s’avère essentiellement composée de vulnérabilité narcissique, elle n’en est pas pour autant exempte de vives manifestations ponctuelles et sporadiques de grandiosité narcissique. Bon nombre d’études de cas cliniques font état de patients narcissiques déprimés, prostrés, hypochondriaques, affichant des troubles de l’humeur, des accès de colère, une estime de soi atrophiée, un isolement social, un profond sentiment de honte et des problèmes de consommation de substances (alcool et drogues) mais qui, occasionnellement, présentent d’étonnants signes propres à la grandiosité narcissique, à savoir : une arrogance, une infatuation, une assurance de soi péremptoire, une volubilité, une présentation de soi charmeuse, des tentatives de manipulation et un détachement émotionnel exprimé par une attitude désinvolte et des propos allègres (Dimaggio, Nicolò, Fiore, Centenero, Semerari, Carcione, & Pedone, 2008; Goldman, 2006, Johnson, 1994; Horowitz, 2009; Levy, 2012; Roberts & Huprich, 2012; Ronningstam, 2009; Russ et al., 2008). En fonction de ce qui précède, la vulnérabilité narcissique constituerait la trame de la décompensation sur laquelle se superposeraient certaines pointes de grandiosité narcissique.

Par ailleurs, nous avons décidé de positionner notre questionnement exploratoire à l’intérieur d’une perspective de leadership organisationnel. Cette décision est essentiellement motivée par le fait qu’il existe une étude conceptuelle proposant une typologie binaire de leadership narcissique pathologique (Kets de Vries & Miller, 1985) dont la teneur s’inscrit dans le prolongement des deux grandes formes de narcissisme pathologique composant le modèle théorique inspiré de celui de Roche et al. (2013). Exploitant les notions psychanalytiques de mécanismes de défense et de relation objectale, ces deux chercheurs tracent le profil de deux archétypes de leader narcissique pathologique : le leader narcissique réactif et le leader narcissique auto-illusoire. L’appellation « réactif » indique que ce type de

7 Selon certains chercheurs, la décompensation narcissique est essentiellement composée d’une

blessure narcissique, à savoir l’altération profonde et imparable du sentiment d’amour et d’estime pour soi-même annihilant par le fait même l’illusion de sa toute-puissance (Bender, 2012; Kealy & Rasmussen, 2012; Levy, 2012; Magidson, Collado-Rodrigez, Madan, Perez-Camoirano, Galloway, Borckardt, Campbell, & Miller, 2012).

leader narcissique est en fait un individu qui réagit de façon vive et vindicative à ce qui est perçue être une offense à sa valeur estimée exceptionnelle. Conséquemment, le fonctionnement de ce type de leader narcissique pathologique serait animé par la grandiosité narcissique. Quant à la dénomination « auto-illusoire », celle-ci fait référence au fait que ce type de leader narcissique s’enferme dans une bulle protectrice afin de préserver son sentiment de toute-puissance. La vulnérabilité narcissique serait à la base de son fonctionnement.

Plus spécifiquement, l’examen attentif des attributs de chacun de ces deux archétypes révèle d’une part que le leader narcissique réactif fait preuve d’ostentation, d’intolérance, d’exploitation des autres, d’accès de colère contre autrui, de témérité décisionnelle (absence de consultation et prise de risques inconsidérée) et de mégalomanie (poursuite de projets spectaculaires) et, d’autre part, que le leader narcissique auto-illusoire affiche plutôt les caractéristiques suivantes : hypersensibilité au jugement d’autrui, recherche exacerbée d’acceptation de soi par les autres, peur de l’échec, accès de colère contre soi, vacuité décisionnelle (consultation excessive des autres et absence de prise de risques) et conservatisme (retraite dans des activités routinières).

Eu égard à l’exploration de l’adéquation du modèle théorique de la conception dimensionnelle du narcissisme pathologique inspiré de celui de Roche et al. (2013), ces dernières considérations conceptuelles, présentées au paragraphe précédent, présentent un intéressant potentiel analytique en ce qui a trait aux possibles incidences négatives au chapitre de l’exercice du leadership organisationnel. En effet, dans l’éventualité où le narcissisme pathologique engloberait séquentiellement les deux phénotypes narcissiques (validation de la conception dimensionnelle), la décompensation (vulnérabilité narcissique) d’un leader narcissique, se soldant par des attitudes et des comportements antipodaux à ceux observés lors de la phase de compensation narcissique (grandiosité narcissique), risque de se montrer passablement déstabilisante pour les subordonnés de celui-ci.

En somme, notre problématique de recherche, inscrite dans une perspective de leadership organisationnel, repose sur la question exploratoire suivante : quelle est l’adéquation du modèle théorique inspiré de celui de Roche et al. (2013) de la conception dimensionnelle du narcissisme pathologique relativement à la nature de la relation entre la grandiosité et la vulnérabilité narcissiques lors d’une décompensation narcissique?