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Nature du leadership narcissique

Une recension de la littérature scientifique traitant globalement du leadership dysfonctionnel révèle l’existence de travaux ayant examiné la teneur et l’expression d’une forme particulière de ce type de leadership : le leadership narcissique (Blair, Hoffman, & Helland, 2008; Campbell, Hoffman, Campbell, & Marchisio, 2011; Khoo & Burch, 2008; Ouimet, 2010b; Resick, Whitman, Weingarden, & Hiller, 2009). Globalement, les chercheurs ayant analysé le leadership narcissique le définissent en tant que l’exercice égoïste du pouvoir. Plutôt que de servir l’entreprise, le leader narcissique se sert de toutes les ressources disponibles afin essentiellement de s’attirer l’admiration d’autrui et de confirmer son sentiment de supériorité.

3.1 Composantes du leadership narcissique

D’entrée de jeu, il convient de préciser que seulement deux études empiriques ont examiné l’existence de possibles ramifications corrélationnelles entre le style de leadership transformationnel et le narcissisme (Khoo & Burch, 2008; Resick et al., 2009). Alors que Khoo et Burch (2008) ont observé que le narcissisme affichait d’une part une corrélation positive avec la première composante du leadership transformationnel (le charisme) et, d’autre part, une corrélation négative avec la cinquième composante du leadership transformationnel (la considération individualisée), Resick et al. (2009) ont établi l’existence d’une corrélation fortement négative entre le narcissisme et cette cinquième composante du leadership transformationnel (la considération individualisée). Par ailleurs, bien que ne procédant à aucune analyse comparative entre le leadership transformationnel et le leadership narcissique, Ouimet (2010b) fixe les paramètres définitionnels du second en recourant à une analogie – corroborée au moyen de données probantes – avec les composantes du premier. Pareille structuration du leadership narcissique se révèle susceptible de contribuer au resserrement de la qualité des

analyses produites par d’éventuelles études comparatives empiriques traitant de ces deux types de leadership.

Les développements analytiques subséquents porteront sur l’identification des composantes du leadership narcissique à l’aide d’une grille normative établissant un parallèle analogique avec les composantes du leadership transformationnel. Présentée au tableau 1, cette grille normative est le prolongement du modèle intégrateur de recherche proposé par Ouimet (2010b) dans son étude portant exclusivement sur la dynamique du leadership narcissique dans les organisations. Aussi, les prochaines sous-sections traitant des composantes (sous-sections 3.1.1 à 3.1.5) et des incidences négatives (sous-section 3.2) du leadership narcissique se veulent une restitution à la fois synthétique et amendée de certains segments de ce modèle de recherche.

3.1.1 Charisme

Force est d’admettre que le leadership narcissique partage avec le leadership transformationnel une composante fondamentale : le charisme (Khoo & Burch, 2008). Pareille constatation empirique corrobore les conceptions théoriques de bon nombre de chercheurs à l’effet que les leaders narcissiques sont foncièrement charismatiques (Blair et al., 2008; King, 2007).

3.1.2 Influence intéressée

Alors que le leader transformationnel exerce une influence idéalisée visant foncièrement la satisfaction des besoins d’autrui, le leader narcissique semblerait opter pour une influence intéressée essentiellement motivée par la satisfaction de ses propres besoins. Pareille affirmation apparaît amplement confirmée par plusieurs études empiriques portant sur l’impérieuse propension de la personne narcissique à procéder systématiquement à l’agrandissement de son « moi » au moyen de la surévaluation de ses performances ou de leur justification en cas de déconvenues ne pouvant être passées sous silence (Horvath & Morf, 2009, 2010).

3.1.3 Motivation fallacieuse

Quoique tout aussi inspirante que la motivation produite par le leader transformationnel, la motivation fallacieuse initiée par le leader narcissique ne repose pas, contrairement à la motivation inspirationnelle, sur des évaluations préalables de faisabilité

Tableau 1

Comparaison analogique des composantes des leaderships transformationnel et narcissique

Leadership transformationnel Leadership narcissique

 Charisme

 Communication verbale imagée

 Utilisation de figures de style (allégorie, analogie, métaphore et symbole) qui suscitent des réactions émotionnelles

 Communication non-verbale expressive  Exploitation du balayage visuel, de la modulation de la voix,

des expressions faciales et des mouvements des bras  Influence idéalisée

 Satisfaction des besoins des autres

 Préoccupation pour le plein épanouissement d’autrui

 Influence intéressée

 Satisfaction de ses propres besoins

 Préoccupation exclusive pour l’agrandissement de son « moi »

 Motivation inspirationnelle  Vision excitante du futur

 Présentation d’un projet d’avenir à la fois exigeant, exaltant et réalisable

 Motivation fallacieuse  Vision chimérique du futur

 Présentation d’un projet d’avenir à la fois téméraire, spectaculaire et utopique

 Stimulation intellectuelle  Invitation à la critique

 Sollicitation de remises en question intelligentes de l’ordre établi

 Inhibition intellectuelle  Intolérance à la critique

 Recherche exclusive de la validation de ses positions

 Considération individualisée

 Attention et respect portés envers les autres  Gestion personnalisée des membres du

personnel

 Considération simulée

 Manipulation et exploitation des autres

 Gestion machiavélique des membres du personnel

campée sur des argumentations rationnelles et factuelles (Higgs, 2009). Ces dernières considérations théoriques relativement à la nature trompeuse de la motivation générée par le leader narcissique se révèlent confirmées par deux études empiriques. En effet, Galvin et al. (2010) ont établi que les leaders narcissiques ont davantage tendance à générer une vision intrépide caractérisée par la témérité (prise de risques très élevés) et l’impavidité (faible réactivité à la peur). Pour leur part, Chatterjee et Hambrick (2007) ont démontré que les hauts dirigeants narcissiques privilégient davantage le sensationnalisme stratégique – les impulsives acquisitions d’entreprises les propulsant sous les feux de la rampe – au conservatisme stratégique – les améliorations incrémentales les confinant dans l’anonymat le plus total.

3.1.4 Inhibition intellectuelle

Alors que le leader transformationnel se fait un devoir de recourir systématiquement à l’utilisation de la stimulation intellectuelle du potentiel créatif de ses subordonnés, le leader narcissique, habité par une hypersensibilité à la critique et un besoin exacerbé d’admiration de la part d’autrui, s’applique à la pratique de l’inhibition intellectuelle de ses subordonnés (Rosenthal & Pittinsky, 2006). Cette affirmation théorique se mérite une appréciable validation empirique de la part de certaines études réalisées auprès d’individus ayant une personnalité narcissique. En effet, ces études ont démontré que les personnes narcissiques, en plus d’afficher une hypersensibilité au jugement d’autrui formulé à leur endroit, réagissent agressivement suite soit à la formulation d’un feedback négatif de la part des autres (Martinez, Zeichner, Reidy, & Miller, 2008), soit à la perception d’une menace à l’intégrité de leur « moi » (Horvath & Morf, 2009).

3.1.5 Considération simulée

Finalement, le leader narcissique est un adepte de la considération simulée. En effet, se dissimulant sous une aménité de façade, le leader narcissique procède subtilement à la manipulation et à l’exploitation des gens de son entourage (Higgs, 2009). Cette assertion théorique apparaît substantiellement corroborée par plusieurs études empiriques ayant mis en lumière le caractère fourbe de la personnalité narcissique. La teneur d’un tel caractère émerge entre autres de l’existence d’une relation positive entre le narcissisme, le machiavélisme et la psychopathie primaire (Jonason & Webster, 2010).

3.2 Incidences du leadership narcissique

La présente section dévoile la teneur de la négativité des incidences du leadership narcissique dont la description des composantes laissait déjà pressentir l’existence. Comparativement au leadership transformationnel, le leadership narcissique fut l’objet de beaucoup moins d’études empiriques. L’examen des résultats générés par celles-ci permet de constater l’existence d’une relation positive significative entre ce type de leadership et les variables suivantes : la témérité au chapitre de la prise de risques et la volatilité de la performance organisationnelle (Chatterjee & Hambrick, 2007); l’exploitation malavisée des ressources d’une communauté (Campbell, Bush, Brunell, & Shelton, 2005); la création d’un climat de travail toxique (Goldman, 2006); l’émergence d’une gestion

dysfonctionnelle à la suite de l’asphyxie de l’apprentissage expérientielle (Campbell & Campbell, 2009); et la perpétration de crimes en col blanc (Ouimet, 2009).

4. Modalités de l’actualisation de la confusion possible des deux types de leadership