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Conception catégorielle du narcissisme pathologique

Globalement, la forme grandiose du narcissisme pathologique est foncièrement décrite dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV; APA, 1994). Ses composantes sont : un sens grandiose de sa propre valeur (surestimation de ses réalisations et de ses capacités); des fantaisies de magnificence (succès illimité, pouvoir incontestable, beauté incomparable et amour idéal); une conviction d’être une personne exceptionnelle; un besoin excessif d’être admiré; une certitude de mériter des privilèges; une propension à exploiter froidement les autres afin de parvenir à ses fins; un manque d’empathie avec autrui; une envie envers les autres associée à un sentiment d’être soi- même l’objet de l’envie de ceux-ci; et une condescendance dans les relations interpersonnelles.

Quant à la forme vulnérable du narcissisme pathologique, sa teneur conceptuelle se résume pour l’essentiel aux caractéristiques suivantes : une introversion; des émotions négatives; une froideur relationnelle; de l’hostilité envers autrui; un besoin exacerbé de reconnaissance; une certitude de mériter un traitement privilégié; un égocentrisme (Akhtar, 2003; Miller, Hoffman, Gaughan, Gentile, Maples, & Campbell, 2011; Pincus & Lukowitsky, 2010); une expérience consciente d’impuissance, de vacuité, de faible estime de soi et de honte (Pincus, Ansell, Pimentel, Cain, Wright, & Levy, 2009); et une grandiosité défensive et vacillante concomitante à une hypersensibilité à la critique (Cooper, 1998; Kealy & Rasmussen, 2012; Kraus & Reynolds, 2001; Masterson, 1993; Røvik, 2001).

Il revient à Wink (1991) d’avoir le premier circonscrit empiriquement la teneur respective de deux grandes formes de narcissisme. En recourant à une étude réalisée auprès d’un échantillon de 350 personnes également réparties en fonction de la variable « sexe », Wink établit dans un premier temps que les deux formes de narcissisme,

dénommées « grandiosité-ostentation » et « vulnérabilité-sensibilité », ont en commun les éléments suivants : la vanité, le sybaritisme (amour de son propre confort) et le mépris des autres. Puis, le traitement statistique plus élaboré des données colligées indique une différence significative entre celles-ci. En effet, alors que la « grandiosité-ostentation » narcissique est associée à l’extraversion, l’assurance de soi et l’agression d’autrui, la « vulnérabilité-sensibilité » narcissique affiche des corrélations positives avec l’introversion, la défensive et l’anxiété.

Principalement réalisées dans les domaines de la psychologie sociale et de la psychologie de la personnalité, les études corrélationnelles subséquentes à celle de Wink (1991) et empruntant la conception catégorielle du narcissisme ont été en mesure d’isoler la présence d’attributs personnels foncièrement propres à chacune de deux formes analysées. En ce qui a trait au narcissisme pathologique grandiose, l’examen des données colligées révèle que cette forme de narcissisme est associée aux facteurs suivants : une extraversion élevée; une faible agréabilité; un neuroticisme faible; une estime de soi élevée; une attitude ostentatoire; une propension à l’exploitation des autres; une agressivité envers autrui; un sentiment d’urgence positive (impulsivité animée par des affects positifs); des comportements criminels; une addiction compulsive au jeu; une recherche de sensations fortes; le tempérament hyperthymique; des tentatives de suicide; et des schémas précoces inadaptés de méfiance, de certitude de mériter des privilèges, de sacrifice de soi, d’idéaux implacables et de manque d’autocontrôle absent (Buss & Chiodo, 1991; Hendin & Cheek, 1997; Miller & Campbell, 2008; Miller, Dir, Gentile, Wilson, Pryor, & Campbell, 2010; Ogrodniczuk, Piper, Joyce, Steinberg, & Duggal, 2009; Pincus et al., 2009; Tritt, Ryder, Ring, & Pincus, 2010; Ziegler-Hill, Green, Arnau, Sisemore, & Myers, 2011).

Quant au narcissisme pathologique vulnérable, la synthèse des résultats des études recensées indique la présence d’une association entre cette forme de narcissisme et les facteurs suivants : une faible extraversion; une faible agréabilité; un neuroticisme élevé; des états anxieux et dépressif; une idéation paranoïde; des troubles du sommeil; une dérégulation émotionnelle; une faible estime de soi; un sentiment d’urgence positive et négative (impulsivité animée tant par des affects positifs que négatifs); les tempéraments anxieux et dépressif; l’anxiété d’attachement; l’évitement social; le souvenir d’un encadrement parental froid et psychologiquement intrusif; l’affirmation d’avoir été victime de maltraitance infantile (abus émotionnel, verbal, physique et sexuel); des

comportements parasuicidaires (comportements à risque et autodestructeurs); des tentatives de suicides; et des schémas précoces inadaptés de méfiance, de certitude de mériter des privilèges, d’assujettissement, d’abandon et de dépendance absente (Buss & Chiodo, 1991; Hendin & Cheek, 1997; Kraus, Seligman, & Jordan, 2005; Miller & Campbell, 2008; Miller et al., 2010; Miller, Dir et al., 2010; Tritt et al., 2010; Pincus et al., 2009; Ziegler-Hill et al., 2011).

Par ailleurs, d’autres chercheurs étayant leur analyse du narcissisme pathologique sur la conception catégorielle soutiennent que les individus appartenant aux deux formes de narcissisme ont certes en commun les deux caractéristiques suivantes : des fantaisies grandioses au sujet de leur importance et une certitude de mériter des privilèges. Toutefois, le narcissique vulnérable diffère considérablement du narcissique grandiose au chapitre d’une part de l’actualisation de ces deux attributs fondamentaux et, d’autre part, de la nature des stratégies d’amplification de sa propre valeur et des réactions symptomatiques inhérentes à l’échec de ces stratégies. En effet, affichant une capacité personnelle d’affirmation de soi beaucoup plus faible que celle de son congénère grandiose, le narcissique vulnérable doit s’en remettre davantage aux autres pour s’assurer du maintien de son estime de soi (Besser & Priel, 2009; Cooper, 1998; Dickinson & Pincus, 2003; Zeigler-Hill, Clark, & Pickard, 2008). Pour pallier la constitution carencée de son estime de soi, le narcissique grandiose exploite une stratégie directe et passablement confrontationnelle d’agrandissement de soi (ostentation et exploitation d’autrui). Pour sa part, le narcissique vulnérable recourt à une stratégie indirecte et quelque peu consensuelle d’acceptation de soi (retrait social et mimétisme3) (Akhtar, 2003; Dickinson & Pincus, 2003; Morf & Rhodewalt, 2001). Cette différence en matière de choix stratégiques s’expliquerait en partie par le fait que si le narcissique grandiose recherche l’admiration, le narcissique vulnérable se contente, quant à lui, de l’approbation (Zeigler-Hill et al., 2008). En outre, l’existence d’une telle différence se révèle compatible avec la présence d’une part chez le narcissique grandiose d’une motivation d’approche (primauté accordée à la recherche de récompenses) et d’une estime de soi réalisationnelle (confirmation agentique de sa propre valeur, à savoir au moyen de la réalisation de performances individuelles) et, d’autre part, chez le narcissique vulnérable d’une motivation d’évitement (primauté accordée à l’évitement de punitions) et d’une estime de soi relationnelle (confirmation communale de sa propre valeur, à savoir au moyen de la

complicité d’un collectif) (Besser & Priel, 2010; Campbell, Bosson, Goheen, Lakey, & Kernis, 2007; Tritt et al., 2010).

Enfin, les narcissiques grandiose et vulnérable affichent entre eux une divergence relativement à l’intensité et au mode d’expression des réactions émotionnelles induites par l’incapacité de leurs stratégies respectives à contenir les défaillances de leur estime de soi (Atlas & Them, 2008). Comparativement au narcissique grandiose, le narcissique vulnérable se montre plus sensible aux menaces visant l’intégrité de son estime de soi et, dans l’éventualité d’une décompensation – échec des stratégies défensives –, réagit davantage au moyen de l’internalisation de ses émotions négatives, à savoir : la colère contre soi, la critique de soi (dévalorisation et sentiment de nullité) et le sentiment de culpabilité. Quant au narcissique grandiose, sa réaction émotionnelle décompensatoire emprunte foncièrement la voie de l’externalisation des émotions négatives, soit : la colère contre autrui (agressivité et irritabilité) et l’hostilité sociale (critique et mépris des autres) (Akhtar, 2003; Bogart, Benotsch, & Pavlovic, 2004; Cain et al., 2008; Kraus & Reynolds, 2001; Rose, 2002).

Il convient finalement de mentionner que l’émergence des réactions émotionnelles négatives (externalisées ou internalisées) ne met pas un terme au recours aux stratégies déficientes de compensation (agrandissement de soi ou acceptation de soi). Selon la conception catégorielle, ces stratégies sont également sollicitées en période de décompensation. Elles viennent en quelque sorte se juxtaposer aux réactions émotionnelles négatives exprimées (Akhtar, 2003; Campbell, Bosson, Goheen, Lakey, & Kernis, 2007; Dickinson & Pincus, 2003).

En fonction des périodes compensatoire et décompensatoire, la dynamique psychique propre à chacune des deux formes de narcissisme selon la conception catégorielle est schématisée à la figure 1 présentée à la page suivante.