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L’objectif de la présente étude consiste en une analyse comparative des travailleurs vieillissants par rapport aux autres groupes d’âge afin d’appréhender leur positionnement respectif sur le marché du travail et de cerner les enjeux de leur participation au marché du travail dans l’avenir. Il est privilégié l’identification des enjeux associés aux caractéristiques des différentes cohortes depuis le début des années 1990 et l’exploration de leur situation en termes de transition sur le marché du travail et leur potentiel développement dans le futur.

L’un des défis majeurs du marché du travail est le maintien de la croissance économique sous la contrainte du vieillissement de la population avec des entrants potentiels sur le marché du travail qui sont moins nombreux que les sortants potentiels. Toutefois, même dans ce contexte, les travailleurs vieillissants semblent avoir plus de difficulté à se tailler une place lorsqu’ils cherchent un nouvel emploi que les autres groupes d’âge, ce qui va dans le sens contraire à l'intuition (Moulaert, Fusulier & Tremblay, 2011; Moulaert, Tremblay & Fusulier, 2009). Malgré une augmentation du taux d’emploi des cohortes plus âgées dans les dernières années, il demeure que l’âge est perçu comme un facteur de discrimination dans un bon nombre d’organisations; certains secteurs étant particulièrement enclins à pratiquer diverses formes de gestion en fonction de l’âge (Taylor, 2008; Gruber et Wise, 2010). En revanche, d’autres peuvent bénéficier d’un positionnement plus avantageux en raison de l’évolution de l’emploi ou des besoins de renouvellement dans leur domaine. Dans ce dernier cas, les travailleurs vieillissants seraient donc moins susceptibles d’être exposés à des difficultés à se maintenir en emploi dans des conditions favorables.

Divers constats empiriques montrent que certains travailleurs âgés sont plus susceptibles de se retrouver dans une situation plutôt défavorable sur le marché du travail en raison de leur présence importante dans des domaines où la croissance est plus faible, ce qui constitue un facteur les exposant davantage au chômage et à l’inactivité, menant par exemple à des départs précoces à la retraite. Également, les travailleurs qui ont investi une grande partie de leur capital humain dans des secteurs en

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déclin sont plus susceptibles de subir de lourdes pertes de revenus s'ils acceptent des emplois dans la plupart des autres secteurs. Dans ce contexte, ils pourraient continuer à chercher des emplois dans des secteurs où leur capital humain est plus précieux et demeurer au chômage pendant de nombreux mois, ce qui peut entraîner plusieurs coûts sociaux à long terme. Certains chômeurs de longue durée se découragent et quittent prématurément le marché du travail plutôt que de continuer à chercher le travail qui leur échappe depuis de nombreux mois. C'est particulièrement probable pour les chômeurs plus âgés, car il leur faut beaucoup plus de temps pour trouver un emploi.

Dans la présente étude, on s’intéresse d’une part à mesurer l’incidence des départs involontaires sur les travailleurs vieillissants (45 à 49 ans, 50 à 55 ans, 56 à 60 ans et de 61 ans et plus) par rapport aux travailleurs d’âge très actif (35 à 44 ans) en termes de probabilité de vivre un épisode de chômage ou d’inactivité. Plus spécifiquement, on estimera à partir de modèles d’analyse logistique multinomiale, la prévalence à vivre un épisode de chômage et d’inactivité à la suite du départ volontaire ou involontaire d’un emploi en fonction de l’âge des travailleurs, comparativement au fait d’effectuer une transition directe d’emploi à emploi. On s’interroge à savoir si les travailleurs des catégories plus âgées éprouvent des difficultés plus grandes que les autres groupes d’âge à se relocaliser en emploi et si les dynamiques de transition observées sont différentes entre la période du début de l’enquête EDTR (de 1993 à 1998) et à la fin de celle-ci (de 2005 à 2010). Également, est-ce que la dynamique observée entre les deux provinces a évolué entre les deux périodes et que pouvons-nous en retirer comme enseignement? À un niveau plus descriptif, on examine également l’évolution du taux de cessation d’emploi involontaire depuis le début des années 1990 en fonction des groupes d’âge et la durée de l’emploi précédent les départs involontaires. Au niveau descriptif, on se concentre à présenter les informations sur les interruptions involontaires d'emploi puisqu’elles ont des effets négatifs sur l'emploi futur. Finalement, toujours ventilée par groupe d’âge, nous comparons l’évolution du niveau de scolarité des différentes cohortes au fil du temps dans les deux provinces. Le niveau moyen plus élevé observé chez les travailleurs ontariens pourrait suggérer pour les travailleurs québécois plus âgés, une probabilité plus forte à vivre un épisode de chômage ou d’inactivité en cas de perte d’emploi que leurs homologues ontariens. Cette affirmation est basée sur l’hypothèse qu’un plus haut niveau de scolarité favorise, de façon générale, une participation plus élevée sur le marché du travail.

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L’une des contraintes dans l’utilisation des données de l’EDTR est l’absence d’informations au-delà de 2010. Cela est probablement la source la plus importante de difficulté en ce qui a trait à la compréhension de la situation actuelle des travailleurs vieillissants. Dans les années plus récentes, le rendement des caractéristiques variant dans le temps (comme l’état de l’économie et la plus forte probabilité de vivre un épisode de chômage) pourrait être moins consistant comme nous l’exposerons à travers le premier et le dernier panel de l’EDTR. Néanmoins, l’analyse de la situation des travailleurs selon leur groupe d’âge provenant des différents panels de l’EDTR (s’étalant de 1993 à 2010) peut nous amener à induire quelques hypothèses ou scénarios sur les caractéristiques éventuelles des travailleurs âgés dans le présent et dans l’avenir. C’est donc en établissant un parallèle entre la situation des travailleurs âgés ayant terminé un emploi entre 1993 et 1998, d’une part, et celle des travailleurs ayant terminé entre 2005 et 2010, d’autre part, que nous tenterons de cerner les tendances susceptibles de caractériser les cohortes plus récentes des travailleurs âgés. D’emblée, l’évolution des caractéristiques et comportements des travailleurs âgés est également tributaire des conditions qui sont mises en place pour les retenir plus longtemps sur le marché du travail ou leur permettre de réintégrer le marché. On peut notamment penser à une meilleure adéquation entre l’offre de formation aux chercheurs d’emploi et les besoins en main-d’œuvre. Dans la mesure où l’avenir comporte plusieurs paramètres inconnus, il faut plutôt voir les propos qui suivent comme l’identification d’enjeux et de tendances quant à l’évolution possible de la participation au marché du travail des travailleurs vieillissants dans l’avenir.

L’ampleur des mouvements sur le marché du travail et la direction potentielle des transitions sont fortement dépendantes de la conjoncture économique. Par exemple, les crises économiques peuvent engendrer une hausse massive du chômage et du sous-emploi. En période de récession, les travailleurs sont exposés à une plus grande vulnérabilité tant face au risque d’être licencié qu’à celui d’être repoussé encore plus loin dans la file des demandeurs d’emploi, lorsque de nombreux travailleurs sont en concurrence pour un nombre limité d’emplois disponibles. Les travailleurs âgés sont une des catégories démographiques affichant une plus forte sensibilité au cycle conjoncturel. Même dans un contexte économique se rapprochant du plein emploi, explique Van der Linden (2016), il y a aussi à tout moment des personnes qui quittent leur emploi ou sont licenciées et ne trouvent pas immédiatement un autre emploi créant de la sorte du chômage frictionnel. Le chômage frictionnel résulte de l’information imparfaite sur le marché du travail et donc du temps nécessaire pour que les demandeurs d’emploi et les emplois vacants s’apparient. Dans une perspective à long terme et un contexte économique plus favorable,

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on peut s’interroger si les travailleurs âgés de demain désirant participer au marché du travail pourront se maintenir en emploi ou trouver un emploi satisfaisant même s’ils se retrouvent au chômage? Les probabilités de vivre un épisode de chômage peuvent dépendre de la disponibilité d’emploi dans le domaine du travailleur. Par ricochet, les augmentations potentielles de la mobilité en emploi, du changement de domaine professionnel et de niveau de compétences peuvent être perçues comme un résultat d’une insécurité grandissante sur le marché du travail.

Au niveau de la comparaison entre le Québec et l’Ontario, on pourrait s’attendre à ce que les travailleurs ontariens aient plus de facilité à se relocaliser en emploi que les travailleurs québécois à la suite d’une cessation d’emploi, puisque déjà le marché du travail est désigné comme étant plus flexible en Ontario qu’au Québec. Toutefois, comme l’indique la littérature sur le sujet, bien que la flexibilité du marché du travail soit une source d’efficacité sur le marché du travail, elle peut également devenir une source de vulnérabilité et d’exclusion du marché du travail. La présence de régulation, comme la législation sur la protection de l’emploi, différencie le Québec et l’Ontario. L’une des hypothèses discutées dans la littérature concernant la législation sur la protection de l’emploi, est qu’un cadre plus souple en matière de licenciement individuel peut accentuer les mouvements de la main-d’œuvre, et en contrepartie, peut permettre aux individus de se relocaliser plus facilement en emploi (Deslauriers, Dostie et Gagné, 2010; OCDE, 2013). En revanche, même si une législation plus souple tend à être bénéfique en termes de création d’emplois, elle tend également à faire augmenter le nombre de travailleurs licenciés chaque année ce qui peut influencer l’emploi des travailleurs considérés comme des groupes à risque, tels que les travailleurs âgés. Cette dynamique peut contribuer à accentuer les différences entre les âges, et ce, au désavantage des travailleurs plus âgés en Ontario. Au Québec, la protection de l’emploi est mieux encadrée et la présence syndicale est plus forte, on s’attend dans les résultats à observer un clivage plus important entre le secteur public et privé entre le début et la fin de l’EDTR.

Si, les employés publics sont moins sujets à subir les contrecoups des fluctuations du marché du travail en raison de la sécurité d’emploi dont ils disposent, ils représentent peut-être également la catégorie de travailleurs qui risque de quitter plus tôt le marché du travail en raison de leurs conditions d’accès à la retraite plus avantageuses, en lien avec une participation généralisée à un régime de pension d’employeur. Pour leur part, les employés œuvrant dans le secteur privé ne sont pas protégés dans la même mesure que les employés publics et peuvent d’autre part être davantage contraints de poursuivre leur vie active si les

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conditions leur permettant de se retirer ne sont pas réunies, notamment pour ceux qui ne disposent pas d’un régime de pension d’employeur. Par conséquent, un statut autre que celui d’employé public entraîne une marge de manœuvre réduite dans le rapport des travailleurs au marché du travail, tant en ce qui concerne la capacité à s’y maintenir que la volonté de le quitter.

Dans tous les cas de figure, l’analyse des transitions entre les trois états du marché du travail est fortement reliée au fait de choisir ou subir le départ d’un emploi. La littérature définit les départs volontaires comme résultant de la volonté de l’employé de quitter l’entreprise (par exemple, pour accepter un autre emploi, pour faire un retour aux études, à cause d’un déménagement, etc.), tandis que les départs involontaires relèvent davantage de la décision de l’employeur de se défaire d’un employé (soit par le licenciement ou par une offre de retraite anticipée). De façon générale, l’inactivité peut être perçue par les chercheurs davantage comme un choix volontaire, même si un départ involontaire d’un milieu de travail peut précipiter cette décision. Ainsi, il est plus difficile de trouver un emploi (ou peut-être que la motivation pour le faire s'affaiblit) après une période d'inactivité. De son côté, le chômage est envisagé comme une conséquence directe d’une perte d’emploi. Dans la présente étude, on envisage que la préférence pour une alternative (emploi, chômage ou inactivité) est indépendante de la préférence pour une autre alternative, puisque le choix est très dépendant de la nature du départ (choisie ou subie). L’indépendance des choix est l’une des propriétés du modèle d’analyse multinomiale. Les méthodes d’analyse, ainsi que les données utilisées, sont discutées plus en détails dans la section suivante.

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