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Mobilite de la main-d'oeuvre et gestion de la diversite des ages: enjeux et defis lies au maintien en emploi des travailleurs vieillissants

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Academic year: 2021

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Mobilité de la main-d’œuvre et gestion de la diversité des âges : enjeux et défis liés au

maintien en emploi des travailleurs vieillissants

Marie-Eve Gagnon Department of Sociology McGill University, Montreal March 2020

A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of the degree of Doctor of Philosophy

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iii RÉSUMÉ

La présence plus forte des travailleurs âgés sur le marché du travail reflète le vieillissement de la main-d’œuvre, mais également la participation accrue de ce groupe au marché du travail. Malgré cette plus forte participation, la situation des travailleurs âgés demeure fragile : un taux de chômage plus élevé; des difficultés de recrutement lorsqu’ils cherchent un nouvel emploi; un salaire considérablement réduit par rapport au salaire de carrière; un accès inégal à la formation. Dans cette thèse, on examine la situation des travailleurs vieillissants sur le marché du travail (45 à 49 ans, 50 à 55 ans, 56 à 60 ans et 61 ans et plus), en comparaison aux travailleurs en début de carrière (25 à 34 ans) et aux travailleurs d’âge très actif (35 à 44 ans).

Dans le premier chapitre, à partir des données de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) de Statistique Canada, on examine l’évolution (de 1993 à 2010) de la durée d’emploi et des transitions entre les trois états du marché du travail (emploi, chômage et inactivité) au Québec en comparaison de l’Ontario. On distingue la nature, volontaire et involontaire, des cessations d’emploi et leur impact à travers les groupes d’âge. Le Québec se distingue parmi les provinces comme ayant une législation de protection de l’emploi assez rigide et bénéficie de l’une des plus fortes présences syndicales. L’Ontario toutefois, est désignée comme l’une des provinces les plus flexibles en ces termes. On peut s’attendre à ce qu’une réglementation plus souple accentue les mouvements de la main-d’œuvre et qu’elle soit bénéfique en termes de créations d’emplois. Elle permettrait aux individus de se relocaliser plus facilement en emploi, ce qui pourrait favoriser les transitions et le maintien en emploi des travailleurs vieillissants davantage en Ontario qu’au Québec.

Dans le deuxième chapitre, on examine la mobilité professionnelle au Canada en fonction de l’âge des travailleurs. À partir des données de l’EDTR, on mesure la mobilité professionnelle sur une période s’étalant jusqu’à six années consécutives. En particulier, on s’intéresse à la fluctuation des salaires et au redéploiement des compétences (en termes de niveau d’études requis pour exercer la profession) entre deux emplois. En observant le phénomène sur plusieurs années plutôt que sur une période de deux ans comme la majorité des études, la mobilité professionnelle apparaît plus fréquente qu’on ne le pensait et reste relativement élevée avec l’avancée en âge. On estime l’impact des épisodes de chômage et

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d’inactivité sur la probabilité de vivre une baisse de salaire : entre autres, l’impact du chômage sur le salaire semble plus élevé surtout à partir de 56 ans par rapport aux autres groupes d’âge.

Finalement, dans le troisième chapitre, on explore plus en détails la littérature suggérant que certaines évolutions sur le marché du travail observées au cours des dernières décennies ont pu modifier le comportement d’emploi des entreprises, dans un sens qu’il serait défavorable aux travailleurs plus avancés en âge : par exemple, la diffusion massive des technologies et les restructurations internes dans les entreprises et l’adoption des pratiques innovantes. On s’interroge sur la manière dont cet environnement peut modifier la demande de travail par âge dans les entreprises en analysant la structure par âge des milieux de travail selon qu’ils utilisent ou non des nouvelles technologies, des dispositifs innovants d’organisation du travail et autres pratiques de gestion des ressources humaines. On explore ces facteurs en relation avec l’intensité de la formation dispensée dans les entreprises et l’ancienneté en emploi.

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v ABSTRACT

The rising share of older workers in the labour market is produced by both the aging of the workforce and the increased labour force participation of those older workers. Notwithstanding their persistence in the workforce their situation suggests some disadvantage: they have a higher rate of unemployment; their job search is often challenging; there is some evidence of late career earnings declines; and they may have poorer access to training than their younger counterparts. In this thesis, I compare the labour market situation of aging (45-49, 50-55, 56-60, 61 and over) with early (25-34) and prime age (35-44) workers.

In the first chapter, I use data from Statistics Canada’s Survey of Labour and Income Dynamics (SLID) to examine the evolution of employment durations between 1993 and 2010. Then, comparing Quebec and Ontario, I analyse the transitions between three labour market statuses: employment, unemployment, and inactivity. I distinguish voluntary and involuntary transitions and estimate the consequences of those transitions for the different age groups. Among provinces Quebec is distinguished by its fairly rigid employment protection legislation and its stronger unions. In contrast, Ontario’s labour market is more flexible and its union movement is weaker. One might expect this to increase both labour market mobility and employment. An implication of this would be that individuals in Ontario can more easily shift between jobs than their Quebec counterparts and this, in turn, might facilitate the continued employment of older workers.

The second chapter reports analyses of occupational mobility by age in Canada. Using SLID data I examine occupational changes over six year intervals between 1993 and 2010. I focus on the changes in earnings and skill levels required by jobs held associated with switches between jobs. A first result is that observing these changes over six years rather than the two years more commonly analysed reveals higher rates of occupational mobility than usually reported, including within older age groups. I estimate the effects of episodes of unemployment or inactivity on the probability of experiencing a fall in earnings. The likelihood of an earnings decline after a period of unemployment is particularly large for those 56 and older.

Finally, in the third chapter I explore in detail claims that, over the last decades, the massive diffusion of new technologies combined with organizational restructuring and innovative workplace practices have

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had unfavourable effects on older employees. To do this I examine the association between use of new technologies, innovative workplace organization, and human resource management practices, on the one hand, and workplace age distributions on the other. I go on to explore the associations between the various innovations and both workplace training intensity and work experience.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... v

REMERCIEMENTS ... ix

INTRODUCTION ... 10

CHAPITRE 1 ... 18

LES TRANSITIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL ET LA DURÉE DE L’EMPLOI : LES DIVERGENCES SELON L’ÂGE AU QUÉBEC ET EN ONTARIOSUR UNE PÉRIODE DE 20 ANS 1. INTRODUCTION ... 18

2. CONTEXTE ET RECHERCHES ANTÉRIEURES ... 22

2.1 FACTEURS INSTITUTIONNELS ET DIFFÉRENCES PROVINCIALES ... 22

2.1.1 PROTECTION DE L’EMPLOI ... 22

2.1.2 PRÉSENCE SYNDICALE ... 23

2.1.3 ÉTAT DE L’ÉCONOMIE ... 24

2.2 CONCEPTS THÉORIQUES ... 26

2.2.1 CAPITAL HUMAIN ET CHANGEMENT TECHNOLOGIQUE ... 26

2.2.2 IMPERFECTION DES MARCHÉS ... 28

3. PROBLÉMATIQUE ... 30

4. DONNÉES ET MÉTHODES D’ANALYSE ... 34

5. RÉSULTATS ... 40

6. CONCLUSION ET DISCUSSION ... 57

NOTE DE TRANSITION ... 66

CHAPITRE 2 ... 68

MOBILITÉ PROFESSIONNELLE, REDÉPLOIEMENT DES COMPÉTENCES ET FLUCTUATION DES SALAIRES : UNE ANALYSE COMPARATIVE DES TRAVAILLEURS VIEILLISSANTS AU CANADA 1. INTRODUCTION ... 68

2. CONTEXTE ET RECHERCHES ANTÉRIEURES ... 72

2.1 CAPITAL HUMAIN ET REDÉPLOIEMENT DES COMPÉTENCES ... 74

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2.3 ANCIENNETÉ, NIVEAUX DE COMPÉTENCES ET SALAIRE ... 79

3. PROBLÉMATIQUE ... 80

4. DONNÉES ET MÉTHODES D’ANALYSE ... 89

5. RÉSULTATS ... 95

6. DISCUSION ET CONCLUSION ... 120

NOTE DE TRANSITION ... 129

CHAPTER 3... 130

THE IMPACT OF TECHNOLOGICAL AND ORGANIZATIONAL INNOVATION ON THE EMPLOYMENT OF AGING WORKERS: AN ANALYSIS USING CANADIAN LINKED EMPLOYER-EMPLOYEE DATA 1. INTRODUCTION ... 130

2. BACKGROUND AND PREVIOUS RESEARCH ... 133

2.1 EDUCATION, TRAINING AND SKILL OBSOLESCENCE ... 134

2.2 INNOVATIVE WORK PRACTICES ... 135

2.3 DOWNSIZING... 136

2.4 AGE-BIASED TECHNOLOGICAL CHANGE ... 137

3. DATA, VARIABLES AND METHODS ... 141

4. RESULTS ... 147

5. DISCUSSION AND CONCLUSION... 160

CONCLUSION ... 163

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REMERCIEMENTS

Mon cheminement de doctorat n’aurait pas été possible sans l’appui et la présence de nombreuses personnes. Je tiens d’abord à exprimer mes plus vifs remerciements à Michael Smith qui fut pour moi un directeur de thèse attentif et disponible. Je lui suis particulièrement reconnaissante de m’avoir fait confiance et donné toute la liberté, l’autonomie et la latitude dont j’avais besoin pour mener ce projet à terme. Il m’a fait profiter d’un environnement de travail stimulant et de ressources inestimables : sa compétence, sa rigueur scientifique et sa clairvoyance m’ont beaucoup appris. De même, il m’a fourni plusieurs opportunités d’apprentissage, comme la chance d’effectuer un stage de recherche à l’international.

Je tiens spécialement à remercier le Centre interuniversitaire québécois de statistique sociale (CIQSS) pour l’accès aux micro-données détaillées des enquêtes de Statistique Canada qui ont été le pivot de ma thèse. Également, merci au Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) et, encore une fois, à mon directeur de recherche pour leur précieux soutien financier.

En terminant, je tiens à remercier mille fois, mon conjoint, ma famille, mes amis et mes collègues. Votre appui m’a donné l’énergie de mener mon projet à terme. Leur intérêt et leur enthousiasme qu’ils ont démontré envers mes recherches, leur compréhension de ce qu’exige des études doctorales et leur positivisme ont été d’une valeur inestimable tout au long de cette aventure.

Grand merci à toutes les personnes qui ont cru en moi et qui m’ont permis d’arriver au bout de cette thèse !

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INTRODUCTION

La main-d’œuvre canadienne vieillit. C’est un phénomène qui s’observe dans la majorité des pays industrialisés à différents degrés d’ampleur. Au cours des dernières décennies, la proportion croissante d’individus plus âgés dans la population, de concert avec la tendance à la prolongation de la vie en emploi, s’est traduite par un changement dans la démographique de la main-d’œuvre1. À titre d’exemple, au

Canada, parmi tous les individus sur le marché du travail en 2017, 1 sur 5 était âgé de 55 ans et plus, contre 1 sur 10 au début des années 1990. De même, il y a plus de vingt ans, environ 26% des travailleurs actifs étaient âgés de 45 ans et plus, comparativement à 45% en 2017. À l’inverse, la classe d’âge des 25 à 34 ans a connu une diminution de 14 % pendant la même période. Le vieillissement de la main-d’œuvre est au cœur de multiples débats et représente l’un des phénomènes complexes auxquels les entreprises et les gouvernements doivent faire face (Gruber et Wise, 2010 ; Taylor, 2008 ; Conférence Board du Canada, 2008; OCDE, 2013, 2015). D’abord, les sorties massives vers la retraite des cohortes nombreuses des travailleurs âgés correspondent à des entrées sur le marché du travail de cohortes plus minces de jeunes. Cette dynamique suscite des craintes quant à des pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs d’activité. Également, le vieillissement de la main-d’œuvre fait l’objet d’enjeux majeurs aujourd’hui, comme la prolongation de la vie en emploi et les tensions relatives à la gestion des âges dans les milieux de travail. La présente thèse, composée de trois articles, s’articule autour de cette dernière perspective, c’est-à-dire la gestion des âges, en examinant la situation des travailleurs vieillissants sur le marché du travail par rapport à celle des autres groupes d’âge à partir de l’âge de 25 ans.

Il s'agit d'une thèse en sociologie, mais ses sources sont en grande partie produites par des économistes. En effet, les recherches publiées par les sociologues, pour la plupart, n'abordent pas en détail les transitions du marché du travail par âge. Elles n'abordent pas non plus les effets de l'évolution technologique sur ces transitions. De nombreuses recherches sociologiques se penchent sur la transition vers la retraite et ses défis (par exemple, O'Rand, 2011). D'autres recherches se penchent sur la précarité de l'emploi et incluent l'âge comme variable (par exemple, Kalleberg, 2001, 2003). D'autres travaux encore concernent directement les politiques (par exemple, Walker et Taylor, 1999). Aucune de ces études (ni la littérature sociologique plus

1 La composition de la main-d’œuvre en termes d’âge évolue parallèlement au vieillissement de la population qui s’explique par des facteurs tels qu’une espérance de vie plus longue, un taux de natalité moins élevé et le vieillissement de la génération des baby-boomers (i.e. les individus nés entre 1946 et 1965).

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large sur le vieillissement) ne cherche à estimer rigoureusement les effets de l'âge sur les transitions entre les statuts sur le marché du travail ou l'effet des changements technologiques sur ces transitions. C'est pourquoi les recherches de cette thèse sont largement inspirées et éclairées par les travaux des économistes. Cependant, il est clair que les défis liés à la retraite, l'association de l'âge avec la précarité et, certainement, les choix politiques, doivent être éclairés par la nature de ces transitions. La sociologie devrait s'intéresser de plus près aux questions examinées dans cette thèse.

L'un des grands problèmes identifiés avec l’avancée en âge est la difficulté pour les travailleurs à changer d'un type d'entreprise à un autre et à être mobiles entre les secteurs, par exemple, le fait de transférer d’emploi dans un domaine utilisant davantage les technologies (où les possibilités d’embauche sont plus importantes) lorsque l'on vient d'un domaine avec les pratiques d'un système relativement traditionnel et avec une formation moins accessible. Trois axes d’analyse seront privilégiés dans les chapitres, permettant ainsi de voir ensemble dans quelle mesure les travailleurs vieillissants vivent certaines difficultés sur le marché du travail et comment cela a évolué depuis les années 1990. Quels enseignements peut-on en retirer pour les travailleurs vieillissants de demain?

Dans un premier temps, à partir des données de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) de Statistique Canada, on examinera l’évolution, de 1993 à 2010, la durée d’emploi et les transitions entre les trois états du marché du travail (emploi, chômage et inactivité). On distinguera la nature, volontaire et involontaire, des cessations d’emploi et leur impact à travers les groupes d’âge. Dans un deuxième article, utilisant également les données de l’EDTR, on s’intéressera à la mobilité professionnelle qui est généralement définie comme la proportion des personnes salariées ayant déclaré une profession différente de celle de l’année précédente, selon un système de classification des professions. On s’interrogera sur la notion de transition qui apparaît comme un élément clé du phénomène étudié, c’est-à-dire lorsqu’il est question de changements entrecoupés ou non d’épisodes de non-emploi (chômage et inactivité). On évaluera à travers les âges l’impact de vivre des épisodes de chômage et d’inactivité (versus les transitions directes d’emploi à emploi) sur le fait de changer de niveau de compétences dans le nouvel emploi et les répercussions sur le salaire. Enfin, le troisième article abordera l’impact des nouvelles technologies, de l’innovation et des changements organisationnels sur l’emploi des travailleurs vieillissants. Dans cet article, le recours aux données de l’Enquête sur les milieux de travail et les employés (EMTE) nous permettra d’examiner plus en détails les caractéristiques des milieux de travail en fonction des parts

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d’emploi selon l’âge et de mesurer l’incidence des nouvelles technologies et de l’innovation sur la demande d’emploi des travailleurs vieillissants.

Dans la littérature, la majorité des auteurs discutent des changements qui ont animé le marché du travail depuis les années 1990. Ces derniers soulèvent des craintes quant à la capacité des travailleurs âgés à s’adapter aux nouvelles exigences du marché et à maintenir leur employabilité au même niveau que les autres groupes d’âge (Taylor, 2008; Gruber et Wise, 2010). Parmi ces bouleversements, les chercheurs attirent l’attention sur la rapidité des changements technologiques et sur la globalisation de la concurrence qui requièrent des entreprises une flexibilité accrue en termes de gestion de la main-d’œuvre, et de la part des travailleurs, de renouveler leurs compétences et connaissances en fonction des nouveaux développements. Déjà en 1956, le sociologue Friedmann prévoyait, face au développement technologique, un nécessaire retrait anticipé des travailleurs âgés pour faire place aux jeunes. Sa vision nourrie par des travaux en économie et en démographie, anticipera les dispositifs publics qui se mettront en œuvre près de quinze ans plus tard (Friedmann, 2012).

Pour les pouvoirs publics, à partir des années 1980, il y a eu cette tendance marquée dans plusieurs pays à prendre des mesures qui encouragent activement les travailleurs âgés à se retirer du marché du travail, par l’intermédiaire de politiques de retraite obligatoire et de programmes de retraite anticipée. Au Canada et dans beaucoup de pays industrialisés, il s’agissait alors de favoriser la sortie anticipée des travailleurs vieillissants dont l’un des buts était d’offrirdes emplois laissés vacants aux plus jeunes. Ces pressions sont venues accentuer l’idée selon laquelle l’amélioration de la situation des travailleurs âgés sur le marché de l’emploi se serait produite au détriment de l’emploi des jeunes. Cette idée a été largement réfutée dans les décennies suivantes. Depuis le début de années 2000, parallèlement au vieillissement de la main-d’œuvre, il y a une préoccupation croissante d’inverser cette tendance de retrait précipité du marché du travail. L’un des axes principaux d’action des gouvernements est alors de prolonger l’activité des travailleurs sur le marché de l’emploi.

Les statistiques sur la population active, représentant les individus en emploi et au chômage, indiquent une montée de l’activité pour les travailleurs âgés, et ce, plus fortement observée à partir des années 2000. La hausse du taux d’activité de ce bassin de travailleurs est attribuée en partie à la suppression progressive des régimes de préretraite et autres incitations gouvernementales à poursuivre une activité, graduellement

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introduites à partir du milieu des années 1990, mais cette hausse fut également accompagnée par d’autres phénomènes majeurs. La grande montée de l’activité professionnelle des femmes a également contribué à l’augmentation de l’activité chez les travailleurs âgés. En outre, un des autres phénomènes clés qui explique la tendance à la hausse du taux d’activité de ces derniers est la modification progressive de la composition de ce groupe en termes de niveau d’éducation. Cette situation s’explique principalement par l’amélioration du niveau de formation des cohortes successives, les délais d’entrée et de sortie sur le marché du travail et la nature des emplois occupés par ces dernières.

Malgré la plus forte présence des travailleurs vieillissants sur le marché du travail, plusieurs études présentent des évidences empiriques et montrent qu’à partir d’un certain âge, les travailleurs sont plus susceptibles de vivre différentes formes de désavantages dans les entreprises, marquées notamment par un accès inégal à la formation, des difficultés de recrutement lorsqu’ils cherchent un nouvel emploi et, par conséquent des possibilités moins importantes de mobilité (Caroli et Reenen, 2001; Bresnahan et al, 2002; Behaghel et al, 2011; Dostie et Léger, 2008; Taylor, 2008; Lesemann, 2005; Caroli, 2001; Ananian, Aubert et Behaghel, 2006, etc.). L’un des arguments principaux discutés est le fait que les économies modernes, s’appuyant davantage sur le savoir, l’information et les technologies, requièrent une capacité d’adaptation accrue de la part des salariés et tendent à accroître le rythme d’obsolescence des compétences (c’est-à-dire que les qualifications et les compétences détenues par des travailleurs peuvent être redéfinies comme inadéquates face aux changements). Ainsi, le capital humain s’accumule à la fois par l’expérience et l’éducation qui sont deux facteurs étroitement liés à l’analyse de la relation entre l’emploi et l’âge.

Un autre argument est que les travailleurs qui ont perdu leur emploi peuvent souffrir d'une certaine érosion de leurs compétences professionnelles parce qu'elles ne les ont pas utilisées. C'est évidemment un problème beaucoup plus important pour les chômeurs de longue durée, plus fréquents avec l’avancée en âge. Les risques de perte d’emploi et de chômage de longue durée augmentent considérablement en période de ralentissement économique et davantage pour les différentes catégories de travailleurs plus vulnérables. La plupart des travailleurs peuvent probablement gérer jusqu'à quelques mois de chômage sans trop d'érosion des compétences, mais après, cela peut devenir un problème, surtout pour les personnes ayant des compétences dans des domaines qui changent plus rapidement. De plus, à mesure qu'augmente la durée du chômage, on peut envisager que les travailleurs éventuels ont davantage de difficulté à communiquer

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directement avec les employeurs ou accéder plus facilement aux offres d’emploi, rendant la recherche d’emploi plus ardue.

Globalement, les études suggèrent que l’ajustement des travailleurs âgés face aux transformations du marché du travail est compromis par certaines de leurs caractéristiques. D’abord, malgré l’amélioration progressive de leur niveau de scolarité, leur niveau demeure en moyenne plus faible que les travailleurs des autres cohortes et cela peut entraver leur participation sur le marché du travail, en les confinant dans des industries plus traditionnelles où les possibilités d’emploi vont en diminuant et où les compétences exigées sont plus difficilement transférables dans des industries en pleine croissance (Behaghel et al, 2011; Aubert et al, 2006). L’augmentation de la concurrence internationale s’est traduite par une moindre demande de travail non qualifié au Canada et ailleurs dans d’autres pays industrialisés. Ensuite, la plus faible participation des travailleurs vieillissants à des activités de formation peut rendre plus difficile leur adaptation face aux nouvelles exigences du marché du travail lorsqu’ils sont forcés de se trouver un nouvel emploi. Ce phénomène est accentué par le fait que la formation liée à l’emploi est désignée comme un élément central afin de favoriser l’employabilité des individus et de répondre aux demandes des marchés en matière d’efficacité et de flexibilité.

En raison de l’évolution rapide de la technologie et de la mondialisation, il est de plus en plus nécessaire d’apprendre et d’acquérir de nouvelles compétences. Un clivage est possible entre les groupes d’âge avec la rapidité du changement et les différents bassins de main-d’œuvre entre les domaines en expansion et ceux en perte de croissance. L'un des problèmes identifiés est la difficulté pour les employés plus âgés de changer d'un type d'entreprise à un autre et à être mobiles entre les secteurs, par exemple, transférer à un emploi dans un domaine utilisant davantage les technologies (où les possibilités d’embauche sont plus importantes), surtout lorsque l'on vient d'un domaine avec les pratiques d'un système relativement traditionnel et avec une formation moins accessible. Des évidences empiriques suggèrent que les changements technologiques et organisationnels, tout comme l’ouverture à l’international, sont susceptibles d’être plus favorables pour ceux ayant des niveaux de qualification supérieurs, touchant plus durement les travailleurs peu qualifiés (Caroli et Reenen, 2001; Bresnahan et al, 2002; Behaghel et al, 2011; etc.).

Les chercheurs attirent l’attention sur la rapidité des changements technologiques et la globalisation de la concurrence qui requièrent des entreprises une flexibilité accrue pour ce qui est de la gestion de la

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d’œuvre. Cette dynamique peut d’ailleurs exposer les travailleurs vieillissants à certaines formes d’exclusion du marché du travail (Taylor, 2008; Gruber et Wise, 2010; IRC, 2008). À titre d’exemple, les auteurs discutent du problème de ciblage des travailleurs plus âgés dans le but d’atteindre des objectifs de compression des effectifs de la part des employeurs. Ces derniers peuvent utiliser la flexibilité par une plus grande volonté à congédier et embaucher des travailleurs en réponse aux conditions du marché. Aussi, comme expliquent Hébert et al. (2003) pour le Québec, l’augmentation des statuts précaires dans les conventions collectives est d’ailleurs une des résultantes directes de cette recherche de flexibilité. On observe également un assouplissement des normes de protection de l’emploi. Un tel phénomène est d’ailleurs susceptible de faire augmenter le nombre de travailleurs licenciés. Dans cette perspective, les travailleurs vieillissants sont considérés comme une population plus à risque qu’auparavant, les menant à une plus grande exposition aux transitions vers le chômage à la suite d’une cessation d’emploi involontaire, voire engendrer des départs précipités à la retraite. Dans le premier chapitre de cette thèse, on s’interrogera à savoir si les mouvements de la main-d’œuvre entre les trois états du marché du travail (emploi, chômage et inactivité) sont susceptibles d’être différents au Québec et en Ontario entre les travailleurs vieillissants et les autres groupes d’âge considérés.

Au Canada, les normes du travail relèvent de la juridiction provinciale. Ainsi, le Québec se distingue des autres provinces par une législation de protection de l’emploi assez rigide et bénéficie de l’une des plus fortes présences syndicales. En revanche, l’Ontario est désignée comme l’une des provinces les plus flexibles en cette matière. Une théorie approfondie dans ce chapitre, celle de l’imperfection du marché du travail (Manning, 2014; Van der Linden, 2016), peut d’emblée être liée à des résultats différents entre le Québec et l'Ontario. La première province reste plus syndiquée et réglementée que la seconde, de sorte que les employés actuels continuent d'être protégés contre la concurrence. Toutefois, cela signifie également que lorsqu'un travailleur âgé perd un emploi, il aura probablement de la difficulté à en trouver un autre à salaire égal - les meilleurs emplois sont déjà pris et les travailleurs qui perdent leur emploi font face aux mêmes problèmes que les employés qui les avaient précédés (par exemple, le manque d’informations, la distance avec de potentiels employeurs, etc.). Plus en détails, dans ce premier chapitre, nous nous permettons d’étudier la dynamique entre l’emploi, le chômage et l’inactivité au moyen de données populationnelles longitudinales de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) couvrant la période de 1993 à 2010. D’une part, on examinera de manière descriptive la durée en emploi et les profils de scolarité, en dégageant les tendances au Québec et en Ontario pour différentes cohortes de travailleurs vieillissants et

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autres groupes. D’autre part, le caractère longitudinal de l’enquête permettra de voir dans quelle mesure les conditions de départ des cohortes du premier panel (de 1993 à 1998) sont différentes de celles du dernier panel (de 2005 à 2010). Cette perspective, qui finalement suit l’évolution des mêmes cohortes dans le temps avec leur vieillissement, va nous servir à mener une réflexion sur les travailleurs âgés actuels et de demain dans la dernière partie de ce chapitre. Ce chapitre ainsi que le deuxième sont structurés autour de trois grands concepts théoriques, à savoir : le capital humain, l’évolution technologique et l’imperfection du marché du travail.

Dans le deuxième chapitre, on s’intéresse à la relation entre l’âge et la mobilité professionnelle au Canada, en examinant la fréquence et les conséquences des mouvements d’emploi. En particulier, on s’intéressera ici à la fluctuation des salaires et au redéploiement des compétences entre deux professions (en termes de niveau d’études requis pour exercer la profession). Grâce aux données de l’EDTR, on mesurera la mobilité professionnelle sur une période s’étalant jusqu’à six années consécutives. Il s’agit en fait de l’une des contributions de notre étude et surtout de le faire de manière détaillée pour des groupes d’âge distincts. Généralement, les études qui examinent les changements de profession, le font sur une période de deux années consécutives. Toutefois, cette technique tend à sous-représenter les individus qui vivent des périodes de non-emploi prolongées ce qui est plus fréquent chez les travailleurs vieillissants. La contribution de notre étude est complémentaire, mais distincte de la littérature traitant de la mobilité professionnelle qui comprend deux grands volets. D’abord, la littérature plus récente axée sur l'élaboration de mesures détaillées de la « distance » entre les professions, c'est-à-dire de la similitude des compétences utilisées ou des tâches exécutées (incluant Ingram et Neumann, 2006; Poletaev et Robinson, 2008; Peri et Sparber, 2009; Gathmann et Schonberg, 2010; Yamaguchi, 2012; Cortes et Gallipoli, 2016). Ensuite, la littérature plus large sur la spécificité du capital humain et la mobilité professionnelle qui remonte à de nombreuses années (incluant Neal, 1995; Parent, 2000; Kambourov et Manovskii, 2005 et 2009) qui est fondée sur la prémisse que le changement d'entreprise, d'industrie ou de profession présume alors d’un changement dans l'ensemble des compétences utilisées ou les tâches accomplies par le travailleur. L’étendue de nos données va permettre de situer plus précisément les travailleurs vieillissants dans le phénomène de la mobilité professionnelle par rapport aux autres groupes d’âge. À ce sujet, plusieurs interactions entre les variables d’intérêts et les groupes d’âge vont être testées, ce qui est rarement réalisé dans les études puisqu’une majorité de ces dernières analysent la mobilité professionnelle, tous âges confondus.

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Finalement, dans le troisième chapitre, on explorera plus en détails la littérature suggérant que certaines évolutions sur le marché du travail observées au cours des dernières décennies ont pu modifier le comportement d’emploi des entreprises, dans un sens qu’il serait défavorable aux travailleurs vieillissants. On peut penser ici à la diffusion massive des technologies, aux restructurations internes dans les entreprises et l’adoption des pratiques innovantes ainsi qu’à la pression concurrentielle accrue résultant de la mondialisation. Un bon nombre d’études empiriques, surtout basées sur des données européennes et américaines (incluant Machin, 1996; Chennells and Van Reenen, 2002; Caroli and Van Reenen, 2001), discutent du fait que le développement de ces dernières s’est accompagné d’une diminution de la demande de travail non qualifié, et plus récemment plusieurs études ont également testé l’hypothèse de la baisse de la demande également pour les travailleurs âgés (incluant Aubert, Caroli and Roger, 2005, 2011; Beckmann and Schauenberg, 2007; Schøne, 2009, Behaghel, et al., 2011). Dans cet article, on s’interrogera sur la manière dont ce nouvel environnement discuté par les auteurs peut modifier la demande de travail par âge dans les entreprises canadiennes. Plus précisément, inspiré par les travaux effectués sur le sujet en Europe et aux États-Unis, on analysera la structure par âge des milieux de travail canadiens selon qu’ils utilisent ou non des nouvelles technologies, de même que les dispositifs innovants d’organisation du travail et autres pratiques de gestion des ressources humaines. Pour ce faire, nous aurons recours à l’EMTE qui offre deux niveaux d’analyse détaillés, à savoir : les informations sur les entreprises et celles sur les employés dans les milieux de travail sélectionnés. La plupart des études empiriques mettent en évidence une complémentarité entre le capital humain, les technologies et les pratiques organisationnelles innovantes. On explorera ces facteurs en relation avec l’intensité de la formation dispensée dans les entreprises et la durée en emploi pour mieux comprendre la dynamique observée selon les groupes d’âge.

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CHAPITRE 1

LES TRANSITIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL ET LA DURÉE DE L’EMPLOI : LES DIVERGENCES SELON L’ÂGE AU QUÉBEC ET EN ONTARIO

SUR UNE PÉRIODE DE 20 ANS

1. INTRODUCTION

La perspective du vieillissement de la population amène nombre de sociétés, incluant les provinces canadiennes, à se préoccuper du maintien en emploi des travailleurs âgés. Même si des hausses substantielles des taux d’emploi ont été enregistrées au cours des vingt dernières années, dans un contexte de déclin démographique, on s’inquiète de l’activité en fin de carrière, d’autant plus que certaines données indiquent que les travailleurs âgés peuvent être jugés inemployables par des entreprises, ou du moins ils ne sont pas dans les premiers considérés pour l’embauche. Depuis les années 1990, des restrictions ont été apportées aux pratiques qui contribuaient au développement des voies de sortie précoce du marché du travail. Ces dernières ont été soit considérablement restreintes, soit supprimées. À titre d’exemple, soulignons que le Québec a introduit de nouveaux aménagements aux lois de l’impôt, permettant ainsi de combiner retraite et travail tout en continuant de cotiser à la caisse de retraite. En 2006, l’Ontario a aboli sa politique de mise à la retraite obligatoire à 65 ans. Entre autres, les changements apportés à la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada dans les dernières années, pour favoriser la retraite progressive, devraient contribuer à lever certains obstacles au maintien en emploi des travailleurs âgés. De manière générale, bien que les discours portant sur ces questions aient connu une certaine évolution, dans la pratique, l’expérience des travailleurs vieillissants est souvent moins reconnue lorsqu’il est question de réembauche; l’embauche des travailleurs demeurant à la discrétion des employeurs. Ceci peut constituer un défi important pour les travailleurs vieillissants qui souhaitent demeurer en emploi ou rester actifs, peut-être sous des formes différentes. D’autant plus que plusieurs se voient obligés de rester en emploi parce qu’ils auront des revenus insuffisants à la retraite.

On s’intéresse dans la présente étude à la mobilité socioéconomique des travailleurs vieillissants qui porte sur les transitions entre inactivité et activité, chômage et emploi. On compare le Québec à l’Ontario sachant, par exemple que le niveau de scolarité des travailleurs âgés ontariens est plus élevé que leurs homologues québécois, que la protection de l’emploi au Québec est considérée comme l’une des plus

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strictes au Canada, tandis que celle de l’Ontario, l’une des plus souples, etc. Plus particulièrement, on s’interroge, à partir d’un certain âge, si les travailleurs éprouvent des difficultés plus grandes que les autres groupes d’âge à se relocaliser en emploi à la suite du départ d’un emploi, selon sa nature volontaire ou involontaire. Pour ce faire, on étudie, d’une part, le mouvement de la main-d’œuvre entre les trois états du marché du travail (emploi, chômage et inactivité) au moyen de données populationnelles longitudinales de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) couvrant la période de 1993 à 2010. D’autre part, on examine de manière descriptive la durée en emploi et les profils de scolarité en dégageant les tendances au Québec et en Ontario pour différentes cohortes de travailleurs vieillissants. Le caractère longitudinal de l’enquête va permettre de voir dans quelle mesure les conditions de départ des cohortes du premier panel (de 1993 à 1998) sont différentes de celles du dernier panel (de 2005 à 2010). Cette perspective, qui suit finalement l’évolution des mêmes cohortes dans le temps avec leur vieillissement, va nous servir à mener une réflexion sur les travailleurs âgés actuels et de demain dans la dernière partie de ce chapitre.

Au point de vue des analyses des transitions sur le marché du travail, le modèle logistique multinomial sera privilégié, étant donné que dans ce dernier, la variable expliquée peut prendre plus de deux modalités. Une des propriétés de ce modèle est que la préférence pour une alternative est indépendante de la préférence pour une autre alternative. On considère que le choix de changer d’emploi est grandement influencé par le contexte entourant la cessation d’emploi. D’emblée, la nature, choisie ou subie, du départ aura une influence sur le type de transition effectué et son résultat.

Au niveau de la comparaison des groupes d’âge, l’EDTR contient des échantillons d’individus suffisamment volumineux dans les deux provinces pour permettre d’étudier les travailleurs à travers des groupes d’âge plus restreints. Cet aspect de l’enquête est intéressant puisqu’il n'y a pas d’âge précis couramment reconnu dans la littérature à partir duquel un employé est considéré comme un travailleur âgé (ou se retrouve dans la catégorie des travailleurs vieillissants). Certaines études ciblent surtout les 55 ans et plus, d'autres la catégorie des 50 ans et plus, ou même parfois, 45 ans et plus. Aux fins de cette étude, une analyse plus approfondie des sous-groupes d’âge permettra de mieux comprendre la dynamique des transitions à travers la période étudiée et mieux cibler les différences provinciales spécifiques à certains groupes d’âge. Notre population à l’étude est répartie en six groupes : les travailleurs vieillissants ou âgés

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(45 à 49 ans, 50 à 55 ans, 56 à 60 ans et 61 ans et plus), les travailleurs en début de carrière (25 à 34 ans) et les travailleurs d’âge très actifs (35 à 44 ans).

Au niveau théorique, cette étude est structurée autour de trois grands concepts : le capital humain, l’évolution technologique et l’imperfection du marché du travail. On aborde le thème du capital humain élaboré à l’origine par Becker (1967) et souligne les limites de l’approche en abordant le concept de l’imperfection des marchés. D’abord, le capital humain peut être défini comme l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par l’accumulation de connaissances générales et spécifiques, de savoir-faire, etc. L’un des points argumentés est que dans un contexte hypothétique d’un marché du travail raisonnablement compétitif avec peu de grandes fluctuations au niveau de la demande, le capital humain augmente la productivité, qui à son tour augmente le salaire. Si cette dynamique décrit bien le marché du travail, toutes choses étant égales par ailleurs, la montée en âge ne devrait pas augmenter la vulnérabilité des travailleurs dans les transitions en emploi, surtout selon l’interprétation standard de la théorie du capital humain spécifique qui suggère d’ailleurs, qu’en début de carrière le salaire excède la productivité, tandis que la productivité dépassera le salaire plus tard en fonction (Becker, 1967 : 28-29).

Par la suite, on discute plus en détails de l’hypothèse qui suggère que les changements technologiques peuvent modifier le facteur d’attraction des employeurs envers les travailleurs vieillissants. Cette dynamique peut réduire leur chance de réembauche à la suite du départ d’un emploi. Dans ce contexte, les travailleurs peuvent vivre des situations fortement différenciées en fonction de la nature du capital humain, et ce, selon qu’ils soient très qualifiés ou faiblement qualifiés. L’une des discussions est que les plus qualifiés semblent plus avantagés, alors que les moins qualifiés sont plus marginalisés et pénalisés (Beckmann et Schauenberg, 2007; Tremblay, 2008c). Il est certain qu'il existe des travailleurs piégés dans une certaine combinaison de qualifications spécifiques à des domaines qui n’ont pas connu de croissance, qui voient décliner le nombre de firmes se disputant leurs qualifications.

Enfin, dans un contexte d’évolution rapide de la technologie et de la mondialisation, différentes études récentes destinées à étudier le marché du travail soutiennent l’importance de l’imperfection du marché du travail dans lequel il y a de l’incertitude et une hétérogénéité des emplois et des travailleurs (Manning, 2014; Van der Linden, 2016). Contrairement à une concurrence parfaite où il y aurait une information symétrique et une mobilité parfaite des travailleurs (entre entreprises, etc.), comme dans le modèle de base

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de Becker, l’imperfection suggère que les employeurs peuvent, pour différentes raisons et dans différents contextes, préférer certains groupes de travailleurs à d’autres. Si les préférences sont basées sur des différences de productivité, il n'y a pas d'imperfection. Toutefois, si ces dernières sont basées sur des différences moyennes de productivité entre les groupes, il y a une imperfection produisant une discrimination statistique. La présence de travailleurs sur le marché qui ont des compétences très similaires, mais qui sont payés moins chers et entrent donc en compétition directement avec ces derniers. Dans ce cas, il est susceptible d'y avoir des employés vulnérables au changement d’emploi parce que des employés tout aussi productifs sont disponibles sur le marché du travail, si les employeurs ont une motivation de les chercher. Par exemple, le changement technologique peut fournir une telle incitation et favoriser l’embauche de cohortes moins âgées. Dans ce contexte, les syndicats qui ont typiquement un pouvoir de négociation éloignent également le marché de la concurrence parfaite. La présence syndicale peut, d’une part, protéger les cohortes vieillissantes en emploi, mais d’autre part, rendre les non-syndiqués plus vulnérables aux changements d’emploi.

En termes de la comparaison entre le Québec et l’Ontario, cette théorie peut mener à des résultats différents pour les deux provinces. Ainsi, les premiers restent plus syndiqués et réglementés que les seconds, ce qui fait que les employés actuels continuent d'être protégés contre des concurrents potentiels. Cela signifie également que lorsqu'un travailleur âgé perd son emploi, il est susceptible d'avoir du mal à en trouver un autre à un salaire égal. Les meilleurs emplois risquent d’être déjà pris et les travailleurs âgés qui perdent leur emploi rencontrent les mêmes problèmes que les employés qui les avaient auparavant, soit le manque d’informations sur les emplois disponibles, etc.

Cet article a la structure suivante. D’abord, on examine plus en détails certains facteurs institutionnels qui différencient le Québec de l’Ontario identifiés dans la littérature comme ayant un impact déterminant sur les mouvements de la main-d’œuvre, comme les politiques en matière de protection de l’emploi et la présence syndicale. Ensuite, on discute plus en détails de l’implication théorique des trois concepts susmentionnés, et on formule de façon plus détaillée la problématique et les hypothèses. Enfin, on présente les données d’enquête de l’EDTR, et on discute des spécificités du modèle logistique multinomial qui sera exploité dans cette étude. La présentation et la discussion des résultats permettront de compléter le contenu de cet article.

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22 2. CONTEXTE ET RECHERCHES ANTÉRIEURES

2.1 FACTEURS INSTITUTIONNELS ET DIFFÉRENCES PROVINCIALES

Un bon nombre d’études incluant Deslauriers, Dostie et Gagné (2010), Morissette, Lu et Qiu (2013), Haltiwanger et col. (2006) et l’OCDE (2013a et 2015), discutent des rôles déterminants que jouent les politiques et les institutions à l’égard du mouvement de la main-d’œuvre vers l’emploi et en dehors de l’emploi. L’un des indicateurs déterminants dans ce contexte est la législation sur la protection de l’emploi, ainsi que les dispositions du même ordre mises en place par l’intermédiaire des conventions collectives. À titre d’exemple, Haltiwanger et col. (2006), en analysant 16 pays, trouvent que les législations sur la protection de l’emploi sont très restrictives en matière de licenciementet tendent à augmenter la stabilité en emploi, mais réduisent en même temps la flexibilité au niveau de la création et de la destruction des emplois. Elles diminuent ainsi la capacité des entreprises d’adapter le volume d’emploi aux variations de l’activité. Le Canada est classé parmi les pays où les législations sont les moins restrictives, c’est-à-dire qu’il représente l’un des pays où il est le plus facile de procéder à des licenciements individuels et collectifs. La plupart des autres pays anglophones de Common Law (en particulier, les États-Unis et le Royaume-Uni) appliquent également une réglementation peu restrictive aux licenciements. Toutefois, au Canada, les normes du travail relèvent de la juridiction provinciale. À ce sujet, la législation québécoise sur la protection de l’emploi est considérée comme l’une des plus strictes, tandis que celle de l’Ontario, l’une des plus souples.

2.1.1 PROTECTION DE L’EMPLOI

Des études, telles que Deslauriers, Dostie et Gagné (2010) et OCDE (2015), avancent l’idée que ce sont les niveaux de rigidité des mesures législatives qui diffèrent entre les provinces canadiennes, qui sont les plus susceptibles d’avoir un impact sur le mouvement de la main-d’œuvre. L’un des facteurs importants qui distingue le Québec de l’Ontario est la réglementation relative à la protection de l’emploi sur les licenciements individuels. Le Québec est la seule province au Canada qui a institué une norme du travail qui proscrit le licenciement sans justification lorsqu’un employé compte un certain nombre

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d’années d’ancienneté pour un même employeur. Depuis 2003, la norme québécoise2 vise les employés

ayant un minimum de deux années d’ancienneté. En Ontario, comme dans les autres provinces canadiennes, un employeur peut licencier un employé sans que celui-ci ait commis de faute grave, pour autant que l’employeur respecte la réglementation entourant les préavis de licenciement, et s’il y a lieu verse à l’employé concerné une compensation en temps ou en argent (Deslauriers, Dostie et Gagné, 2010). Au Québec, après deux ans d’emploi continu avec le même employeur, les employés ont des recours s’ils considèrent le congédiement injustifié.

2.1.2 PRÉSENCE SYNDICALE

Dans l’ensemble, le Québec est désigné comme ayant un marché du travail plus réglementé par rapport à l’Ontario, qui est considéré de son côté comme étant plus flexible avec des taux de syndicalisation plus faibles avec moins de règles protectrices pour le salarié. Parmi plusieurs facteurs, la présence syndicale différencie les deux provinces au plan de la rigidité du marché du travail. Elles se situent aux extrêmes dans ce sens. Le Québec affiche l’un des plus forts taux au Canada, tandis que l’Ontario se situe dans les taux les plus faibles. En moyenne, en 2017, au Québec 38,4% des employés étaient membres d’un syndicat et/ou couverts par une convention collective, soit 12 points de pourcentage plus élevés qu’en Ontario (Statistique Canada. Tableau 14-10-0129-01). Dans le secteur privé, le Québec affichait à cette période, un taux de 28%, tandis que celui de l’Ontario s’élevait à seulement 15%. Au Québec, la présence syndicale est nettement plus élevée dans le secteur public avec un taux de 81%, tandis qu’elle est de 71% en Ontario. Dans les deux provinces, en 2017, un écart de quelques points de pourcentage était observé entre les groupes plus âgés et les autres, les premiers affichant un plus fort taux de syndicalisation. Si on examine plus en détails l’évolution du taux par groupe d’âge, sur une période de 20 ans, les travailleurs âgés de 45 à 54 ans sont ceux qui ont vécu la baisse la plus importante dans les deux provinces (diminution d’environ 11 et 12 points), tandis que les 35 à 44 ans arrivent en second avec 4 et 5 points de différences. À ce niveau, les tendances observées sont donc similaires dans les deux provinces, malgré les plus forts taux enregistrés au Québec.

2 Initialement, cette norme a été adoptée au début des années 1980 et s’adressait aux employés ayant un minimum de cinq années d’ancienneté. En 1992, le minimum d’ancienneté requis a diminué à trois années.

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L’une des prédictions théoriques au sujet des facteurs institutionnels, est que toute rigidité du marché du travail peut entraîner des effets négatifs sur l’emploi et augmenter le volume et la longueur des périodes de chômage (Lazear, 1990; Cahuc et Zyberberg, 2004; Freeman, 2005; Deslauriers, Dostie et Gagné, 2010). L’un des arguments majeurs est que des normes du travail plus strictes en matière de protection de l’emploi et également une présence syndicale plus forte contribuent à diminuer la latitude des employeurs à ajuster leur main-d’œuvre aux fluctuations de la demande. Certaines normes du travail, comme celles précisant les règles du jeu en cas de licenciement peuvent augmenter les coûts d’ajustement de la main-d’œuvre pour les employeurs. Ainsi, il est tout à fait possible d’imaginer, argumente Freeman (2005), que si les normes du travail, en particulier celles touchant la protection de l’emploi, ont pour effet d’augmenter les coûts de licenciement et d’embauche pour les employeurs, elles affecteront également les niveaux d’emploi et de chômage.

2.1.3 ÉTAT DE L’ÉCONOMIE

Un point pertinent soulevé par Blanchard et Wolfers (2000) est que la réaction du marché du travail aux facteurs institutionnels est tributaire de l’état de l’économie. Ainsi, en période de croissance économique, expliquent les auteurs, des normes du travail plus strictes peuvent réduire la croissance de l’emploi parce que les entreprises sont alors hésitantes à embaucher, compte tenu des coûts d’embauche plus élevés qu’entraînent ces normes. Ces contraintes peuvent varier en importance entre les pays. À l’opposé, en période de ralentissement économique, les entreprises peuvent se voir contraintes de maintenir des emplois parce que les coûts de licenciement sont excessifs, compte tenu des normes en vigueur. Selon ces auteurs, cette dynamique peut engendrer une diminution plus lente du chômage en période de croissance économique.

À titre d’exemple, expliquent Tremblay et Genin (2009, 2010), la crise financière de 2008 a notamment entraîné une détérioration des conditions de travail pour les salariés dans un bon nombre de secteurs et une plus grande insécurité pour les travailleurs vieillissants par rapport aux licenciements, fermetures d’entreprises et suppressions de postes. Dans le contexte des changements qui se produisent, le rapport à l’emploi pour les travailleurs qui restent en poste peut jouer sur le désir de rester en emploi ou de quitter ultérieurement l’entreprise. La prise de conscience de ce type de réalité semble se renforcer et accélérer lorsque l’état de l’économie se détériore (Sassen, 2009). Par ailleurs, si dans les dernières

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décennies, l’économie financière a pris de plus en plus de place dans l’économie mondiale, les crises financières depuis le début des années 1990 se sont en effet matérialisées par d’importantes restructurations d’entreprises, des licenciements, des fermetures et des délocalisations. L’un des événements clés est le déclin de secteurs, comme celui de la fabrication de pièces, qui ne se redresseront jamais complètement. À la suite de l’accélération des changements technologiques et l’intensification de la concurrence étrangère, a débuté un mouvement de réallocation des ressources, y compris de la main-d’œuvre, à partir des industries en déclin vers les industries en expansion (Goos et Manning, 2007). Ce phénomène de remplacement des emplois entre les systèmes plus traditionnels et ceux émergeants est ciblé dans la littérature comme l’un des facteurs majeurs causant les départs involontaires chez les travailleurs vieillissants.

Au Québec comme en Ontario, les deux crises ont fait augmenter le taux de chômage, et nombre de travailleurs qui n’ont pas été directement touchés par des licenciements ont tout de même eu des inquiétudes face à l’avenir, surtout au sujet des régimes de retraite, dont plusieurs ont été fortement atteints par la baisse des valeurs financières. En outre, certains travailleurs ont vu une partie de leur épargne diminuer ou disparaître, ce qui peut en inciter certains à rester actifs plus longtemps sur le marché du travail. Cette situation d’incertitude tend à persister dans le futur avec la baisse des régimes privés de retraite financés par les employeurs, surtout dans la sphère privée.

Dans le contexte de mondialisation de l’économie, les travailleurs vieillissants vivent des situations fortement différenciées, selon qu’ils sont très qualifiés ou faiblement qualifiés (Sassen, 1998). Les travailleurs plus qualifiés semblent plus avantagés, alors que les moins qualifiés sont plus marginalisés et pénalisés, surtout lorsqu’ils travaillent dans des secteurs davantage sensibles à un risque de délocalisation ou en perte de croissance. Comme en discute Tremblay (2008c), la mondialisation et la délocalisation peuvent être utilisées comme une stratégie de menace à l’égard des travailleurs moins qualifiés, afin de négocier des conditions d’emploi plus favorables aux employeurs dans un contexte difficile. Toutefois, pour les travailleurs plus qualifiés, les horaires et les rythmes de travail peuvent faire empiéter leur vie professionnelle sur leur vie familiale et personnelle et en causer alors la détérioration.

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26 2.2 CONCEPTS THÉORIQUES

2.2.1 CAPITAL HUMAIN ET CHANGEMENT TECHNOLOGIQUE

Le niveau d’éducation et l’expérience en emploi jouent un rôle déterminant dans les transitions sur le marché du travail. Plusieurs études, dont celle de Beckmann et Schauenberg (2007), réfère à la notion du capital humain pour expliquer la baisse de la demande pour certains groupes, comme les travailleurs vieillissants. Dans cette logique, une baisse potentielle de la demande pour les groupes plus avancés en âge pourrait s’expliquer par le fait que les embaucher est trop cher pour une entreprise, par rapport à l’emploi de d’autres cohortes. Ainsi, une entreprise perdra son intérêt pour embaucher un travailleur plus âgé, s’il pense que sa productivité marginale sera en dessous de son salaire (Becker, 1975). La même logique est soutenue pour l’investissement en formation : Acemoglu et Pischke (1999a; 1999b) montrent que les entreprises auront davantage une incitation à investir dans le développement des compétences des travailleurs, si leur productivité dépasse leur salaire après la formation (c’est-à-dire que les salaires augmentent moins fortement que la productivité des travailleurs). En d’autres termes, les entreprises n’investiront pas en formation générale, s’ils ne sont pas en mesure de générer des profits tout en augmentant le niveau des compétences de leurs travailleurs. Différentes raisons sont mises de l’avant pour l’expliquer, l’une d’entre elles réfère au facteur d’amortissement des dépenses de formation. Comme le modèle de Becker le suggère, les travailleurs ne doivent pas être payés au-dessus de leur productivité marginale pour attirer l’intérêt des employeurs. Si les salaires des travailleurs plus âgés dépassent leur productivité marginale, dans ce cas, l’entreprise aura une forte incitation à se départir de ces travailleurs ou favoriser l’embauche d’une main-d’œuvre plus jeune, perçue comme offrant une relation plus rentable de la productivité-salaire.

L’éducation et l’expérience sur le marché du travail peuvent être considérées comme des facteurs de premier plan pouvant exposer les travailleurs aux transitions de l’emploi vers le chômage. Dans le cas des travailleurs vieillissants, on peut envisager puisqu’ils sont en moyenne moins scolarisés que les cohortes plus jeunes, les risques d’exclusion sont considérés plus importants chez ces premiers. Concernant la réinsertion au travail, les difficultés augmentent pour les travailleurs âgés et les travailleurs moins scolarisés, lesquels sont également plus présents dans le groupe des plus âgés (FADOQ, 2007 et 2008). Outre le plus faible niveau de scolarité, parmi les principales causes du chômage chez les travailleurs plus

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âgés figurent l’évolution technologique et économique, la discrimination liée à l’âge et les licenciements collectifs à la suite de fermeture d’usines ou des restructurations majeures.

Les résultats sur la réduction des effectifs méritent une certaine attention, puisque contrairement aux dynamiques d’embauche qui peuvent favoriser les cohortes plus jeunes, dans la plupart des cas, ils confirment également l’importance des règles de l’ancienneté et aussi l’impact de la présence syndicale dans les entreprises. Des preuves empiriques sont fournies dans la littérature à l’effet que lorsqu’il y a des réductions des effectifs, les jeunes travailleurs (ou nouvellement embauchés) sont généralement les premiers touchés, tandis que les travailleurs âgés peuvent davantage être protégés par les règles d'ancienneté qui imposent un certain nombre de barrières de licenciement dans les milieux de travail qui offrent une protection de l’emploi. Par exemple, en utilisant des données allemandes au niveau des entreprises majoritairement syndiquées, Beckmann (2001 et 2004) a constaté que les décisions de réduction des effectifs des entreprises se prenaient surtout au détriment des jeunes travailleurs. En revanche, certaines études ont également montré que lorsqu’il y a des ajustements organisationnels (comme les licenciements), la probabilité de sortie augmente pour le bassin de main-d’œuvre plus âgée dans les entreprises utilisant plus fortement des technologies ou ayant recours aux pratiques innovantes de travail (Aubert et al, 2005). Deux stratégies principales ont été identifiées pour la réduction des effectifs : i) la retraite anticipée et ii) les licenciements. Ces stratégies peuvent être observées en parallèle à la présence d’un plafond pour les embauches (c’est-à-dire qu’il y a un nombre réduit de nouveaux employés). Ce qui implique un accès réduit à ce type d’entreprises par la suite. Elles sont d’ailleurs discutées par Gandolfi (2008).

Les chercheurs attirent donc l’attention sur la rapidité des changements technologiques et la globalisation de la concurrence qui requièrent des entreprises une flexibilité accrue pour ce qui est de la gestion de la main-d’œuvre : cette dynamique pouvant exposer les travailleurs vieillissants à certaines formes d’exclusion du marché du travail (Taylor, 2008; Gruber et Wise, 2010; IRC, 2008). Par exemple, les auteurs discutent du problème de ciblage des travailleurs plus âgés dans le but d’atteindre des objectifs de compression des effectifs de la part des employeurs. Comme l’a souligné la Commission du droit de l’Ontario dans le cadre de l’abolition de la loi sur la retraite obligatoire en 2006, un bon nombre de stéréotypes négatifs visant les travailleurs âgés entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’embauche ou de congédiement : ces derniers sont relatifs principalement au rendement, au renouvellement des

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compétences, aux difficultés d’adaptation et d’apprentissage des nouvelles technologies. Les travailleurs vieillissants peuvent également se trouver désavantagés par rapport aux cohortes plus jeunes perçues comme étant plus flexibles et moins coûteuses quant au salaire. La marginalisation des travailleurs avec l’avancée en âge peut se traduire par des taux de chômage plus élevés et de plus longue durée.

Un corpus de la littérature, qui sera approfondi dans le chapitre 3 de cette thèse, examine si les changements technologiques et organisationnels peuvent contribuer à expliquer une baisse de la demande pour les travailleurs vieillissants. Plus précisément, ces études qui sont basées sur des données européennes, s’intéressent à la structure d’âge des employés dans les entreprises et analysent si l’évolution technologique s’est faite au détriment des travailleurs plus âgés en diminuant leur part d’emploi (Behaghel et al, 2011; Shone, 2009; Beckmann and Schauenberg, 2007; Aubert et al, 2005). La majorité des auteurs arrivent au constat que les entreprises utilisant des technologies se caractérisent par une masse salariale ou des parts d’emploi plus faibles pour les travailleurs âgés de 50 ans et plus, tandis que le contraire vaut pour les travailleurs plus jeunes. Parallèlement, des analyses effectuées sur les mouvements de la main-d’œuvre dans les entreprises (c’est-à-dire sur les entrées et les sorties) ont montré que l’utilisation des technologies améliorent les possibilités d’embauche pour les cohortes plus jeunes de travailleurs, tout en les diminuant pour les travailleurs plus âgés.

2.2.2 IMPERFECTION DES MARCHÉS

Dans un contexte de changements technologiques accélérés et de mondialisation de l’économie, la question de l’imperfection des marchés suscite un intérêt croissant. D’emblée, le fonctionnement du marché du travail en information imparfaite ouvre de plus larges possibilités de discrimination qu'en information parfaite. Toutefois, celui-ci ne peut pas faire l'objet d'une simple interprétation en termes d’imperfections (Manning, 2014; Van der Linden, 2016). La structure du marché et les mécanismes de régulation induisent des règles de cohérence qui vont déterminer, tant au niveau des firmes qu'au marché du travail global, les contours et les modalités de la discrimination. L’hypothèse d’information imparfaite suppose que les phénomènes discriminatoires observés ne sont que le fruit d'une information imparfaite, probablement insuffisante, sur les qualités économiques des travailleurs. Manning (2003) a ainsi défendu la thèse selon laquelle les employeurs disposeraient, toutes choses égales par ailleurs, d'un pouvoir de monopsone différent selon les groupes. Par exemple, si une entreprise choisit le salaire et l’emploi, elle

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recherche le niveau de profit le plus élevé selon les offres de travail. Ce point est la solution du monopsone, c’est-à-dire que l’employeur a un pouvoir de sélection. Dans ce contexte, le travailleur n’est pas surpris de trouver un emploi avec un salaire plus faible qu’en cas de concurrence parfaite. Les travailleurs âgés ont déjà acquis des salaires plus élevés et ont moins de facilité dans l’utilisation des technologies.

Du côté de l'offre de travail, il existe certaines incertitudes concernant principalement les problèmes d'information sur les salaires offerts ou réclamés au moment de l'embauche. Ces incertitudes exercent une influence sur les coûts de recherche d'un emploi des différents groupes et sur les taux de chômage de ceux-ci. Du côté de la demande de travail, l'incertitude majeure concerne la « qualité » du travail. À la suite de l'apport de la théorie du capital humain de Becker, on considère désormais qu'il peut exister de nombreuses « unités de travail » différentes, rémunérées à des prix différents, dans la mesure où, compte tenu des divers investissements en capital humain, le travail est très hétérogène. Toutes les mêmes « unités de travail » n’ont pas le même rendement et donc les travailleurs n’apparaissent pas comme des substituts parfaits des uns envers les autres. L'hypothèse d'absence d'incertitude, à la fois pour les individus qui font un investissement en éducation et pour les employeurs potentiels, constitue l'une des faiblesses essentielles de l'approche à la Becker. Le concept d’imperfection des marchés implique plutôt que les individus ne sont pas certains des résultats de leurs investissements, et surtout, les employeurs n'ont pas une connaissance parfaite des qualités de la main-d’œuvre (c’est-à-dire de sa productivité).

La présence d’information imparfaite en général et asymétrique suffit donc à invalider le cadre de concurrence parfaite, tel que valorisé dans l’approche de Becker. La négociation collective introduit également une forme de concurrence imparfaite sur le marché du travail. Pour juger des conséquences de cette dernière, la vision standard consiste à supposer qu’en l’absence de syndicat, la concurrence parfaite prévaudrait sur le marché du travail. Par exemple, les employeurs pourraient abaisser les niveaux de salaire sans entraîner le départ de ses travailleurs. Cela n’est pas possible lorsqu’il y a la présence d’un syndicat. Des études récentes étendent ce cadre d’analyse en présence de plusieurs entreprises qui se concurrencent pour attirer des travailleurs (Manning, 2014 et Van der Linden, 2016). Bien qu’il y ait de la concurrence entre les firmes, celles-ci détiennent un pouvoir de monopsone. Ces travaux défendent le concept de l’information imparfaite et supposent que les entreprises se concurrencent par les salaires qu’elles offrent afin d’attirer des travailleurs. À cause des frictions sur le marché du travail, la rencontre

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entre les emplois vacants et les demandeurs d’emploi prend du temps et consomme des ressources : cette dynamique favorise la recherche d’emploi sur le tas, « on-the-job search », menant à moins d’opportunités.

3. PROBLÉMATIQUE

L’objectif de la présente étude consiste en une analyse comparative des travailleurs vieillissants par rapport aux autres groupes d’âge afin d’appréhender leur positionnement respectif sur le marché du travail et de cerner les enjeux de leur participation au marché du travail dans l’avenir. Il est privilégié l’identification des enjeux associés aux caractéristiques des différentes cohortes depuis le début des années 1990 et l’exploration de leur situation en termes de transition sur le marché du travail et leur potentiel développement dans le futur.

L’un des défis majeurs du marché du travail est le maintien de la croissance économique sous la contrainte du vieillissement de la population avec des entrants potentiels sur le marché du travail qui sont moins nombreux que les sortants potentiels. Toutefois, même dans ce contexte, les travailleurs vieillissants semblent avoir plus de difficulté à se tailler une place lorsqu’ils cherchent un nouvel emploi que les autres groupes d’âge, ce qui va dans le sens contraire à l'intuition (Moulaert, Fusulier & Tremblay, 2011; Moulaert, Tremblay & Fusulier, 2009). Malgré une augmentation du taux d’emploi des cohortes plus âgées dans les dernières années, il demeure que l’âge est perçu comme un facteur de discrimination dans un bon nombre d’organisations; certains secteurs étant particulièrement enclins à pratiquer diverses formes de gestion en fonction de l’âge (Taylor, 2008; Gruber et Wise, 2010). En revanche, d’autres peuvent bénéficier d’un positionnement plus avantageux en raison de l’évolution de l’emploi ou des besoins de renouvellement dans leur domaine. Dans ce dernier cas, les travailleurs vieillissants seraient donc moins susceptibles d’être exposés à des difficultés à se maintenir en emploi dans des conditions favorables.

Divers constats empiriques montrent que certains travailleurs âgés sont plus susceptibles de se retrouver dans une situation plutôt défavorable sur le marché du travail en raison de leur présence importante dans des domaines où la croissance est plus faible, ce qui constitue un facteur les exposant davantage au chômage et à l’inactivité, menant par exemple à des départs précoces à la retraite. Également, les travailleurs qui ont investi une grande partie de leur capital humain dans des secteurs en

Figure

Tableau 1 : Taille de l’échantillon final par période de fin d’emploi, nature du départ et groupe d’âge
Tableau 2 : Proportion des individus ayant restés au sein de la même entreprise pour la durée complète  de l’enquête pour la période de 2005 à 2010, par province et groupe d’âge
Tableau 3 : Plus haut niveau de scolarité atteint par les travailleurs au Québec par groupe d’âge,  comparaison de la période la plus récente (de 2005 à 2010), à la première disponible (de 1993 à 1998 -
Tableau 4 : Plus haut niveau de scolarité atteint par les travailleurs en Ontario par groupe d’âge,  comparaison de la période la plus récente (de 2005 à 2010), à la première disponible (de 1993 à 1998 -
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