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6. CONCLUSION ET DISCUSSION

2.2 MOBILITÉ INVOLONTAIRE ET ÉPISODES DE NON-EMPLOI

Une composante de la mobilité professionnelle totale est la mobilité volontaire, y compris le passage à des offres d'emploi plus élevées utilisant les mêmes compétences, ainsi que les promotions qui peuvent refléter des compétences accrues. Dans ces contextes, il ne s'agit pas de sources spécifiques de perte de capital humain. En revanche, la composante de mobilité involontaire, due par exemple à la fermeture d'une usine ou au licenciement individuel ou collectif, implique une incidence plus élevée de perte de capital spécifique. Selon les études consacrées aux changements dans les compétences ou les tâches exigées d’une profession à une autre, les pertes de salaire à la suite d'un déplacement sont fortement liées à la distance entre les deux occupations fondées sur le portefeuille de compétences. Par exemple, Robinson (2011) mesure la distance entre les occupations pour établir une distinction entre la mobilité involontaire et la mobilité totale à partir de données américaines. Les résultats de cette étude indiquent une baisse marquée du niveau de compétences des travailleurs qui changent involontairement d'emploi. En revanche, dans le cas de la mobilité professionnelle volontaire, le changement négatif dans le niveau de compétences requis à la profession montre une tendance à la hausse neutre ou modeste, ce qui suggère une perte spécifique limitée de capital humain due à ce type mobilité.

Plusieurs contributions à la littérature sur le capital humain ont analysé les coûts associés aux différents types de transitions d'emploi. Topel (1991) fournit la preuve qu'un travailleur masculin typique aux États-Unis qui a 10 ans d'ancienneté professionnelle perd 25% de son salaire si son emploi prend fin de façon involontaire. Il ressort que l'ampleur des pertes en capital spécifique dépend à la fois du type et de l'ampleur de la mobilité. Cette ampleur a été étudiée dans des articles plus récents, ce qui a conduit à un consensus selon lequel les taux annuels moyens de mobilité professionnelle aux États-Unis au cours des dernières décennies ont été d'environ 20% (avec des variations à la hausse pour certaines périodes). Dans la mesure où l’on considère que le capital humain est spécifique à une profession, comme le soutiennent Kambourov et Manovskii (2008), ce niveau de mobilité suggèrerait une perte annuelle potentiellement importante de capital spécifique sur le marché du travail.

De leurs côtés, Finnie et al. (2011) et Poletaev et Robinson (2008) sont d’avis que les travailleurs victimes d’un licenciement manifestent une plus grande mobilité entre professions et entre secteurs

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d’activité comparativement à ceux qui quittent leur emploi pour d’autres raisons. Ainsi, comparativement aux travailleurs qui changent de travail pour d’autres raisons, les auteurs soutiennent que les travailleurs ayant quitté leur emploi de façon involontaire ont plus à perdre au niveau du capital humain spécifique à l’entreprise. Cela tient notamment du fait que ces travailleurs retrouvent parfois un emploi dans une autre profession, dans le cadre de laquelle ils n’exploitent pas pleinement leurs compétences.

La mobilité professionnelle est déterminée par un grand nombre de facteurs. Le salaire, et notamment les disparités du salaire sont des conséquences importantes de la mobilité. Ainsi, le contexte du changement (c’est-à-dire la nature volontaire ou involontaire) risque de mener à différentes conséquences en termes de salaire. En fonction de l’âge des travailleurs, des études telles que l’OCDE (2013, 2015) basées sur des données canadiennes et américaines observent que les travailleurs âgés de 55 à 64 ans subiraient une perte de salaire plus importante que les jeunes de 20 à 24 ans ou ceux d’âge très actif de 35 à 44 ans. Dans le même ordre d’idées, Pignal et ses collaborateurs (2010) montrent que les travailleurs âgés qui ont perdu leur emploi pour des raisons économiques ont tendance à éprouver des difficultés à rétablir leur niveau de rémunération lorsqu’ils retrouvent un emploi. Leur étude est basée sur une enquête menée par Statistique Canada en 2008, ces derniers observent que près de la moitié des travailleurs licenciés économiques interrogés ayant une longue ancienneté avaient un revenu inférieur d’au moins 25 % dans leur nouvel emploi.

Plusieurs études antérieures sur les coûts des transitions d'emploi se sont fondées sur des données salariales, en particulier sur les variations salariales subies par les travailleurs déplacés lors de leur passage à un emploi dans une nouvelle entreprise, profession ou industrie. En utilisant cette approche empirique, Gathmann et Schönberg (2010) de même que Poletaev et Robinson (2008) présentent des résultats qui soutiennent l'importance du capital humain spécifique aux tâches. Un certain nombre de contributions récentes utilisent également des données sur les salaires combinées à des données sur les flux de travailleurs pour déterminer les coûts de transition. Artuc et ses collaborateurs (2010) et Artuc et McLaren (2015) estiment les coûts de transition entre les industries et les groupes professionnels. De leur côté, Herz et Van Rens (2015) examinent la relation entre les taux de recherche d'emploi et les salaires dans l'ensemble des industries et des endroits pour déduire les coûts de transition.

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Dans le cas des départs volontaires, les résultats de Chen et al. (2008) suggèrent que les différences de salaire souhaitées par les individus lors d’une transition en emploi sont un facteur clé de la mobilité professionnelle volontaire. Dans ce sens, les travailleurs peuvent effectuer des mouvements stratégiques de changement d’employeur et de profession afin d’atteindre des revenus plus élevés. Ce phénomène est d’ailleurs moins susceptible de survenir vers la fin de carrière professionnelle (Chen et al, 2008; Hall, 2002). La littérature soulève également l’hypothèse selon laquelle les travailleurs peu qualifiés changeraient de profession davantage pour obtenir un revenu plus élevé, tandis que les travailleurs hautement qualifiés le feraient davantage pour relever des défis.

Dans l’ensemble, il y a consensus à l’effet que les mouvements de type volontaire sont plus susceptibles de conduire à des gains salariaux, tandis que les changements involontaires peuvent davantage engendrer des pertes de gains substantiels, en particulier lorsque les travailleurs sont obligés de changer de profession, précisent Poletaev et Robinson (2008). Dans ce contexte, le chômage est généralement identifié comme un des plus importants déclencheurs de mobilité professionnelle, c’est-à- dire que le fait de vivre un épisode de chômage augmenterait les risques pour les individus d’avoir à changer de profession dans le nouvel emploi, menant le plus souvent à une dégradation du statut professionnel. Peu d’évidences empiriques sont fournies dans les études afin d’appuyer cette dynamique. L’une des raisons est que le fait de mesurer la mobilité sur deux années d’emploi consécutives, comme le fait la plupart des études, restreint à ne considérer qu’une partie de la population au chômage (plus particulièrement le chômage de courte durée). Cette façon de faire tend à surreprésenter les transitions directes d’emploi à emploi. Ce choix méthodologique peut avoir des conséquences sur les résultats puisque certaines catégories de travailleurs, tels que ceux plus avancés en âge, sont plus à risque de vivre des épisodes de chômage de plus longues durées. Également, les épisodes d’inactivité ne sont généralement pas considérés dans les études. L’une des particularités de ce chapitre est de mesurer leurs effets, en analysant la mobilité professionnelle des individus sur plusieurs années consécutives ce qui va permettre de prendre en compte les épisodes de non-emploi dans les transitions professionnelles. Mesurer la mobilité professionnelle sur plusieurs années permettra de constater que les changements de profession sont plus fréquents que lorsqu’on regarde le phénomène uniquement sur deux années consécutives. Ceci réitère l’importance d’examiner la transition entre la profession A et la profession B qui fait ressortir le passage parfois coûteux des épisodes de non-emploi dans le processus.

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