• Aucun résultat trouvé

PARTIE III : RELATIONS DE FUSION DES PYROXENITES

III.2 Fusion des pyroxénites : Problématique et choix de compositions

III.2.1 Problématique

Comprendre l’influence des pyroxénites sur la chimie et la dynamique de génération des magmas nécessite une détermination expérimentale des relations de fusion des pyroxénites sur des intervalles de pressions et de compositions appropriés.

Après les expériences pionnières de Yoder et Tilley (1962), de nombreuses études ex-périmentales ont été réalisées sur la fusion partielle des lithologies mafiques à haute pression (Figure III.4). Les grands principes régissant la fusion des compositions mafiques à ultramafi-ques ont été établis dans les années soixante (e.g., Yoder et Tilley, 1962 ; Green et Ringwood, 1967 ; O’Hara, 1968b). Des expériences dans le système simplifié CMAS (e.g., O’Hara et Yo-der, 1967 ; Kushiro, 1969 ; Presnall et al., 1978 ; Milholland et Presnall, 1998 ; Liu et Presnall, 2000) ont aidé à définir les relations de phases au dessus du solidus des pyroxénites jusqu’à 3 GPa. Avec l’augmentation de pression, les principales caractéristiques du système pyroxéni-tique dans le diagramme Forstérite (Fo) – Anorthite (An) – Quartz (Qz) – Diopside (Di) sont les suivantes (Figure III.5) : (1) le volume de phase de l’olivine se contracte ; (2) le volume de phase du cpx s’étend aux dépens de l’olivine, du spinelle et du plagioclase jusqu’à ~ 2 GPa ; (3) le volume de phase primaire du plagioclase est progressivement remplacé par les volumes de phase du spinelle, de la sapphirine et du corindon jusqu’à ~ 2 GPa, pression au-dessus de laquelle le volume de phase du grenat apparaît et s’étend ; (4) le volume de phase de l’orthopy-roxène se développe entre 1 et 2 GPa aux dépens de l’olivine, du quartz et du plagioclase, puis il se contracte au dessus de ~2 GPa en réponse à l’expansion du volume de phase du grenat. Même si ces résultats ont été obtenus dans un système simplifié, les résultats expérimentaux obtenus sur les échantillons naturels suivent largement ces principes.

CaTs Fo En Qz An M5-40 M5-103 M7-16 MIX1G 77SL-582 G2 B-ECL1-OL KG1 KG2 +[Di] JB1 35090 eclogite B-ECL1 GA1 AG4 GA2 NAM-7 Figure III.4

Projections en moles d’oxydes simples à par-tir du diopside [Di] sur le diagramme pseudo-ternaire Forstérite (Fo) – Pyroxène Calcium Tschermak (CaTs ; CaAl2SiO6) – Quartz (Qz) des compositions de pyroxénites sélection-nées pour mes expériences (carrés). Pour comparaison, j’ai aussi reporté les composi-tions utilisées dans les études antérieures de fusion partielle de pyroxénites (cercles), ainsi que le champ des péridotites en gris clair (de la base de données GEOROC). La mé-thode utilisée pour les projections est celle de O’Hara (1972 ; Annexe E). Par compa-raison au tétraèdre des basaltes de Yoder et Tilley (1962), (1) le plan Fo-An-Di est le plan critique de sous-saturation en silice qui sé-pare les compositions à néphéline normative (à gauche) des compositions à hyperstène normatif (à droite), et (2) le plan En-An-Di est le plan de saturation en silice qui sépare les compositions à olivine et hyperstène norma-tifs (à gauche) des compositions à quartz et hyperstène normatifs (à droite).

Selon la classification de Kogiso et al. (2004a), les pyroxénites à gauche du joint CaTs – En sont déficientes en silice et les pyroxénites à droite du joint ont un excès de silice. Les références pour les études antérieures sont : MIX1G, Hirschmann et al. (2003) et Kogiso et al. (2003) ; NAM-7, Yasuda et al. (1994) ; G2, Pertermann et Hirsch-mann (2003a, 2003b) ; 77SL-582, Keshav et al. (2004) ; KG1 et KG2, Kogiso et al. (1998) ; B-ECL1 et B-ECL1-OL, Kogiso et Hirschmann (2006) ; 35090, Yoder et Tilley (1962) ; eclogite, Ito et Kennedy (1974) ; JB1, Tutsura et

Corindon Spinelle Forstérite Diopside Anor thit e CaAl2Si2O8 Mg2SiO4 CaMgSi2O6 Forstérite Enstatite Quartz CaAl2Si2O8

Mg2SiO4 MgSiO3 SiO2

(a) 1 GPa (d) 1 GPa

Corindon Spinelle Forstérite Diopside CaAl2Si2O8 Mg2SiO4 CaMgSi2O6 Forstérite Quartz Spinelle Corindon An Sa CaAl2Si2O8

Mg2SiO4 MgSiO3 SiO2

(b) 2 GPa (e) 2 GPa

Corindon Spinelle Forstérite Diopside Anor thit e 1 GPa 3 GPa CaAl2Si2O8 Mg2SiO4 CaMgSi2O6 Forstérite Enstatite Quartz SpinelleGrenat Corindon Kyanite CaAl2Si2O8

Mg2SiO4 MgSiO3 SiO2

3 GPa 1 GPa

(c) 3 GPa (f) 3 GPa

Spinelle Anorthite

Enstatite

Figure III.5 Comparaison des relations de phase liquidus à 1, 2 et 3 GPa (a-c) pour le joint Anorthite (CaAl2Si2O8) – Forstérite (Mg2SiO4) – Diopside (CaMgSi2O6) et (d-f) pour le joint Anorthite – Forstérite – Quartz (SiO2). Sa = sapphirine, An = anorthite. Modifié d’après Presnall et al. (1978) et Milholland et Presnall (1998)

Par la suite, des études ont été conduites dans le but de déterminer les relations de phases subsolidus (Irving, 1974 ; Adam et al., 1992) et les positions des solidi et liquidi (e.g., Kornprobst, 1970 ; Yasuda et al., 1994 ; Pertermann et Hirschmann, 2003b). Des études expé-rimentales documentent maintenant les équilibres de phases jusqu’à des pressions de 20 GPa (e.g., Yasuda et al., 1994 ; Zhang et Herzberg, 1994 ; Tutsura et Takahashi, 1998 ; Hirose et al., 1999). Enfin, un certain nombre de nouvelles études ont accru notre connaissance sur la composition des liquides issus des pyroxénites à des pressions supérieures ou égales à 2 GPa (e.g., Kogiso et Hirschmann, 2001 ; Hirschmann et al., 2003 ; Kogiso et al., 2003 ; Pertermann et Hirschmann, 2003a ; Keshav et al, 2004 ; Kogiso et Hirschmann, 2006 ; Spandler et al., 2007).

Ces récents travaux ont notamment permis de mieux comprendre les relations de fusion de ces roches et de souligner l’influence clé de la barrière thermique définie par le plan enstatite (En) – pyroxène Ca-tschermacks (CaTs) – diopside (Di) dans le diagramme pseudo-quaternaire Fo (forstérite) – CaTs – Qz (quartz) – Di. Cette barrière thermique est aujourd’hui souvent uti-lisée pour classer les pyroxénites en deux groupes (Kogiso et al., 2004a ; Schiano et al., 2000) : les pyroxénites « avec un excès de silice » qui se projettent à droite du joint CaTs – En dans le diagramme pseudo-ternaire Fo – CaTs – Qz projeté à partir du Di et les pyroxénites «déficientes en silice» qui se projettent à gauche de ce joint (Figure III.4). Schiano et al. (2000) et Kogiso et al. (2004a) ont montré que cette barrière thermique a une influence critique sur la composition des liquides issus des lithologies à cpx et grenat. Les pyroxénites qui résident d’un côté ou de l’autre de cette barrière produisent en effet des compositions distinctes de liquides. Parallèle-ment, ces études ont permis en mettre en évidence le rôle de pyroxénites dans la genèse des OIB en montrant que la fusion partielle des pyroxénites à haute pression est susceptible de former des liquides proches de la composition des OIB les plus primitifs avec des compositions forte-ment sous-saturées en silice, des faibles teneurs en silice, un fort rapport Ca/Al et des teneurs en fer relativement élevées pour une teneur en MgO donnée (e.g., Kogiso et al., 2003).

En dépit du grand nombre d’études expérimentales, on connaît mal l’influence de la composition et de la pression sur les relations de fusion des pyroxénites (assemblages de phases subsolidus, réactions de fusion, compositions des phases, températures de solidus, productivi-tés, etc.). Par exemple, l’effet de la composition — en particulier, la teneur en alcalins et le Mg# de la roche (Kogiso et al., 2004a ; Kogiso et Hirschmann, 2006) — sur les températures de

solidus (TS) et de liquidus (TL) des pyroxénites n’est connu que sur un intervalle de pression et

de température relativement restreint (cf. § III.2.4.2). On sait également que les pyroxénites ont des productivités moyennes généralement beaucoup plus fortes que celles des péridotites (e.g.,

Hirschmann et Stolper, 1996), mais les paramètres gouvernant cette productivité ne sont pas bien déterminés. De plus, les relations de fusion des pyroxénites sont très rarement documen-tées dans les études expérimentales récentes, souvent focalisées sur la composition des liquides (e.g., Kogiso et Hirschmann, 2006), ce qui nuit à une analyse systématique des relations entre la composition des pyroxénites, la pression et le comportement de fusion. Enfin, malgré les nom-breuses études récentes invoquant la participation de pyroxénites pour expliquer la composition isotopique et/ou la composition en éléments traces des MORB (e.g., Niu et al., 1999 ; Eiler et al., 2000 ; Lundstrom et al., 2000 ; Le Roux et al., 2002b ; Cooper et al., 2004 ; Donnelly et al., 2004 ; Escrig et al., 2005 ; Gannoun et al., 2007), le rôle des pyroxénites sur la composition en éléments majeurs des MORB n’est absolument pas connu.

Afin de comprendre le l’effet de la composition sur le comportement de fusion des pyroxénites, j’ai réalisé une étude expérimentale sur trois compositions représentatives de la variabilité chimique des pyroxénites mantelliques. J’ai concentré mon travail sur des valeurs de pression relativement faibles pour pallier le manque de données expérimentales à basse pression (de 1 GPa – 1175°C à 2.5 GPa – 1475°C) et parce qu’une bonne connaissance de la fusion des pyroxénites à ces pressions est nécessaire pour évaluer leur rôle dans la production des MORB (cf. Partie 4).