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PARTIE V : ROLE DES INTERACTIONS MAGMA/ROCHE

V.1 Evolution des liquides issus des pyroxénites : implications pour

V.1.4 Résultats expérimentaux

V.1.5.1 Implications pour l’hétérogénéisation du manteau lithosphérique

Le massif de Ronda est un massif ultrabasique situé au Sud de l’Espagne et appartient, au même titre que le massif de Beni Bousera, à la ceinture Bétique-Rifaine, i.e, la partie la plus occidentale de l’orogenèse alpine (Figure III.7). A la différence du massif de Beni Bousera, il présente un zonage pétrologique et structural à l’échelle kilométrique et un front de recristal-lisation qui sépare le domaine dit des « tectonites à spinelle », c-à-d., le domaine le plus vieux et le plus déformé, des autres domaines (Van der Wal et Vissers, 1993). Les pyroxénites, nom-breuses dans ce massif, ont été classées en 4 groupes (A, B, C, D ; Garrido et Bodinier, 1999). Les pyroxénites du groupe A sont situées dans le domaine des « tectonites à spinelle» et sont principalement des pyroxénites à grenat interprétées comme une ancienne lithosphère sous-continentale métasomatisée. Les autres groupes se sont formés lors d’un événement magmati-que tardif à l’origine du zonage pétrologimagmati-que du massif (e.g., Van der Wal et Bodinier, 1996). Le groupe C présente un intérêt particulier par rapport à notre étude : il est en effet composé de webstérites et de webstérites à ol qui, selon Garrido et Bodinier (1999), se seraient formées par réaction entre un liquide alcalin provenant de la fusion des pyroxénites du groupe A et la péri-dotite environnante. Les pyroxénites du groupe C possèdent quatre caractéristiques importan-tes : (i) elles ne présentent pas ou peu de déformation et recoupent la foliation des péridotiimportan-tes, (ii) les observations pétrographiques montrent que les pyroxènes sont d’origine secondaire et se sont formés après les olivines, (iii) leurs compositions en terres rares présentent un spectre

concave vers le haut, et (iv) elles ont des forts rapports 187Os/186Os. Pour réconcilier les données

compositionnelles et de terrain, Garrido et Bodinier (1999) ont proposé un modèle qui s’appuie sur trois hypothèses. (1) La formation des pyroxénites du groupe C doit être plus récente que la mise en place crustale du massif (pour expliquer l’absence de déformation). (2) Comme les

pyroxènes se sont formés après les olivines, ces dernières doivent provenir de la péridotite hôte et les pyroxénites sont le résultat du remplacement des péridotites via des interactions magma/ roche. (3) Le liquide doit être alcalin (pour expliquer les compositions en terre rares) et doit provenir d’une source avec des compositions fortement radiogéniques en osmium.

Afin de tester le modèle de Garrido et Bodinier (1999), les proportions modales des py-roxénites du groupe C du massif de Ronda sont reportées dans la Figure V.5a. Les proportions modales de la majorité des pyroxénites du groupe C peuvent être expliquées par l’imprégna-tion de péridotites par un liquide dont la composil’imprégna-tion est comprise entre les liquides issus des pyroxénites M5-40 et M7-16. Sur la Figure V.11, les compositions des pyroxénites de Ronda sont projetées à partir du diopside dans le diagramme Fo – CaTs – Qz et sont comparées aux compositions des pyroxénites de Beni Bousera et aux compositions des péridotites imprégnées par les liquides issus de M7-16 et M5-40. Cette figure montre que les compositions des pyroxé-nites du groupe C de Ronda sont beaucoup plus enrichies en composant ol que la majorité des pyroxénites de Beni Bousera.

CaTs

Fo En Qz

An

+[Di]

0.1 0.5 1 0.1 0.5 1 M7-16 M5-40 M5-40 M7-16

Figure V.11 Projections molaires (O’Hara, 1972 ; cf. Annexe E) à partir du diopside [Di] sur le diagramme

pseudo-ternaire Forstérite (Fo) – pyroxène Calcium Tschermak (CaTs) – Quartz (Qz) des pyroxénites du groupe C de Ron-da (ronds blancs ; Bodinier et al., 2008), de la composition moyenne des pyroxénites du groupe A de RonRon-da (carré blanc ; Garrido et Bodinier, 1999), des pyroxénites de Beni Bousera (carrés gris ; Kornprobst, 1970 ; Pearson et al., 1993 ; Kumar et al., 1996) et des pyroxénites M5-40 et M7-16 (carrés noirs). Les flèches annotées «M5-40» et «M7-16» illustrent les compositions calculées par pMELTS pour des péridotites imprégnées par les liquides issus de M5-40 et de M7-16 à 1.5 GPa et 1250°C. Les graduations correspondent aux rapports magma/roche dans le

De plus, elle confirme que l’imprégnation par des li-quides ayant une composition comprise entre le liqui-de issu liqui-de M7-16 et le liquiliqui-de issu liqui-de M5-40 reproduit relativement bien les compositions des pyroxénites du groupe C. Enfin, sur la Figure V.11, j’ai également projeté la composition moyenne des pyroxénites du groupe A du massif de Ronda et les compositions des pyroxénites M7-16 et M5-40. Le Tableau V.3 com-pare la composition en éléments majeurs de ces trois pyroxénites. La moyenne des pyroxénites du groupe A de Ronda est légèrement plus pauvre en composant forstérite (Fo) que M5-40 et M7-16 mais présente une composition en éléments majeurs intermédiaire entre les

Tableau V.5 Composition de la moyenne

des pyroxénites du groupe Aa du mas-sif de Ronda (Espagne) comparée aux compositions des pyroxénites M5-40 et M7-16 Groupe Aa M5-40 M7-16 SiO2 47.1 48.53 43.58 TiO2 0.51 0.52 0.75 Al2O3 13.79 12.37 13.73 Cr2O3 - 0.12 0.07 FeO 9.76 9.02 14.51 MnO 0.20 0.20 0.30 MgO 14.05 16.64 12.52 CaO 11.91 10.89 13.77 Na2O 1.32 1.65 0.75 K2O 0.02 0.06 0.03 Mg#b 72.0 76.7 60.6

a Référence : Garrido et Bodinier (1999)

b Rapport molaire Mg/(Mg + Fe) où tout le fer est considéré comme FeO.

compositions de M7-16 et de M5-40. L’étude accrédite donc les interprétations de Garrido et Bodinier (1999) sur la formation des pyroxénites du groupe C par interaction entre un liquide alcalin issu d’une pyroxénite et la péridotite. Parallèlement, elle souligne la nécessité d’un fort rapport magma/roche pour expliquer les compositions des pyroxénites. En effet, nos résultats montrent que la formation des pyroxénites du groupe C par imprégnation de péridotites néces-site un rapport magma/roche compris entre 0.4 et 1 pour les webstérites à ol et significativement supérieur à 1 pour les webstérites. Pour estimer les rapports magma/roche nécessaires pour for-mer les pyroxénites du groupe C, Bodinier et al. (2008) ont réalisé une modélisation de la distri-bution en éléments traces des cpx dans une péridotite subissant une interaction avec un liquide. A la différence de notre étude, les phases produites et consommées sont imposées : la réaction dissout l’ol et consomme le liquide pour produire cpx + opx. Cette réaction est proche de celle obtenue lors de l’infiltration du liquide issu de M5-40 (Tableau V.4). Les calculs de Bodinier et al. (2008) suggèrent des rapports magma/roche compris entre 0.5 et 1.7 : ces estimations sont en parfait accord avec celles qu’on peut tirer de la Figure V.11. Pour expliquer ces rapports magma/roche élevés, Bodinier et al. (2008) ont proposé que les pyroxénites du groupe C se sont formées au stade final de l’événement thermique, par la compaction du manteau péridotitique hôte et la focalisation des liquides lors du refroidissement de la lithosphère sous-continentale.

Cette étude conforte donc l’importance des interactions magma/roche comme méca-nisme d’hétérogénéisation du manteau lithosphérique : les interactions entre les liquides qui circulent dans le manteau et leur encaissant sont susceptibles d’augmenter la diversité

litholo-V.1.5.2 Implications pour l’extraction des liquides à haute pression

Les pyroxénites ont des températures de solidus plus faibles que les péridotites et sont donc susceptibles de commencer à fondre à plus haute pression. Cette propriété a souvent été mise en avant pour expliquer la pétrogenèse des MORB et notamment le paradoxe de la signa-ture en grenat des MORB (Hirschmann et Stolper, 1996 ; cf. § I.3.4). Si l’on admet que cette signature en grenat est liée à la participation de liquides issus d’une source pyroxénitique, la réaction entre ces liquides, à l’équilibre avec cpx + gt, et les péridotites environnantes doit être limitée afin que ces derniers puissent préserver leurs spécificités géochimiques. Ci-dessous, je considère le cas d’un corps de pyroxénite isolé dans une matrice péridotitique et je discute les mécanismes qui permettraient d’extraire et de transporter les liquides d’origine pyroxénitique avec un minimum d’interactions avec les péridotites.

Cas où les péridotites sont peu ou pas fondues. Dans le premier cas de figure considéré, la pyroxénite a un degré de fusion déjà assez élevé alors que le degré de fusion de la péridotite est nul ou très faible (on se trouve dans une configuration de « haute » pression, proche du cas 2 dans le Tableau V.4). Dans ce cas, les interactions qui se produisent à l’interface du corps pyroxénitique et de son encaissant vont se traduire par la consommation d’une grande partie du liquide et la cristallisation de cpx + opx ou cpx + ol (selon le type de pyroxénite ; Figures V.3 et V.5b). La réaction d’interaction contribue donc à isoler la pyroxénite de la péridotite en géné-rant un horizon de faible perméabilité à l’interface entre les deux lithologies. Ainsi, le corps de pyroxénite peut continuer à évoluer en système (presque) fermé selon un processus proche de la fusion à l’équilibre, ce qui conduit à la formation de régions riches en liquide dans le manteau supérieur. Le contraste rhéologique entre ces régions et la péridotite environnante (peu ou pas fondue) pourrait créer des instabilités mécaniques, même pour des accumulations de liquide de tailles modestes (de l’ordre du mètre ; Stevenson, 1989). Selon Kogiso et al. (2004b), de telles instabilités pourraient entraîner l’expulsion périodique de liquide à l’intérieur de veines ou de chenaux, un mécanisme qui permettrait le transport jusqu’à la surface des liquides issus des pyroxénites et la préservation de leur signature en grenat.

La cristallisation presque complète des liquides issus des pyroxénites par interaction avec la péridotite ne remet pas en cause l’origine pyroxénitique de la signature en grenat des MORB proposée par Hirschmann et Stolper (1996). Les liquides issus des pyroxénites à 2.5 GPa sont fortement appauvris en terres rares lourdes à cause de la présence d’une propor-tion significative de grenat dans leurs sources (Tableau III.2). La réacpropor-tion de ces liquides avec la péridotite à sp environnante conduit à la formation de lithologies «hybrides», comme les

webstérites à ol contenant jusqu’à 7 % de grenat (Tableau V.4 ; Figure V.5b), qui seront égale-ment appauvries en HREE. Ces domaines composites (péridotites à sp + pyroxénites + roches hybrides) sont susceptibles de participer à la genèse des MORB : le rapport Sm/Yb des magmas produits dépendra des contributions relatives des trois types de lithologies. Un scénario de ce type a été proposé par Le Roux et al. (2002b) pour expliquer l’origine des rapports Sm/Yb par-ticulièrement élevés de certains MORB échantillonnés au sud de la ride médio-atlantique. Cas où les péridotites sont partiellement fondues. Dans le second cas de figure considéré, on fait l’hypothèse qu’avec l’avancement du processus de fusion, la perméabilité de la péridotite a augmenté suffisamment pour permettre la percolation des liquides produits par le corps py-roxénitique. On se trouve dans une configuration qui correspond aux pressions moyennes de fusion sous les rides médio-océaniques (1–1.5 GPa), avec un degré de fusion plus élevé de la péridotite (cas 3 du Tableau V.4). Mes résultats expérimentaux montrent que dans ces condi-tions, les pyroxénites subissent des degrés de fusion élevés à très élevés et que leurs liquides sont généralement similaires, en termes d’éléments majeurs, aux liquides issus des péridotites (cf. Partie IV, Figure 6). Dans les calculs d’interactions magma/roche, ce faible contraste com-positionnel se traduit par une réactivité très limitée du liquide avec le solide, en particulier dans le cas de la pyroxénite M5-40 (faible cristallisation de cpx, pratiquement pas de réduction de la masse de liquide ; Figure V.4b). La faible réactivité des liquides d’origine pyroxénitique dans cette gamme de pression est propice à la conservation de leur signature isotopique.

Le cas particulier de la pyroxénite M7-16. Considérons le cas de l’intéraction de liquides issus d’une pyroxénite de type M7-16 avec un encaissant péridotitique. La faible teneur en silice de ces liquides à 1 GPa aboutit à une dissolution des pyroxènes et à la formation d’une wherlite comme résidu solide (pour un rapport magma/roche de 1 ; Figure V.5c). Cette réaction sera sans doute accompagnée de changements compositionnels proches de ceux subis par le liquide dans l’expérience Inter16BP, à savoir un enrichissement en silice et un appauvrissement en fer. Néanmoins, l’infiltration supplémentaire de liquide peut aboutir à la formation de dunite. J’ai étendu les calculs de la Figure V.4c à des valeurs élevées du rapport magma/roche : un rapport de ~ 11 est nécessaire à la formation de dunite. Etant donné que pMELTS surestime la production de pyroxènes et sous-estime celle de l’olivine, cette valeur de 11 est sans doute significativement surestimée. Ainsi les dunites peuvent se former par circulation et focalisation de liquides très pauvre en silice d’origine pyroxénitique dans des péridotites. Une fois qu’un réseau continu de dunites est établi, la circulation du liquide peut se faire sans modification

significative de sa composition (Kelemen et al., 1995a).

V.1.6 Conclusions

J’ai réalisé une étude sur le sort des liquides pyroxénitiques durant leur passage à travers le manteau péridotitique. Les principaux résultats sont les suivants :

(1) La sous-saturation en silice du liquide n’est pas un critère suffisant pour entraîner la dissolution de l’opx dans la péridotite environnante : la dissolution (ou production) d’opx durant la réaction d’imprégnation est contrôlée par la teneur en silice du liquide. Ainsi, l’inte-raction d’un liquide à néphéline normative avec une péridotite peut aboutir à la précipitation d’opx et à la dissolution de l’ol de la péridotite si sa teneur en silice est suffisamment élevée.

(2) L’interaction des liquides pyroxénitiques avec une péridotite subsolidus entraîne des réactions contrastées en fonction de la composition du liquide (notamment en fonction de sa teneur en silice) et peut être à l’origine d’une large gamme de nouvelles hétérogénéités litholo-giques dans le manteau supérieur.

(3) La réaction entre le liquide pyroxénitique et le manteau péridotitique subsolidus à haute pression sous les rides médio-océaniques est susceptible d’entraîner un blocage des in-filtrations dû à la consommation substantielle du liquide et à la cristallisation de cpx qui génè-rent des horizons de faible perméabilité le long des interfaces péridotite/pyroxénite. Les corps pyroxénitiques ainsi isolés de l’encaissant péridotitique peuvent donner naissance à des zones riches en liquide par décompression adiabatique. Le fort contraste rhéologique entre ces zones et leur encaissant peu ou pas fondu peut favoriser leur déstabilisation et permettre une remontée en surface rapide de liquides pyroxénitiques.

(4) Cette étude confirme que les compositions similaires des liquides issus des pyroxé-nites et des péridotites à 1-1.5 GPa permettent l’infiltration des liquides de pyroxépyroxé-nites sans ou avec peu d’interaction avec le manteau environnant. La faible réactivité des liquides d’origine pyroxénitique dans cette gamme de pression est propice à la conservation de leur signature compositionnelle, notamment isotopique.

(5) Notre étude met en évidence que l’infiltration réactive d’un liquide pyroxénitique peut conduire à la formation de dunites, mais uniquement en cas de forte focalisation. Même si ce processus a une portée limitée, il peut permettre d’initier un phénomène de focalisation à plus grande échelle en favorisant le développement d’instabilités, comme l’ont montré Daines et Kohlstedt (1994).

V.2 Processus de transport des magmas et interactions magma/roche :