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CHAPITRE II : LA « SEIGNEURIE DES PAUVRES » DES ORIGINES JUSQU’EN

2. Le « fief et seigneurie de Saint Augustin auparavant dit de Demaure » en 1734

2.6 Les problèmes financiers de la veuve Aubert de la Chesnaye : vers

Édouard) font qu’elle croule sous les dettes et que les créanciers ne tardent pas à lui réclamer leur dû. François Aubert de la Chesnaye, comme tous les autres associés de la Compagnie, voit sa situation financière aller en dégringolant. La Compagnie est finalement abandonnée par le Comte de Saint-Pierre et elle fait banqueroute à l’automne 1724161. Elle

158 Antonio Drolet, « Paul-Augustin Juchereau De Maur », Dictionnaire biographique du Canada, volume II, […] consulté le 11 janvier 2016, http://www.biographi.ca/fr/bio/juchereau_de_maur_paul_

augustin_2F.html.

159 Supra note 14. 160 Campeau, op cit.

161 Olivier Puaud, « Pionniers sur l’île : les engagés de la compagnie de l’île Saint-Jean », dans Mickaël

est officiellement dissoute en 1725. C’est durant le retour d’Aubert de la Chesnaye en Nouvelle-France en 1725 que son vaisseau, le Chameau, coule et l’emporte au large de l’île Royale. Il laisse donc à sa femme des problèmes financiers nombreux162. Des suites

de la demande des Augustines, la seigneurie Demaure lui est confisquée le 31 décembre 1732163 et il y a adjudication le 22 septembre 1734164, c’est-à-dire vente aux enchères du

fief pour incapacité de paiement des dettes165, par les notaires royaux au nom du roi. Au

final, ce sont les pauvres qui obtiendront la seigneurie, mais en plusieurs étapes.

D’abord, les seigneurs de Saint-Augustin sont redevables aux Augustines d’une dette de 10 918 livres 7 sols 9 deniers en comptant les intérêts et les frais de justice : 9 347 livres 1 sol 3 deniers dues par Paul-Augustin Juchereau aux Augustines de l’Hôtel-Dieu, dette contractée au moment où sa sœur, Sœur Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace, était dépositaire de la communauté166 et 816 livres dues à la communauté des hospitalières

sur la succession de François Aubert de la Chesnaye167. Les Augustines sont le principal

créancier de la veuve Marie-Thérèse de Lalande. Elles sont donc intéressées par l’adjudication de la seigneurie de Maur parce qu’elles pourront ainsi se faire payer leur

Histoire d’une relation singulière (XVIIe-XIXe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Coll. «

Histoire », 2010, p. 248-249.

162 Campeau, op cit.

163 AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1, Créance des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Québec

sur le testament de François Aubert de la Chesnaye, 14 juillet 1732.

164 BAnQ, Fonds Cour supérieure, District judiciaire de Québec, Greffe du notaire Latour, M173/576, Entente

concernant l’adjudication entre Marie-Thérèse de Lalande et les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, 4 mai 1737.

165 Serge Braudo et Alexis Baumann (2016), « Adjudication », Dictionnaire du droit privé [site Web],

consulté le 11 janvier 2016, http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/adjudication.php

166 Cette dette provient de la réparation du moulin banal de Maur par les Augustines en 1709. Ils en ont pour

5 200 livres de dépenses. Paul-Augustin Juchereau s’engage alors à leur verser 6 200 livres réparties dans le temps. Avec les intérêts de 1709 à 1734, le montant se monte à un peu plus de 9 347 livres. BAnQ, Fonds Cour supérieure, District judiciaire de Québec, Greffe du notaire F. De La Cetière, M-41, Obligation par Augustin Juchereau aux Dames de l’Hôtel-Dieu, 26 janvier 1709.

167 François Rousseau, L’œuvre de chère en Nouvelle-France, op cit. et Idem., La croix et le scalpel. Histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec, Tome 1 : 1639-1892, Québec, Septentrion, 1989, p. 117.

créance. Pourtant, cette raison ne contribue pas à elle seule à expliquer l’achat qu’elles font avec l’argent des pauvres. Rousseau révèle qu’au XVIIIe siècle, les Augustines sont de plus

en plus conscientes de la nécessité, pour la communauté et pour les pauvres, d’accroître leurs revenus casuels de sorte de combler les besoins grandissants du soin des pauvres. En 1732, elles envisagent donc d’acheter la seigneurie de Maur qui vient d’être saisie. Elles obtiennent la permission de Monseigneur Dosquet dans un premier temps168. Ensuite, elles

se réunissent au chapitre pour en discuter le 25 août 1733169. La dépositaire assure que les

avantages de l’achat de la seigneurie sont nombreux : la proximité de Québec, le domaine est assez grand pour y mettre les bestiaux qu’ils ont au lieu de les laisser chez des habitants autour de Québec et les revenus assureraient aux pauvres de la nourriture en abondance. Après délibérations, le chapitre en vient à la conclusion de la faire acheter par un habitant au nom des pauvres170.

On choisit de faire une procuration à Romain Dolbec le 26 août 1733 pour qu’il représente les pauvres aux enchères. Il met son enchère au nom des pauvres et la seigneurie lui est adjugée pour 19 000 livres le 22 septembre 1734171 après 58 jours d’enchère172. De

ce montant, les pauvres versent leur créance aux religieuses (10 918 livres), le reste va aux

168 AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1 :1, Correspondance entre Sœur de l’enfant Jésus

dépositaire des pauvres et Monseigneur Dosquet, 8 décembre 1732.

169 AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1 :3, Actes capitulaires concernant l’achat de la

seigneurie de Maur, 15 août 1733.

170 AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1 :2, Projet de Lachat que les Pauvres de l’hotel

Dieu de Quebec sont en Etat de faire de la seigneurie de De Maure pour etre proposé au Chapitre, 25 août 1733, p. 3.

171 AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1 :6, Adjudication de la seigneurie de Demaure à

Romain Dolbec pour l’Hôtel Dieu de Québec et acceptation par Henry Hiché, Ecuier, pour l’Hotel Dieu, 22 et 23 septembre 1734.

172 L’enchère se déroule sous quarantaine du 2 juin au 14 juillet (43 jours) et on fait une remise à quinzaine

(15 jours), donc 58 jours au total. AMHD-Q, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, F5D4,4-1 :4, Sur la vente de la Seigneurie Demaure remise à quinzaine, 14 juillet 1733.

autres créanciers (8 014 livres 9 sols173), et le roi exempte les pauvres de payer le Quint174.

Ce n’est cependant qu’en 1737 avec l’entente entre Marie-Thérèse de Lalande et les Augustines175 que les religieuses commencent à prendre en charge la seigneurie au nom

des pauvres176. Conclusion

En somme, la mise en valeur de la seigneurie de Saint-Augustin de Maur est bien commencée au moment où les Augustines en deviennent les gestionnaires au nom des pauvres. Saint-Augustin est bien située. Elle est positionnée au nord du Fleuve Saint- Laurent à quelques kilomètres seulement de Québec. Saint-Augustin possède de bonnes terres et son emplacement à côté de Sillery en fait le terroir idéal pour s’établir lorsque la saturation des terres y mène les habitants dès la fin du XVIIe siècle.

Saint-Augustin est mise en valeur par la famille Juchereau de 1647 à 1734. Ce fait n’est pas à négliger pour comprendre comment s’opère la gestion des Augustines. La seigneurie des pauvres compte déjà 182 censitaires en 1735177. Les Augustines flairent la

bonne affaire en achetant aux enchères pour les pauvres une seigneurie peuplée et où tout est déjà bien commencé. Elle rapporte déjà des revenus appréciables en plus de posséder un moulin à eau, un manoir (s’il n’a pas été détruit), une paroisse, un arrière-fief et deux

173 Sauf 67 livres 3 sols 3 deniers pour les frais de justice.

174 AMA, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Québec, papiers de la seigneurie de Saint-Augustin, F5D4,4-1 :10, Brevet

de don et remise des droits revenans au Roy pour l’acquisition de la terre de Demaure au profit de l’hotel Dieu de Quebec, 21 mars 1735. Le Quint est un droit de mutation qui intervient lorsqu’une seigneurie est vendue. Elle consiste en une taxe du 1/5 de la valeur de celle-ci que l’acquéreur doit payer au roi. Cette taxe vise à ce que les seigneuries soient mises en valeur et non pas constamment marchandées et qu’elles demeurent dans les mains de la noblesse par voie d’héritage. Grenier, Brève histoire du régime seigneurial,

op cit., p. 76.

175 La veuve obtient 1900 livres pour la moitié du Quint et 100 livres pour les frais du calcul des arrérages. 176 BAnQ, […] Greffe du notaire Latour, M173/576, Entente concernant l’adjudication entre Marie-Thérèse

de Lalande et les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, 4 mai 1737, p. 6-7.

177 AMA, Fonds Hôtel-Dieu de Québec, papiers de la Seigneurie de Saint-Augustin, F5-D4,4, Ignace

domaines de dimension acceptable. La fertilité de son sol est bonne si on se fie aux propos élogieux qui émanent des arpenteurs et des géographes qui l’ont observée et cartographiée et on peut s’y rendre par la terre à l’aide de la Grande Allée ou par le fleuve et les rivières qui la serpentent, ce qui en fait une seigneurie de tout premier ordre pour les Augustines.

De plus, elle est située dans la région de Portneuf à quelques kilomètres de la ville de Québec, chose commode pour des hospitalières cloîtrées, contrairement à leur seigneurie des Grondines qui en est trop éloignée et à l’arrière-fief d’Argentenay dont les dimensions restreintes et la saturation des terres ne permettent plus d’espérer accroître les revenus des pauvres178. Ces raisons, jumelées à la possibilité pour les Augustines de

retrouver une vieille créance de plus de 10 000 livres due par les propriétaires de la seigneurie, les font acheter Saint-Augustin, en 1734, pour et avec le bien des pauvres lors de son adjudication. Les Augustines vont faire preuve de beaucoup de sens des affaires dans les décisions qu’elles prennent et dans les actions qu’elles entreprennent pour rentabiliser le fief des pauvres et en tirer de quoi entretenir leur œuvre sur le long terme, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle. Évidemment, l’état de Saint-Augustin au

moment où elles en prennent possession en 1734 les avantage nettement en comparaison des Ursulines qui, cloîtrées elles aussi, peinent à bien démarrer la mise en valeur de Sainte- Croix179. Toutefois, les conditions seigneuriales avantageuses ne sauraient expliquer à elles

seules les succès que rencontrent les Augustines dans la gestion de Saint-Augustin. La survie de leur œuvre en dépendant, elles savent s’entourer de bons conseillers, mettre en place des outils de gestion seigneuriale, concéder des terres, s’occuper du moulin banal,

178 Rousseau, L’œuvre de chère, op cit., p. 116.

179 Jessica Barthe, « L'administration seigneuriale derrière la clôture : les Ursulines de Québec et la seigneurie

de Sainte-Croix (1639-1801) », Mémoire de maîtrise (histoire), Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 2015, p. 68-70.

tirer leur épingle du jeu lors de la Conquête (1760) et après l’abolition (1854), tout en investissant sans cesse dans la seigneurie des pauvres malgré les problèmes financiers qu’elles rencontrent.

CHAPITRE III : L’ADMINISTRATION ÉCLAIRÉE DES