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Sur les pauvres et leur représentation du Moyen Âge au XVII e siècle en France

CHAPITRE I : L’HÔTEL-DIEU DE QUÉBEC, LE CLOÎTRE ET L’ŒUVRE DES

4. Les pauvres et la dépositaire des pauvres : identité et rôles seigneuriaux

4.1 Sur les pauvres et leur représentation du Moyen Âge au XVII e siècle en France

La façon dont on se représente la pauvreté en Nouvelle-France vient de la métropole. Au Moyen Âge, le pauvre est d’abord un élu de Dieu qui permet à tous d’atteindre le paradis : aux riches, par l’aumône, et aux pauvres par l’humilité et le renoncement100. L’Église véhicule elle-même, par ses prières et sa liturgie, une

représentation du pauvre comme modèle d’humilité devant Dieu101. L’évangile aussi

propose cette vision à plusieurs reprises lorsque Jésus dit : « Heureux, vous les pauvres,

99 Ibid., p. 73-75.

100 Gutton, La société et les pauvres en Europe, op cit., p. 104-106.

101 Jacques Depauw, « Pratique religieuse et pauvreté à la fin du XVIe siècle », Histoire, Économie et Société,

car le Royaume de Dieu est à vous102 » ou encore « Si tu veux être parfait, va, vends ce

que tu possèdes et donne le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux […]103 ».

Cependant, dès le XIVe siècle, l’accroissement du nombre de pauvres crée un sentiment

de panique chez plusieurs dirigeants et intellectuels qui commencent à associer pauvreté et criminalité. On craint le pauvre pour le danger qu’il représente pour la société (maintien de l’ordre public).

Les deux idées se mêlent jusqu’au XVIIe siècle où la seconde vision devient

dominante chez les dirigeants104. C’est alors qu’on en vient à tenter de distinguer le

« bon » pauvre du « mauvais », le premier méritant d’être secouru et le second d’être puni105. Sont de « bons » pauvres ceux qui travaillent puisque « [t]ravailler, c’est obéir à

la loi divine […]106 ». C’est exactement le contraire pour ceux qu’on a appelé les « sans

aveu » qui sont des gens qui ne sont pas dignes de confiance puisqu’ils n’appartiennent à aucun groupe et dont personne ne veut se porter garant107. Il ne s’agit pas de rentabilité du

travail, mais de conduite morale. Même les aveugles qui fabriquent des paniers sont montrés en exemple puisqu’ils font quelque chose de leurs mains108.

Mais quels pauvres sont alors inclus dans quelle catégorie et pour quelle raison les dirigeants ont-ils peur des pauvres au point de vouloir les catégoriser entre pauvres méritants et pauvres parasites ? Le pauvre est celui qui n’a rien à perdre dans les désordres. Il est celui qui y participe et il est donc dangereux pour l’ordre109. Les mendiants et les

102 École biblique de Jérusalem, dir., La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1973, p. 1491. 103 Ibid., p. 1442.

104 Elizabeth Rapley, Les dévotes: les femmes et l’Église en France au XVII e siècle, Montréal, Bellarmin,

1995 (1990), p. 141.

105 McHugh, op cit., p. 12.

106 Gutton, La société et les pauvres en Europe, XVIe-XVIIIe siècles, op cit., p. 101. 107 Ibid., p. 9.

108 Depauw, Spiritualité et pauvreté à Paris au XVIIe siècle, op cit., p. 230.

vagabonds sont précisément ceux qui sont craints comme le démontre, à partir du XVIe

siècle, la multiplication des ordonnances en Espagne, en France, en Angleterre et ailleurs en Europe pour interdire la mendicité et le vagabondage110.

Puisque la distinction du pauvre est floue à l’époque, entre pauvre travailleur et pauvre mendiant, il n’y a que peu de différence et tout aléa de la vie quotidienne peut faire plonger de l’un à l’autre111. Dans une société où la famille est le seul rempart contre

l’indigence dans la vieillesse, les célibataires, les vieillards et les veufs et les veuves sont souvent les plus touchés par la pauvreté puisqu’ils ne disposent que de leur capacité de travailler pour vivre, capacité qu’ils finissent par perdre112. Parmi les vagabonds, il y a

aussi plusieurs soldats démobilisés souvent invalides, des déserteurs, des aventuriers, des troupes de mendiants et de prostituées qui suivent l’armée113, des pèlerins confondus avec

les vagabonds et des faux pèlerins, faux mendiants et faux invalides qui simulent une invalidité, une plaie, un pèlerinage et même la folie pour obtenir du secours114.

La distinction des pauvres entre « bons » ou « récupérables » et « mauvais » ou « irrécupérables » est la clé de la mentalité de l’enfermement. On parle bien évidemment

de l’aspect moral, car on souhaite réinsérer dans l’Église et ses sacrements les gens qu’on peut encore sauver du vice alors qu’on n’a d’autre moyen que de bannir les autres. Ces derniers sont les vrais exclus alors qu’on peut enfermer, pour faire pénitence, les pauvres

110 Idem., La société et les pauvres en Europe, XVIe-XVIIIe Siècles, op cit., p. 96. 111 Bertaux, op cit., p. 157.

112 Gutton, La société et les pauvres en Europe, XVIe-XVIIIe Siècles, op cit., p. 54-56. 113 Ibid., p. 27-28.

114 Idem., La société et les pauvres : l’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, op cit., p. 159, 107. et Idem., La société et les pauvres en Europe, XVIe-XVIIIe Siècles, op cit., p. 46-47.

qui ne vivent pas selon les dogmes chrétiens, mais dont on peut encore corriger les « égarements »115.

Alors qu’avant le XVIIe siècle, les hôtels-Dieu et les hôpitaux accueillent tous les

pauvres116, il se développe alors des théories de l’enfermement chez des intellectuels

mercantilistes comme Laffémas, Montchrestien et De Mayerne Turquet117. C’est sous

l’influence de ces auteurs que l’hôpital-général est pensé « pour retirer et instruire les enfans délaissés, et secourir les vieilles personnes, les infirmes et les invalides, et à dessein de pouvoir reconnoistre les véritables pauvres pour les assister et les fainéans qui s'opiniastrent à la mendicité pour les employer aux ouvrages ou les chastier118 ». Avec

l’arrivée des hôpitaux-généraux, les fonctions des hôtels-Dieu se définissent davantage par le soin et l’hébergement des malades pauvres plutôt que par les distributions d’aumônes et l’accueil des pauvres mendiants119.