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CHAPITRE I : L’HÔTEL-DIEU DE QUÉBEC, LE CLOÎTRE ET L’ŒUVRE DES

4. Les pauvres et la dépositaire des pauvres : identité et rôles seigneuriaux

4.2 La pauvreté en Nouvelle-France : Nouveau Monde, nouvelle réalité ?

Cette façon de voir le pauvre et de s’en occuper se transmet en Nouvelle-France, mais s’y développe aussi différemment à quelques égards. Il faut d’abord dire que les dirigeants de la colonie orientent leurs actions de manière à favoriser le peuplement de la colonie du Canada. Par ce souci, on ne tente pas de classer les pauvres selon qu’ils font une activité bénéfique ou non pour la société, on tient davantage un discours mercantile

115 Jacques Depauw, « Pauvres, pauvres mendiants, mendiants valides ou vagabonds ? Les hésitations de la

législation royale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 21, n° 3, 1974, p. 405.

116 Idem., Spiritualité et pauvreté à Paris au XVIIe siècle, op cit., p. 38.

117 Gutton, La société et les pauvres : l’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, op cit., p. 308-310,

316.

118 Depauw, « Pauvres, pauvres mendiants, mendiants valides ou vagabonds ? loc. cit., p. 404. 119 Idem., Spiritualité et pauvreté à Paris au XVIIe siècle, op cit., p. 41.

où chaque sujet du roi est un atout par manque de colons120, sans compter qu’ils sont les

représentants du Christ121. La dépendance de la métropole adoucit la vision que l’on se

fait des pauvres qu’on voit moins comme un obstacle à l’ordre que comme de futurs habitants qui ont besoin de soutien.

À mesure que le XVIIe siècle s’achève, le nombre de vieillards, qui était peu élevé

au départ parce ce sont surtout des jeunes qui ont formé la première génération de migrants, s’accroît ainsi qu’apparaissent des mendiants122. L’intendant Talon dénote déjà

en 1667 l’indigence de plusieurs que la conjoncture rend vulnérables. La vision morale du « bon » pauvre se définit autour du modèle de l’habitant. Prendre une terre et se marier pour peupler la colonie, tel est l’exemple à suivre. Le travail de la traite des fourrures, qui contrevient à ce modèle, en vient donc à être qualifié de voie d’accès à la pauvreté. Ce n’est pas de pauvreté économique dont on parle, mais de pauvreté morale qui tend à conduire à l’indigence123.

Évidemment, il est faux de dire que la traite des fourrures mène à la pauvreté économique puisque plusieurs habitants du Canada, dont ceux de régions où les terres sont peu fertiles et se font rares au XVIIIe siècle, complètent le travail de la terre par celui de

la lucrative traite saisonnière comme le démontre Allan Greer pour Sorel, Saint-Denis et Saint-Ours124. Ce qui est décrié c’est l’oisiveté de la vie du voyageur qui, comme le

mendiant et le vagabond, ne cultive pas la terre et ne fonde pas de famille. Le fait que la

120 Serge Lambert, Entre la crainte et la compassion : les pauvres à Québec au temps de la Nouvelle-France,

Québec, GID, 2001, p. 29-31.

121 Fino, op cit., p. 99.

122 Guy-Marie Oury, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres 1653-1727, Québec, La Liberté, 1993,

p. 31.

123 Lambert, op cit., p. 32-33.

124 Allan Greer, Habitants, marchands et seigneurs : la société rurale du bas Richelieu (1740-1840),

terre soit abondante, mais que le défrichement soit très difficile et long est à la fois cause et effet de l’attrait de la traite. C’est de cette lutte contre le récalcitrant qu’apparaît l’idée de séparer les pauvres en deux catégories entre le « bon pauvre » soumis à l’ordre établi (habitant ou artisan) et le « mauvais pauvre » insoumis (voyageur, coureur des bois, mendiant et vagabond)125.

Le « bon pauvre » qui a besoin d’aide est souvent le/la célibataire, le/la veuf(ve) ou le vieillard qui se met au service d’une communauté religieuse comme domestique ou encore qui fait don de tous ses biens en échange de son entretien jusqu’à sa mort que ce soit à l’Hôpital-Général, à l’Hôtel-Dieu, au séminaire de Québec ou bien chez les Jésuites ou les récollets. Il est aussi l’orphelin qui n’a plus de foyer126 ou encore les aliénés qui

sont recueillis dans les hôpitaux-généraux de Québec et Montréal et entretenus127. Les «

mauvais pauvres » en Nouvelle-France sont des vagabonds, des voleurs, des trafiquants d’eau-de-vie, des déserteurs, des criminels, des « femmes de mauvaise vie » et des femmes rendues coupables d’infanticides. Ils sont facilement accusés de comploter contre le roi et d’être débauchés.

C’est dans ce contexte qu’en 1676, une ordonnance interdit le vagabondage. Passant d’une menace morale à une menace sociale, le pauvre ne peut mendier que s’il est invalide et que son invalidité est attestée par un certificat de pauvreté signé par un notable ou un clerc. Celui qui est valide est une menace et doit être puni pour son oisiveté, sa paresse et l’avantage insidieux qu’il tire de la charité qu’il ne mérite pas128. On interdit

125 Lambert, op cit., p. 35-36. 126 Ibid., p. 46-50.

127 John Porter, « L’Hôpital-Général de Québec et le soin des aliénés (1717-1845) », Sessions d’étude - Société canadienne d’histoire de l’Église Catholique, vol. 44, 1977, p. 26.

aussi aux particuliers de faire l’aumône aux pauvres directement sous peine d’amende129.

En 1688, des bureaux des pauvres sont créés à Québec, à Montréal, à Trois-Rivières et à Sainte-Famille sur l’Île d’Orléans et ont pour but de trier les pauvres pour aider ceux qui le méritent en leur donnant l’aumône ou en leur trouvant un travail130. Ne pouvant plus

quémander de porte en porte, les pauvres, bons ou mauvais, se rendent au bureau pour y obtenir de l’aide131.

Cependant, l’aide que fournit le bureau des pauvres n’arrive pas à distinguer le « bon » du « mauvais » pauvre. C’est précisément pour cette raison que Monseigneur de Saint-Vallier met tout en place pour obtenir un hôpital-général à Québec et un à Montréal. « À l’image des villes françaises telles que Lyon ou Vannes, le rôle de l’hôpital-général consiste surtout à supprimer la pauvreté « en enfermant les mauvais pauvres […] et [à] éduquer les bons pauvres venus se mettre sous la protection du système hospitalier »132».

En pratique toutefois, l’arrivée de Monseigneur de Saint-Vallier en Nouvelle- France change la vision théorique qu’on a de l’hôpital-général et du secours du pauvre. Pour lui, il s’agit davantage de venir en aide aux pauvres invalides, aux vieillards et aux orphelins que d’enfermer les valides qui sont laissés à eux-mêmes133. Dans la colonie, la

distinction entre le pauvre invalide, le mendiant valide, le criminel et le vagabond est possible à établir. On réussit à les séparer puisqu’ils ne sont pas nombreux et que l’Église et l’État agissent de pair pour y arriver134.

129 D’Allaire, Les communautés religieuses de Montréal, op cit., p. 21. 130 Lessard, op cit., p. 177.

131 Oury, op cit., p. 33. 132 Lambert, op cit., p. 39-40. 133 Ibid., p. 60-65.