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Problèmes créés par le recours à la dualité intérieur-extérieur dans le travail de l’acteur le travail de l’acteur

Critiques de la subjectivisation du travail de l’acteur contenues dans la théorie du théâtre de Bertolt Brecht

LA DUALITÉ INTÉRIEUR-EXTÉRIEUR ÉCLAIRÉE PAR LA PSYCHOLOGIE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE JEAN-PAUL SARTRE

1. Problèmes créés par le recours à la dualité intérieur-extérieur dans le travail de l’acteur le travail de l’acteur

Pour Sartre la question clé est: faut-il plus qu’un moi psychique et psycho-physique pour comprendre la personnalité ? Avons-nous besoin, pour éclairer la personnalité de Luciana, d’aller au-delà de cette Luciana de chair et d’os qui est là en train d’écrire ? Serait-il possible d’avoir un Je antérieur à la conscience ?

Sartre constate que la condition de possibilité de surgissement d’un Je est toujours donnée par un « corps-conscience », un ensemble où chacun des deux éléments ne peut se passer de l’autre. Un crayon n’a pas de conscience, ce qui l’empêche de mettre son existence en question. La conscience (ainsi que le corps427) est, alors, la condition de possibilité pour que Luciana soit Luciana. La conscience ne vient pas après l’Ego ontologiquement : la conscience est condition pour l’existence de l’Ego. Pour qu’il y ait un sujet il faut qu’il y ait conscience (et corps). Il peut y avoir conscience sans sujet, mais pas de sujet sans conscience. On peut comprendre de cette façon que le Je ne puisse être antérieur à la conscience, ne pouvant donc pas unifier les consciences. Sartre démonte ainsi la théorie de Kant et de Husserl qui prévoit qu’il y aurait un Je unificateur des consciences.

Pour défaire le nœud fait par Husserl et Kant et reprendre la voie de la science Sartre se propose de suivre la méthode scientifique que Husserl avait adoptée auparavant : celle de l’observation et de la description du phénomène en tant

427 Il s’agit en fait du corps-conscience. Quand nous abordons « la conscience », nous sommes en train de faire un abstraction.

qu’indicatif de lui-même. Dans l’introduction de L’être et le néant Sartre affirme que le

cogito préréflexif (aussi appelé conscience préréflexive) conditionne le cogito réflexif, ce qui signifie qu’il faut d’abord une existence préréflexive qui rend alors possible une existence ultérieure réflexive (ce qui reviendrait à dire qu’il faut d’abord exister pour pouvoir penser). Le cogito préréflexif (ou la conscience préréflexive428) est la conscience perceptive (percipiens) et la conscience imaginante. Ce sont des consciences

du premier degré, c’est-à-dire, ce ne sont pas des consciences réfléchies par d’autres consciences. Elles sont irréfléchies. Le sujet n’est pas positionnel de soi même : « ...il n’y a pas de Je sur le plan irréfléchi. Quand je cours après un tramway, quand je regarde l’heure, quand je m’absorbe dans la contemplation d’un portrait, il n’y a pas de Je. Il y a conscience du tramway-devant-être-rejoint , (....) mais moi, j’ai disparu, je me suis

anéanti »429. Le Je n’apparaîtra que sur le plan de la conscience réfléxive.

Sartre a identifié, dans les théories vérifiées, l’erreur de compréhension du phénomène. Parce que ces théoriciens avaient constaté que le Je apparaît quand nous pensons, ils avaient compris qu’il y avait deux Je. Il fallait donc savoir s’il existe réellement quelque chose avant la pensée. La réponse étant positive il ne fallait pas croire, cependant, qu’il s’agisse d’un Je a priori. C’est la conscience préréflexive (ou conscience sans Je présent), qui constitue la condition de possibilité pour la conscience réflexive.

Le Je qui apparaît à la conscience du deuxième degré est la face active de l’Ego (ce qui était compris comme étant le Je transcendantal par Kant et par Husserl). Quand il y a conscience irréfléchie le Je n’est pas positionné pour le sujet, il n’apparaît pas

comme Je pour le sujet. C’est en fait le Moi psycho-physique, en chair et en os (ce que Husserl et Kant appelaient « moi empirique ») qui apparaît. Sartre explique que ce ne sont donc pas deux Je, l’un empirique et l’autre transcendantal, mais ce sont deux façons de saisir soi-même : concrètement (ce qu’on appelle le Moi) ou abstraitement (ce qu’on appelle Je). Le Je c’est l’Ego saisi de façon abstraite et Moi c’est l’Ego saisi concrètement. « Sartre désigne par le concept de ‘Je’ la personnalité dans son aspect actif ; par ‘moi’, il entend la totalité concrète psycho-physique de la même personnalité.

428 Ce mode de conscience, Sartre l’appelle aussi « non-réflexive ».

Il est entendu que le Je et le Moi ne font qu’un et qu’ils constituent l’Ego dont ils ne

sont que les deux faces »430.

Outre l’erreur de ne pas avoir compris la relation entre conscience irréfléchie et conscience réfléchie, Sartre voit qu’ils n’avaient pas compris la nature de la conscience, c’est-à-dire, qu’ils n’avaient pas compris qu’en même temps qu’elle est « conscience de l’objet » elle est « conscience de soi », ce qui exclut la nécessité d’un Je transcendantal pour garantir l’individualité de la conscience :

« ...l’individualité de la conscience provient évidemment de la nature de la conscience. La conscience ne peut être bornée (...) que par elle-même. Elle constitue donc une unité synthétique et individuelle entièrement isolée des autres totalités de même type (...). En effet, l’existence de la conscience est un absolu parce que la conscience est conscience d’elle même. C’est-à-dire que le type d’existence de la conscience c’est d’être conscience de soi. Et elle prend conscience de soi en tant qu’elle est conscience d’un objet transcendant. Tout est donc clair et lucide dans la conscience : l’objet est en face

d’elle avec son opacité caractéristique, mais elle, elle est purement et simplement conscience d’être conscience de cet objet, c’est la loi de son existence »431.

Husserl a dû expliquer comment il serait possible d’ « être conscience de l’objet » sans ignorer cet « état de conscience de l’objet » (car il y a « la conscience de l’objet » et « la conscience d’être la conscience de l’objet »). Pour résoudre cette question Husserl a compris qu’il y avait deux consciences. L’une qui est conscience de l’objet et une autre qui est conscience d’être conscience de l’objet comme dans une relation connaissant-connu. Sartre constate dans L’être et le néant 432 que cette supposition de Husserl est absurde car l’existence dans cette relation de deux consciences nous mènerait à l’infini, puisqu’il devrait toujours exister une nouvelle conscience qui serait la conscience de l’autre :

« Il faut ajouter que cette conscience de conscience – en dehors des cas de conscience réfléchie sur lesquels nous insisterons tout à l’heure – n’est pas positionnelle,

c’est-à-dire que la conscience n’est pas à elle même son objet. Son objet est hors d’elle par nature et c’est pour cela que d’un même acte elle le pose et le saisit »433.

Sartre démontre que la conscience est en même temps « conscience de l’objet » et « conscience de soi ». Mais, atteste-il, « ...nous ne pouvons user plus longtemps de

430 Jean-Paul SARTRE, La transcendance..., op.cit., p. 19. 431Ibid., pp. 23-24.

432 Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant, op.cit., pp. 18-19. 433 Jean-Paul SARTRE, La transcendance..., op.cit., p. 24.

cette expression où le ‘de soi’ éveille encore l’idée de connaissance. (Nous mettrons désormais le ‘de’ entre parenthèses, pour indiquer qu’il ne répond qu’à une contrainte grammaticale) »434. Il va désormais dire que la conscience est, en même temps « conscience de l’objet » et « conscience (de) soi », expression qu’il remplacera par « conscience soi ». La conscience, qui est toujours conscience de l’objet, est transparente pour soi même435. « En effet, l’existence de la conscience est un absolu parce que la conscience est conscience d’elle-même et elle prend conscience de soi en tant qu’elle est conscience d’un objet transcendant »436.

Dans le but de comprendre la constitution de l’Ego nous allons maintenant aborder les questions concernant les niveaux et les formes de conscience.