CHAPITRE II : LA MAISON‐JARDIN DE HUE
III.1 Caractère macro et microcosmiques de la spiritualité vietnamienne. Dans la description des civilisations anciennes savantes à écriture, les Européens
III.1.2 Principes généraux de la géomancie
Voyons en résumé quels sont les grands principes généraux posés par la géomancie. Le Grand Absolu (Thai cuc), né du Néant Absolu (vo cuc) engendra les deux Essences Vitales de l’Univers (luong nghi), le Principe Mâle (duong) et le Principe Femelle (am), au cours de ses mouvements alternés d’inspiration (duong) et d’inertie (am).
Au cours de la cosmogénèse, le principe mâle et le principe femelle ont donné naissance aux quatre figures secondaires des huit diagrammes (tu tuong) qui correspondent, entre autres, au soleil, à la lune, aux étoiles et aux cinq planètes (Mercure, Mars, Jupiter, Saturne); aux cinq éléments (ngu hanh) que sont le métal (kim), eau (thuy), bois ( moc), feu (hoa), terre (tho). Les cinq éléments se retrouvent à la fois dans les êtres vivants et dans la Nature. Il existe ainsi tout un système “quinaire” de correspondances entre les organes, les éléments, les saisons, les points cardinaux et les planètes.
C’est grâce à l’antagonisme régulier du mouvement (+) duong et du repos (‐) am, de l’inhalation et de l’expiration, que la mécanique cosmique suit son cours normal. La terre étant gouvernée par le Ciel en tant que réplique exacte de celui‐ci, les deux essences vitales animent les profondeurs du sol d’un double courant, l’un bienfaisant, le Dragon Bleu (Thanh Long), l’autre pernicieux, le Tigre Blanc (Bach Ho). Charriées par le sang, elles sont également en circulation perpétuelle dans le corps humain, mais suivant un système de méridiens différent du système vasculaire sur lequel agit l’aiguille des acupuncteurs.
Entre le Ciel et la Terre sont placées deux roues, l’une verticale, supérieure, sinistrogire, céleste, correspondant aux deux influx, mâle et femelle, l’autre horizontale, inférieure, dextrogire, terrestre, correspondant aux cinq éléments. La roue supérieure a six secteurs qui influencent les cinq organes du corps humain. La géomancie est donc fondée sur l’analogie et sa pratique comporte de très savants calculs qui nécessitent un haut niveau de formation transmis au sein d’une caste d’astrologues devins.
Ces très grands traits qui sont au départ de la géomancie sont répétés dans tous les manuels imaginables. L’Occident orientaliste en a été très friand, comme de tout ce qui était savant mais non scientifique, ésotérique. Les courants de pensée contemporains antimodernes y retournent également, soutenus par une vague et une vogue « écologique » réclamant un autre rapport à la nature que celui de l’exploitation minière des ressources.
Depuis vingt siècles, la civilisation chinoise est attachée à cette connaissance astrologique qui gouverne son calendrier parallèlement à l’usage d’un calendrier mondial imposé depuis l’Occident chrétien. Ils ne sont pas sans rapport d’ailleurs. Car, toujours dans la littérature à la fois historique et ésotérique occidentale, on retrouve que les premières expressions connues du système des astres et de leurs coordonnées datent de la révolution néolithique. Elles ont dû se répandre dans toute l’Eurasie. Ainsi l’astrologie, telle que nous la connaissons, depuis plus de deux mille ans est pour la civilisation chinoise un élément culturel étranger emprunté au Proche‐Orient. Il y a là comme un débat de savoir qui l’a inventée et où ? Mais il y a là aussi comme une marque d’universalité affirmée qui rendrait si facile le passage ou la réminiscence de savoirs attendus ou déjà et enfouis sous la modernité.
Au VIIe siècle avant l’ère conventionnelle, les astrologues babyloniens ont découvert
les lois du mouvement des planètes dites vagabondes et purent prédire les éclipses de soleil et de lune. Cette grande découverte, extrapolée et généralisée, a donné naissance à la première ébauche d’une philosophie déterministe. Si l’on peut repérer avec certitude la date des événements célestes, n’est‐il pas possible de calculer de la même façon la date des événements terrestres, étant donnée l’interdépendance complète du monde d’en haut et de celui d’en bas ? En déduisant la destinée des peuples et la destinée individuelle de la position momentanée de la machine du monde, le mathématicien chaldéen a façonné cette ambiance astrologique qui
dure encore, après avoir joué un rôle considérable dans toutes les civilisations de l’Eurasie selon Toynbee. On comprend dès lors que comme le calendrier romain d’où est en partie issu le calendrier chrétien (hormis le point d’origine), le calendrier sino‐vietnamien poursuit, en dehors des fins de comput, des fins divinatoires, et accorde la plus grande importance à la connaissance des jours fastes et des jours néfastes.
Un paragraphe de ce type est imparable en matière de patrimoine mondial de l’humanité. Il décrit le système échangeable ou diffusable que d’autres à leur manière ont pu développer aussi : on pense à l’Amérique précolombienne. Il est possible alors de jouer sur tous les tableaux : l’originalité et la vigueur de la vie « spirituelle d’un peuple » tout comme sa contribution à l’Esprit de l’humanité. Où en trouver aujourd’hui une manifestation matérielle directement appréhendable, sensible. Dans la maison‐jardin de Hué bien sûr qui par sa rigueur spirituelle et sa modestie réunies, permet d’entrée de plain‐ pied dans la vie harmonieuse en phase avec la nature et l’ordre du monde. Une expérience à faire. La vie ordinaire à Hué entretient ce lien.
Alors que la notion de temps (uniquement vécue et non mesurée) est pleine de fantaisie dans l’ordinaire de la vie, une précision étonnante apparaît dès qu’il s’agit de l’heure de la naissance ou de données intéressant l’horoscope. Dès qu’un enfant vient au monde, à moins qu’il ne soit très pauvre, les parents veulent savoir, le plus vite possible, quel sera son sort. On continue à s’en préoccuper à chaque circonstance de sa vie : examen, mariage, maladie grave, affaire de quelque importance, etc. Dans la corporation des voyants de l’avenir, il y a le géomancien (thay dia ly) ; le devin, astrologue ou tireur d’horoscope (thay boi) ; le sorcier (thay phu thuy), le physiognomoniste (thay tuong) et le zoochiromancien (thay gio). C’est le devin qui a la plus grande vogue et qui est le plus couramment consulté.
III.1.3 Géomancie, localisation et direction
La géomancie, connue dès le néolithique, inspiratrice des plans de Rome et de Byzance, est une connaissance savante, sœur de l’astrologie et de l’alchimie. Elle est très caractéristique du monde situé sous influence culturelle « chinoise » où elle a conservé une valeur de référence pour les choses de la vie. Pour l’homme, tout site peut être bénéfique
ou maléfique suivant sa disposition par rapport au Dragon Bleu (souffle bienfaisant) et au Tigre Blanc (souffre malfaisant) et aussi par rapport à certaines planètes bienfaisantes. La géomancie est la « science » qui s’occupe de ces questions, non seulement en ce qui concerne la vie privée, mais aussi en ce qui concerne la vie publique. Par les travaux de terrassement appropriés, on peut dominer un pays en se rendant maître de ses forces vitales cachées. On ne peut concevoir toute stratégie que comme une application de l’astrologie et de la géomancie.
Cette « science » se présente donc à nous sous un aspect négatif (ne pas troubler l’ordre du monde par une maison trop haute, un chemin trop droit, le détournement d’une mare), et sous un aspect positif (conjurer un sort en construisant un canal ou en édifiant des temples et des citadelles aux endroits critiques d’un pays). Le résultat est que toute construction n’est jamais conçue isolément mais en fonction d’un paysage auquel elle se raccorde étroitement. L’éthique ou choix des bons principes crée une esthétique.
La géomancie est donc la connaissance des influences terrestres (dia ly) ou encore des lois naturelles (phong thuy) [c’est‐à‐dire le vent et l’eau]. Elle permet de déterminer les conditions les plus favorables pour édifier soit un palais, soit un monument, soit une maison, soit un tombeau. Pour y arriver il faut :
- retrouver sur l’emplacement choisi les correspondants terrestres des planètes et des constellations qui gouvernent le monde et choisir l’endroit le plus bénéfique.
- savoir se servir de la boussole géomantique (la ban ou la kinh), bien différente du compas marin (chi nam cham). Elle indique la répartition des deux grands souffles de la matière, le Dragon Bleu ou souffle bienfaisant (Thanh Long) et le Tigre blanc.
Les deux idées fondamentales retenues de l’héritage chinois tiennent à la reconnaissance des deux principes éternels aux deux extrêmes infinis : le principe et le souffle. L’univers en est la résultante.
Le principe est ce que nous pouvons sentir, toucher, saisir ; le souffle est ce que l’on ne peut que sentir mais pas toucher (incorporel).
Le principe et le souffle sont à la base du fonctionnement de l'univers comme de l’homme, de la maison ou de la communauté qui en sont des « satellites ». Par conséquent, l'espace de la vie humaine et l’être humain lui‐même sont régis par la même loi. Le concept de l'extrême (Le Grand Absolu) est spécifié par deux concepts qui sont négatif (‐ le Principe Femelle) et positif (+ le Principe mâle), mais l'interaction entre le yin et le yang est soulignée par une loi «vat cùng tác bien " c'est‐à‐dire l’objet transformé jusqu'à sa destination finale et retourné, (le principe mâle au pic négatif devient le principe femelle, le principe femelle au pic positif devient le principe mâle). Ainsi, le principe mâle contient le principe femelle qui est né des deux Essences Vitales de l’Univers et vice versa. Figure 26 : Yin et Yang
Yin et yang sont indiqués pour les phénomènes suivants: Femelle Mâle Intérieur Extérieur Nord Sud Terre Ciel Sombre Lumière Humide Sécher Ombre Soleil Au dessous Au dessus Nuit Jour Bas Haut