CHAPITRE II : LA MAISON‐JARDIN DE HUE
PAYSAGES CULTURELS Définition
IV. 4 L’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO
IV. 4 L’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO
Dans le système international, les organisations ont principalement pour interlocuteur les Etats, et les textes normatifs, les directives ou les recommandations qui en émanent ne valant que pour autant que les partenaires le veulent bien. La souveraineté d’aucun Etat ne peut être subvertie à moins d’une décision de l’Assemblée générale ou du Conseil de Sécurité de l’ONU. Aussi les classements internes n’interviennent‐ils pas expressément dans la reconnaissance internationale. Les deux systèmes de critères sont parallèles.
Au Viet Nam, les sites, biens, meubles et immeubles de valeur historique ou artistique sont classés en trois catégories en même temps qu’ils deviennent propriété de l’Etat :
A. de valeur nationale : I, les monuments ou les lieux marquant des événements historiques important de la nation, II, les œuvres architecturales typiques de la nation, III, les sites archéologiques d’une valeur exceptionnelle.
B. de valeur provinciale : les mêmes catégories mais de signification plus limitée à la province. C. locale (confiés aux comités populaires de district). On comprend que les monuments liés à la monarchie, Palais, tombeaux, pagodes soient entrés au patrimoine national. Que peut‐il en être du reste des édifices de la ville héritée ? L’ICOMOS est muet là‐dessus. L’ensemble dont il est question est une liste de monuments dont on ne sait si elle exhaustive en l’état, classé bien historique de classe AII. Il est placé sous la responsabilité du Département pour la conservation des monuments historiques et musées du Ministère de la Culture, de l’Information et des Sports avec délégation au même service de la province de Thua Thien Hué. La gestion directe est assurée par la ville de Hué qui outre la conservation et les travaux a pour mission aussi d’assurer la mise en valeur et l’animation culturelle et touristique (Festval).
Le rapport de l’ICOMOS, daté d’octobre 1993, s’appuie, en première justification, sur le « travail hautement créatif du peuple vietnamien » « dans les domaines de l’art des
monuments, l’urbanisme et le paysagisme ». Et c’est en reconnaissant l’investissement des autorités locales et du gouvernement vietnamien dans la réhabilitation des monuments que l’ICOMOS termine son bref rapport avant de livrer ses recommandations. Entre les deux, l’histoire de la ville est rappelée en quelques lignes et comment son dessin est accordé à la fois avec « la philosophie orientale en générale et la tradition vietnamienne en particulier » d’une part, et aux conditions du site d’autre part avec la Rivière des parfums et la montagne Ngu Binh qui est le paravent naturel de la ville (l’écran géomancien).
Suit la description des trois enceintes emboîtées puis une liste de « plusieurs monuments en relation avec le site, parmi lesquels au sud de la Rivière des Parfums… Rien dans le texte ne dit si cette liste exprime celle des monuments composant « l’ensemble des monuments de Hué » ou n’en donne que des exemples. Finalement le flou règne sur ce qui est ou non placé dans le périmètre de l’Unesco.
Dispersés, les monuments ne font pas une ville, mais conduisent au paysage idéal typique. Le tombeau qui est une demeure, en reste un exemple de premier rang.
Figure 41 : Le tombeau de Tu Duc (Hué)
Il faut alors se rapporter au classement national puisque « l’ensemble » dont il est toujours question « appartient » à la République socialiste du Vietnam. C’est donc le premier classement découlant de la loi de 1945 revue en 1957 et applicable à Hué à partir de 1975, qui donne le « périmètre », toujours discontinu, lui même à la base d’une « Plate‐forme pour le développement socio‐économique ». Le plan 1990‐2000 de développement de la Province a la promotion du tourisme comme priorité mais de périmètre à proprement parler il n’y a pas.
Les maisons‐jardin qui font l’objet d’une politique actuelle de patrimonialisation ne sont pas dans un « périmètre » de l’Unesco qui n’existe pas. Il n’y a pas non plus de véritable zone tampon comme le réclame l’institution internationale dans ses recommandations. Seule une série de monuments est « classée » et protégée par un court périmètre, et les maisons en question, de leur côté, ne sont pas reconnues comme patrimoine de quelconque niveau mais pourtant mobilisée dans l’imagerie patrimoniale et dans les activités du festival.
Figure 42 : Les maisons jardins intactes dispersées en ville mais concentrées à Kim Long.
Encore ne s’agit‐il que d’une minorité des maisons concernées (14) reconnues comme paysage culturel sinon de manière informelle. Les propriétaires actuels peuvent être réticents (chapitre 5). Il se pourrait d’ailleurs que le classement soit difficile, tant la maison‐jardin s’est trouvée dégradée, dispersée pour diverses raisons que nous verrons au chapitre 5 également, et que l’exploitation du label Unesco à travers un festival bisannuel tente de faire revivre. En fait, la rupture patrimoniale n’a pas eu lieu. C’est avant, par la révolution socialiste ajoutée aux dégâts de guerre que le « patrimoine » a connu sa première véritable rupture : la fin d’un habitat et d’un style de vie qui sont valorisés à travers une littérature déconnectée de l’histoire et de la réalité, le pire de ce que l’on peut attendre d’une approche culturaliste poussée au paroxysme (les chapitres précédents). Sauf que c’est cela qui se « vend ». Et si l’opération de patrimonialisation doit être valorisée par le tourisme, c’est ce risque de falsification qu’il faut courir. Pourquoi pas ? Mais dans quelles limites ?
La tentative contemporaine de valorisation qui sera abordée au chapitre 6, décrit un effort de reconstitution principalement destinée à vanter la grandeur nationale en survalorisant le « culturel », cela en dépit d’une référence obligée à l’ancien régime. Elle place le patrimoine du côté de la ressource touristique jusqu’à influencer l’importation d’un concept qui ressemble au village de vacances à thème rapproché du tourisme de santé, tout cela pris entre le slogan survalorisant l’individu contemplatif et une offre qui pourrait être de masse, adressée aux visiteurs occidentaux. Cette patrimonialisation introduit une seconde rupture inversée par laquelle la récupération des sites matériels oblige à réintégrer une part exclue de la société nationale en en magnifiant les œuvres.
DEUXIEME PARTIE : HABITER LE PATRIMOINE