CHAPITRE II : LA MAISON‐JARDIN DE HUE
II. 2 La maison de Hué II.1.2 La variété des plans
CHAPITRE II : LA MAISON‐JARDIN DE HUE Introduction : sur les origines II. 1 Le concept de la maison‐jardin II.1.1 L’idéal type II.1.2 De la nature à la maison‐jardin II. 2 La maison de Hué II.1.2 La variété des plans II.2.2 Structure et organisation intérieure
Le discours patrimonial qui est fondé idéologiquement sur une géohistoire absorbant les divergences et les vieilles luttes, replace Hué, l’ancienne capitale, au centre du Vietnam historique. C’est le carrefour culturel « comme une palanche portant les deux
gerbes de riz du delta du Mékong et du Fleuve Rouge » qui est loué, appuyé sur une
disposition naturelle à la rencontre. Située à la rencontre de la montagne et de la mer, la province de Thua Thien Hue n’est qu’une plaine en liseré très fin allongé du Nord au Sud.
Les murailles de la montagne surplombant Thua Thien Hué à l’ouest, avec ses versants escarpés, a dessiné une province aux territoires découpés par de multiples cours d’eau, grands et petits. Ce cloisonnement qui offre une grande diversité de perspectives a formé le paysage de Hué. Des montagnes se succédant sans fin, des collines, des sources, des marais, des étangs, des lacs, des dunes, des méandres, des arroyos… et des jardins. On pourrait même croire à l’étalement des forêts jusqu’à la côte. Les plantes acclimatées comme ochna, (mai), phyllostachys (espèce de bambou), pin, cyprès (bach), figuier glomérule (sung), figuier à feuilles lustrées (sanh), figuier de Benjamin (si)… sont présents partout avec des formes grandioses en montagne, plus réduites dans les jardins de la plaine. Les forêts vierges sont les pays natals de plusieurs espèces végétales de fruitiers sauvages, eux aussi présents dans les jardins comme la ronce rampante (mam xoi), chuon chuon, bo bo, orange, garcinic (bua), ….ou des orchidées très connues. La nature végétale assure les liens et le continuum.
Mais le piedmont et la plaine étroite et même le cordon littoral sableux ont été de jour en jour plus exploités et « grignotés » quand la population a augmenté. Puis les chaînons de basse montagne exposés à l’Est ont été eux aussi transformés en terres de culture par le brûlis ancestral des ethnies montagnardes, défrichement accéléré par le besoin en bois. La zone de rizière s’est toujours étendue vers l’Ouest, après épuisement des terres des collines. Cette extension des terres agricoles a conduit les géographes, écologues, agronomes (ou plutôt leurs ancêtres déjà attentifs) à réfléchir au « jardin naturel ». Avec sa disparition qui débute dès les premiers défrichements, sa reconstitution en jardin de maison prend un sens profond et pas seulement matériel, en fournissant des modèles à l’art plastique. De la nature à la culture, la végétation considérée hors de l’activité de production
est bien à la base de ce discours d’exception qui évacue les dures réalités guerrières d’entant jusqu’à une période très proche.
Hué qui a hérité de nombreuses réalisations dans tous les domaines, propose aujourd’hui des monuments historiques matériels et immatériels ressemblant au cœur d’un pays du temps passé, d’autant plus que la culture de Hué a condensé les héritages de toutes les régions du Vietnam sur l’arrière plan d’une nature toujours proche et volontairement conservée en idée par le jardin de la maison.
D’où vient la maison‐jardin de Hué, et d’où vient la maison (en bois) de Ruong qui en est l’origine ?
Figure 9 : La maison traditionnelle
La maison en bois est une mutation savante de la maison des montagnes et des collines environnantes, abri rudimentaire mais conçu sur le principe de base que la charpente, poteaux et fermes en sont la structure, le végétal étant seul utilisé.
Figure 10 : Maison rudimentaire mais charpente savante
Mais pour parler de la maison de Ruong et de son évolution, à Hué comme du Vietnam en général, il faut partir de la culture chinoise et de la culture indienne qui se rencontrent là (les rois de Champa du Sud portaient des noms « indiens ») et qui se sont mêlées par l’histoire culturelle que nous avons décrite. Hué est placé à point nommé pour en porter témoignage, ce qui n’est pas loin de l’idée de patrimoine. A travers les signes infimes de la maison et du jardin, se trouvent unifié l’ensemble de la construction nationale du point de vue culturel qui vient compenser voire annuler les lignes idéologiques contradictoires.
En parlant du Vietnam, la « science occidentale » nous ramène toujours à l’importance des fleuves asiatiques et à leur rôle dans la définition d’espaces culturels selon
la vieille théorie des empires hydrauliques. Or, autrefois, la région du centre du Vietnam était une barrière importante à l’intersection de deux grandes cultures, la culture Trung Hoa et celle de Han. En fait, la culture Trung Hoa comme la culture Han sont toutes deux chinoises car, au début, la culture Trung Hoa est apparue au nord de la rivière de Truong Giang, la culture Han étant, elle, apparue autour de la rivière de Hoang Ha !
Le glissement de la culture Trung Hoa a, dès son arrivée au Vietnam, totalement influencé le pays par l’introduction du riz. Jusqu’alors étaient cultivés le blé, le millet, l’orge. Les techniques hydrauliques mobilisant l’eau souterraine étaient malgré tout déjà utilisées pour arroser les cultures.
La civilisation du cheval, très présente dans la culture chinoise au sud de la rivière de Truong Giang, ainsi que celle de toute la zone du Nord‐est de Thai (Thaïlande), du Sud et du Nord‐est du Vietnam accompagne l’introduction de la civilisation du riz irrigué dans toute l’Asie du Sud‐Est.
C’est pourquoi le processus de formation de la civilisation chinoise renvoie à cette époque de Tan Thuy Hoang, au 4e siècle avant l’ère chrétienne, entre la civilisation du blé et celle du riz, formant la civilisation chinoise « moderne », celle qui dure jusqu’aujourd’hui. Nous pouvons encore affirmer que la civilisation du riz n’existait qu’en Asie du Sud‐est : « berceau du riz cultivé ». Il y avait donc là deux civilisations différentes réunies par la Chine et une troisième aire de civilisation avec celle de l’Inde qui débouchait par les Monts Annamites.
Nous pouvons dire alors, que la civilisation vietnamienne est une addition de la civilisation Han + Hoa Nam (civilisation de riz) + civilisation d’Asie du Sud‐est + civilisation indienne + civilisation Vietnamienne du Nord. La culture vietnamienne comme elle s’est conclue à Hué, est le mélange de ces diverses sources, chaque région du pays présentant une nuance par les emprunts à ces différentes cultures, Hué en étant une expression originale parce que justement centrale et recueillant des héritages de toutes les provenances.
Cette approche invite à choisir une progression des plus grandes aux plus petites échelles dans ce trajet culturel venu de Chine et d’Asie du Sud au Vietnam pour se rejoindre à Hué. La Maison‐jardin enregistre ces héritages et ces migrations accumulés.
Ainsi se produit l’absorption de la différence mêlant histoire nécessaire et arrangements. La guerre est tout de même au cœur de cette histoire et pour le Vietnam, la province de Hué en a été une charnière « géopolitique » du 16e siècle jusqu’à 1975. C’est au jardin que l’arrangement s’exprime entre autres, car il porte le témoignage de ces influences combinées et symboliquement harmonieuses, le tout dans le prolongement des ressources paysagères qu’offre la région centrale si réduite et replacée dans la paix naturelle.