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a) Principes Générau

Dans le document La valeur de l’existence en comptabilité (Page 164-173)

Nous présentons conjointement les approches dénommées ici « Ethique Environnementale » et « Ecologique (Relationnelle) » afin de souligner leurs points de divergence. En effet, toutes deux ont en commun de mettre en avant notre rapport aux non-humains, s’inscrivant en opposition avec l’approche « Orthodoxe » (et les perspectives affiliées). Dans ces conditions, elles inversent le positionnement « Orthodoxe » et renversent le point de vue sur notre question de recherche : là où l’approche « Orthodoxe » se décline clairement au niveau de l’économie, de l’entreprise ou de la comptabilité – c’est-à-dire au niveau des activités humaines – mais pose des difficultés pour intégrer l’idée même d’une prise en compte d’entités environnementales « pour elles-mêmes », les deux approches donnent directement un sens à cette dernière question – ce qui en fait des approches centrales pour notre questionnement –, mais n’offrent pas de déclinaisons immédiates, conventionnelles ou non-controversées sur les concepts d’économie, d’entreprise, de comptabilité, etc. Au-delà de ce rapprochement, elles n’en restent pas moins radicalement différentes.

L’approche désignée ici sous le terme d’ « Ethique Environnementale » se base sur un concept central, celui de « valeur intrinsèque » ((B. G. Norton, 1992), (O’Neill, 1992), (Katz, 1997)226, (Larrère & Larrère, 1997), (Vilkka, 1997) (B. G. Norton, 2005), (Callicott, 2007)227, (Rolston III, 2007)228, (P. W. Taylor, 1981)229, (Deane-Drummond, 2008), (Gudorf & Huchingson, 2010), (Callicott, 2013), (Hess, 2013)). Le terme même de « valeur intrinsèque » n’est pas sans ambiguïté ((O’Neill, 1992), (Krebs, 1999)230, (Davidson, 2013)) et renvoie à trois significations principales : (1) valeur non-instrumentale, (2) valeur basée sur des propriétés propres et (3) valeur possédée indépendamment de l’évaluation d’un évaluateur (humain). Comme expliqué par John O’Neill231, « to hold an environmental ethic is to hold that non-human beings have intrinsic value in the first sense: it is to hold that non-human beings are not simply of value as a means to human ends. However, it might be that to hold a defensible ethical position about

226 Eric Katz est professeur de philosophie au New Jersey Institute of Technology (Etats-Unis). Il est spécialisé en

éthique environnementale et apparaît comme un grand défenseur de la notion de valeur intrinsèque.

227 John Baird Callicott a été professeur de philosophie et d’études des religions à l’université de North Texas (Etats-

Unis) et est un des fondateurs de l’éthique environnementale.

228 Holmes Rolston III est professeur honoraire de philosophie à l’université d’Etat du Colorado (Etats-Unis) est

considéré comme un des pères de l’éthique environnementale comme discipline académique.

229 Paul Taylor est professeur émérite en philosophie au Brooklyn College (New-York, Etats-Unis). Il a notamment

été un des fondateurs du courant « biocentriste » au sein de l’éthique environnementale.

230 Rapport concluant le projet des Nations Unies intitulé « Value Systems and Attitudes towards Nature ».

231 John O’Neill est professeur à l’université de Manchester (Royaume-Uni) en Economie Politique. « He is currently director of the Political Economy Institute. […] He is also a member of the Society and Environment Research Group […] » d’après le site http://www.manchester.ac.uk/research/john.f.o%27neill/ (consulté le 13/06/2015)

the environment, one needs to be committed to the view that they also have intrinsic value in the second or third senses » (O’Neill, 1992). En fait, la valeur intrinsèque sous-tendant les enjeux de l’Ethique Environnementale est la troisième, qui est aussi appelée « valeur intrinsèque objective »232 (Gudorf & Huchingson, 2010; Katz, 1997; B. G. Norton, 1992; O’Neill, 1992). En conférant une valeur intrinsèque à une entité non-humaine, il s’agit de lui conférer un statut de sujet233 moral ou de droit ((Regan, 1985)234, (Faucheux et al., 1995), (Katz, 1997), (Vilkka, 1997), (B. G. Norton, 2005), (Deane-Drummond, 2008), (Callicott, 2007), (Gudorf & Huchingson, 2010), (Hess, 2013)). Dans ces conditions, comme le prouve par exemple B. G. Norton (1992), la valeur intrinsèque est une notion Moderne235. Le but est en effet d’attribuer une part du domaine du Sujet à des entités non-humaines, donc a priori considérées comme étant totalement des Objets. Avec ce statut de Sujet, ces entités ne peuvent ainsi plus être traitées comme de simples Moyens à disposition des humains. Cette Subjectivation permet dès lors de placer les débats sur notre rapport à l’environnement sur un plan non plus Technique mais Ethique, où les humains et certains non- humains sont traités sur des bases morales communes. La valeur intrinsèque objective correspond ainsi à la purification du dualisme fin/moyen. Nous avons vu en effet qu’un des effets de l’attitude Moderne peut être de transformer des dualismes fondamentaux, basés sur la simple observation de certaines différences et dont les délimitations et interactions ne sont pas clairement prédéterminés, en des clivages absolus236. Ainsi, en lieu et place de chaînes de médiations, où chaque entité peut être à la fois un peu « moyen » et « fin » en elle-même, et ce de façon dynamique, se trouve la notion de valeur intrinsèque objective, où l’entité à qui est attribuée une telle valeur dispose d’une Finalité propre radicale237238 et ne peut plus être considérée comme un Moyen absolu. Maintenant, afin d’imposer cette valeur, il est nécessaire de la conceptualiser de façon à éviter toute remise en question par les Sujets déjà constitués : dans la grammaire Moderne, cette opération consiste à Objectiver la reconnaissance du statut de (presque-)Sujet des entités non-humaines concernées. En effet, Objectiver revient à mobiliser la Force de la Nature (de la naturalisation) pour empêcher tout

232 Et c’est à cette approche que nous nous référons dans cette thèse.

233 Un statut de sujet ou de patient moral : la distinction entre ces deux concepts est exposée par exemple dans (Hess,

2013).

234 Tom Regan est professeur émérite en philosophie à l’université d’Etat de Caroline du Nord (Etats-Unis) et un des

principaux théoriciens des droits des animaux.

235 Eric Katz explique notamment qu’avec la valeur intrinsèque objective, appliquée à la Nature, « […] Nature is an autonomous moral subject, analogous to the traditional human subject of modern ethical theory » (Katz, 1997). 236 Il en va ainsi par exemple du dualisme passé/présent purifié pour obtenir la notion de Progrès, où le passé est

Objectivé et le futur renvoyé au domaine de la Maîtrise du Sujet, ou du dualisme public/privé, purifié dans le Capitalisme, pour définir une notion de propriété exclusive, où le privé est du domaine du Sujet.

237 Cette entité peut ainsi devenir une partie prenante à part entière par exemple (S. D. Norton, 2007).

238 B. Norton note ainsi, en faisant référence à l’approche qu’il nomme « Economism » (conceptuellement rattachée à

ce que nous désignons ici par approche « Orthodoxe ») : « both Economists and Intrinsic Value theorists accept a

sharp dichotomy between values that are « intrinsic » and those that are « instrumental » ; further, both groups proceed to use this sharp dichotomy to separate nature into beings or objects that have « moral considerability » and those that lack it » (B. G. Norton, 2005).

débat (Callon, 1998; Latour, 2007b). Plusieurs lignes argumentatives tentent de formaliser cette Objectivation (Callicott, 2007, 2013; Hess, 2013; Larrère & Larrère, 1997; B. G. Norton, 1992; O’Neill, 1992; Rolston III, 2007; P. W. Taylor, 1981) selon notamment le type d’entité non- humaine concernée ou la compréhension de la notion d’Objectivation (O’Neill, 1992). On se situe bien dans l’emploi de la grammaire Moderne pour cadrer le rapport humains/non-humains.

Cette valeur intrinsèque Objective239 peut être attribuée à plusieurs types d’entités non- humaines (Callicott, 2013; Hess, 2013), ce sur quoi le chapitre 6 revient : du pathocentrisme, où le (presque-)Sujet moral est toute entité sentiente (i.e. doué de sensations, de sensibilité et pouvant souffrir, à l’instar des animaux) à l’écocentrisme, où les écosystèmes eux-mêmes reçoivent un statut de centre moral. C’est ainsi que l’Ethique Environnementale est parfois confondue avec ce dernier point de vue, le plus extrême. T. Gladwin et al. (1995) et W. Stubbs et C. Cocklin (2008) opposent ainsi l’approche « Ecocentriste » à l’approche « Orthodoxe ».

Au niveau des présupposés généraux, B. Norton240 établit un certain parallèle entre ceux de l’approche qu’il appelle l’ « Economism » (B. G. Norton, 2005) et ceux qu’on trouve derrière la valeur intrinsèque (Objective). Il explique tout d’abord que leurs deux points de vue sur le monde sont statiques, « […] in favor of evaluating objects or entities rather than evaluating dynamic processes and changes in processes. [Par exemple,] protection is assumed to be protection of items in an inventory: should we try hardest to save genes? Individuals? Populations? Species? Ecosystems? This object bias is of course endemic to all of Western culture […] This ideological triumph […] led to modern scientific reductionism, which seeks explanation in the motion of elementary particles » (B. G. Norton, 2005). Ceci est conforme à ce que nous avons établi sur l’attitude Moderne – qui tend à comprendre la dynamique de la réalité d’en bas (cf. figure 2.2) sous la forme d’une image statique, purifiée, formant la Réalité d’en haut (cf. figure 2.2) – et de façon plus précise sur l’approche « Orthodoxe ». Ensuite, B. Norton explique que ces deux perspectives partagent un certain monisme ontologique : « they have as their most central commitment a belief that there is ultimately only one kind of value worth counting in decisions regarding what to do to protect the environment [le Capital – décliné sous la forme de l’utilité pour l’approche « Economist » – et la valeur intrinsèque Objective pour l’autre perspective] » (B.

239 Nous écrirons dorénavant valeur intrinsèque Objective avec une majuscule afin de marquer le renvoi de cette notion

à l’attitude Moderne.

240 Bryan Norton est professeur de philosophie au Georgia Institute of Technology (Atlanta, Etats-Unis). Il est

spécialisé en philosophie des sciences et les changements conceptuels dans les disciplines scientifiques. Il travaille notamment sur l’équité intergénérationnelle, la théorie de la soutenabilité, les politiques liées à la biodiversité et les méthodes d’évaluations environnementales. Il est un des acteurs importants actuels en éthique de l’environnement et a (co-)initié le courant du « pragmatisme environnemental » (Afeissa, 2008).

G. Norton, 2005). Enfin, ces deux approches « treat environmental values as placeless – neither dollars nor ‘intrinsic values’ are contextualized or sensitized to the particularities and idiosyncrasies of local places » (B. G. Norton, 2005). En particulier, la valeur intrinsèque Objective repose sur une vision du monde décontextualisée et abstraite (Weston, 1985)241. Cette analyse fait écho au fait que (Faucheux et al., 1995), par exemple, décrit ce type d’approche comme étant basée sur une rationalité substantive, se rapprochant ainsi de la perspective néoclassique. Ainsi, avec la valeur intrinsèque Objective, les entités non-humaines sont perçues comme poursuivant certains objectifs « préétablis »242, qui définissent justement de manière Objective ce qui est supposé imposer la reconnaissance d’une entité comme (presque-)Sujet ; et cet accomplissement repose sur des notions d’optima et d’efficience (Faucheux et al., 1995). La valeur intrinsèque Objective repose ainsi sur une clôture ontologique radicale concernant notre rapport au monde : John Barry243 explique que la préoccupation de l’écologie profonde ((Naess, 1989)244, (Latour, 1999c)), position écocentriste particulière, étant de trouver « the ‘truth’ of human-nature relations [,]leads it to seek a permanent solution to human-nature relations, in the sense of finding the definitive, final, once-for-all answer to this aspect of the human condition » (John Barry, 1998). En cela, à la place de la vision mécaniste du monde de l’approche « Orthodoxe » est substituée une perspective « organique » (Latour, 1999c), où l’atome est remplacé par le système245 et son

241 « […] ‘Why preserving wilderness?’ [d’un point de vue intrinsèque Objectif] As a question of practical policy it is too abstract. For the pragmatist [position opposée à la notion de valeur intrinsèque Objective] the real question is ‘Why preserve this wilderness?’ – what is it about this particular natural region which interacts with our pluralistic set of interrelating values ? » (Katz, 1997)

242 Par exemple, « for biocentric [posture éthique où le centre moral renvoie aux êtres vivants] consequentialism, intrinsic value lies in the good or the well-being of bearers of moral standing. […] I take this good to consist in the development of the capacities essential to their kind, whether capacities for growth and reproduction (as in plants and animals alike), for mobility, perception and sentience (as in most animals), or for these plus capacities such as practical reason and autonomy, as in human beings » (Attfield, 1999). Ainsi on constate bien que certaines aptitudes

particulières des entités, supposées être des « bearers of moral standing » (des (presque-)Sujets), constituent a priori la substance Objectivée de ce qui fait de ces entités de tels (presque-)Sujets et que le « meilleur » développement de ces caractéristiques représente le « but à atteindre ».

243 John Barry est professeur en sciences politiques à l’université de Belfast (Irlande). Il est spécialisé dans les relations

entre la théorie politique et l’environnement. Il a été co-président du parti Vert irlandais.

244 Arne Naess (1912 – 2009) était un philosophe norvégien, fondateur de l’écologie profonde.

245 On peut ainsi illustrer la différence fondamentale entre la notion de système et celle de réseau, mobilisée en

particulier dans la théorie Latourienne : « Contrast a [Latourian] network with a system […] A system has stocks

(something being stored) and flows (something being moved from one stock to another). The system only makes sense where there is a relative purity to the thing being stored and moved around. It could be water, or carbon dioxide, or genetic information. This also gives it a consistent language to use, such as the language of fluid mechanics. The environment as a giant biophysical system is composed of many natural systems, such as hydrology, climate, and geomorphology, affected by cultural systems like politics, economics, and demography. Each has a relative purity, though all connect to the extent that one can be translated into the other. Ultimately, any one thing (a water droplet, a political uprising) is relegated to its particular system, then ultimately to nature or culture as a result of the system to which it belongs. Systems make sense as analytical constructs, but their implied purity actually takes us away from the sense of connection environmentalists may intend by invoking a ‘systems approach’ or ‘whole – systems view’. Systems are, in short, highly refined networks, sort of a refined-sugar way of looking at the hybrid reality environmentalists confront daily » (Proctor, 2009). Ainsi un système est une purification particulière des réseaux de

équilibre ((Gladwin et al., 1995)246, (Clifton, 2010)), mais qui au final, ne change pas les suppositions Modernes générales sur notre rapport au monde. Ainsi la valeur intrinsèque Objective fait que l’approche dénommée ici « Ethique Environnementale » cherche fondamentalement à Objectiver certaines Formes caractéristiques Essentielles de certaines entités non-humaines, et à Imposer la reconnaissance de la Stabilisation de ces Formes aux autres Sujets, par le biais d’une attribution Objective (ce qui correspond à la valeur intrinsèque Objective) d’une partie du domaine du Sujet à ces entités ; or cette attribution reposant précisément sur ces caractéristiques, fait de ces Formes, une sorte de Fond. Si on reprend ainsi l’exemple du biocentrisme conséquentialiste de Robin Attfield247 (1999), la reconnaissance de capacités de croissance et de reproduction pour les plantes – ces capacités étant des Formes Représentables Fidèlement (Scientifiquement) – constitue la base de la valeur intrinsèque Objective ; en cela, ces capacités (ces Formes) doivent être Ethiquement respectées (i.e. respectées par les autres Sujets) et elles forment la substance de ce qui fait de ces plantes des (presque-)Sujets. Ces capacités-Formes confèrent donc un Fond aux plantes via la valeur intrinsèque Objective.

L’approche de l’Ecologie (Relationnelle)248 est quant à elle très éloignée de ce point de vue. On peut noter que d’un point de vue historique, l’écologie « anglophone » s’est plutôt concentrée sur la question du centre moral, à l’instar de J. Callicott, de H. Rolston III ou de P. Taylor par exemple, tandis que l’écologie française a développé une approche plus politique (Callicott, 2013) et basée sur l’enjeu des relations humains/nature (Whiteside, 2002). S. Moscovici, C. Castoriadis249 et B. Latour illustrent cette orientation (sans pour autant partager exactement les mêmes positionnements). Au vu du choix de notre cadre théorique, nous nous concentrons donc sur l’approche Latourienne de l’écologie, tout en autorisant des ponts avec ces deux auteurs notamment (comme cela a été fait précédemment). B. Latour donne une définition très claire de l’écologisation, correspondant à ce que nous désignons ici par approche « Ecologique Relationnelle » : « ‘Ecologising’ means creating the procedures that make it possible to follow a network of quasi-objects whose relations of subordinations remain uncertain and which thus

246 Cf. figure A.2.4 en annexe.

247 Robin Attfield est professeur de philosophie à l’université de Cardiff (Royaume-Uni) et a participé à un groupe de

travail de l’UNESCO sur l’éthique environnementale. Il est un des principaux théoriciens du courant du « conséquentialisme biocentriste ».

248 Cette approche partage de nombreux points communs avec ce que (Gladwin et al., 1995) appelle

« sustaincentrism » (cf. figure A.2.4 en annexe), notamment en raison d’une pensée en termes de réseaux et l’insistance sur l’interdépendance.

249 Ainsi, « le sujet chez Castoriadis est donc celui qui s'élabore dans la relation à l'autre. Mais cette élaboration n'est pas quelconque […] un tel sujet est ‘sujet-événement’, et non liberté abstraite ou ego tout puissant. Il ne prend sa consistance que comme, dans le rapport à l’autre […] le rapport au monde n'est plus un rapport sujet-objet classique, l'objet du faire n'est jamais objet mort. Dans la praxis il y a construction, modification mutuelle et continue du sujet et de l'objet. L'’objet’ se transforme comme il transforme le ‘sujet’ qui agit donc non pas ‘sur’ mais ‘avec’ lui »

require a new form of political activity adapted to following them » (Latour, 1998b). Précisons cette définition. Comme expliqué précédemment, l’approche non-Moderne Ecologique s’intéresse à la réalité d’en bas (cf. figure 2.2), modélisée comme un entremêlement de réseaux de médiations et de chaînes de traductions. Aux points de nouages de ces chaînes se trouvent les quasi-objets, ou hybrides, qui constituent en fait les entités propres de notre réalité : chaque entité de ce monde apparaît dès lors comme un nœud de relations, où l’ « humain » et le « non-humain » s’enchevêtrent sans possibilité réelle de dissociation. L’existence même des entités réelles est ainsi perçue comme étant relationnelle : l’ontologie écologique renvoie donc à une ontologie relationnelle ((Leary, 1985)250, (Blok & Jensen, 2011; Castree, 2003; Forsyth, 2004; Harman, 2007; Law, 1999; Sidorkin, 2002; Slife, 2004; Wildman, 2010)). Comme l’affirme par exemple Robyn Eckersley251, « […] critical political ecology rests on a relational ontology of the self that recognizes the constitutive effects of social structures – understood in both cultural and material terms » (Eckersley, 2004). Dans une telle ontologie, les relations deviennent premières et conditionnent ce que sont les entités (à comprendre dès lors systématiquement comme des hybrides). Les raisons qui font de cette vision une perspective écologique sont entre autres les suivantes. Tout d’abord, par définition, l’écologie, comprise comme science, est « la science globale des relations des organismes avec le monde extérieur environnant, dans lequel nous

incluons au sens large toutes les conditions d’existence »252 (Dajoz, 2006)253. L’écologie renvoie

donc clairement à la notion d’interrelation : dans ces conditions, une approche écologique générale de notre rapport au monde doit se concentrer sur ce concept. L’ontologie relationnelle, définissant directement les entités par leurs relations, semble ainsi conforme à cette exigence. Par ailleurs, comme argumenté précédemment, la reconnaissance d’une absence de démarcation claire entre culture et nature, entre humain et non-humain, entre faits et valeurs, etc. constitue la base des analyses écologiques (Pilgrim & Pretty, 2010). En effet, d’un point de vue écologique, du fait de la focalisation sur les interactions, aucun présupposé ne peut être posé a priori sur la valeur ou l’importance d’une entité particulière dans ces interrelations : toute la question réside justement dans l’analyse précise de ces relations pour comprendre comment les entités vivent et évoluent. Le renvoi régulier du terme « écologie » à une posture visant à en finir avec le clivage (Moderne) a priori entre Sujets et Objets peut être résumé par l’exemple de l’« Ecological Symbolic Approach » (ESA) (Kroll-Smith & Couch, 1991), développée au début des années 1990. L’ESA

250 Rolfe Leary propose ainsi un exemple typique de gestion forestière écologique intégrant la notion d’ontologie

relationnelle.

251 Robyn Eckersley est professeur et directrice du département de sciences politiques à l’université de Melbourne

(Australie). Elle est « Fellow of the Academy of the Social Sciences » d’Australie. Dans un de ses ouvrages majeurs (Eckersley, 2004), elle explore ce que serait un « Etat Vert » à partir de l’approche de l’écologie politique critique (orientation proche de ce que nous désignons par approche « Ecologique Relationnelle » ici).

252 D’après la définition d’Ernst Haeckel de 1866 dans « Generelle Morphologie der Organismen ». 253 Professeur honoraire au Muséum national d'histoire naturelle.

vise à mieux appréhender les risques et les désastres. Dans ce but, elle propose tout d’abord de définir clairement ce qu’est un désastre. En effet, ces deux auteurs constatent que « one definition [d’un désastre] ignores the physical dimension of disaster, focusing exclusively on social consequences. Another definition includes physical dimensions, but proponents of this approach cannot agree on just what physical features to include » (Kroll-Smith & Couch, 1991). Dans cette perspective,

« the ESA aims to resolve the overheated debate between realist and constructivist environmental sociologists by avoiding a relativistic view threatening strong constructivist or postmodern perspectives. It also avoids the deterministic view typical of pure realist approaches. In addition, [the ESA] pay[s] attention to the perspectives and experiences of people with regard to changes in their environment […] Using the ESA to study environmental risk perception requires that we look to the nature of the environmental threat, risk, and hazard perceptions as well as to the cognitive and sociocultural aspects (e.g.,

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