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L’Environnement dans les Modèles Comptables Socio Environnementaux étendant le Bilan et le Compte de Résultat

Dans le document La valeur de l’existence en comptabilité (Page 80-83)

Environnementaux étendant le Bilan et le Compte de Résultat

3. L’Environnement dans les Modèles Comptables Socio Environnementaux étendant le Bilan et le Compte de Résultat

De l’analyse de ces modèles, il ressort que deux grandes conceptions de l’environnement prédominent : l’environnement comme moyen pour générer des bénéfices (financiers ou sociétaux) futurs (Boone & Rubenstein, 1997; Estes, 1976), et l’environnement comme réceptacle des sous-produits de l’activité humaine. La première perspective est directement en lien avec l’évaluation par la valeur actualisée qui repose précisément sur l’assimilation de l’environnement à un ensemble de flux futurs de trésorerie. Dans ces conditions, l’environnement est une simple ressource disponible sans réserve : sa dégradation se traduit par l’enregistrement d’un amortissement « économique » correspondant à la variation de sa valeur actualisée sur une période comptable donnée. L’environnement peut même être perçu comme une sorte de capitaliste (Boone & Rubenstein, 1997) capable de s’autodégrader pour investir dans l’entreprise : il s’agit donc non plus d’une ressource passive mais active, dont la finalité devient directement d’être un moyen pour l’entreprise de générer du profit. L’ensemble de ces points seront au cœur des chapitres 4 et 5. La seconde approche fait de l’environnement un vaste milieu récepteur, une sorte de dépôt à pollution (« damage deposit » (Rubenstein, 1992)). Dans cette optique, cette « décharge à pollution » peut éventuellement arriver à saturation (Pearce, 1976) et, surtout, les êtres humains vivant dans ce milieu peuvent subir des dommages. Il s’agit donc de pouvoir réparer ces dommages. La théorie des externalités (et donc celle aussi des valeurs hors-marché du cadre néoclassique) repose ainsi directement sur cette vision. A l’extrême, cet environnement-dépôt peut être marchandisé « in order to establish a market for clean production » (Spence, Chabrak, & Pucci, 2013) : de la même manière qu’on paie pour avoir le droit de déposer des ordures dans une décharge privée, il serait alors possible de payer pour avoir le droit de polluer, faisant de la pollution une richesse (Spence et al., 2013). On constate dans le même temps que l’environnement n’apparaît jamais non plus comme une entité réelle substantielle ou comme un ensemble d’entités elles-mêmes différenciées et substantielles: simple moyen, plus ou moins substantialisé si on lui accorde le rôle de partenaire- capitaliste ayant une finalité de pourvoyeur de ressources (Boone & Rubenstein, 1997), ou pur réceptacle diffus, l’environnement n’a pas de consistance propre. En outre, la multitude d’entités non-humaines le composant se dilue dans un tout englobant presque homogène et isotrope. Ainsi la problématique classique sous-jacente aux externalités, par exemple, n’est pas de prêter attention à une entité à part entière, l’environnement, ni à ses constituants particuliers, mais de réduire de manière optimale les dommages déposés en son sein. Dans cette vision, au mieux, il s’agit de déterminer des coûts permettant de maintenir ce milieu-ressource et réceptacle dans un état apte à continuer de fournir les services demandés et/ou à contenir les déchets de l’activité humaine

(Sherman et al., 2002; The SIGMA Project, 2003). Dans ce milieu, ce qui compte finalement ce sont les êtres humains (actuels ou à venir) (Boone & Rubenstein, 1997; de Sain-Front et al., 2012; Estes, 1976), éventuellement par le biais de la société. Ainsi derrière l’environnement se cachent finalement des entités substantielles, elles, les êtres humains qui sont les véritables finalités des modèles étudiés ici, sauf dans quelques exceptions (Rambaud & Richard, 2015b; Sherman et al., 2002). Cette présence humaine peut se traduire par l’assimilation de l’environnement aux simples préoccupations humaines, que ce soit en termes de profits divers et variés (financiers, récréatifs, etc.), de capacités à contenir des déchets et à éviter des dommages sociaux ou de lieu de vie (Hueting, 1980; Richard, 2012a). Mais cette présence peut aussi apparaître sous la forme d’un médiateur pour atteindre éventuellement l’environnement en « lui-même », comme dans le cas de certains types de valeurs hors-marché non basées sur l’usage (qui constituent le cœur du chapitre 3) (Merlo & Jöbstl, 2009) ou dans la prise en compte directe de l’existence propre de l’environnement comme dans le modèle CARE/TDL (Rambaud & Richard, 2015b). Finalement, ces modèles/expérimentations n’abordent majoritairement pas l’environnement comme une entité propre, et encore moins comme un monde commun où foisonne une profusion d’entités environnementales, non réduites au statut de simples moyens à destinations des êtres humains.

Dans ces conditions, nous avons ainsi mis en évidence la façon dont le langage du bilan et du compte de résultat sont mobilisés dans les modèles de type BCRE et de quelle manière est abordée l’environnement dans ces mêmes modèles. Nous pouvons ainsi, parallèlement à la grille d’analyse inspirée de M. Merlo et H. Jöbstl (2009), jeter les bases d’un cadre de conceptualisation de l’environnement comme sujet et objet de ce langage comptable particulier, ce cadre devant répondre aux questions suivantes : l’environnement est-il une fin en soi ou un moyen pour d’autres intérêts ? Est-il un milieu dé-substantialisé ou une entité propre ? Vit-il à travers la présence humaine ou comme existence propre ? Renvoie-t-il à une myriade d’entités environnementales ou est-il un tout généraliste ? Questionner la comptabilité pour savoir si elle peut prendre en compte certaines entités environnementales pour elles-mêmes oblige à formuler des réponses particulières à ces questions, selon les cadres théoriques retenus ainsi qu’expliqué en introduction de ce chapitre. Le cœur des modèles de type BCRE et de notre question de recherche réside donc dans l’articulation entre les modalités d’utilisation du langage du bilan et du compte de résultat et les réponses aux questions soulevées ci-dessus.

Finalement, nous pouvons d’ores et déjà émettre quelques hypothèses relatives à l’interprétation à donner au fait, pour les modèles de type BCRE, de prendre en considération des entités environnementales pour « elles-mêmes », même si elles doivent être soumises à un examen

plus approfondi. Cet examen ne peut se passer d’un cadrage théorique pour comprendre, selon telles ou telles modalités-types du rapport Humains/Environnement, comment aborder ces questions et la narration comptable reliée. Ainsi les hypothèses formulées ici ne sont à comprendre que comme un support pour structurer les réponses apportées à notre question de recherche, voire comme une certaine orientation. Tout d’abord, le fait de se situer en-dehors des niveaux 3 et 4 selon la classification adaptée de M. Merlo et H. Jöbstl (2009) rend difficile la possibilité de parler de l’environnement (ou d’entités environnementales) en son nom propre et ainsi de le « faire parler » au travers de la comptabilité. Ensuite, il est clair que le choix d’utiliser le terme « entités environnementales » renvoie à un environnement composite et non globalisant. Par ailleurs, concevoir des entités environnementales comme de simples moyens pour des finalités humaines quelconques semble a priori incompatible avec le fait de vouloir les prendre en compte pour elles- mêmes, même si ce point mérite d’être affiné. En outre, la question de la substance concernant l’environnement peut aussi être posée au niveau des entités environnementales : en ce sens, il apparaît raisonnable de penser que la notion d’ « entités environnementales pour elles-mêmes » pose comme condition de conceptualiser ces entités comme des entités substantielles, c’est-à-dire individualisables et identifiables dans leur existence propre. Reste finalement la question de la médiatisation par l’être humain, qui renvoie obligatoirement au cadre théorique des modalités Humains/Environnement. En effet, prendre en considération des entités environnementales pour « elles-mêmes », et en particulier, refuser de les concevoir comme de simples moyens à l’usage des êtres humains, ne revient pas nécessairement à rejeter tout type de lien entre l’Homme et ces entités. Par contre, la nature de ces liens doit être explicitée.

A ce stade, nous disposons donc d’une perspective comptable, reposant notamment sur un langage particulier – et des principes reliés –, selon laquelle il est possible de s’interroger sur la prise en compte d’entités environnementales pour « elles-mêmes ». Il nous faut donc maintenant préciser ce que signifie cette dernière notion et cela en relation avec la direction retenue ici, qui est celle de la soutenabilité. Dès lors, nous devons aborder a minima les questions suivantes : quel lien existe-il entre la prise en considération d’entités environnementales pour « elles-mêmes » et la soutenabilité ? Ainsi n’est-ce pas suffisant de « simplement » se contenter de considérer l’environnement dans sa globalité, vu comme un moyen pour certaines finalités humaines ? Comment définir de manière précise cette idée de « pour elles-mêmes » ? Et finalement, est-ce que la perspective comptable adoptée ici est adaptée à cette interrogation ? L’ensemble de ces questionnements constitue le cœur des développements de cette thèse. Mais nous devons au préalable nous attarder sur le cadre théorique apte à les appréhender.

Dans le document La valeur de l’existence en comptabilité (Page 80-83)