• Aucun résultat trouvé

L’étude du rapport entre l’argumentation et les preuves est un champs d’étude actif de la didactique mathématique. Plusieurs travaux cherchent à clarifier la nature

de ce rapport entre l’argumentation et les preuves mathématiques. L’objectif de cette section est de présenter une vue synthétique et non-exhaustive de ces travaux ; nous discuterons également l’apport de l’argumentation, du débat et du modèle de Toulmin dans la représentation et la construction des preuves mathématiques.

2.3.1

Rapport entre les preuves mathématiques et argumen-

tation

Il existe en didactique des mathématiques un désaccord sur le fait que l’argumen- tation représente les preuves mathématiques. Le premier point de vue stipule que l’argumentation ne peut pas conduire à une preuve mathématique. Dans la lettre de la preuve 1999, Balacheff considère que l’argumentation pourrait même constituer un obstacle épistémologique : «... J’en viens à ne soutenir ni la thèse de la conti- nuité ni celle de la rupture entre argumentation et démonstration (ou preuve en mathématique), mais à proposer de reconnaître l’existence d’une relation complexe et constitutive du sens de chacune : l’argumentation se constitue en un obstacle épis- témologique à l’apprentissage de la démonstration, et plus généralement de la preuve en mathématiques. »Balacheff (1999)

Selon Balacheff, l’argumentation est une interaction sociale qui favorise les pro- cessus d’évolution d’une responsabilité mathématique sur leurs activités et leurs productions. Bien que l’argumentation ait un caractère productif et essentiel dans les problématiques mathématiques, ce type d’interaction constitue un obstacle épis- témologique à la construction de la démonstration Balacheff (1999).

Bien que la distance entre l’argumentation et les preuves mathématiques ait été défendue par les chercheurs que nous venons de citer, d’autres travaux ont montré la forte connexion entre ces deux problématiques Boero et collab. (1996) ; Garuti et collab. (1998). Dans Boero et collab. (1996), les auteurs soutiennent la présence d’une unité cognitive entre argumentation et démonstration. L’unité cognitive défi- nie par Boero et collab. (1996) consiste en l’utilisation des arguments produits lors d’une argumentation, qui mènent à l’explication d’une conjecture. Si un élève veut construire une preuve d’une conjecture, il peut s’appuyer sur une démarche argu- mentative où il justifie chaque étape de sa preuve par la construction d’arguments. Ces arguments peuvent être utilisés pour la construction de la preuve mathématique en les organisant suivant une chaîne déductive. Dans Boero et collab. (1996) les auteurs supposent que la construction d’une argumentation pour la mise en place d’une conjecture peut favoriser la construction d’une preuve mathématique.

Pedemonte dans Pedemonte (2002) utilise l’argumentation afin d’extraire des informations sur les connaissances et le raisonnement chez les élèves. L’utilisation de l’argumentation est justifiée dans la preuve mathématique car la preuve finale ne permet pas de visualiser l’ensemble des connaissances qui ont permis aux élèves de construire cette preuve. Contrairement à la preuve, l’argumentation est un proces- sus moins contraint. Elle permet donc d’avoir accès aux connaissances des élèves qui ne sont pas nécessairement explicites dans la preuve. Pedemonte caractérise l’argu-

mentation en mathématiques et la preuve par deux types de caractéristiques : fonc- tionnelles et structurelles. Les caractéristiques fonctionnelles déterminent la finalité, l’utilité et le rôle de l’argumentation. Les caractéristiques structurelles définissent la structure de l’argumentation Duval (1995).

Dans Pedemonte (2002), l’argumentation en mathématiques se rapproche de la dialectique et la preuve mathématique de l’analytique. Dans l’argumentation dia- lectique, celui qui argumente part de propositions vraies, a priori, qui ne conduisent pas nécessairement à de vraies conclusions. C’est le même principe de l’argumen- tation en mathématiques, l’élève démarre son argumentation avec les prémisses de l’énoncé qui sont supposées vraies et il n’arrive pas nécessairement à des conclusions vraies.

2.3.2

Argumentation informelle, apprentissage collaboratif et

preuves mathématiques

L’apprentissage collaboratif se définit comme une méthode d’instruction dans laquelle les élèves travaillent en groupe vers un objectif commun Gokhale (1995). L’apprentissage collaboratif repose sur le débat et l’argumentation : un groupe d’étu- diants , éventuellement hétérogènes avec des compétences différentes, s’engage dans des discussions et expriment leurs points de vue sous forme d’arguments et de contre- arguments dans le but de résoudre un problème commun Amir et collab. (2013).

L’hypothèse sous-jacente à l’apprentissage collaboratif stipule que les discussions et les échanges actifs des idées et points de vue entre les étudiants au sein d’un groupe augmentent la motivation et favorisent la pensée critique durant l’appren- tissage. Dans Davidson et Worsham (1992) ; Johnson et Johnson (1987) les auteurs montrent que le fait de justifier et défendre son point de vue et critiquer les autres de manière constructive durant un débat, permet d’améliorer les capa- cités de réflexion critique, le raisonnement et la communication chez les étudiants. Johnsonet Johnson (1986) montre que les étudiants ayant participé à l’apprentis- sage collaboratif maîtrisent des abstractions plus élevées et conservent l’information plus longtemps que les étudiants qui travaillent individuellement. Gokhale (1995) étudie l’efficacité de l’apprentissage collaboratif comparé à l’apprentissage indivi- duel. Son travail montre que l’apprentissage collaboratif permet aux étudiants de discuter, clarifier leurs idées et évaluer les idées des autres. Cela favorise le dévelop- pement de la pensée critique et rend l’apprentissage collaboratif plus bénéfique dans la résolution des problèmes.

En mathématiques, un nombre considérable de recherches porte sur l’utilisation de l’argumentation et ses effets dans l’apprentissage des mathématiques. L’argumen- tation utilisée en classe mathématique est définie par l’utilisation de techniques par les enseignants pour encourager et motiver les élèves à justifier leurs déclarations ma- thématiques Aberdein et Dove (2013). Les élèves doivent donner une justification et un raisonnement pour chaque déclaration durant leurs activités mathématiques. Pour cela, il est important d’offrir aux étudiants un environnement approprié. Le

type de tâches mathématiques et la façon dont les étudiants les accomplissent jouent un rôle important dans la motivation de l’utilisation de l’argumentation Durand- Guerrier et collab. (2011). Cet article propose d’utiliser l’argumentation dans les preuves mathématiques pour la résolution des problèmes ouverts et complexes.

Dans Durand-Guerrier et collab. (2011) les auteurs encouragent les étudiants à travailler en groupe. Les discussions et débats entre les étudiants pour justifier ou critiquer les déclarations avancées motivent les étudiants à s’engager davantage dans les mathématiques. Kirkpatrick (2016) étudie les effets de l’utilisation de l’argu- mentation dans les classes mathématiques. Dans cette étude, une classe de mathé- matiques a utilisé la méthodologie proposée. Les étudiants sont répartis en groupes et travaillent en collaboration en utilisant l’argumentation durant la résolution de problèmes mathématiques. Durant cette étude, l’auteur observe le comportement des étudiants pour évaluer le niveau de motivation chez eux. L’étude a montré que l’augmentation de la motivation chez les étudiants est liée à l’utilisation active de l’argumentation. Cette étude a montré que l’argumentation et le débat représentent une base efficace pour l’apprentissage collaboratif des mathématiques.

En conclusion, ces travaux montrent que l’argumentation est une méthode effi- cace pour augmenter la motivation et l’implication des étudiants dans les preuves mathématiques.

2.3.3

Les preuves mathématiques dans le modèle de Toulmin

Dans les sections précédentes, nous avons rappelé les travaux qui utilisent l’argu- mentation informelle dans la construction des preuves mathématiques. Ces travaux reposent sur les débats et les discussions pour justifier, clarifier et expliquer des points de vue et aussi pour contredire et exprimer un désaccord. Dans cette section, nous présentons l’application de l’argumentation semi-formelle.

Dans l’argumentation semi-formelle, les arguments ont une structure bien définie tel que le modèle de Toulmin, présenté dans la Section 2.2.2.2.

Plusieurs preuves mathématiques ont été représentées par le modèle de Toulmin. Les figures 2.3 et 2.4 représentent respectivement la représentation de la preuve de Théétète «il existe exactement 5 solides de Platon » Toulmin et collab. (1984) et l’application du modèle de Toulmin sur l’argument de Zermelo pour «l’adoption de l’axiome de choix » Alcolea Banegas (1998). Ces preuves mathématiques sont simples : la conclusion est inférée directement à partir d’une donnée. Par ailleurs, en mathématiques d’autres preuves plus complexes existent où nous pouvons avoir des étapes intermédiaires entre la donnée et la conclusion ; plusieurs données qui infèrent conjointement ou séparément la même conclusion ; une donnée qui infère deux conclusions différentes ; ou un argument qui infère une conclusion.

Les auteurs de Aberdein (2006) ; Aberdein et Dove (2013) proposent cinq combinaisons du modèle de Toulmin afin de représenter des preuves mathématiques complexes. Ils proposent les modèles suivants Aberdein (2006) :

Figure 2.3 – Représentation de la preuve de Théétète par Toulmin,Toulmin et collab. (1984).

Figure 2.4 – Représentation de l’argument de Zermelo pour l’adoption de l’axiome de choix par le modèle de Toulmin,Alcolea Banegas (1998).

données (voir Figure 2.5.(a)).

— Le modèle séquentiel : ce modèle permet d’avoir une séquence d’arguments où chaque conclusion devient la donnée de l’argument suivant jusqu’à inférer la conclusion finale (voir Figure 2.5.(b)).

— Le modèle convergent : dans ce modèle une conclusion est inférée par deux données différentes (voir Figure 2.5.(c)).

— Le modèle divergent : dans ce modèle une donnée infère deux conclusions différentes (voir Figure 2.5.(d)).

— Le modèle intégré : ce modèle permet de représenter un argument dans lequel la conclusion est inférée à partir d’un autre argument qui représente la donnée (voir Figure 2.5.(e)).

Figure 2.5 – Les cinq façons de combinaison du modèle de Toulmin,Aberdein (2006)

2.4

Quelques outils de construction de preuves ma-